Introduction
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables », lançait le président français Jacques CHIRAC, à l’occasion d’un discours devant l’assemblée plénière du quatrième « Sommet de la Terre » en septembre 2002.
Depuis le début du 21ème siècle, la prise en compte de l’environnement, particulièrement en France, n’a jamais été si importante. Le droit de l’environnement est devenu progressivement une branche considérable du droit, avec des réglementations toujours plus strictes pour protéger la biodiversité, les milieux naturels ou encore lutter contre les pollutions de toute nature. La protection de l’environnement est même devenue aujourd’hui l’une des grandes politiques publiques de l’État et des collectivités territoriales.
Ces dernières années, le juge administratif a été amené à se prononcer sur de nombreuses affaires aux enjeux environnementaux. Dans plusieurs d’entre-elles, le Conseil d’État a été saisi – par des collectivités, des particuliers ou des associations spécialisées – concernant les taux d’émission de gaz à effet de serre dans notre pays et la pollution relevée dans certaines agglomérations. En septembre 2022, il a même reconnu le droit à vivre dans un environnement sain comme une liberté fondamentale. Le juge administratif peut s’appuyer ainsi sur de nombreux fondements juridiques pour consacrer le droit à un environnement sain (I). Dans cette optique, il demande à l’État d’agir plus concrètement pour assurer ce droit et n’hésite pas à reconnaitre son inaction constitutive d’une carence (II).
I - Les fondements juridiques du droit à un environnement sain
Le droit à un environnement sain s’appuie – parfois difficilement – sur des engagements internationaux (A), mais également sur des fondements solides de droit national (B).
A - Des engagements internationaux aux effets parfois limités
Les requérants invoquent, dans ces différentes affaires, plusieurs textes internationaux. Si certains textes internationaux n’ont, d’après le juge administratif, qu’un effet limité (1), les textes européens comportent un certain nombre de points qui sont transposés en droit interne (2).
1 - Des textes internationaux dépourvus d’effet direct
Les principaux textes internationaux invoqués devant le juge administratif sont la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992 et les Accords de Paris du 12 décembre 2015. Il s’agit de deux textes particulièrement importants en ce qu’ils prévoient que les différents états s’engagent dans la lutte contre le dérèglement climatique et la réduction des pollutions notamment atmosphérique.
Le premier précise notamment que : « L'objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. (...) Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l'intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l'équité et en fonction de leurs responsabilités communes, mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes ».
Les accords de Paris prévoient également de « renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en : / a) Contenant l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques; b) Renforçant les capacités d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d'une manière qui ne menace pas la production alimentaire ».
Si ces textes sont ambitieux, le juge administratif met en avant leur faible effet juridique puisqu’il rappelle, à plusieurs reprises, que leurs stipulations « sont dépourvues d'effet direct ». Les textes européens apparaissent, de ce point de vue, plus pertinents.
2 - Des textes européens pertinents
La Directive européenne n° 2008/50/CE du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, apparait particulièrement pertinente. D’une manière générale, elle prévoit d’établir des mesures visant « à définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l'air ambiant, afin d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l'environnement dans son ensemble ». Elle précise notamment que « les États membres établissent des zones et des agglomérations sur l'ensemble de leur territoire. L'évaluation de la qualité de l'air et la gestion de la qualité de l'air sont effectuées dans toutes les zones et agglomérations ». Des annexes précisent les limites légales qui devront être respectées, à l’issue du délai de transposition en droit interne, pour des polluants tels que l’anhydride sulfureux, le PM10, le plomb et le monoxyde de carbone dans l'air ambiant.
La directive invite les États membres à réagir lorsque les niveaux de pollution sont supérieurs aux limites fixées dans le texte. La Décision n° 406/2009/CE du 23/04/09 invite également les États membres à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions sur la période 2013-2020. Les directives en question ont été, d’ores et déjà, transposées en droit interne…
B - De solides fondements de droit interne
Au-delà de fondements constitutionnels solides (1), l’environnement ayant pris toute sa place dans notre bloc de constitutionnalité au début du 21ème siècle, certains engagements internationaux sont transposés par le législateur en droit interne (2).
1 - Des fondements constitutionnels importants
Le Conseil d’État n’hésite pas à reconnaitre que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». En effet, la Charte de l’environnement de 2004 – intégrée dans notre bloc de constitutionnalité (Loi constitutionnelle n° 2005-205, 1er mars 2005) – est venue prendre en compte les défis environnementaux. Au-delà, son article 6 prévoit que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».
Il semble, même si le juge administratif ne le dit pas explicitement, qu’il puisse s’appuyer aussi sur le droit à la santé garanti par différentes dispositions constitutionnelles (Préambule de 1946, alinéa 11 ; Code de la santé publique, art. L. 1110-1 notamment).
2 - La transposition d’engagements internationaux par la loi
Le législateur est venu transposer la directive européenne évoquée précédemment et montre le soin pris par notre pays pour intégrer les objectifs environnementaux dans ses politiques publiques.
L’article L. 221-1 du Code de l’environnement prévoit notamment que « l'État assure, avec le concours des collectivités territoriales dans le respect de leur libre administration et des principes de décentralisation, la surveillance de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé et sur l'environnement. Un organisme chargé de la coordination technique de la surveillance de la qualité de l'air est désigné par arrêté du ministre chargé de l'environnement. Des normes de qualité de l'air ainsi que des valeurs-guides pour l'air intérieur définies par décret en Conseil d'État sont fixées, après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l'Union européenne et, le cas échéant, par l'Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques ».
Plusieurs textes relatifs aux mobilités ont également prévu l’instauration de zones à faibles émissions dans les plus grandes agglomérations du pays ou encore de plan de réduction de pollution (C. Envir., art. L. 222-3 et s.).
II - Une défaillance à assurer le droit à un environnement sain
Le Conseil d’État est venu, de manière inédite, reconnaitre la carence de l’État à garantir l’effectivité du droit à vivre dans un environnement sain (A). Une condamnation – à travers une injonction à agir – qui n’est pas sans soulever des difficultés (B).
A - Une carence de l'État relevée par le juge administratif
Si l’inaction de l’État est clairement reconnue par le juge administratif (1), qui s’appuie sur des données scientifiques, le Conseil d’État demande à l’État d’agir sous peine d’astreinte (2).
1 - L’inaction de l’État clairement reconnue
Si le droit à vivre dans un environnement sain s’appuie sur de solides fondements juridiques, que nous avons vus à la fois nationaux et internationaux, plusieurs requérants apportent la preuve d’une inaction ou, à tout le moins, d’une action insuffisante de l’État en la matière.
Le Conseil d’État rappelle notamment, après instruction, que « dans seize zones administratives de surveillance de la qualité de l'air (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rouen Haute-Normandie, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, Rennes Bretagne, ZUR Champagne-Ardenne, Nancy Lorraine, Metz Lorraine et Toulouse Midi-Pyrénées) les valeurs limites en dioxyde d'azote (…) ont été dépassées chaque année de 2012 à 2014 ; que, pour ces mêmes années, les valeurs limites en particules fines PM10 ont été dépassées dans trois zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique) ». Pour le juge administratif, « en refusant d'élaborer, pour les zones concernées par ces dépassements, des plans relatifs à la qualité de l'air conformes à ces dispositions et permettant que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible, l'autorité investie du pouvoir réglementaire a méconnu » les dispositions des directives européennes transposées.
La carence de l’État est donc reconnue et le juge administratif va recourir à une injonction sous astreinte pour réclamer l’action des pouvoirs publics en la matière.
2 - Une obligation d’agir sous astreinte
Classiquement, lorsque le juge administratif reconnait une carence de la part de l’État ou des collectivités territoriales, il demande aux pouvoirs publics responsables d’agir.
Dans son arrêt du 12 juillet 2017, le Conseil d’État a donc enjoint au Premier ministre et au ministre de l'Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, au sein de chacune des zones concernées, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement. Le juge appelle plus précisément l’État à agir « dans le délai le plus court possible » et de transmettre ce plan à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
L’État n’ayant pas agi pleinement dans les délais, le Conseil d’État – dans l’arrêt du 10 juillet 2020 – prononce une astreinte à l’encontre de l’État s’il ne justifie pas d’une action pour exécuter dans les six mois la précédente décision. L’astreinte est ainsi fixée à 10 millions d’euros par semestre de retard. Cette condamnation n’est pas sans témoigner des difficultés soulevées par ce contentieux.
B - Les difficultés soulevées par ce contentieux
Cette reconnaissance de l’inaction de l’État n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés. Ce contentieux témoigne tout d’abord des limites qui freinent les pouvoirs publics dans leur action concrète (1), tandis que l’indemnisation et une pleine reconnaissance de responsabilité apparaissent délicates à mettre en œuvre (2).
1 - Les difficultés des pouvoirs publics à garantir le droit à un environnement sain
D’une manière générale, il apparait toujours difficile pour les pouvoirs publics d’assurer les nombreux « droits à… » qui existent et sont malgré tout reconnus – parfois de manière très imprécise – : droit aux secours, droit à l’emploi, droit à la santé publique, droit à vivre dans un environnement sain etc…
L’État fait face ici à des enjeux qui sont très divers et qu’il doit prendre en compte. Le problème de la pollution de l’air peut difficilement être contenu en quelques semaines. Les causes de cette pollution doivent d’abord être explorées : automobiles, industries etc. Les questionnements économiques et le problème de l’attractivité des territoires s’entrechoquent avec les problématiques de pollution. De la même façon, les dispositifs locaux (zones à faible émission notamment) mis en place pour lutter contre la pollution automobile entrent en vigueur progressivement. Ils posent leur lot de difficultés d’un point de vue social et nécessiteront des contrôles des forces de l’ordre pour être réellement appliqués. Il apparait donc clair que l’État ne peut travailler seul à ces problématiques et c’est en cela que la condamnation apparait sévère.
Pour autant, le juge administratif n’a pas été jusqu’à engager la responsabilité de l’État en tant que tel, ne le rendant pas « seul responsable » de la pollution de l’air.
2 - Une responsabilité difficile à engager : préjudice et lien de causalité en question
Si l’inaction ou, en tout cas, la carence de l’État à agir suffisamment est clairement reconnue, le juge administratif ne va pas jusqu’à engager directement la responsabilité de l’État pour faute.
Il enjoint certes le gouvernement à agir, mais aucun dommage et intérêt n’est versé. Les tribunaux administratifs de Paris et de Montreuil avaient pu avoir un raisonnement semblable en 2019 : ils avaient ainsi épinglé l’État sur la qualité de l’air en Ile-de-France, mais avaient écarté sa responsabilité face à des requérants qui réclamaient respectivement 120 000 €, 140 000 € et 83 000 € et imputaient leur asthme chronique à cette pollution. Le lien de causalité entre la maladie et la carence de l’État reste, comme souvent en matière de responsabilité, trop fragile à établir (TA Montreuil, 25 juin 2019, n° 1802202 ; TA Paris, 4 juillet 2019, n° 1814405 et 1810251).
Devant le Conseil d’État, dans nos différentes affaires, les requérants n’invoquaient – au contraire – pas de préjudice personnel, direct et certain. C’est pourquoi la haute-juridiction n’a pas été jusqu’à indemniser les victimes et associations requérantes, mais a reconnu la carence étatique mise en avant. La CJUE a d’ailleurs précisé récemment que les directives européennes fixant des normes en matière de qualité de l’air n’ont pas pour objet de conférer des droits individuels ouvrant droit à réparation aux particuliers (CJUE, 22 déc. 2022, aff. C 61-21).
Arrêts
CE, 12/07/2017, n° 394254
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000035179854/
CE, 10/07/2020, n° 428409
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042115623?isSuggest=true
CE, 19/11/2020, n° 427301
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042543665?isSuggest=true
CE, Sect., 20/09/2022, n° 451129
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046316542?isSuggest=true
