Introduction
La France, qui n’a jamais vécu de longue période sans attentat, a connu depuis novembre 2015 une vague d’attaques nouvelles et sans précédent qui ont nécessité de recourir à une législation d’exception. L’état d’urgence, prévu et organisé par la loi du 3 avril 1955, autorise notamment l’administration à réaliser des perquisitions administratives sur ordre du préfet. La dynamique qui a prévalu dans la lutte contre le terrorisme a pu s’étendre à des personnes qui ne peuvent être qualifiés de terroristes. La juridiction administrative a donc été saisie d’un grand nombre de requêtes à l’encontre d’actes pris sous cette législation. Par son avis contentieux du 6 juillet 2016, le Conseil d’État revient sur le régime de contrôle et de sanction à leur appliquer.
Dans le cadre de recours dirigés par divers requérants contre des arrêtés ordonnant une perquisition administrative en application de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, plusieurs Tribunaux administratifs ont saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis de l’article L.113-1 du Code de justice administrative. Cette procédure permet aux juridictions du fond de solliciter la position du Conseil sur des points de droit particuliers, de l’interprétation desquels dépend la solution des litiges. Le Conseil n’est pas saisi des faits. Il rend donc une solution in abstracto, sans considération pour les données factuelles. De la même façon, puisqu’il ne tranche pas le litige, renvoyant la connaissance au fond de l’affaire à la juridiction saisissante, son avis n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée. Pour autant, il n’est pas dépourvu de toute force normative, bien au contraire, puisque les juridictions du fond ont tout intérêt à suivre la solution juridique dégagée, au risque de voir leurs jugements censurés en cassation.
Ces prémisses étant posées, il convient de revenir à l’avis commenté. Le Conseil d’État joint plusieurs demandes afin de traiter ensemble les questions relevant d’une même catégorie d’actes. Ce choix est judicieux et permet surtout au Conseil de délivrer un avis d’une grande richesse, particulièrement dense et efficace. En ce sens, l’avis fait œuvre d’une grande pédagogie. Cela était nécessaire tant les conditions d’application de l’état d’urgence sont dures. Jamais, la France, dans son histoire récente, n’avait connu une si longue période d’état d’urgence. Jamais, non plus, elle n’avait connu une mobilisation des forces armées, de police et militaire aussi importante. Jamais, encore, le recul du juge judiciaire et, corrélativement, la montée en puissance du juge administratif dans la protection des libertés individuelles, n’avaient été si forts. Jamais, enfin, les limites à l’État de droit et aux libertés individuelles n’avaient été poussées aussi loin. La tension sur le maintien de l’état d’urgence est réellement palpable. Il était invité à répondre, en substance, à trois grandes questions. La première concernait la recevabilité du recours en excès de pouvoir (REP) contre les arrêtés ordonnant la réalisation d’une perquisition administrative. La seconde catégorie regroupe les questions relatives à la nature et à l’étendue du contrôle à opérer par le juge administratif. La troisième tendait à délimiter les conditions d’engagement et le régime de responsabilité à appliquer aux conséquences de ces actes.
Le Conseil livre, en quelques sortes, un manuel du contrôle juridictionnel des arrêtés de perquisition administrative. Sur le contrôle à opérer, il prend pleinement conscience de l’importance de son office, qu’il entend façonner de manière effective et raisonnée (I). Sur la responsabilité, il organise un régime d’engagement de responsabilité assoupli (II).
I - Un contrôle effectif et raisonné des actes
Le contrôle qu’entend suivre le juge administratif s’attache tant à l’examen des vices entachant les garanties procédurales et de légalité externe, qu’il fait entrer dans le cadre commun de contrôle (A) que des vices de légalité interne, relatifs au bien-fondé de l’arrêté (B).
A - Un contrôle de droit commun de la légalité externe
Avant d’examiner les conditions et les formes du contrôle, la Haute juridiction administrative prend soin de répondre à une question de principe absolument fondamentale : celle de la possibilité d’introduire un recours contre l’arrêté. La question se posait car, au vu des délais de jugement, parfois de plusieurs années, et au fait que l’arrêté de perquisition, pour des raisons évidentes tenant l’efficacité de la mesure, n’est pas notifié à l’intéressé préalablement à sa réalisation, l’acte cesse de produire ses effets à la fin de la perquisition. Or, l’article R.822-5 du Code de justice administrative autorise le président de la chambre saisie de rejeter par ordonnance une requête devenue sans objet. Tel est le cas lorsque l’acte attaqué a été retiré, qu’il est abrogé ou qu’il a été frappé de caducité. On comprend que si l’annulation ne sert à rien, ne modifiera en rien la situation juridique du requérant, il n’est nullement besoin de statuer. On appelle cette procédure le non-lieu à statuer. Le Conseil juge que « La circonstance qu'elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge n'est pas de nature à priver d'objet le recours ». Il s’agit d’une application de l’arrêt CE, Sect. 12 octobre 1984, Mme Hirsch. L’annulation contentieuse permettra d’annuler rétroactivement l’acte et donc de permettre de remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient antérieurement. Le Conseil va ici plus loin que ce qu’avait jugé le Conseil constitutionnel dans une décision QPC, et selon lequel « si les voies de recours prévues à l'encontre d'une décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l'intervention de la mesure, elles permettent à l'intéressé d'engager la responsabilité de l'État »(CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme n°2016-536 QPC).
Toujours sur la question de la recevabilité, le Conseil purge toutes les cas. Il reste dans la même lignée que précédemment : le fait que soit ouverte la voie d’un recours en plein contentieux destiné à réparer les préjudices subis n’empêche pas la recevabilité du recours en excès de pouvoir. Le recours en excès de pouvoir est subsidiaire à tout autre (CE, 8 mars 1912, Lafarge). De ce fait, si une autre voie est ouverte, le REP est fermé. Mais pour que l’exception soit admise, encore faut-il que les conclusions soient similaires. Ce n’est pas le cas en l’espèce puisque l’annulation de l’arrêté présente un objet différent de l’indemnisation. De plus, il « découple » le REP du recours en responsabilité, en jugeant que le premier ne constitue pas un préalable nécessaire au second.
Sur le fond, le juge tente systématiquement de concilier protection effective dans le cadre de la légalité d’exception et marge d’appréciation rendue nécessaire par la spécificité de cette législation. Ce faisant, il ne renonce pas à contrôler les conditions de forme et la légalité externe de la décision. Ainsi, il rappelle la jurisprudence du Conseil constitutionnel rendue quelques mois auparavant (CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme n°2016-536 QPC). Le Conseil constitutionnel avait déduit des dispositions législatives contestées que le juge administratif était tenu contrôler la réalité et l’exactitude de la motivation. Ce motif s’impose au juge administratif par l’effet de l’article 62 de la Constitution. Ainsi, la Haute juridiction administrative trouve un fondement textuel à l’obligation de motivation dans l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration, et juge « La motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Elle doit donc apparaître détaillée et précise. On était en droit de n’en pas attendre moins, s’agissant d’un acte attentatoire à la liberté individuelle garantie par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme. Cependant, dès lors qu’il s’agit d’une mesure de police administrative, ajoute le Conseil d’État, la finalité de la perquisition est de protéger a priori l’ordre public et non de rechercher ni de réprimer une infraction pénale, de sorte qu’aucune mention des indices recherchés ne doit être portée au titre de la motivation. La nature administrative de la mesure de police permet d’écarter l’application des dispositions de l’article 94 du Code de procédure pénale.
Mais, afin de concilier l’efficacité de la loi sur l’état d’urgence avec le contrôle du juge, le Conseil ajoute : « Le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ». Cette incise a pour but de justifier l’application de l’article L.211-6 du Code des relations entre le public et l’administration, selon lequel l’existence d’une urgence peut justifier l’impossibilité de motivation : « Si les dispositions de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte ». Ce qui pourrait apparaître comme un recul de l’office du juge, n’en est pas nécessairement un. En effet, le Conseil ne crée pas de présomption in abstracto de caractère urgent de l’adoption de l’arrêté de perquisition. Au contraire, il impose au juge du fond, tout en ayant à l’esprit la dérogation établie par le Code, d’exercer la plénitude de son contrôle, notamment par la mention du contrôle de l’impossibilité d’une motivation « même succincte ». La position ainsi retenue est donc équilibrée.
Enfin, on notera que le rappel de l’exigence législative de mention des lieux et moments de la perquisition est, là encore, ajustée. D’une part, la mention des lieux doit permettre « de les identifier de façon raisonnable », ce qui laisse une certaine marge d’appréciation tant à l’administration qu’au juge du fond ; d’autre part, le moment peut être adapté en fonction des « contraintes opérationnelles » et n’appelle pas de motivation spéciale.
B - Un contrôle de la légalité interne mesuré
Sur le fond même de la décision, le juge entend exercer son office en prenant en compte les difficultés de l’application concrète de la loi. Après avoir rappelé les motifs qui peuvent autoriser l’adoption d’un tel acte, et notamment l’existence de « raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », et qui constituent des motifs déjà très larges, il juge : « Il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard ».
Plusieurs points appellent notre attention. En premier lieu, la dernière phrase constitue un rappel des modalités de contrôle des actes dans le cadre du recours en excès de pouvoir. Contrairement à au recours de plein contentieux, le juge de l’excès de pouvoir doit apprécier la légalité de l’acte non à la date à laquelle il statue, mais à la date à laquelle l’administration a adopté l’acte. Cela signifie que tous les éléments postérieurs doivent, en théorie, demeurer neutres par rapport au raisonnement du juge. Il s’agit là simplement de tirer une conséquence de l’admission d’un recours en excès de pouvoir. À l’inverse, dans la cadre du recours en responsabilité qu’un requérant pourrait introduire pour obtenir réparation des conséquences préjudiciables de l’exécution de l’acte, le juge doit apprécier l’ensemble des éléments du dossier au moment où il statue. Ainsi, par exemple, un vice ayant entaché l’acte prescrivant la perquisition n’entraînera pas de condamnation de l’administration s’il s’avère à la lumière des résultats de la perquisition que la personne concernée constituait réellement une menace pour l’ordre et la sécurité publics, de sorte qu’il était tout de même fondé dans les faits. Cependant, cette conséquence processuelle du REP doit plutôt bénéficier à l’administration, en cas d’ « erreur sur la personne ». Il lui suffira de démontrer qu’il existait, au moment de l’adoption de l’acte, des indices, mêmes flous, d’un risque.
Ensuite, il faut noter que le Conseil exige que le juge administratif réalise un « entier contrôle » sur la réalité du doute de l’administration. La terminologie employée pourrait paraître imprécise. Le terme « entier contrôle » renvoi au contrôle normal opposé au contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. Or, la suite de la phrase oriente plutôt vers un contrôle maximum. Cette opposition apparente n’en est pas une. D’abord, il est fermement établi qu’en matière de police administrative, le contrôle est maximum (CE, 1933, Benjamin). Ensuite, le Conseil reprend précisément la formule du Conseil constitutionnel sur l’exigence d’un contrôle « adapté, nécessaire et proportionné ». Cette formulation du contrôle maximum sera reprise peu de temps après dans l’ordonnance CE, Ord, 26 août 2016, Ligue des droits de l'homme c/ Commune de Villeneuve-Loubet, req. n°402742. Le triptyque provient d’une adaptation de celui mobilisé par la Cour de Strasbourg dans son contrôle de la justification des mesures dérogeant à un droit ou une liberté fondamentale garantie et protégée par la Convention européenne des droits de l’Homme. Le raisonnement en trois temps est également utilisé par la Cour de Luxembourg pour apprécier, là encore, la justification à une entrave aux libertés de circulation. C’est dire si le Conseil d’État attache une importance à contrôler réellement la réalité des faits invoqués au soutien de la légalité d’un arrêté de perquisition.
II - Une vision intégrale des cas et des formes d'engagement de la responsabilité de l'État
Saisi de questions sur la responsabilité de l’État, le Conseil envisage successivement les situations qui ouvre la porte à une responsabilité pour faute (A) et celles qui appellent l’application d’un régime de responsabilité sans faute (B). De façon générale, le Conseil se montre large dans l’admissibilité de la responsabilité de l’État, soit parce qu’il abandonne l’exigence de faute lourde, soit parce qu’il ouvre assez largement la possibilité d’une indemnisation en l’absence de faute.
A - Un abandon de la faute lourde
Dans le cadre du régime de responsabilité pour faute, il appartient au requérant de prouver la faute, sauf les cas très spécifiques de preuve présumée. Pendant longtemps, l’engagement de la responsabilité pour faute nécessitait dans de nombreux domaines la preuve d’une faute lourde, c’est-à-dire, d’une particulière gravité, située bien au-delà des aléas raisonnablement envisageables. Il est toutefois apparu un mouvement général de recul de la faute lourde dans un nombre très importants de situations. C’est dans ce mouvement que s’inscrit le Conseil d’État dans l’arrêt commenté.
Traditionnellement, les activités de police administrative dans leur exécution matérielle appelle la preuve d’une faute lourde. En 1942, l’exigence de la faute lourde à été abandonnée mais uniquement pour les aspects non opérationnels (CE,13 févier 1942, Ville de Dôle), puis, en 1958, pour les activités opérationnelles non complexes (CE, 23 mai 1958, Consorts Amoundruz). La justification du maintien de la faute lourde dans le cas des activités complexes était dû au fait que la situation ne permet pas toujours une totale maîtrise de leurs actes par les agents. Dans le cas présent, le Conseil envisage deux cas d’ouverture d’une responsabilité pour faute : la faute provient de l’illégalité de l’acte ou la faute provient de l’exécution matérielle de l’acte.
S’agissant du premier cas, le Conseil commence par rappeler sa jurisprudence selon laquelle « toute illégalité constitue une faute » (CE, 26 janvier 1973, Driancourt). Il poursuit en affirmant que « Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant l'ordre de perquisition ». Il faut lire cette phrase comme une limite essentielle à la position de principe. En effet, si toute illégalité constitue une faute, toute faute, en revanche, n’ouvre pas droit à réparation. Il faut pour cela que le lien entre la faute commise et le préjudice subi présente des caractères de certitude et d’immédiateté (on dit qu’il doit être direct et certain). Ainsi, une erreur motivation n’entraînera pas nécessairement d’indemnisation. C’est exactement ce que dit le Conseil dans la suite de son paragraphe : « Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision ordonnant la perquisition est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative, au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée. ». On retrouve alors, transposée dans le domaine de la responsabilité, la logique de la solution dégagée dans l’arrêt CE, 2011, Danthony, qui limite l’annulation des actes aux seuls vices de forme et de procédure qui ont porté atteinte à une garantie ou qui ont influé sur le sens de la décision. C’est très précisément ce qu’entend le Conseil par « la décision ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative ».
La démarche du juge sur la responsabilité dans le cadre de l’exécution de la mesure est tout à fait inédite. Il se livre à la rédaction d’un manuel du bon agent de police. Il détaille, en effet, les bonnes pratiques à suivre pour éviter que la responsabilité de l’État ne soit engagée ou, plutôt, pour s’assurer que l’exécution des mesures soit proportionnée et limitée au strict nécessaire. La lecture se passe de commentaire : « En particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour. Sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l'opération ; aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition ». CQFD !
Enfin, le juge rappelle les éléments qui peuvent être pris en compte pour atténuer, totalement ou partiellement, la responsabilité de l’État et notamment, le comportement de la victime et la dangerosité possible des personnes soumises à un arrêté de perquisition. La faute de la victime est traditionnellement admise comme cause générale d’exonération ou d’atténuation de la responsabilité. Les circonstances particulières, quant à elles, jouaient préalablement plutôt sur le niveau de faute attendue pour pouvoir engager la responsabilité. Il est tout à fait possible de considérer que l’abandon de la faute lourde est réelle, mais que la faute attendue n’est pas non plus tout à fait « simple ». Tout sera ici question de faits et le juge aura pour tâche de réaliser un contrôle in concreto particulièrement détaillé. Cette perspective laisse augurer de riches débats contradictoires à l’audience.
B - Une ouverture relativement large de la responsabilité sans faute
En tout dernier lieu, le Conseil s’attache à déterminer les modalités de l’engagement de la responsabilité sans faute de l’État. Il restreint cette possibilité aux seuls tiers.
On peut relier la volonté de fonder le régime de cette responsabilité sans faute à celle qui existe en matière de travaux publics. On sait, en effet, que la responsabilité du fait des dommages causés par un ouvrage public peut être engagée sans faute à l’égard des tiers à cet ouvrage. Il y aurait donc ici une forme de responsabilité sans faute du tiers au service public de la police administrative. Le rapprochement entre ces deux logiques est permis notamment par le fondement auquel recours le Conseil. Il évoque explicitement « l’égalité devant les charges publiques », qui justifie également la responsabilité sans faute à l’égard des tiers à l’ouvrage public (CE, 4 octobre 1957, Beaufils).
Le Conseil reste cependant muet sur la question de savoir comment apprécier le caractère de spécialité et d’anormalité. Plus précisément, on devine que la limitation des personnes susceptibles d’être considérées comme tiers entend restreindre la notion de spécialité. Cette limite prend la forme suivante : « Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées et qui étaient présentes dans le lieu visé par l'ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu ». Il ajoute « Doivent notamment être regardés comme des tiers les occupants ou propriétaires d'un local distinct de celui visé par l'ordre de perquisition mais perquisitionné par erreur ainsi que le propriétaire du lieu visé par l'ordre de perquisition, dans le cas où ce propriétaire n'a pas d'autre lien avec la personne dont le comportement a justifié la perquisition que le bail concernant le lieu perquisitionné ». Cette position est assez contestable. En substance, le Conseil ferme la voie à ce fondement particulièrement protecteur de responsabilité aux personnes qui « sont liées » à la personne visée précisément par l’acte et qui « étaient présentes dans le lieu visé par l’ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu ». Il ferme également cette voie au propriétaire s’il entretient « d’autres liens » avec la personne visée principalement.
Cette position revient en réalité à réintroduire dans le champ de la responsabilité pour faute toutes les personnes qui sont liées de près ou de loin à la personne recherchée ou soupçonnée. C’est-à-dire que la famille, notamment, est dans une position défavorable du fait de l’agissement de l’un de siens. Cela signifie également que les amis de cette personne, ou, pire, les amis des membres de la famille de la personne soupçonnée sont exclus du régime plus favorable puisqu’on peut estimer qu’ils sont amenés à, parfois, être « présents dans le lieu visé » ou qu’elles ont un « rapport » avec ce lieu. Le caractère flou et large de l’exception ne présage rien de bon. En raisonnant par l’absurde (encore que…), un livreur de pizza, présent dans ledit lieu dans l’attente de son paiement au moment où la perquisition débute et qui se fait bousculer, devra prouver une faute, alors que s’il avait livré sa pizza dans l’appartement d’en face, il se serait trouvé dans une situation plus favorable.
Quant à l’anormalité du préjudice, on ignore si tout acte nécessaire à la perquisition pourra être considéré comme tel. L’indemnisation de l’État se limitera-t-elle aux seules portes fracturées ? Ou alors devra-t-elle être étendue à d’autres chefs de préjudices ? La jurisprudence judiciaire, plus habituée au maniement de ce régime de responsabilité dans le cadre des perquisitions pénales de droit commun, apprécie l’anormalité en laissant à la charge du propriétaire une somme équivalant à 10% des dommages. Pourtant, cette solution n’est pas satisfaisante. En effet, l’anormalité doit être caractérisée antérieurement à l’évaluation des dommages et intérêts. En outre, elle fait reporter sur une limitation du principe de réparation intégrale du préjudice la caractérisation de cette anormalité.
CE, ass., avis, 6/07/2016, Napol
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le numéro 398234, par un jugement n°s 1600399, 1600405 et 1600681 du 24 mars 2016, enregistré le 25 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, avant de statuer sur les demandes de MM. A...E..., D...M...et P...C..., tendant à l'annulation des décisions prises les 16 novembre, 17 novembre et 24 novembre 2015 par les préfets du Val-d'Oise et des Hauts-de-Seine sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, ordonnant de perquisitionner les lieux d'habitation qu'ils occupaient, ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité en réparation du préjudice résultant de ces perquisitions, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La loi du 3 avril 1955 ne prévoit pas de régime spécifique de motivation applicable aux mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence. Si la loi du 11 juillet 1979 prévoit l'obligation de motiver les décisions administratives individuelles défavorables, notamment les mesures de police, l'article 4 de cette loi précise qu'en cas d'urgence absolue, le défaut de motivation n'entache pas d'illégalité les décisions prises dans ce cadre. Toutefois, la décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel précise que les décisions ordonnant une perquisition doivent être motivées. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les décisions ordonnant une perquisition, prises sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, entrent-elles dans le champ des exceptions à l'obligation de motivation prévues par l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, devenu l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration '
2°) Quelle est l'intensité du contrôle qu'exerce le juge administratif sur les motifs qui ont justifié le prononcé d'un ordre de perquisition '
3°) En cas d'illégalité de l'ordre de perquisition, la responsabilité pour faute de l'Etat tenant à l'édiction de cette mesure peut-elle être engagée sur le fondement de la faute lourde ou de la faute simple '
4°) L'édiction des mesures de perquisition peut-elle être de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat pour risque ou pour rupture d'égalité devant les charges publiques '
5°) Dans quelle mesure le juge administratif contrôle-t-il les conditions matérielles dans lesquelles s'est déroulée la perquisition ' Les conditions d'exécution de la décision ordonnant une perquisition sont-elles susceptibles, par elles-mêmes, d'engager la responsabilité pour faute de l'Etat ' Les résultats de cette perquisition ont-ils une incidence sur l'engagement de cette responsabilité ' Le régime de responsabilité repose-t-il sur la faute lourde ou sur la faute simple '
6°) La responsabilité sans faute de l'Etat pour risque ou pour rupture d'égalité devant les charges publiques peut-elle être engagée devant le juge administratif en raison des conditions d'exécution de l'ordre de perquisition '
Des observations, enregistrées le 28 juin 2016, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
II. Sous le numéro 399135, par un jugement n°s 1600664, 1600678 et 1600960 du 22 avril 2016, enregistré le 26 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Melun, avant de statuer sur les demandes de MM. G...H..., I...O..., K...B..., N...J...et F...L..., tendant à l'annulation des décisions prises les 25 novembre et 3 décembre 2015 par les préfets du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, ordonnant de perquisitionner les lieux qu'ils habitaient, ainsi que, s'agissant de M.J..., à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant de la perquisition, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) L'existence reconnue par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 de l'exercice d'un recours effectif par le biais d'une action indemnitaire a posteriori est-elle exclusive d'une action en excès de pouvoir dirigée contre l'ordre de perquisition édicté par le préfet '
2°) En cas de responsabilité pour faute, dans quelle mesure le juge administratif doit-il prendre en compte les moyens tirés de l'illégalité de l'ordre de perquisition pour apprécier l'existence d'une responsabilité de l'administration ' Y a-t-il lieu de distinguer entre les vices propres de cet ordre de perquisition et son bien-fondé '
3°) Dans quelle mesure le juge administratif, s'il demeure compétent, doit-il tenir compte des résultats de la perquisition et des renseignements recueillis sur la personne visée pour déterminer le régime de responsabilité applicable et l'étendue de la responsabilité de l'administration '
Des observations, enregistrées le 28 juin 2016, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
Des observations, enregistrées le 30 juin 2016, ont été présentées par MM. H..., O...etB....
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L.113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT
Les jugements des tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Melun visés ci-dessus soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même avis.
1. En vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République " soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ". Selon l'article 2 de la même loi, l'état d'urgence est déclaré par décret en conseil des ministres ; sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.
L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l'intérieur et aux préfets le pouvoir d'ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit. Dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause peuvent être ordonnées " en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (...) Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République (...) ".
Ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l'intérieur et les préfets, lorsque le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence l'a expressément prévu, à ordonner des perquisitions qui, visant à préserver l'ordre public et à prévenir des infractions, relèvent de la police administrative, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge administratif.
Sur les questions relatives au contrôle de la légalité des ordres de perquisition :
2. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. La circonstance qu'elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge n'est pas de nature à priver d'objet le recours. L'introduction d'un tel recours ne saurait cependant constituer un préalable nécessaire à l'engagement d'une action indemnitaire recherchant la responsabilité de l'Etat à raison des conditions dans lesquelles les perquisitions ont été ordonnées et mises à exécution.
3. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui constituent des mesures de police. Comme telles, et ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, elles doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
La motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Dès lors que la perquisition est effectuée dans un cadre de police administrative, il n'est pas nécessaire que la motivation de la décision qui l'ordonne fasse état d'indices d'infraction pénale.
Le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Si les dispositions de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte.
4. Outre l'énoncé de ses motifs, la décision qui ordonne une perquisition doit, en vertu des dispositions expresses de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, porter mention du lieu et du moment de la perquisition. L'indication du lieu a pour objet de circonscrire les locaux devant être perquisitionnés de façon à permettre de les identifier de façon raisonnable. Le moment indiqué dans la décision est celui à compter duquel la perquisition peut être mise à exécution, en fonction des contraintes opérationnelles. Si la loi prévoit que doit être indiqué le moment de la perquisition, elle n'impose pas que la décision, par une motivation spéciale, fasse apparaître les raisons qui ont conduit à retenir ce moment.
5. L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics.
Il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard.
Sur les questions relatives aux conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat :
6. Toute illégalité affectant la décision qui ordonne une perquisition est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant l'ordre de perquisition. Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision ordonnant la perquisition est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative, au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée.
7. En outre, les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions.
Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, les conditions de mise en oeuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence.
En particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour. Sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l'opération ; aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition.
Toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute.
En cas de faute, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui en résultent.
8. Si la responsabilité de l'Etat pour faute est seule susceptible d'être recherchée par les personnes concernées par une perquisition, la responsabilité de l'Etat à l'égard des tiers est engagée sans faute, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés par des perquisitions ordonnées en application de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955.
Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées et qui étaient présentes dans le lieu visé par l'ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu. Doivent notamment être regardés comme des tiers les occupants ou propriétaires d'un local distinct de celui visé par l'ordre de perquisition mais perquisitionné par erreur ainsi que le propriétaire du lieu visé par l'ordre de perquisition, dans le cas où ce propriétaire n'a pas d'autre lien avec la personne dont le comportement a justifié la perquisition que le bail concernant le lieu perquisitionné.
9. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, au tribunal administratif de Melun, à MM. A...E..., D...M...et P...C..., G...H..., I...O..., K...B..., N...J..., F...L...et au ministre de l'intérieur. Il sera publié au Journal officiel de la République française.
