Énoncé du sujet

En 2020, le père de Henri, un de vos anciens amis de lycée, a tragiquement disparu alors qu’il réalisait une étude de terrain chez un peuple autochtone d’Amérique du Sud. Les enlèvements et assassinats étant répandus chez ces tribus, Henri ne se fait guère d’illusions pour revoir son père…

Dévastée, sa mère a décidé, quelques années plus tard, de tout quitter et de partir à la recherche de son mari. Elle le tenait informé de l’avancée de son aventure, mais voilà plusieurs mois que Henri n’a plus eu, non plus, de nouvelles de sa mère. Les autorités françaises ont même cessé les recherches.

En plus de la détresse émotionnelle dans laquelle il se trouve, Henri est confronté à quelques ennuis juridiques. En effet, ses parents ont une résidence principale, dans laquelle Henri vit et qu’il entretient. Ils possèdent aussi un immeuble de rapport : mais les locataires, bien informés de la disparition des propriétaires, ont décidé de ne plus payer les loyers. Il se demande d’ailleurs s’il peut prendre l’épargne de ses parents ou vendre certains de leurs biens, pour entretenir les immeubles. Est-ce que cela aura une incidence si ses parents – il l’espère ! – réapparaissent un jour ?

Résolution du cas

Henri, notre client, nous consulte, car il n’a plus de nouvelles de son père puis de sa mère. Il se demande quelles sont les conséquences juridiques de leur non-présence et s’il peut pallier certaines difficultés juridiques et financières.

Nous sommes donc confrontés à une série de problèmes juridiques :

  • D’une part, les parents de Henri se voient-ils appliquer la qualification civile d’absent ou de disparu ?
  • D’autre part, est-ce qu’une personne peut gérer les biens mobiliers et immobiliers d’une personne disparue ou absente ?
  • Enfin, quelles sont les conséquences juridiques du retour d’un absent ou d’un disparu ?

Nous répondrons à ces questions successivement.

I - La qualification de la situation juridique des parents de Henri

Nous qualifierons d’abord la situation du père de Henri (A) puis celle de sa mère (B).

A - La qualification de la situation du père de Henri

En droit, lorsqu’une personne ne réapparaît plus à son domicile, deux qualifications peuvent s’appliquer à elle : elle est considérée soit comme absente, soit comme disparue.

La personne absente est celle qui, du jour au lendemain, ne donne plus de nouvelles, sans que l’on sache si elle est décédée ou non. La disparition est la situation de la personne qui a disparu « dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger », et ce même si le corps « n’a pu être retrouvé » (C. civ., art. 88, al. 1er). 

Dans le cas de la disparition, l’intérêt est de pouvoir déclarer le décès sans avoir le corps de la personne. Cette demande doit résulter soit du procureur de la République, soit d’une personne intéressée à voir le décès déclaré (C. civ., art. 88, al. 1er). Il faut présenter cette requête au tribunal judiciaire du lieu de la disparition ou, à défaut, au tribunal judiciaire du domicile ou de la dernière résidence du disparu (C. civ., art. 89 al. 1er). La procédure est alors une procédure simplifiée : elle ne nécessite pas de ministère d’avocat ni d’audience publique (C. civ., art. 90, 1er). Le juge peut d’ailleurs ordonner toute mesure en vue d’établir plus précisément le décès (C. civ., art. 90, al. 2).

Si le juge estime qu’il y a bien disparition, il déclarera le décès. Il devra fixer la date en fonction « des présomptions tirées des circonstances de la cause » ou, à défaut, « au jour de la disparition » (C. civ., art. 90, al. 3). Le jugement sera ensuite transcrit sur les registres de l’état civil concerné (C. civ., art. 91 al. 1er). Dès lors que le jugement est transcrit, la personne disparue est considérée comme décédée.

En l’espèce, Henri nous indique que son père, ethnologue, était en mission de recherche lorsqu’il a arrêté de donner de ses nouvelles. Nous avons donc bien une personne qui n’apparaît plus à son domicile.

La première question est donc de savoir si le père de Henri a disparu dans des circonstances mettant sa vie en danger. Henri nous rapporte que son père n’a plus donné de nouvelles depuis 2008. De plus, son étude de terrain semblait porter sur une tribu connue pour sa violence (enlèvements et assassinats fréquents). Enfin, il est normal qu’aucun corps n’ait été retrouvé, car la disparition a eu lieu en Amérique du Sud, rendant les recherches difficiles. Nous pouvons donc considérer que le père de Henri a disparu dans des circonstances particulières, justifiant de déclarer son décès.

Nous conseillons donc à Henri de saisir le tribunal judiciaire et de suivre la procédure applicable à la disparition. Il est considéré comme une personne intéressée, dès lors qu’il semble être l’unique famille proche de son père, sa mère étant aussi absente. Dès que le juge aura statué, le jugement sera transcrit automatiquement sur les registres de l’état civil et son père sera juridiquement considéré comme décédé.

En conclusion, le père de Henri peut être considéré comme disparu et donc comme décédé au regard du droit français.

B - La qualification de la situation de la mère de Henri

En droit, lorsqu’une personne ne réapparaît plus à son domicile, deux qualifications peuvent s’appliquer à elle : elle est considérée soit comme absente, soit comme disparue.

La personne absente est celle qui, du jour au lendemain, ne donne plus de nouvelles, sans que l’on sache si elle est décédée ou non. La disparition est la situation de la personne qui a disparu « dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger », et ce même si le corps « n’a pu être retrouvé » (C. civ., art. 88, al. 1er). 

Dans le cas de l’absence, le droit suppose dans un premier temps que l’absent n’est pas décédé, mais qu’il a simplement décidé, de son propre chef, de ne pas réapparaître. Cependant, l’absence prolongée d’une personne peut entraîner des conséquences juridiques importantes, dont le droit doit se préoccuper. Les conséquences de l’absence s’aggravent en considération de la durée de ladite absence.

Ainsi, l’article 112 du Code civil précise qu’à la demande de toute personne intéressée ou du ministère public, le juge des tutelles peut constater qu’il existe une présomption d’absence dès lors « qu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ». Il faut comprendre ici que la présomption d’absence est une présomption de vie : le juge prend acte de l’absence de la personne, mais présuppose qu’elle devrait revenir.

Lorsque le temps de l’absence est plus long, la présomption peut devenir une déclaration d’absence : on passe alors d’une présomption de vie à une présomption de mort. À ce titre, l’article 122 du Code civil indique que lorsqu’il s’est écoulé 10 ans depuis le jugement ayant constaté la présomption d’absence, ou lorsqu’il s’est écoulé 20 ans sans que la personne n’ait donné de nouvelle, et en l’absence de toute constatation judiciaire préalable, alors le tribunal judiciaire pourra être saisi pour déclarer l’absence. Des mesures de publicité et de publication sont alors prévues dans le cadre de cette procédure. La déclaration judiciaire d’absence emporte, aux termes de l’article 128 du Code civil, « tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus », à partir de la transcription.

En l’espèce, Henri nous indique que sa mère est partie, il y a quelques mois, à la recherche de son mari. Mais voilà quelques mois qu’elle ne donne plus de nouvelles à Henri. Il ne semble pas adéquat d’aller sur le terrain de la disparition : rien ne dit que la mère de Henri a disparu dans des circonstances particulières (on ne sait pas si elle a réussi à rejoindre la tribu étudiée par son mari, ou si elle a tout simplement trouvé un autre homme avec lequel elle refait sa vie…). Nous irons donc sur le terrain de l’absence.

Il faut ici bien distinguer entre la présomption et la déclaration d’absence. On sait que la mère de Henri ne donne plus de nouvelles depuis plusieurs mois. Cela n’est pas suffisant pour emporter une déclaration d’absence et donc produire les effets du décès. Les articles 122 et suivants du Code civil ne sont donc pas applicables.

En revanche, le jugement en présomption d’absence n’est conditionné par aucun seuil temporel. Nous conseillons donc à Henri de saisir le juge des tutelles d’une demande en présomption d’absence, car il semble remplir les conditions : il est bien une personne intéressée par le jugement, sa mère a bien cessé d’apparaître à son domicile et Henri n’a brusquement plus eu de nouvelles depuis quelques mois. Enfin, les autorités françaises ont cessé les recherches, ce qui renforce l’idée que la mère de Henri n’est pas localisable même avec des moyens importants. Le fait que Henri connaisse les raisons du départ de sa mère ne fait pas échec à la qualification d’absent.

En conclusion, le juge des tutelles devrait reconnaître que la mère de Henri est présumée absente, ce qui entraînera certaines conséquences pour Henri.

II - Les conséquences pécuniaires de la disparition et de l'absence des parents de Henri

Henri nous pose deux questions spécifiques sur les conséquences de la non-présence de ses parents : que peut-il faire face aux loyers impayés par les locataires des immeubles de rapport appartenant à ses parents ? Peut-il vendre certains biens ou utiliser le capital de ses parents appartenant à ses parents pour entretenir les immeubles ?

En droit, des conséquences juridiques distinctes découlent de la reconnaissance de la disparition d’une personne ou de la reconnaissance d’une présomption d’absence d’une personne.

Aux termes des articles 90 et 91 du Code civil, précédemment cité, le jugement constatant la disparition d’une personne vaut acte de décès de la personne, le jugement étant transcrit sur les registres de l’état civil. Cela signifie donc qu’une personne qualifiée de disparue est considérée, aux yeux du droit, comme étant décédée. Vont donc s’appliquer à elle les conséquences habituelles du décès : dissolution du mariage, ouverture de la succession, etc.

Aux termes de l’article 113 du Code civil, lorsqu’une personne est présumée absente, « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés » pour représenter la personne « dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens », sauf si l’absent avait déjà désigné son représentant, auquel cas la volonté de l’absent avant son départ prévaut sur le mandat délivré par le juge (C. civ., art. 121, al. 1er), ou sauf si le conjoint de l’absent peut « pourvoir suffisamment aux intérêts en cause par l’application du régime matrimonial » (C. civ., art. 121 al. 2).

En effet, l’absent étant présumé vivant, il ne peut être privé des droits dont il est titulaire, du simple fait de son absence. Il est donc prévu un système de représentation de l’absent, qui pourra prendre tous les actes d’administration nécessaires, mais aussi d’agir en justice, etc. Cependant, le représentant n’est pas omnipotent.

Aux termes de l’article 114 al. 3 du Code civil, c’est au juge de régler la question des dépenses d’administration des biens de la personne présumée absente. Le ministère public est d’ailleurs « spécialement chargé de veiller aux intérêts des présumés absents » (C. civ., art. 117), ce qui peut l’amener à demander des comptes au représentant. Enfin, le juge peut mettre fin à tout moment, « et même d’office », à la mission de représentation (C. civ., art. 115).

Précisons, dans le cadre de cette étude, que le présumé absent étant présumé vivant, son mariage n’est pas dissous, et il peut succéder (C. civ., art. 725 al. 2), par l’intermédiaire de son représentant, qui agit avec l’autorisation du juge des tutelles selon le choix effectué face à la succession.

En l’espèce, Henri souhaite savoir s’il peut forcer les locataires de l’immeuble de rapport appartenant à ses parents à payer leurs loyers. Il se demande aussi s’il peut vendre certains biens de ses parents pour gérer les deux immeubles laissés.

Il faut dans un premier temps préciser la situation du père de Henri. En tant que disparu, le père de Henri est présumé mort. Dès lors, son mariage avec la mère de Henri est dissous de plein droit et sa succession devra être ouverte. Sans entrer dans le détail (qui relève du programme du droit des successions), en l’absence de mention d’un testament, il est fort probable que les biens du père de Henri reviennent à sa femme et son fils, dans des proportions qui ne nous sont pas connues. Dès lors, Henri pourra administrer et disposer seul des biens qu’il a acquis par succession (sous réserve des règles d’indivision). Mais cela ne suffit pas pour répondre aux interrogations de Henri.

C’est pourquoi il est nécessaire de préciser la situation de la mère de Henri dans un second temps. En effet, en tant que présumée absente, la mère de Henri est réputée être en vie. Étant absente, elle doit être représentée pour gérer ses affaires quotidiennes. Elle ne semble pas avoir laissé d’indication sur l’identité de son représentant, et son mari ne peut gérer ses affaires, ce dernier étant réputé mort et leur mariage dissous. Henri peut donc demander au juge des tutelles d’être désigné représentant de sa mère. Ce sera donc au juge de régler les questions relatives à l’administration des biens, et notamment des modalités des dépenses d’administration. Pour être tout à fait complet, indiquons à Henri que :

  • S’agissant des loyers, il aura le pouvoir d’en réclamer le paiement et, le cas échéant, de forcer ce paiement par mise en demeure ou action en justice. En effet, il est certainement propriétaire indivis de ce bien avec sa mère, qu’il représente. De plus, récupérer les fruits d’un bien indivis constitue un acte d’administration ;
  • S’agissant de la vente des biens, Henri ne devrait pas pouvoir la réaliser. En effet, la vente est un acte de disposition, en ce que les meubles vendus disparaissent totalement du patrimoine de la personne. Il ne pourra donc pas vendre les biens de sa mère. En revanche, trois choix s’offrent à lui : vendre les biens qu’il a reçus de la succession de son père, réinvestir les loyers échus ou demander au juge de fixer les modalités des dépenses d’administration des deux biens immobiliers.

En conclusion, Henri deviendra propriétaire d’une partie de la succession de son père disparu, et pourra être désigné représentant des biens et des intérêts de sa mère présumée absente. Il pourra donc prendre les actes d’administration nécessaires.

III - Les conséquences du potentiel retour des parents de Henri

Les conséquences peuvent porter à la fois sur les effets patrimoniaux (A) et les effets personnels (B).

A - Les conséquences sur les effets patrimoniaux

En droit, le retour d’une personne disparue et d’une personne présumée absente n’a pas les mêmes conséquences.

Le retour d’une personne disparue est régi par l’article 92 du Code civil : si la personne déclarée disparue réapparaît, alors le ministère public ou toute personne intéressée peut demander l’annulation du jugement déclarant la personne disparue. Il y a alors un renvoi opéré aux articles 130 à 132 applicables en matière de déclaration d’absence.

S’agissant des effets patrimoniaux, l’article 130 du Code civil indique que l’absent et, par renvoi, le disparu, « recouvre ses biens et ceux qu’il aurait dû recueillir pendant son absence dans l’état où ils se trouvent, le prix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens acquis en emploi des capitaux ou des revenus échus à son profit ».

En d’autres termes, doivent être restitués au disparu « ressuscité » l’ensemble de ses biens mobiliers et immobiliers, dans l’état dans lequel ils se trouvent. Il doit aussi récupérer les revenus dits « capitalisés », c’est-à-dire les revenus qui ont été affectés à l’acquisition d’autres biens (immobiliers ou mobiliers), et ce afin que l’ancien disparu reconstruise son capital. En revanche, les héritiers ne sont pas tenus de restituer les fruits non capitalisés, non plus qu’ils sont tenus au paiement d’une indemnité, car ils sont présumés avoir été les possesseurs de bonne foi des biens, voire propriétaires durant la période de la déclaration de l’absence ou de la disparition.

Le retour d’une personne présumée absente est régi par l’article 118 du Code civil. La personne peut demander de mettre fin à la mesure de représentation à son égard. Elle recouvre alors « les biens gérés ou acquis pour son compte durant la période de l’absence ». Le représentant cesse donc sa mission, mais il peut voir sa responsabilité engagée du fait d’une mauvaise gestion. Par ailleurs, il pourrait être demandé une indemnité d’occupation de l’immeuble.

En l’espèce, si le père ou la mère de Henri réapparaissent, ces retours entraîneront plusieurs conséquences pécuniaires. D’une part, ils devront chacun récupérer leurs biens dans l’état dans lequel ils se trouvent. Henri devra donc leur restituer les biens, mais également les revenus capitalisés au profit de son père. Si des biens ont été vendus, la restitution s’opérera en valeur ou par la remise des biens acquis en emploi. D’autre part, Henri devra potentiellement rendre des comptes s’il gère mal ou outrepasse ses pouvoirs de représentant des intérêts de sa mère (vente d’un bien, mauvaise gestion…). 

B - Les conséquences sur les effets personnels

En droit, le retour d’une personne disparue n’emporte aucune rétroactivité sur la dissolution du mariage : la personne est toujours considérée comme célibataire et peut donc se remarier sans avoir à demander le divorce de son époux (C. civ., art. 132, applicable par renvoi). Le retour d’une personne présumée absente n’a aucune incidence sur ses relations personnelles : la personne présumée absente étant réputée en vie, elle est donc toujours mariée.

S’agissant de leur mariage, enfin, si les deux parents de Henri reviennent, ils ne seront plus considérés comme des époux l’un envers l’autre. En effet, la disparition du père de Henri entraîne la dissolution de son mariage, peu important le retour du disparu. Le fait que l’absence présumée de la mère de Henri n’entraîne pas la dissolution du mariage n’a donc aucune incidence. Si l’un d’eux, a fortiori les deux, revient, les parents de Henri seront donc libérés des liens du mariage. Rien ne les empêche alors soit de se remarier entre eux, soit avec une autre personne de leur choix.