La révision de la Constitution sous la V° République (dissertation)

Introduction

Les Français ont adopté à une très large majorité (près de 82 %), lors du référendum du 28 septembre 1958, la Constitution de la Vème République portée par le Général de Gaulle. Depuis l’adoption de ce texte, ce sont plus d’une vingtaine de réformes constitutionnelles qui ont été menées par les différents dirigeants français. Au contraire, les précédents textes constitutionnels, notamment les lois constitutionnelles de 1875 et la Constitution de la IVème République, n’ont été que rarement modifiés.

Parmi les révisions célèbres qui ont profondément modifié certains fondements de la Vème République en sa version originelle, on retrouve notamment : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (1962), l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel par 60 parlementaires (1974), l’insertion du titre sur l’Union européenne dans le cadre du traité de Maastricht (1992), la mise en place du quinquennat (2000), la reconnaissance constitutionnelle de la décentralisation (2003), ou encore la question prioritaire de constitutionnalité et le renforcement de certains pouvoirs du Parlement (2008).

Enfin, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel ne se considère pas compétent pour exercer un quelconque contrôle sur les lois de révision constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision n° 2003-469 DC, 26 mars 2003).

La doctrine juridique distingue classiquement les Constitutions « souples » des Constitutions dites « rigides ». En effet, les premières sont révisées de manière assez simple, tandis que la révision des dernières fait l’objet d’une procédure particulièrement stricte et difficile à mettre en œuvre. Dans ce cadre, de quelle façon la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit-elle sa révision et comment cette dernière est-elle mise en œuvre ?

La Constitution prévoit une procédure ordinaire de révision (I), dont il faut malgré tout relever les limites (II).

I - La procédure ordinaire de révision constitutionnelle

La procédure de révision est définie pleinement à l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 (A) et elle n’est pas sans induire un certain nombre de difficultés (B).

A - Une procédure définie à l’article 89

L’actuel titre XVI « de la révision » prévoit les différentes dispositions de révision de notre Constitution du 4 octobre 1958, évoquant l’initiative (1) de cette dernière et son déroulement (2).

1 - L’initiative partagée de la révision

L’alinéa 1er de l’article 89 précise que « l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement ».

En effet, l’initiative de cette révision est partagée, dans le texte constitutionnel, entre le pouvoir exécutif (le Président et le Premier Ministre) et le pouvoir législatif (Parlement). Comme le rappelle, le Pr. Bertrand Mathieu, c’est « la tradition républicaine française [qui] incite le Constituant à partager le pouvoir de révision » (Bertrand Mathieu et Philippe Ardant, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e Ed., LGDJ, 2015), cherchant ainsi à ne pas laisser un monopole à l’un ou à l’autre qui pourrait être amené à abuser d’un pouvoir si large et absolu.

L’article 89 prévoit aussi le déroulement précis, jusqu’à son terme, de cette procédure de révision.

2 - Le déroulement de cette procédure de révision

Le deuxième alinéa de l’article 89 précise que « le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques ». Le Constituant a souhaité, comme garantie, que le même projet de révision présenté soit adopté à la fois par la chambre haute (Sénat) et par la chambre basse (Assemblée nationale).

A ce stade, aucune règle de majorité spécifique n’est requise. Le même projet doit donc être accepté à la majorité absolue au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg. Mais après cela, la révision n’est pas immédiatement adoptée, puisque la suite de l’alinéa 2 prévoit que « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ». Le peuple doit donc donner son consentement à la révision, dans la droite ligne de l’esprit gaullien de la Vème République.

Cette procédure prévue par l’article 89 n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés.

B - Les difficultés induites par la procédure ordinaire

La procédure de l’article 89 pose des difficultés quant au poids réel des différents acteurs institutionnels (1), mais aussi en raison de l’existence d’une alternative, prévue par l’article 89 lui-même, au référendum prévu à l’alinéa 2 (2).

1 - L’équilibre délicat quant aux acteurs de la révision

L’article 89 prévoit un réel partage quant à l’initiative de la révision. Cependant, dans la pratique il en est tout autrement puisque l’initiative de l’exécutif prévaut sur celle des parlementaires. En effet, l’ensemble des révisions qui ont abouti à ce jour furent d’origine présidentielle. Aussi, l’initiative parlementaire semble limitée notamment par l’ordre du jour des deux chambres qui est largement occupé et déterminé par le gouvernement.

Aussi, le poids donné par la procédure ordinaire à l’accord entre les deux chambres du Parlement n’est pas sans poser des difficultés. A plusieurs reprises, le Sénat, dont la couleur politique ne change que rarement, a fait part de son opposition sur différents projets de révision. La chambre haute a ainsi bloqué plusieurs projets constitutionnels, comme celui du général de Gaulle concernant le suffrage universel du Président, en 1962. Encore récemment, le Sénat a fait part de son opposition sur la possible réduction du nombre de parlementaires envisagée par le Président Emmanuel Macron.

Enfin, l’existence d’une alternative à l’adoption par référendum rendant la révision définitive n’est pas sans engager un certain nombre de difficultés.

2 - L’existence d’une alternative au référendum

Si l’article 89 prévoit que la révision n’est définitive qu’après avoir été acceptée par le peuple par référendum, l’alinéa 3 prévoit une autre voie : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ».

Cette alternative pose deux difficultés majeures. La première est démocratique, puisqu’une révision constitutionnelle ne nécessite ici plus forcément l’accord du peuple. La deuxième difficulté est la réalité de cette alternative, avec l’exigence d’une majorité qualifiée (3/5ème des suffrages exprimés parmi les membres du Parlement réuni) qui demeure parfois délicate à atteindre.

D’autres limites existent aussi quant à cette procédure ordinaire de révision constitutionnelle.

II – Les limites à la procédure ordinaire de révision constitutionnelle

Les limites à la révision constitutionnelle sont portées par l’article 89 lui-même (voir infra) (A) et à travers un possible contournement de la procédure par la pratique constitutionnelle (B).

A - Des limites portées par le texte constitutionnel

La révision de l’article 89 est largement encadrée par l’impossibilité d’y procéder en cas de vacances du pouvoir ou d’atteinte à l’intégrité du territoire (1), mais aussi par la nécessité de conserver le caractère républicain de la Constitution (2).

1 - L’impossible révision : la vacance du pouvoir et l’atteinte au territoire

L’alinéa 4 de l’article 89 prévoit donc qu’aucune « procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ». Comprenons par là, dans le souvenir de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, que la révision n’est pas possible lorsque des troupes occupent le territoire français, notamment en cas de guerre.

De même, le dernier alinéa de l’article 7 prévoit qu’il « ne peut être fait application (…) de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur ». Cette disposition permet d’éviter une révision constitutionnelle en réaction à un problème divers qui aurait entrainé une vacance du pouvoir, une démission de l’exécutif etc.

2 - Protéger le caractère républicain du régime

La nécessité de protéger le caractère républicain du régime figurait déjà dans les lois constitutionnelles organisant la IIIème République, après la révision de 1884. De même, l’alinéa 5 de l’article 89 prévoit que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

Cette limite peut être nuancée largement puisqu’aucun contrôle du Conseil constitutionnel n’est mené quant aux lois de révision. De même, l’inscription de cette obligation dans les lois constitutionnelles de la IIIème République n’aura pas empêché que le Parlement vote l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain (loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 et actes constitutionnels de Vichy) avec la mise en place d’un nouveau régime dont la forme ne fait nul doute et qui durera quatre ans. En conséquence, les ordonnances du Gouvernement provisoire de la République française considéreront cette loi constitutionnelle comme nulle et sans effet juridique.

Une des limites de la procédure de l’article 89 est également le contournement possible par la pratique constitutionnelle notamment.

B - Un contournement de la procédure par la pratique constitutionnelle

Le recours au référendum de l’article 11 pour réviser la Constitution (1) apparaît comme un contournement réel de la procédure de l’article 89 et cette utilisation va créer un certain nombre de débats juridiques (2).

1 - Le recours à l’article 11 pour réviser la Constitution

Face aux difficultés et aux oppositions posées par le Sénat, le Général de Gaulle va décider de recourir à l’article 11 pour faire adopter la révision constitutionnelle introduisant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. C’est également dans ce cadre qu’il propose une révision en 1969, mais cette dernière ne sera pas adoptée par les français et marquera son départ.

Le recours à l’article 11 permet donc d’adopter plus rapidement une révision constitutionnelle, sans risquer l’échec quant à son adoption en de même termes par les deux chambres du Parlement. Il permet de laisser au peuple le soin de trancher directement sur un projet de révision qui créé débat.

Toutefois, des débats politiques et doctrinaux sont importants sur cette utilisation qui n’est pas envisagée au sein du titre de la Constitution qui concerne la révision.

2 - Débats autour de l’utilisation de l’article 11

Effectivement, ce recours à l’article 11 a suscité plusieurs débats juridiques quant à sa légalité, le doyen Vedel y voyant même une possible coutume constitutionnelle. En 1962, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour statuer sur la validité de ce recours à l’article 11 (C. Constitutionnel, décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962), alors même que les opposants à de Gaulle – notamment François Mitterrand, qui acceptera ensuite cette idée – s’insurgent.

De son côté, le Pr. Lampué (Pierre Lampué, « Le problème de constitutionnalité du référendum du 28 octobre 1962 », Revue de droit public, 1962, p. 936) justifie pleinement le recours à l’article 11 puisqu’il prévoit un référendum pour « tout projet de loi ». Dès lors cela pourrait recouvrir, sans que cela soit précisé expressément et selon lui, les lois constitutionnelles.

Ce recours à l’article 11 permet aussi de passer directement par la voie la plus démocratique, outre les blocages institutionnels et la lenteur de la procédure ordinaire, pour réviser rapidement la Constitution.