Introduction
« La mort est l’ultime séquence de la vie juridique, l’anéantissement de la personnalité juridique, titulaire de droits et obligations », écrivait Bérengère Froger, dans un article intitulé « La mort et le droit », publié en 2015.
La mort apparaît de prime abord comme un terme du langage commun : elle est la fin de la vie. Pourtant, il en existe une définition scientifique, à savoir « l’arrêt complet et définitif des fonctions d’un organisme vivant, avec disparition de sa cohérence fonctionnelle et destruction progressive de ses unités tissulaires et cellulaires ». Longtemps la mort était décorrélée de cette réalité scientifique, jusqu’à l’abolition de la mort civile en 1854. Depuis, la mort juridique et la mort biologique ne font plus qu’une. En effet, dès lors que l’activité cérébrale cesse, les droits de la personnalité s’évanouissent, faisant passer du statut de personne à celui de chose le corps du cadavre, bien que lui soit attachée une protection particulière. Ainsi le moment de la détermination de la mort est-il fondamental et doit-il être fixé précisément, y compris lorsque cela est difficile, comme en cas de disparition. Toutefois il ne s’agit que d’un constat, et non d’une prévision future : la mort demeure à ce jour subie, et ne peut être choisie, l’euthanasie active étant encore à ce jour interdite en France, bien que les choses puissent faire l’objet d’une évolution prochaine, comme l’illustre le Projet de Loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » déposé le 10 avril 2024 par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, avant sa dissolution.
La question qui se pose alors est celle de savoir comment le droit français appréhende-t-il la mort, et quels effets lui confère-t-il ?
Afin de répondre à cette question, il sera nécessaire d’envisager la notion de mort d’une part (I) avant celui qui l’incarne, à savoir le mort d’autre part (II).
I - L'appréhension controversée de la mort par le droit
S’il n’existe pas de droit à la mort (A), le droit se saisit de la notion de mort, jusqu’à observer un droit sur la mort (B).
A - L'absence de droit à la mort
En France, il n’existe pas de droit à la mort, comme l’illustrent l’interdiction de l’euthanasie active (1) et l’encadrement de l’euthanasie passive (2).
1 - L’interdiction de l’euthanasie active
En France, un individu peut se donner la mort lui-même. En effet depuis la Révolution française et suite au mouvement de laïcisation de la société, le suicide n’est pas réprimé dans le Code pénal de 1791, pas plus que dans celui de 1810. Rien ne s’oppose donc juridiquement à ce qu’une personne mette fin à ces jours. Cependant une telle ouverture est strictement circonscrite dans la mesure où quiconque aurait une influence sur ce choix, et ce même si la personne a agi d’elle-même, pourrait être condamnée, en application de l’article 223-13 du Code pénal qui réprime la provocation au suicide. Plus gravement sanctionné encore est le cas où ce n’est pas la personne qui a agi elle-même, mais un tiers.
L’euthanasie active est définie par le Sénat comme étant « l’administration délibérée de substances létales dans l’intention de provoquer la mort, à la demande du malade qui désire mourir, ou sans son consentement, sur décision d’un proche ou du corps médical ». Elle est quant à elle proscrite par le droit pénal. En effet depuis l’abolition de la peine de mort le 9 octobre 1981, il est formellement interdit à tout individu de provoquer la mort d’autrui, y compris si celui-ci le demande. Dans le cas contraire, l’auteur de tels faits sera condamné du chef de provocation au suicide (article 223-13 du Code pénal), de meurtre (article 221-1 du Code pénal) ou encore d’assassinat (article 221-2 du Code pénal). Cependant, pour préserver la dignité de la personne, le droit français a reconnu, dans des cas très limitatifs, la possibilité de recourir à l’euthanasie passive.
2 - L’encadrement de l’euthanasie passive
L’euthanasie passive est quant à elle définie comme étant « le refus ou l’arrêt d’un traitement nécessaire au maintien de la vie », à laquelle est souvent associée, par abus de langage, l’euthanasie indirecte qui est « l’administration d’antalgiques dont la conséquence seconde et non recherchée est la mort ». Afin de préserver la dignité de la personne malade, la loi du 4 mars 2002 dite Kouchner puis la loi du 22 avril 2005 dite Léonetti sont venues favoriser l’accompagnement vers la fin de vie, en ouvrant la voie aux soins palliatifs, afin de soulager les personnes atteintes de souffrances incurables, en interdisant « l’acharnement thérapeutique ». Cependant le terme d’euthanasie passive n’était pas encore expressément admis.
L’euthanasie passive a véritablement été autorisée par la loi du 2 février 2016 dite Claeys-Leonetti, qui introduit la possibilité d’arrêter les traitements de maintien de vie du patient, et autorise la sédation profonde, jusqu’au décès. Ainsi désormais l’article L.1110-5-1 du Code de la santé publique prévoit-il que l’obstination déraisonnable est interdite. Dès lors les médecins pourront arrêter la nutrition et l’hydratation artificielle du malade, en vue de sauvegarder sa dignité. Cependant, une telle procédure est encadrée et les conditions sont strictement énoncées dans l’article L.1110-5-2 du Code de la Santé publique, et précisées par l’article R.4127-37-2 du même code. Ainsi par exemple une telle décision est soumise à une formation collégiale, et ne peut relever de la décision d’une seule personne, au regard des conséquences irrémédiables qui en découleront.
B - L'existence d'un droit sur la mort
La mort conduit à l’extinction de la personnalité juridique, imposant dès lors de fixer la date de décès (1), que celle-ci soit déterminable aisément ou pas (2).
1 - La fixation de la date du décès nécessaire
La mort juridique est indissociablement liée à la mort biologique. En effet une circulaire du 3 avril 1978 dite Jeanneney fixe la mort au moment à compter duquel il existe une « altération du système nerveux central dans son ensemble ». Ainsi est-il nécessaire que le décès soit constaté par un médecin, lequel dressera un constat de décès, avant déclaration à l’officier d’état civil. En application de l’article 78 du Code civil, l’officier d’état civil du lieu du décès dressera un acte de décès, avant sa publication.
Le décès aura alors des conséquences certaines, notamment à l’égard des tiers. En effet le décès conduit à la dissolution de l’union, qu’il s’agisse du mariage, en application de l’article 227 1° du Code civil, ou du pacs, en application de l’article 515-7 alinéa 1er du même code. Cette dissolution ouvre des droits extrapatrimoniaux pour le conjoint ou le partenaire survivant qui pourra s’engager dans une nouvelle union. En effet il est interdit, en droit français, de se marier sans que le premier mariage ne soit dissout (article 147 du Code civil). Par ailleurs s’agissant des droits patrimoniaux, le décès conduit à l’ouverture de la succession sur le fondement de l’article 720 du Code civil.
Cependant, avant que ces effets ne puissent se produire, encore faut-il pouvoir fixer la date du décès, ce qui n’est pas toujours aisé.
2 - Les difficultés pour fixer la date du décès
Il existe des cas dans lesquels le corps de la personne n’est pas retrouvé, ne permettant pas à un médecin de constater la mort cérébrale. La personne peut avoir décidé de partir, de disparaitre volontairement. Il s’agit alors de l’absence. Elle n’a plus paru à son domicile ou sa résidence principale, et n’a plus donné signe de vie, comme plusieurs milliers de français chaque année. Dans ce cas, les personnes intéressées peuvent saisir le juge afin qu’il dresse un constat de présomption d’absence, en application de l’article 112 du Code civil. Après dix ans si cela a été fait, ou vingt ans si cela n’a pas été fait, il sera possible de demander au juge de dresser un constat d’absence (article 122 du Code civil), qui emportera les mêmes effets que le décès, permettant ainsi aux proches de refaire leur vie. Toutefois il n’est pas exclu que la personne réapparaisse. Dans ce cas, elle récupère ses droits sur ses biens (article 118 du Code civil), mais l’union reste dissoute. Le droit fait ici fi de la réalité de la mort, et la constate simplement pour en libérer les effets.
Par ailleurs, la personne peut aussi avoir disparu « dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé ». Le Code civil prévoit le cas de la disparition aux articles 88 et suivants du Code civil. Contrairement à l’absence, la disparition est plus proche de la réalité en ce que la probabilité du décès est très élevée, voire indubitable. Cela explique d’ailleurs que le Code civil ne prévoit pas, comme dans le cas de l’absence, le cas du retour du disparu, ni de délai avant d’établir le constat.
Le droit civil prend donc en considération la notion de mort pour en circonscrire les contours, tout en lui permettant de déployer ses effets, y compris s’agissant du mort lui-même.
II - L'appréhension renforcée du mort par le droit
Le mort demeure à travers son cadavre, lequel devient une chose qui dispose toutefois d’un caractère sacré (A), expliquant que des protections importantes lui soient reconnues (B).
A - Le corps relégué au rang de chose sacrée
Postérieurement à son décès, le corps de la personne devient une chose (1) et n’est plus le support à la personnalité juridique (2).
1 - La réification du corps post mortem
Le droit français est ainsi segmenté que tout est soit une personne, soit une chose. Il s’agit d’une construction juridique, qui oblige le classement en deux catégories bien distinctes, par une opération de qualification juridique volontaire. Ainsi a-t-il été déterminé que la personnalité juridique était attachée à la vie. Dès lors elle n’est attribuée qu’à la personne née vivante et viable, et ce seulement jusqu’à son décès. En application de cette stricte summa divisio, avant la naissance, et après le décès, les restes humains sont des choses. Il est assez rare de lire expressément une telle qualification dans les écrits du législateur comme de la jurisprudence, qui appliquent pourtant le régime des choses sans en prononcer le nom, comme l’illustre l’application du principe d’indisponibilité au corps du défunt.
Par principe, le corps est indisponible, en raison de son attachement à la personne. Au contraire, les choses ne sont pas protégées par le principe d’indisponibilité, permettant ainsi d’en disposer. Cela explique que l’article L.2161-1 alinéa 1er du Code de la santé publique prévoit que « une personne majeure peut consentir à donner son corps après son décès à des fins d’enseignement médical et de recherche ». En effet la personne peut disposer de son corps, une fois celui-ci relégué au rang de chose, à des fins scientifiques. Surtout, en dehors du cas où la personne a consenti, de son vivant, à offrir son corps à la science, le droit français considère que toute personne n’ayant pas exprimé un refus de son vivant est présumée consentir à donner ses organes (article R.1232-4-4 du Code de la santé publique). L’absence d’un consentement exprès écrit est significatif de la réification du corps post mortem.
2 - La disparition du support des droits de la personnalité
Par ailleurs, les droits de la personnalité protégeant l’intégrité morale de la personne s’éteignent au décès. La première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé le 14 décembre 1999 (n°97-15.756) que « le droit d’agir pour le respect de la vie privée s’éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit ». Ainsi le corps étant placé dans la catégorie de chose, il n’est plus le support des droits de la personnalité. Le corps demeure, mais les droits se détachent.
En conséquence les ayants droits de défunt ne pourront exercer une action pour violation du droit à l’image d’une personne décédée, au nom du défunt, par exemple. En effet dans un arrêt rendu le 22 octobre 2009 par la première chambre civile de la Cour de cassation, les juges ont considéré que « si les proches peuvent s’opposer à la reproduction de son image après son décès, c’est à la condition d’en éprouve un préjudice personnel ». Le droit à l’image s’est en effet éteint au décès de la personne concernée, laquelle ne peut plus exercer son droit, y compris en étant représenté par ses proches. Ces derniers devront en effet apporter la preuve de l’existence d’un préjudice personnel.
Toutefois, le droit n’ignore pas la personne que le mort a été dans le passé.
B - Le cadavre comme prolongement de la personne
Bien que le cadavre soit considéré par le droit français comme étant une chose, le souvenir de la personne passée emporte des conséquences juridiques importantes à commencer par le nécessaire respect de sa mémoire (1) et de son corps (2). Ainsi l’article 16-1-1 du Code civil traduit-il cette idée à travers la formule selon laquelle « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».
1 - Le respect relatif de la mémoire du défunt
La mémoire du défunt doit être respectée, ce qui explique que les choix qu’il a fait au cours de sa vie continuent de produire des effets. Ainsi la personne décédée a-t-elle pu prévoir le devenir de ses biens, en les attribuant par la voie d’un testament. Le propriétaire du bien sera alors celui qui a été choisi par la personne, de son vivant. Surtout, le défunt a pu introduire des charges pesant sur le bénéficiaire du legs. S’il ne peut imposer des conditions illicites, immorales ou impossibles à réaliser, il peut toutefois obliger le légataire à accomplir certaines choses, à perpétuité. Il peut par exemple l’obliger à entretenir à perpétuité un domaine dont l’établissement était destiné aux orphelins de la région, indépendamment de savoir si les circonstances économiques le permettaient (Civ. 1ère, 23 février 1965, n°61-13.303).
Toutefois il demeure des cas dans lesquels la mémoire du défunt n’est pas respectée. L’affaire Yves Montand en est un exemple. En effet une jeune femme, persuadée d’être sa fille, voulait soumettre Yves Montand à une expertise biologique. Or celui-ci, de son vivant, a toujours refusé, manifestant ainsi clairement son absence de consentement. Pourtant, à son décès, la Cour d’appel de Paris a permis, le 6 novembre 1997, que soit exhumé son corps, afin de réaliser une expertise génétique. La mémoire du défunt s’est ici effacée au profit de l’intérêt supérieur de l’enfant de connaitre ses origines. Toutefois, le législateur est par la suite intervenu, afin de rétablir le respect dû au corps du défunt.
2 - Le respect du corps du défunt
Suite à l’affaire Yves Montand précédemment écrite, le législateur est intervenu pour protéger tant la mémoire du défunt que son corps. En effet, par une loi du 6 août 2004, a été créé l’article 16-11 du Code civil selon lequel aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après la mort d’une personne, sans que celle-ci n’ait donné son consentement de son vivant. Bien que cette disposition renforce la protection de la mémoire du défunt dans la mesure où il prend en compte le consentement donné du vivant de la personne, l’esprit du législateur lors de l’édiction de cette loi était de protéger le corps du défunt, évidemment en lien avec sa mémoire. Ainsi le cadavre continue-t-il d’être influencé par le régime protecteur entourant le statut de personne, quand bien même il entrerait en contradiction avec les droits du vivant, à commencer par le droit à la vie privée, et plus précisément le droit de connaitre ses origines.
En dehors de la seule volonté de la personne de son vivant, un intérêt plus grand conduit à imposer qu’un respect demeure attaché au cadavre. Cela explique qu’il soit proscrit de l’exposer à des fins commerciales, ainsi que l’a affirmée la première chambre civile de la Cour de cassation, le 16 décembre 2010, dans la célèbre affaire Our Body. Cette interdiction au titre de la dignité de la personne, est renforcée par le droit pénal qui sanctionne les atteintes portées à l’intégrité du cadavre, mais également aux sépultures, tombaux, urnes cinéraires, ou monuments édifiés à la mémoire des morts (article 225-17 du Code pénal). Ainsi le cadavre demeure bénéficiaire d’un statut particulier, conduisant à admettre que lui soit attaché un caractère sacré.
Pour conclure, la mort est une notion complexe que le droit ne pouvait ignorer en raison de son omniprésence dans la société, et des enjeux qui lui sont attachés. Il a fini par ériger un régime complet et protecteur, conciliant de façon équilibrée les droits de la personne défunte avec ceux des tiers, mais également avec les nécessités posées par l’ordre public. Bien que certaines questions puissent évoluer à l’avenir, le cadre ainsi fixé permet une stabilité protectrice et cohérente avec les besoins sociaux. Ainsi la mort est bien un « prélude à une autre vie », comme le disait Gandhi, à savoir, à tout le moins, une vie juridique nouvelle.
