Introduction
Le droit international joue, dans les sociétés contemporaines, un rôle majeur pour pacifier les relations entre Etats et garantir les droits des citoyens. Afin de lui accorder toute sa place en droit interne, la Constitution de 1958 a prévu, en son article 55, que les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois. Ce principe de primauté trouve, en l’espèce, une application des plus didactiques.
Dans cette affaire, le ministre de la santé a pris le 28/12/1988 un arrêté relatif à la détention, la distribution, la dispensation et l’administration d’une substance abortive, la Mifégyne 200 mg. Plusieurs associations, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC), le Comité pour sauver l’enfant à naître, l’Union féminine pour le respect et l’aide à la maternité, ainsi qu’un particulier, ont saisi le Conseil d’Etat afin qu’il annule cet arrêté. Le 21/12/1990, par un arrêt d’assemblée, la Haute juridiction a rejeté ces requêtes.
Outre des moyens de tenant, notamment, à la légalité externe de l’arrêté, les requérants se sont principalement fondés sur la violation par celui-ci des lois IVG (interruption volontaire de grossesse) du 17/01/1975 et du 31/12/1979, du préambule de la Constitution de 1946 (auquel fait référence le préambule de la Constitution de 1958) et de trois traités internationaux, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH).
Le premier moyen est rapidement écarté en raison de l’absence de violation par l’arrêté des lois IVG, mais il se révèle déterminant en ce qu’il provoque un déplacement du contrôle opéré par le juge. En effet, dans la mesure où cet arrêté est conforme aux lois de 1975 - 1979, invoquer sa méconnaissance de la Constitution et des traités internationaux revient à questionner la conformité à ces textes des lois IVG elles-mêmes.
Sur la première branche du raisonnement, la conformité des lois IVG à la Constitution, le Conseil d’Etat réitère sa jurisprudence traditionnelle (CE, sect., 6/11/1936, Arrighi) : s’estimant incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois, il considère que les lois font écran entre l’arrêté et la Constitution et refuse d’opérer le contrôle du premier au regard de la seconde. Toute autre solution l’aurait, en effet, conduit à porter un jugement sur la constitutionnalité des lois IVG elles-mêmes.
Sur la deuxième branche du raisonnement, le respect par les lois IVG des traités internationaux, la Haute juridiction juge, en revanche, le moyen opérant. L’article 55 de la Constitution confère, en effet, aux traités une autorité supérieure à celle des lois. Celle-ci est, cependant, soumise au respect de certaines conditions. En l’espèce, seules la CEDH et le PIDCP remplissent ces conditions et prévalent, alors, sur les lois IVG. Cette primauté est, dans cette affaire, totale, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Le Conseil d’Etat distinguait, traditionnellement, selon que la loi était antérieure ou postérieure au traité (deux situations présentes en l’espèce) et ne faisait prévaloir les traités que dans la première hypothèse. Le juge administratif est resté fidèle à cette position de longues années. Ce n’est qu’en 1989, par le célèbre arrêt Nicolo, qu’il a, enfin, accepté de faire primer les traités internationaux sur les lois mêmes postérieures. L’arrêt du 21/12/1990 en est l’une des immédiates applications.
Il convient, donc, d’analyser la primauté de la CEDH et du PIDCP sur les lois IVG sous deux angles : celui des conditions de cette primauté (I) et celui du caractère désormais total qui s’attache à elle (II).
I – Une primauté des traités sur les lois IVG sujette à conditions
Aux termes de l’article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cet article soumet, ainsi, l’autorité des traités sur les lois françaises à deux séries de conditions : les unes sont formelles (A), les autres sont matérielles (B).
A la suite de la jurisprudence Nicolo, ces exigences ont fait l’objet d’un contrôle accru de la part du juge administratif. En effet, une fois la primauté des normes internationales sur les lois pleinement assurée, il revenait au Conseil d’Etat de se doter de l’ensemble des outils lui permettant de s’assurer de la validité de cette suprématie. D’où toute une série de décisions par lesquelles le juge administratif a approfondi son contrôle en la matière.
A – Des conditions formelles
Les conditions formelles sont au nombre de deux : le traité doit, ainsi, être ratifié (1) et publié (2).
1 – La ratification
La ratification est l’acte de droit interne par lequel un Etat exprime, postérieurement à la signature du traité, son consentement à être lié par celui-ci. La plupart du temps, cet accord de volonté est effectué par le président de la République pour les traités et par le ministre des affaires étrangères pour les accords (l’on parle, dans cette seconde hypothèse, d’approbation). Une procédure spécifique de ratification est, cependant, prévue pour les traités les plus importants : l’article 53 de la Constitution dispose, ainsi, que « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ». Les traités invoqués en l’espèce relèvent de cette seconde procédure : ils concernent, en effet, les droits de l’homme et, donc, l’état des personnes.
Le contrôle du juge en la matière se fait en deux étapes. Il lui revient, d’abord, de vérifier l’existence même d’un acte de ratification. En l’espèce, la CEDH a été ratifiée par une loi du 31/12/1973 et le PIDCP par une loi du 25/06/1980. En revanche, la DUDH n’a pas été ratifiée : seule a été réalisée sa publication le 9/02/1949. En conséquence, elle ne pourra pas s’appliquer au litige.
Le deuxième temps du contrôle porte sur la régularité de la procédure de ratification. La jurisprudence traditionnelle excluait que le juge administratif apprécie cet aspect de l’introduction d’un traité en droit interne (CE, 5/02/1926 Dame Caraco). Cette position a été abandonnée à la suite de l’arrêt Nicolo. Il revient, désormais, au juge de s’assurer qu’un traité relevant des dispositions de l’article 53 de la Constitution a bien été ratifié par le Parlement (CE, ass., 18/12/1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim). Ce contrôle s’opère au travers du décret de publication du traité et peut être réalisé tant par voie d’action que par voie d’exception (CE, ass., 5/03/2003, Aggoun). Une limite a, cependant, été posée par le Conseil d’Etat : ainsi, lorsqu’un traité a été ratifié par une loi, le juge ne peut contrôler la constitutionnalité de cette loi (CE, 8/07/2002, Commune de Porta). L’ensemble de ces solutions sont postérieures à l’arrêt commenté, mais la CEDH et le PIDCP ayant été ratifiés par le Parlement, l’on peut considérer que les exigences posées par l’article 53 de la Charte fondamentale sont respectées.
La même démarche en deux temps est suivie concernant la publication.
2 – La publication
Une fois ratifiés, les traités doivent être publiés au Journal Officiel. Cette procédure vise à informer les administrés, comme pour n’importe quelle autre norme juridique, de l’entrée en vigueur des dispositions contenues dans les traités.
Le juge administratif s’assure qu’il a bien été procédé à cette publication, à défaut de quoi la convention internationale ne produira aucun effet en droit interne. Comme pour la ratification, le contrôle porte tant sur l’existence de la publication que sur sa régularité. Sur ce second point, il est, en effet, admis que l’acte de publication est détachable de la conduite des relations internationales. La seule limite au contrôle de la régularité de la publication est celle posée par l’arrêt Commune de Porta : ainsi, lorsqu’un traité a été ratifié par une loi, le juge ne peut contrôler la constitutionnalité du décret de publication sans porter, par là-même, un jugement sur la constitutionnalité de la loi de ratification ; en pareille hypothèse, la loi fait, alors, écran entre le décret et la Constitution et interdit tout contrôle de conformité du premier à la seconde.
En l’espèce, la CEDH a été publiée par un décret du 3/05/1974 et le texte du PIDCP a été annexé au décret du 29/01/1981 publié le 1°/02/1981. A ce stade, ces deux conventions remplissent donc les conditions formelles posées par l’article 55 de la Charte fondamentale. Bien qu’indispensables, ces exigences ne suffisent, cependant, pas à elles-seules à garantir la primauté de ces textes sur les lois IVG. D’autres conditions, cette fois-ci matérielles, doivent également être respectées.
B – Des conditions matérielles
Trois conditions matérielles à la primauté des traités sur les lois françaises sont habituellement retenues : la réciprocité dans l’application du traité (1), son effet direct (2) et son interprétation (3). Seule la première est explicitement prévue par l’article 55 du texte de 1958.
1 – La condition de réciprocité
Il s’agit d’une condition propre au droit international public. La Convention de Vienne sur le droit des traités prévoit, ainsi, que la violation d’une convention par l’une des parties autorise l’autre partie à y mettre fin ou à suspendre son application. La Constitution française conditionne, donc, logiquement, l’autorité des traités internationaux en droit interne à leur application réciproque.
A l’origine, le juge administratif refusait de contrôler lui-même le respect de cette condition. Estimant le problème plus politique que juridique, il renvoyait la question au ministre des affaires étrangères et s’estimait lié par son avis (CE, ass, 29/05/1981, Rekhou). Cette position, qui fut maintenue postérieurement à l’arrêt Nicolo (CE, ass., 9/04/1999, Mme. Chevrol-Benkeddach), fit l’objet d’une sanction de la part de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 13/02/2003, Chevrol c/ France) : cette dernière regarda comme régulière la demande d’avis au Quai d’Orsay, mais jugea contraire au droit à un procès équitable le fait pour le juge administratif de suivre obligatoirement l’avis du ministre. Le Conseil d’Etat révisa, alors, sa position et décida, à partir de 2010, d’apprécier souverainement le respect de cette condition (CE, ass, 9/07/2010, Mme. Chériet-Benseghir).
Dans l’affaire commentée, le moyen n’est pas soulevé par les parties. Si tel avait été le cas, cependant, le juge n’aurait pu que l’écarter. En effet, lorsqu’il a à faire application d’un traité relatif aux droits de l’homme, comme en l’espèce, le juge estime que la condition de réciprocité est sans objet, le non-respect par un Etat des droits et libertés des citoyens ne pouvant, en vertu du simple bon sens, autoriser l’autre partie à se délier de ses engagements. La même solution est retenue s’agissant des traités qui prévoient un mécanisme juridictionnel de sanction des manquements commis par les Etats : l’exemple le plus typique est le droit communautaire dont l’application réciproque est assurée par la Cour de justice de l’Union européenne.
2 – L’effet direct
La condition tenant à l’effet direct d’un traité découle de la jurisprudence : elle signifie que, pour être applicable en droit interne et donc invocable par les administrés, un traité doit avoir une influence sur leur situation juridique.
Le Conseil d’Etat est venu, récemment, renouveler l’appréciation de cette condition dans un sens libéral (CE, ass., 11/04/2012, GISTI). Il juge, désormais, qu’une « une stipulation doit être reconnue d'effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ». La Haute juridiction précise « que l'absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l'obligation qu'elle définit ». Cette solution est d’application générale, sauf lorsqu’est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct.
En l’espèce, le Conseil d’Etat ne fait aucune mention de cette condition. Mais, il est possible de considérer que les traités invoqués y satisfont. Si tel n’avait pas été le cas, il n’aurait pu, logiquement, en faire application au litige.
3 – L’interprétation
L’interprétation d’un traité n’est pas, à proprement parler, une condition de la primauté de celui-ci sur les lois françaises. Elle constitue, cependant, un passage obligé pour le juge dans la mesure où s’assurer de la compatibilité entre une loi et une norme internationale suppose, au préalable, d’en déterminer le sens.
Ici aussi, le juge administratif a vu ses pouvoirs évoluer. En effet, jusqu’en 1990, lorsqu’une difficulté d’interprétation d’un traité se posait, il renvoyait la question au ministre des affaires étrangères et s’estimait lié par son avis. Cette jurisprudence fut, cependant, presque immédiatement abandonnée une fois l’arrêt Nicolo rendu : dès l’année suivante, la Haute juridiction estima, ainsi, qu’il revient au juge administratif d’interpréter lui-même les stipulations d’une convention internationale (CE, ass., 29/06/1990, GISTI). Certes, le juge peut encore recueillir l’avis du Quai d’Orsay, mais le choix interprétatif final relève désormais de sa seule compétence. Ce revirement de jurisprudence reste, il faut le noter, sans incidence sur la question de l’interprétation du droit communautaire : ici s’applique, en effet, l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui oblige le juge administratif à saisir à titre préjudiciel la CJUE en cas de difficulté d’interprétation.
L’arrêt commenté ne fait état d’aucune difficulté de cette nature. Mais, au regard des différences d’appréhension possibles du droit à la vie, la compatibilité entre les lois IVG et les traités internationaux invoqués n’a pu être affirmée sans un minimum de travail interprétatif.
A ce stade du raisonnement, deux conventions – la CEDH et le PIDCP – remplissent les conditions posées par l’article 55 de la Constitution pour prévaloir sur les lois IVG. Si cette primauté est, aujourd’hui, totale, il n’en a pas toujours été ainsi.
II – Une primauté des traités sur les lois IVG désormais totale
Dans l’arrêt du 21/12/1990, le Conseil d’Etat assure la pleine primauté du PIDCP et de la CEDH sur les lois IVG de 1975 et 1979. Si cette solution apparaît comme allant de soi aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi : pour en apprécier l’intérêt, il faut, alors, la replacer dans le long chemin emprunté par la Haute juridiction pour donner toute sa portée à l’article 55 du texte de 1958 (A). La primauté, ainsi, reconnue au droit international n’efface pas, pour autant, toute réserve du juge administratif à son égard, puisque cette prévalence ne débouche que sur un simple rapport de compatibilité (B).
A – Une primauté fruit d'une longue évolution
Les rapports du juge administratif français avec le droit international n’ont jamais été un long fleuve tranquille. L’application qu’il a faite de la règle hiérarchique posée par l’article 55 de la Constitution en est l’une des plus emblématiques illustrations. Initialement, en effet, le Conseil d’Etat distinguait selon que la loi était antérieure ou postérieure au traité et ne faisait primer ce dernier que dans la première hypothèse : telle était la position adoptée dans la très critiquée « jurisprudence des Semoules » (1). Ce n’est qu’en 1989 que la Haute juridiction s’est, enfin, décidée, par le célèbre arrêt Nicolo, à faire prévaloir les traités internationaux sur les lois mêmes postérieures (2).
1 – La « jurisprudence des Semoules » : une jurisprudence très critiquée
En cas de contrariété entre une loi et un traité, le Conseil d’Etat distinguait, au départ, selon que la première était antérieure ou postérieure au second. Dans la première hypothèse, la Haute juridiction faisait, sans peine, prévoir la norme internationale sur la loi française (CE, 15/03/1972, Dame Veuve Sadok Ali). La primauté reconnue, en l’espèce, au PIDCP ratifié le 25/06/1980 sur les lois IVG de 1975 et 1979 n’apparaît donc pas comme une nouveauté.
Toute autre était, en revanche, sa position lorsque la loi était postérieure au traité, situation rencontrée dans l’arrêt avec les lois IVG et la CEDH ratifiée le 31/12/1973. En pareille hypothèse, le juge administratif refusait de faire primer le traité sur la loi au motif que le conflit entre ces deux normes soulevait un problème de constitutionnalité (CE, sect., 1°/03/1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France). Pour la Haute juridiction, en effet, faire prévaloir le traité sur la loi postérieure et contraire équivalait à sanctionner la méconnaissance par le législateur de la hiérarchie des normes fixée par l’article 55 de la Constitution et, donc, à exercer un contrôle de constitutionnalité des lois. Or, le Conseil d’Etat s’est toujours refusé, on le sait, à exercer un tel contrôle.
Cette position tranchée fit l’objet des plus vives critiques de la part de la doctrine. Elle fut également rejetée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier refusa, en effet, d’assurer le respect de la règle hiérarchique posée par la norme fondamentale au motif que le contrôle de conventionnalité est distinct du contrôle de constitutionnalité des lois dont il a la charge et qu’il doit être opéré au cas par cas, ce que son office de juge constitutionnel ne lui permet pas de faire (CC, 15/01/1975, IVG). Il renvoya, alors, la charge de cette tâche aux juridictions ordinaires.
La Cour de cassation suivit immédiatement cette invitation (C.Cass., 24/05/1975, Société des cafés Jacques Vabre), tandis que le Conseil d’Etat persista dans sa voie quatre ans plus tard (CE, ass., 22/10/1979, UDT). Il faudra, alors, attendre encore dix ans pour que le juge administratif aligne sa position sur celle des juges constitutionnel et judiciaire.
2 – Le revirement tant attendu : l’arrêt Nicolo
C’est donc en 1989 que le Conseil d’Etat a, par l’arrêt Nicolo (CE, ass., 20/10/1989), accepté de faire prévaloir les traités internationaux sur les lois mêmes postérieures. La position prise en 1968 devenait, en effet, intenable. Outre que la violation de l’article 55 de la Constitution était privée de toute sanction devant les juridictions administratives, le maintien de la « jurisprudence des Semoules » débouchait sur une situation, pour le moins, étrange où le juge administratif suprême se refusait à exercer un contrôle que de simples tribunaux d’instance pratiquaient quotidiennement.
L’arrêt Nicolo met donc fin à l’isolement dans lequel le Conseil d’Etat s’était laissé enfermer. Sa postérité devait se révéler aussi forte que l’est la discrétion de sa motivation. Aucun considérant de principe n’est, en effet, à relever. La primauté des traités internationaux sur les lois postérieures y est affirmée de manière implicite, la Haute juridiction n’appliquant la loi du 7/07/1977 contestée qu’après s’être assuré qu’elle n’est pas contraire au Traité de Rome du 25/03/1957. Ainsi, dorénavant, en cas de conflit entre une loi postérieure et un traité, le juge administratif fera application du second au détriment de la première et l’acte administratif, directement contraire au traité, se verra annulé. Quant à la loi elle-même, elle n’est pas annulée, mais voit son application écartée dans l’affaire en cause et peut recevoir, à nouveau, application en cas, par exemple, de non-respect de la condition de réciprocité par l’autre partie.
Par la suite, le Conseil d’Etat appliquera le principe de primauté posé par l’article 55 de la Constitution au droit communautaire dérivé, qu’il s’agisse des règlements (CE, 24/09/1990, Boisdet), des directives (CE, ass., 28/02/1992, S.A. Rothmans International France et S.A. Philip Morris France) ou même des principes généraux du droit communautaire (CE, 3/12/2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique). En revanche, il se refusera à faire prévaloir sur la loi tant la coutume internationale (CE, ass., 6/06/1997, Aquarone) que les principes généraux du droit international (CE, 28/07/2000, Paulin).
En l’espèce, le Conseil d’Etat fait une application toute aussi discrète que dans l’arrêt Nicolo de ce principe de primauté, puisqu’il juge, simplement, que les lois IVG de 1975 et 1979 « ne sont pas incompatibles » avec la CEDH (hypothèse de la loi postérieure) et le PIDCP (hypothèse de la loi antérieure). Par ces quelques mots, la Haute juridiction traduit l’exigence de compatibilité – et donc de soumission – qui s’impose aux lois IVG vis-à-vis de ces deux conventions. La question qui se pose alors est de savoir quel est le degré d’exigence du juge administratif quant au respect que la loi doit au droit international.
B – Une primauté qui débouche sur un simple rapport de compatibilité
Le Conseil d’Etat constate, en l’espèce, que les lois IVG ne sont pas incompatibles avec les deux conventions invoquées et reconnues applicables (1). Ce faisant, la Haute juridiction indique que le contrôle de conventionnalité des lois est un simple contrôle de compatibilité (2).
1 – La solution du 21/12/1990
Le Conseil d’Etat considère, donc, en l’espèce, que les lois IVG de 1975 et 1979 ne sont pas contraires à la CEDH et au PIDCP. La question d’un éventuel conflit entre ces normes pouvait, néanmoins, se poser étant donné que les lois en cause autorisent l’interruption volontaire de grossesse quand les deux conventions internationales protègent le droit à la vie.
L’article 2-4 de la CEDH prévoit, ainsi, que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi » et que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement ». Quant au PIDCP, son article 6 dispose que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».
En tant qu’elles légalisent l’avortement, le juge administratif aurait pu considérer que les lois IVG portent atteinte au droit à la vie et que, en les adoptant, le législateur a méconnu les obligations mises à sa charge par les deux conventions. Le juge relève, cependant, que l’article 1° de la loi du 17/01/1975 rappelle que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». Il note, par ailleurs, que le même article prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce principe « qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limites » que cette loi définit. En d’autres termes, le droit à la vie est érigé en principe, quand l’avortement n’est admis qu’à titre exceptionnel et de manière encadrée.
Au regard du caractère circonscrit de l’atteinte au droit à la vie et de l’encadrement législatif dont fait l’objet l’IVG, le Conseil d’Etat considère, alors, que les lois de 1975 et 1979 « ne sont pas incompatibles » avec la CEDH et le PIDCP. En conséquence, elles peuvent s’appliquer en l’espèce et servir de base légale à l’arrêté du 28 décembre 1988 qui voit, ainsi, sa légalité validée. Au-delà de la solution retenue au fond, cet arrêt donne une indication sur l’intensité du contrôle de conventionnalité des lois.
2 – Le contrôle de conventionnalité des lois : un simple contrôle de compatibilité
Comme le révèle l’affaire du 21/12/1990, le contrôle de conventionnalité est relativement souple. Le juge n’impose, en effet, à la loi qu’un simple rapport de compatibilité vis-à-vis du droit international, quand, traditionnellement, il prescrit à la norme subordonnée un rapport de stricte conformité vis-à-vis de la norme supérieure. Il y a, là, une exigence moins stricte, dans la mesure où le rapport de compatibilité impose seulement de s’accorder avec la norme supérieure, quand le rapport de conformité enjoint de lui correspondre exactement.
Ce constat est confirmé par certains termes employés dans l’arrêt. Ainsi, le juge note que les lois « ne sont pas incompatibles » et non qu’elles sont compatibles, ce qui, là encore, traduit une certaine souplesse dans l’appréciation de la non contrariété entre une loi et un traité. Dans le même sens, le Conseil d’Etat relève que les lois « prises dans leur ensemble » ne sont pas incompatibles avec les traités, ce qui atteste, une nouvelle fois, de la souplesse avec laquelle le juge administratif exerce le contrôle de conventionnalité.
Ainsi, si la supériorité des traités internationaux sur les lois françaises est totale aujourd’hui, le Conseil d’Etat en limite, néanmoins, l’incidence en droit interne en n’imposant aux secondes qu’une simple exigence de compatibilité vis-à-vis des premiers.
Cette attitude ne l’empêche pas, pour autant, de faire bénéficier les justiciables des garanties apportées par le droit international. Ainsi, la Haute juridiction a, récemment, découplé le contrôle de conventionnalité en associant au contrôle abstrait habituellement pratiqué un contrôle in concreto : elle a pu, alors, dans une affaire, juger abstraitement que les dispositions du Code de la santé publique contestées n’étaient pas incompatibles avec la CEDH, mais que, concrètement, leur application à la situation de la requérante constituait une atteinte manifestement illégale à l’un de ses droits garanti par la convention (CE, ass., 31/05/2016, Mme. Gonzalez-Gomez).
CE, ass., 21/12/1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007779650/
