Énoncé du sujet
Marie et Pierre sont mariés depuis 2 ans. Ils habitent ensemble, et attendent des jumeaux. Marie, prise de douleurs intenses, se rend en urgence à l’hôpital le plus proche. Pierre étant en déplacement professionnel, il l’y rejoint plusieurs heures plus tard, préoccupé : cela ne fait que 27 semaines d’aménorrhée : les jumeaux ne peuvent pas déjà arriver : la chambre n’est pas prête ! Pourtant si : à son arrivée, Marie lui annonce qu’il vient de rater l’accouchement. Cependant les jumeaux ne sont pas avec elle : les médecins sont partis avec Noé et Nina, sans donner d’indications sur leur état de santé. Toutefois Marie n’est pas trop inquiète : elle a entendu deux cris bien distincts.
Après une longue nuit d’attente, le médecin fait son entrée dans la chambre. Le verdict tombe : ils ne rencontreront que Noé qui, malgré sa santé fragile, va survivre.
Pierre et Marie sont dévastés et souhaitent que Nina apparaisse sur leur livret de famille, avec Noé. Qu’en pensez-vous ?
Résolution du cas
Marie et Pierre étant mariés, ils disposent d’un livret de famille, sur lequel figurera leurs enfants. Cependant en l’espèce, seul l’un d’entre eux, Noé, est né vivant et viable.
L’inscription d’un enfant né vivant et viable est-il possible sur un livret de famille ? Quid d’un enfant né vivant mais non viable ?
Si l’inscription de Noé sur le livret de famille ne fera pas l’objet de grandes difficultés (I) il en sera autrement de Nina (II).
I – L'inscription sur le livret de famille de Noé
L’article 55 du Code civil dispose que, par principe, la déclaration de naissance doit être faite dans les 3 jours de l’accouchement, auprès de l’officier d’état civil du lieu de l’accouchement. Cette déclaration sera faite par le père, ou à défaut par le corps médical présent lors de l’accouchement (article 56 du Code civil). A l’issue de cette déclaration, sera immédiatement dressé un acte de naissance (article 56 alinéa 2 du Code civil), dont un extrait figurera sur le livret de famille en application de l’article 2 du décret n°74-449 du 15 mai 1974. Pour cela, encore faut-il que l’enfant soit né vivant et viable au sens des articles 318, 725 et 906 alinéa 3 du Code civil.
En l’espèce, Noé est né vivant et viable. En effet malgré une santé que les médecins définissent comme fragile, il va survivre.
Ainsi, Pierre devra aller déclarer la naissance auprès de l’officier d’état civil compétent, afin que l’acte de naissance soit rédigé immédiatement, puis qu’un extrait soit porté sur le livret de famille.
II – L'inscription sur le livret de famille de Nina
L’énoncé ne précise pas si Nina est née vivante lors de l’accouchement, ou pas. Il est donc nécessaire de distinguer les deux hypothèses. Ainsi sera-t-il envisagé le cas où Nina est née vivante et viable (A) de celui dans lequel Nina n’était ni vivante ni viable au moment de l’accouchement (B).
A – Si Nina est née vivante et viable
L’article 55 du Code civil impose que la déclaration d’un enfant né vivant et viable soit faite dans un délai de 3 jours. Toutefois, l’article 79-1 alinéa 1er du même Code prévoit le cas où le décès est survenu avant que la naissance ait été déclarée à l’état civil. Dans ce cas, et à condition que l’enfant soit né vivant et viable, il est alors dressé consécutivement un acte de naissance et un acte de décès.
En l’espèce, le médecin a simplement annoncé à Pierre et Marie qu’ils ne rencontreraient pas Nina, sans plus d’indication. Cependant, Marie a entendu Nina crier. Elle semble donc être née vivante. Par ailleurs, il est possible que, comme son frère jumeau, celle-ci soit née vivante et viable, mais qu’elle n’ait pas survécu. En effet, la viabilité peut être reconnue par les médecins, quand bien même l’enfant serait décédé quelques heures après la naissance.
Ainsi, Pierre et Marie devront obtenir du médecin un certificat médical déclarant que Nina est née vivante et viable si cela était le cas, afin de pouvoir faire dresser par l’officier d’état civil un acte de naissance, et un acte de décès. Ces deux derniers seront alors portés sur le livret de famille.
B – Si Nina n'était pas vivante et/ou viable
Par principe, l’article 55 du Code civil prévoit que la déclaration de naissance d’un enfant soit faite dans un délai de 3 jours. Cependant, la déclaration de naissance ne peut être faite que lorsque l’enfant est né vivant et viable. Dans le cas contraire, l’article 79-1 alinéa 2 du même Code dispose que l’officier d’état civil dressera un acte d’enfant sans vie. Ce dernier n’est pas un acte d’état civil comme l’a précisé la Réponse Ministérielle n°43878 / Joan Q. du 24 août 2004, et n’emportera aucun effet juridique, puisque l’embryon n’est pas autrui en application de l’arrêt de principe rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 29 juin 2001 (n°99-85.973).
La détermination du caractère vivant et viable de l’enfant est réalisée par un médecin. Si l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a proposé des critères de viabilité en 1977, en fixant des seuils à 500 grammes minimum ou 22 semaines d’aménorrhée, ces derniers ne sont pas obligatoires comme l’a jugé la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 6 février 2008 (n°06-16.498).
En l’espèce, Nina semble être née vivante, puisque sa mère l’a entendue crier à la naissance. Cependant le caractère de viabilité est cumulatif : il faut que l’enfant soit né vivant et viable. Si aucune indication n’est donnée sur le poids de Nina, celle-ci avait 27 semaines d’aménorrhée, ce qui est supérieur aux seuils donnés par l’OMS. Toutefois ces critères ne sont donnés qu’à titre indicatif, et ne sont pas obligatoires. Dès lors, le médecin peut considérer que l’enfant n’était pas viable alors même qu’il pesait plus de 500 grammes à la naissance, ou avait plus de 22 semaines d’aménorrhée. A défaut, un acte d’enfant sans vie sera dressé.
Ainsi si le certificat médical que Marie et Pierre recevront dispose que Nina était née vivante mais non viable, ils pourront faire dresser un acte d’enfant sans vie par l’officier d’état civil compétent. Bien que l’acte d’enfant sans vie ne soit pas un acte d’état civil, il sera possible d’établir une mention sur le livret de famille faisant état du lien de filiation entre Nina et ses parents.
Pour conclure, Pierre et Marie pourront, dans tous les cas, faire figurer Nina sur leur livret de famille, avec Noé.