Introduction

« La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires ». Cette citation de Georges Clemenceau met en avant l'importance du pouvoir civil dans la conduite de la guerre. Cet enjeu clé se retrouve dans la Constitution de la Ve République où plusieurs articles organisent le rôle des autorités civiles en période de conflit armé. 

Pour bien comprendre la question de la guerre dans la Constitution de la Ve République, il est nécessaire de préciser certains termes clés. En effet le terme de guerre peut recevoir plusieurs définitions selon qu’on se place du point de vue du droit constitutionnel ou du droit international. La guerre au sens strict du terme est un conflit armé déclaré entre États souverains. Le droit constitutionnel français prévoit cette exigence de déclaration de guerre (article 35 alinéa 1 de la Constitution : « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement »). Il faut distinguer la guerre dans un sens formel d’une opération militaire extérieure qui désigne une intervention militaire hors du territoire national, souvent menée dans un cadre international (ONU, OTAN, UE…). Dans le cadre d’une opération extérieure la Constitution prévoit une simple obligation d’information du Parlement, qui peut donner lieu à un débat mais pas à un vote (article 35 alinéa 2 de la Constitution). Il faut aussi souligner que la Constitution française ne prévoit pas explicitement les nouvelles formes de guerre (terrorisme, cyberattaques, guerre asymétrique ou hybride…). La Constitution définit par contre les rôles des différentes institutions en matière de défense. Ainsi le Président de la République est le chef des armées (article 15 de la Constitution) et le garant de l’intégrité du territoire national (article 5). Il peut, de plus, exercer des pouvoirs exceptionnels en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire national (article 16). Le Premier ministre est quant à lui responsable de la défense nationale (article 21) tandis que le gouvernement dispose de la force armée (article 20). Le Parlement, enfin, doit autoriser la déclaration du guerre, être informé d’une intervention extérieure et autoriser une telle intervention si elle dépasse quatre mois (article 35). Le Parlement doit également autoriser l’état de siège, qui est décrété en Conseil des ministres, s’il dure plus de douze jours (article 36). 

D’un point de vue historique l’organisation des pouvoirs en matière de guerre et de défense a évolué au fil des régimes politiques français. La Constitution de la Ve République a été conçue en réaction aux dysfonctionnements des régimes précédents, notamment face aux crises militaires. En effet, sous la IIIe République (1870-1940), la guerre était principalement gérée par le Parlement, qui avait le pouvoir de déclarer et d’encadrer les conflits. L'exécutif (Président du Conseil et Président de la République) avait peu de pouvoirs décisionnels. Lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918), la gestion de la guerre par des coalitions gouvernementales a montré un manque de réactivité. En 1940, l’absence d’un pouvoir exécutif fort a contribué à la chute de la République face à l’invasion allemande. Cette faiblesse a conduit à une volonté de renforcer l’exécutif dans les régimes suivants. La IVe République (1946-1958) a tenté d’instaurer un équilibre entre Parlement et exécutif, mais a souffert d’une instabilité ministérielle chronique. Lors de la guerre d’Indochine (1946-1954) la faiblesse du gouvernement et la pression parlementaire empêchent une gestion efficace. De même durant la Guerre d’Algérie (1954-1962), le gouvernement est incapable de gérer la crise, ce qui aboutit au retour de Charles de Gaulle au pouvoir en 1958. Il est ainsi intéressant de souligner que la Ve République est née dans un contexte de conflit armé et que l’architecture institutionnelle mise en place doit s’analyser à l’aune des difficultés du régime de la IVe République à faire face à une situation de guerre. Il en résulte un renforcement du pouvoir exécutif, notamment du Président, en matière de guerre et de défense. Le rôle militaire proéminent du Président de la République s’illustre notamment dans les articles 5, 15 et 16 de la Constitution qui font de ce dernier le garant de l’intégrité du territoire national, le chef des armées et lui offrent la possibilité de disposer de pouvoirs exceptionnels en cas de crise. Au cours de la Ve République les Présidents ont ainsi pu disposer d’une grande latitude en matière militaire. Ainsi Charles de Gaulle a pu mettre fin au conflit algérien malgré l’opposition de certains militaires, Nicolas Sarkozy a pu décider unilatéralement d’engager la France en Libye sous l’égide de l’OTAN, François Hollande a pu engager l’armée française au Mali à partir de 2013, Emmanuel Macron a pu poursuivre cet engagement au Sahel et envoyer du matériel militaire en Ukraine à partir de 2022. 

Nous nous interrogerons dans la présente dissertation pour déterminer comment la Constitution de la Ve République organise-t-elle l’exercice du pouvoir en temps de guerre, et dans quelle mesure cette organisation est-elle adaptée aux défis contemporains. 

Nous verrons d’abord comment la Constitution de 1958 définit les rôles et responsabilités en matière de guerre et de défense nationale (I), avant d’analyser les défis actuels et les limites de ce cadre constitutionnel dans un contexte de renouveau des conflits internationaux et d’intégration dans des organisations supranationales (II).

I - L'organisation des pouvoirs en temps de guerre dans la Constitution de la Ve République

La Constitution de 1958 a profondément modifié l’organisation du pouvoir exécutif en matière de défense et de guerre. Elle consacre un rôle prééminent du Président de la République (A), tout en laissant une place plus limitée, mais non négligeable, aux autres acteurs que sont le Premier ministre, le gouvernement et le Parlement (B). 

A - Un rôle central pour le Président de la République en matière de défense et de guerre

Le Président de la République est la clé de voûte de la défense nationale sous la Ve République. Ses prérogatives sont encadrées par les articles 15 et 5 de la Constitution qui en font le chef des armées et le garant de l’intégrité du territoire national (1). Il peut de plus disposer de certaines pouvoir exceptionnels en cas de crise (2).

1 - Le Président de la République : un chef des armées garant de l’intégrité du territoire national

L’article 15 de la Constitution fait du Président le chef des armées, ce qui signifie qu’il décide de l’engagement des forces militaires. Il préside le Conseil de défense et de sécurité nationale, où sont prises les décisions stratégiques en matière de défense et de guerre. Il est le seul responsable de la dissuasion nucléaire, ce qui renforce son autorité militaire. Le Président de la République a pu ainsi engager des troupes à l’étranger à plusieurs reprises au cours de la Ve République (par exemple François Mitterand a décidé en 1991 d’envoyer des troupes françaises aux côtés de la coalition menée par les États-Unis lors de la guerre du Golfe ou François Hollande a décidé en 2013 d’envoyer des troupes au Mali pour lutter contre le terrorisme). 

L’article 5 dispose quant à lui que le Président « veille au respect de la Constitution » et garantit « l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et le respect des traités ». Il lui appartient donc d’assurer la défense du territoire en cas d’agression extérieure. En cas de guerre ou de menace militaire, le Président dispose ainsi d’un pouvoir décisionnel majeur, lui permettant d’agir sans attendre l’approbation du Parlement.

2 - L’exceptionnalité des pouvoirs de guerre : l’article 16 et l’état de siège

L’article 16 de la Constitution accorde au Président des pouvoirs exceptionnels en cas de menace grave contre l’État. Il lui permet de prendre toutes les mesures nécessaires sans contre-pouvoir. Pour activer cet article il faut que les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité du territoire ou l'exécution des engagements internationaux soient menacés de manière « grave et immédiate » et que le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » soit interrompu. Il s’agit ainsi d’un article réservé aux situations les plus graves et dont le déclenchement est entouré de certaines conditions. Le Président doit en effet préalablement consulter certaines autorités (Premier ministre, Présidents des Assemblées, Conseil constitutionnel) et informer la nation du déclenchement de l’article 16. Le Conseil constitutionnel doit être consulté sur les mesures prises dans le cadre de l’article 16, il peut être saisi au bout de trente jours par Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs et au delà de soixante jours le Conseil se saisit de plein droit pour examiner si les conditions d’utilisation de l’article sont toujours remplies. Le Parlement se réunit de plein droit durant la période de pouvoirs exceptionnels et le Président ne peut pas décider une dissolution de l’Assemblée nationale durant cette période. L’article 16 a été utilisé une seule fois en 1961, lors du putsch des généraux en Algérie, où de Gaulle l’utilise pour prendre le contrôle total de l’armée. Il s’agit d’un article souvent critiqué car jugé trop puissant et ne prévoyant aucun contrôle juridictionnel immédiat.

L’état de siège est prévu par l’article 36 de la Constitution et permet de transférer les pouvoirs civils aux autorités militaires en cas de menace grave. Il est déclaré par décret en Conseil des ministres, mais le Parlement doit l’approuver au-delà de 12 jours. En cas d’attaque massive sur le territoire français, l’état de siège pourrait être décrété pour donner des pouvoirs accrus à l’armée. L’état de siège n’a jamais été utilisé sous la Ve République, mais il pourrait devenir un outil clé en cas de guerre sur le sol français. 

B - Un rôle plus limité pour le Premier ministre, le gouvernement et le Parlement

Si le Président a un rôle central, il ne gouverne pas seul en matière militaire. La Constitution prévoit une répartition des compétences avec le Premier ministre et le gouvernement d’une part (1) et le Parlement d’autre part (2).   

1 - Un Premier ministre responsable de la défense nationale et un gouvernement responsable de l’emploi de la forcé armée 

Selon l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre est « responsable de la défense nationale ». Il organise et coordonne les forces armées, assurant l’exécution des décisions militaires prises par le Président. Il est chargé de la gestion des budgets militaires, sous le contrôle du Parlement. Le Premier ministre est ainsi appelé à assurer l’exécution des décisions militaires. Il peut également exercer son pouvoir réglementaire en la matière. Il faut également noter que le Premier ministre a un pouvoir de nomination aux emplois militaires.

Concernant le gouvernement ce dernier « détermine et conduit la politique de la nation », ce qui inclut la politique de défense, et dispose de la « forcée armée » (article 20 de la Constitution). Cela signifie qu’en pratique c’est le gouvernement qui contrôle l’usage opérationnel des forces armées et coordonne l’action des ministères concernés (Armées, Affaires étrangères, Intérieur). Ainsi, lors de l’intervention française au Mali (opération Serval, 2013), c’est le gouvernement dirigé par Jean-Marc Ayrault qui a géré les modalités pratiques de l’engagement militaire décidé par François Hollande. Si le Président donne l’impulsion stratégique, le Premier ministre et le gouvernement apparaissent comme des acteurs importants dans la gestion d’un conflit et la mise en œuvre des décisions. 

2 - Le Parlement : un rôle limité mais renforcé depuis 2008

Le Parlement dispose de quelques prérogatives en matière de guerre, mais son rôle reste secondaire par rapport à l’exécutif. L’article 35 de la Constitution prévoit néanmoins que le Parlement doit autoriser une déclaration de guerre et que toute intervention militaire extérieure doit être soumise à l’approbation du Parlement au-delà de quatre mois (ce dernier point a été ajouté par la réforme constitutionnelle de 2008). Ainsi, en 2013, François Hollande engage la France au Mali sans vote du Parlement, mais il doit soumettre la prolongation de l’opération Serval au vote parlementaire après quatre mois. Cet ajout de 2008 permet un contrôle parlementaire minimal car la plupart des engagements militaires modernes ne sont pas considérés comme des guerres mais comme des opérations extérieures, ce qui permet à l’exécutif d’agir sans consultation préalable du Parlement.

II - Les défis et limites du cadre constitutionnel en matière de guerre

Si la Constitution de 1958 confère un rôle central au Président de la République en matière de défense et de guerre, cette organisation soulève plusieurs défis et limites. Le modèle mis en place par la Ve République peut-être questionné tant par les difficultés soulevées par les périodes de cohabitation (A) que par l’évolution des menaces et l’intégration croissante de la France dans des alliances supra-nationales (B).

A - L'impact de la cohabitation sur la conduite de la guerre

La cohabitation, période durant laquelle le Président et le Premier ministre appartiennent à des bords politiques opposés, crée des tensions dans la gestion des affaires militaires (1). La question de l’usage de l’arme nucléaire en période de cohabitation est une question spécifique particulièrement sensible (2). 

1 - Une répartition des pouvoirs entre Président et Premier ministre source de tensions potentielles 

L’architecture institutionnelle de la Ve République prévoit en matière de guerre, nous l’avons vu, une répartition des rôles entre trois pôles : le Président, le gouvernement (sous l’autorité du Premier ministre) et le Parlement. Si le Président a assurément un rôle prééminent il doit composer et collaborer avec les autres autorités. Si cela n’est pas forcément problématique en période majoritaire, puisque le Premier ministre, le gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale partagent le même bord politique que le Président, il en va autrement en période de cohabitation, où le Président et le Premier ministre sont d’un bord politique opposé. Cette situation peut conduire à une fragmentation du pouvoir décisionnel, rendant plus complexe la gestion des conflits armés. Ainsi en période de cohabitation si le Président demeure le chef des armées, il ne contrôle ni l’organisation des forces armées ni l’exécution des décisions militaires qui relèvent du Premier ministre et du gouvernement. Il ne peut pas non plus compter sur une majorité à l’Assemblée nationale pour autoriser une déclaration de guerre, prolonger une opération extérieure au-delà de quatre mois ou encore proroger l’état de siège au-delà de douze jours. Si le Président et le Premier ministre ont des visions divergentes sur la politique étrangère et militaire, cela peut paralyser ou ralentir la prise de décision en cas de guerre ou de crise internationale. Le Président peut vouloir s’engager militairement, tandis que le Premier ministre et le gouvernement peuvent y être opposés, car ce sont eux qui gèrent les aspects pratiques (budget, logistique, coordination avec les alliés…). Une telle situation aurait pu se produire si les élections législatives de 2024, organisées suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, avaient débouché sur une cohabitation. Cette situation aurait pu être problématique dans le contexte du conflit en Ukraine, notamment dans l’hypothèse d’un Président soutenant l’Ukraine cohabitant avec un gouvernement qui soutiendrait la Russie. Un tel cas de figure ne s’est pas produit puisque ces élections législatives ont débouché sur une absence de majorité à l’Assemblée et sur un gouvernement minoritaire, ce qui n’a pas eu d’impact majeur en matière de défense et pour ce qui concerne le conflit ukrainien. 

Durant les trois périodes de cohabitation qu’a connues la Ve République plusieurs cas de tensions en matière militaire peuvent être relevés. Ainsi durant la première cohabitation (1986-1988) la France soutient l’Irak dans le cadre du conflit Iran-Irak (1980-1988), mais les désaccords entre le Président Mitterrand et le Premier ministre Chirac compliquent la gestion des ventes d’armes et du positionnement diplomatique. Mitterrand impose ses décisions sur les grandes orientations, mais Chirac et son gouvernement contrôlent les opérations pratiques. Lors de la deuxième cohabitation (1993-1995), la France intervient dans le cadre de l’ONU et de l’OTAN pour protéger les populations civiles dans le contexte de guerre en Bosnie (1992-1995). Mitterrand, pacifiste, est réticent à un engagement militaire massif, alors que Balladur et son ministre de la Défense, François Léotard, plaident pour une action plus musclée. En conséquence l’intervention française reste limitée et la prise de décision est lente et difficile. Lors de la troisième cohabitation (1997-2002), enfin, le Président Chirac soutient une intervention militaire forte contre la Serbie aux côtés de l’OTAN lors de la guerre du Kosovo (1999). Le Premier ministre Jospin et certains membres de son gouvernement sont plus réservés, craignant un engagement militaire trop risqué. Finalement, la France soutient les bombardements de l’OTAN, mais la cohabitation a ralenti la prise de décision. Ces quelques exemples montrent que le Président reste un acteur clé mais, en période de cohabitation, il doit composer avec un Premier ministre ayant une autonomie réelle en matière de défense. Les divergences politiques entre les deux têtes de l’exécutif peuvent ralentir ou complexifier la gestion d’une guerre. Pour autant il n’y a jamais eu lors d’une période de cohabitation une crise majeure ou un blocage durable en matière militaire. 

2 - La question spécifique de la dissuasion nucléaire en période de cohabitation 

Un cas particulier de la répartition des pouvoirs en période de guerre concerne la dissuasion nucléaire, qui est l’arme ultime de la France en cas de conflit majeur. Le Président détient seul le pouvoir nucléaire, ce qui lui donne un levier stratégique en cas de guerre. En effet la doctrine nucléaire française repose sur le principe d’autorité unique, ce qui signifie que l’ordre de déclenchement d’une frappe nucléaire relève exclusivement du Président. Le Premier ministre n’a aucun contrôle sur la dissuasion nucléaire, même s’il est responsable de la défense nationale. En cas de crise nucléaire, c’est le Président seul qui prend la décision, sans que le Premier ministre ni le Parlement ne puissent s’y opposer juridiquement. Contrairement aux États-Unis, par exemple, où le Président est assisté d’un comité, en France, aucun contre-pouvoir ne peut s’opposer à l’ordre nucléaire. Il se pose dès lors une question, à ce stade théorique : en cas de menace nucléaire imminente, que se passe-t-il si le Premier ministre s’oppose à l’usage de la force ? La Constitution ne prévoit pas de mécanisme clair pour trancher un éventuel désaccord entre le Président et le Premier ministre sur une décision militaire urgente, particulièrement si cette décision a trait à l’usage de l’arme nucléaire. La question de la dissuasion nucléaire en cohabitation pose un véritable débat démocratique : doit-on laisser un seul homme décider d’une frappe nucléaire, sans contrôle ni consultation ? Faut-il associer le Premier ministre ou le Parlement à cette décision ? Le contrôle présidentiel unique peut se justifier par une exigence de rapidité et d’efficacité (permettre une réponse immédiate en cas de crise, sans blocage institutionnel ou conflit interne). Pour autant il existe aussi un risque d’abus où un Président isolé prend une décision extrême sans consensus national. 

B - L'intégration dans des organisations supranationales et l'évolution des formes de conflits comme limites au cadre constitutionnel

La Constitution de la Ve République a été rédigée en 1958, avant que la France ne s’engage pleinement dans des organisations de défense collective. Aujourd’hui, la France est intégrée dans des structures supranationales, ce qui conduit à s’interroger sur l’articulation des compétences entre ces deux niveaux (1). La Constitution est également silencieuse sur l’évolution des modes de conflictualité et le cadre constitutionnel peut sembler moins adapté pour appréhender des situations qui ne relèvent pas d’un conflit conventionnel entre États (2). 

1 - L’articulation entre compétences nationales et supranationales en matière de défense 

Pour ce qui est du cas de la France nous distinguerons ici deux grandes structures supranationales : l’OTAN et l’UE. 

La France est tout d’abord membre de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) qui est une organisation spécifiquement axée sur la coopération militaire et qui implique une coordination en la matière entre les membres de l’organisation. Bien que la France soit sortie du commandement intégré de l’OTAN en 1966 sous de Gaulle, elle y est revenue en 2009 sous Sarkozy, ce qui renforce les contraintes stratégiques. En cas d’attaque contre un État membre, la France est tenue par l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord d’intervenir aux côtés de ses alliés. Pour prendre un exemple récent la France a envoyé des armes et des troupes dans les pays du flanc Est de l’OTAN depuis 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il ne s’agit pas d’une décision du seul Président de la République mais d’une stratégie collective au sein de l’OTAN. Ainsi si l’article 15 de la Constitution peut laisser penser que le Président, dans son rôle de chef des armées, peut décider seul dans de nombreux domaines en pratique beaucoup de décisions militaires majeures sont mises en œuvre dans le cadre de l’OTAN et sont donc le fruit d’une discussion et d’un compromis entre les membres de l’Organisation. 

D’autre part la France est également membre de l’Union européenne. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une organisation de nature spécifiquement militaire, mais plutôt d’intégration économique et politique entre ses membres, la France milite pour une Europe de la défense. SI ce projet n’a pas pour but, à ce stade, de créer une armée intégrée il s’agit plutôt de favoriser l’action de l’UE en matière de défense, renforcer la coopération entre les États membres dans ce domaine, développer et acheter en commun de l’armement… Il est à noter que les traités européens prévoient une forme d’assistance militaire puisque selon l’article 42-7 du TUE : « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies ». Toutefois, les décisions militaires restent à la discrétion des États membres et l’UE n’a pas encore une capacité d’intervention autonome. En 2022 l’UE a adopté un plan pour renforcer sa défense collective (appelé la boussole stratégique) mais les États restent libres de s’engager ou non. Les engagement en matière de défense dans le cadre de l’UE, s’ils sont aujourd’hui assez modestes, semblent ainsi amenés à se développer dans les années à venir, notamment dans le contexte d’un retrait américain d’Europe amorcé par l’administration Trump. En tout état de cause, de la même manière que pour l’OTAN, la Constitution française ne prévoit pas explicitement comment s’articule la défense nationale avec les décisions de l’UE.

2 - Terrorisme, guerre hybrides, cyberattaques : le cadre constitutionnel français face à l’évolution des formes de conflit 

La guerre ne se limite plus aux conflits conventionnels entre États. Aujourd’hui, la France fait face à de nouvelles menaces que la Constitution de 1958 n’avait pas anticipées.

Il s’agit en premier lieu du terrorisme, notion qui n’est pas définie par la Constitution. Après les attentats de 2015, l’État a dû recourir à l’état d’urgence et à des lois sécuritaires spécifiques. La lutte contre le terrorisme a impliqué également un engagement militaire à l’étranger (Syrie, Mali) sans qu’il y ait une déclaration de guerre officielle au sens de l’article 35 de la Constitution. La France a par exemple engagé des troupes au Mali pour combattre les groupes terroristes entre 2014 et 2022. Cette intervention n’a jamais été reconnue comme une guerre, mais comme une opération extérieure, ce qui a limité le contrôle du Parlement.

Par ailleurs il existe aujourd’hui un risque accru de guerres hybrides ou de cyber-guerre. Or le cadre constitutionnel semble plus adapté aux conflits armés classiques inter-étatiques. Des attaques informatiques russes ont par exemple visé à plusieurs reprises des infrastructures stratégiques européennes depuis le début du conflit en Ukraine en 2022. On peut s’interroger sur la possibilité de considérer une cyber attaque massive contre des infrastructures françaises comme un acte de guerre. L’article 16, par exemple, pourrait-il être déclenché pour répondre à cette situation ? Plus largement on peut s’interroger sur l’opportunité de réviser la Constitution pour mieux encadrer juridiquement la gestion de ces nouveaux défis militaires. La question d’une révision constitutionnelle soulève aussi d’autres enjeux : renforcement du rôle du Parlement pour éviter un exécutif trop puissant en temps de guerre, meilleure répartition des compétences militaires au sein de l’exécutif en prévision d’une potentielle cohabitation ou encore encadrement du pouvoir nucléaire du Président par le Parlement ou un comité de défense.