Introduction
Longtemps, la police administrative spéciale des étrangers fut une terre soustraite à tout contrôle efficace du juge administratif. Cette situation devait, cependant, évoluer dans un contexte de renforcement de la garantie des droits et libertés des administrés, notamment du fait de l’influence des juridictions européennes. Les affaires M. Belgacem et Mme. Babas marquent une étape décisive dans ce processus.
Dans la première affaire, M. Belgacem a fait l’objet d’une mesure d’expulsion par un arrêté du ministre de l’intérieur en date du 16/03/1988. L’intéressé a, alors, saisi le Tribunal administratif de Paris afin de faire annuler cette décision. Celui-ci a rejeté sa demande par un jugement du 27/02/1989. M. Belgacem a, donc, fait appel devant le Conseil d’Etat qui, par un arrêt d’assemblée du 19/04/1991, a fait droit à sa requête.
Dans la seconde affaire, le préfet du Loiret a, par un arrêté du 19/04/1990, ordonné la reconduite à la frontière de Mme. Babas. Cette dernière a, alors, demandé au Tribunal administratif d’Orléans d’annuler cette mesure. Le 26/04/1990, le conseiller délégué par le président dudit tribunal a rejeté sa requête. Mme. Babas a, donc, porté l’affaire devant le Conseil d’Etat : celui-ci a rejeté sa demande par un arrêt d’assemblée du 19/04/1991.
Si ces deux solutions divergent, elles sont, néanmoins, la résultante du même type de contrôle : le contrôle de proportionnalité, aussi appelé contrôle maximum. Celui-ci a déjà connu des heures glorieuses en droit administratif, mais il n’avait jamais été appliqué à la police des étrangers jusqu’à présent. C’est chose faite avec les arrêts M. Belgacem et Mme. Babas. Par ces deux décisions, la protection des droits et libertés des intéressés (au cas particulier, le droit au respect de la vie familiale) se trouve, ainsi, mieux assurée : en effet, le juge exige, désormais, que l’atteinte auxdits droits et libertés soit proportionnée aux finalités d’intérêt général visées.
Deux questions se posent alors : celle des justifications du contrôle de proportionnalité en matière de police des étrangers (I) et celle de sa mise en œuvre (II).
I – Les justifications du contrôle de proportionnalité en matière de police des étrangers
Le contrôle de proportionnalité institué dans les arrêts M. Belgacem et Mme. Babas vise deux objectifs indissolublement liés : encadrer le pouvoir discrétionnaire de l’administration (A) et assurer la protection des droits et libertés des administrés (B).
A – L'encadrement du pouvoir discrétionnaire de l'administration
Lorsqu’elle met en œuvre la police administrative spéciale des étrangers, l’administration agit dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire. La particularité de ce type de pouvoir est d’oblitérer considérablement le contrôle du juge administratif. En effet, si le juge administratif contrôle, ici, les éléments de légalité externe, ainsi qu’au titre de la légalité interne, le détournement de pouvoir, l’exactitude matérielle des faits et l’erreur de droit, il ne peut, en revanche, contrôler la qualification juridique des faits, c’est-à-dire s’assurer qu’une situation de fait présente les caractéristiques prévues par les textes pour qu’une décision déterminée soit prise (contrôle initié par : CE, 04/04/1914, Gomel).
Cette situation tient au fait que, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire, l’administration est libre, face un une situation de fait donnée, d’agir ou pas et, si elle agit, de déterminer elle-même le sens de la décision à prendre. En d’autres termes, les normes encadrant le pouvoir de l’administration sont, ici, vagues et générales de sorte que sa conduite ne lui est pas dictée à l’avance par le droit. Aussi, le juge ne peut vérifier si une situation de fait respecte les conditions prévues par les textes, puisque ces derniers ne les ont pas déterminées. Le contrôle de la qualification juridique des faits est donc, logiquement, impossible en la matière. Il en va différemment lorsque l’administration agit en compétence liée, puisqu’ici les textes encadrent précisément son action, de sorte que le juge dispose de normes juridiques à l’aune desquelles apprécier les faits.
Aussi, afin que l’administration n’abuse pas de cette grande marge de liberté, le Conseil d’Etat a créé deux techniques de contrôle dont les arrêts du 19/04/1991 constituent une nouvelle application.
La première est l’erreur manifeste d’appréciation : ce contrôle, dit minimum, permet de censurer les erreurs grossières et qui entraînent une solution choquante dans l’appréciation des faits par l’administration. Ainsi, dans l’arrêt Mme. Babas, le Conseil d’Etat s’assure que le préfet du Loiret n’a pas « entaché son arrêté d’une erreur manifeste dans son appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle » de l’intéressée.
La seconde est celle du bilan coûts / avantages (CE, ass., 28/05/1971, Ville Nouvelle Est). Cette technique, instituée dans le domaine des déclarations d’utilité publique et par laquelle le juge exerce un contrôle dit maximum, consiste à peser les avantages et les inconvénients de chaque opération. Si les premiers l’emportent sur les seconds, le projet sera considéré comme légal, dans le cas contraire il sera annulé. Le Conseil d’Etat juge, ainsi, « qu’une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financer et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ». Les inconvénients à prendre en compte ont été, par la suite, enrichis : le juge administratif suprême y a adjoint « l’atteinte à d’autres intérêts publics » (CE, ass., 20/10/1972, Société civile Sainte-Marie de l’Assomption) et « la mise en cause de la protection et de la valorisation de l’environnement » (notamment : CE, 15/04/2016, Fédération nationale des associations d’usagers des transports et autres).
C’est cette démarche qu’adopte le Conseil d’Etat dans les arrêts M. Belgacem et Mme. Babas : il pèse les inconvénients de la mesure pour le droit au respect de la vie familiale des intéressés et ses avantages pour l’ordre public. La mesure n’est jugée légale que si les premiers ne sont pas excessifs au regard des seconds. Ces deux arrêts trouvent donc dans la jurisprudence Ville Nouvelle Est une première filiation. Il en existe une seconde.
B – La protection des droits et libertés des administrés
Tel un pendant de l’encadrement du pouvoir discrétionnaire de l’administration, la protection des droits et libertés des administrés constitue une autre des justifications du contrôle initié dans les arrêts du 19/04/1991. En effet, la mesure d’expulsion visant M. Belgacem et la mesure de reconduite à la frontière touchant Mme. Babas sont de nature à porter atteinte à leur droit au respect de la vie familiale. Aussi, le Conseil d’Etat décide d’appliquer une jurisprudence classique en vertu de laquelle, lorsque les droits et libertés des administrés sont en cause, l’autorité administrative doit respecter un strict rapport de proportionnalité entre l’atteinte auxdits droits et libertés et les finalités d’intérêt général des mesures en cause.
Cette règle trouve sa source dans la jurisprudence Benjamin adoptée en matière de police administrative générale (CE, 19/05/1933). Toute mesure de police administrative portant, par nature, atteinte à l’exercice d’une liberté publique, le juge administratif était confronté à un dilemme : d’un côté, permettre à l’administration de prendre les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public sans lequel aucune organisation sociale ne peut perdurer, de l’autre, garantir le respect des libertés publiques afin que ne s’instaure pas un Etat arbitraire. Avec l’arrêt Benjamin, le Conseil d’Etat résout ce conflit en imposant à l’autorité de police de respecter un juste équilibre entre les nécessités de l’ordre public et le respect des libertés publiques : les atteintes aux secondes ne sont, ainsi, jugées légales que dès lors qu’elles sont strictement nécessaires à la préservation du premier. La conséquence de ce contrôle, dit maximum, est que, chaque fois que l’ordre public peut être assuré par des mesures moins contraignantes que celle adoptée, l’autorité administrative verra sa décision annulée.
La Haute juridiction fait application de ce principe de proportionnalité dans les arrêts M. Belgacem et Mme. Babas. Les atteintes au droit au respect de la vie familiale des deux justiciables ne sont, ainsi, jugées légales que dès lors qu’elles n’excèdent pas ce qui est nécessaire au but des deux mesures, la préservation de l’ordre public notamment. Le juge administratif français rejoint, ainsi, la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme qui avait jugé que le droit au respect de la vie familiale doit être appliqué par l’administration lorsqu’elle enjoint à un étranger de quitter le territoire national (CEDH, 21/06/1988, Berrehab ; CEDH, 18/02/1991, Moustaquim). Cette approche est, depuis, continuellement appliquée par le Conseil d’Etat. Ainsi, à propos de la décision d’expulsion d’un imam radical prise par le ministre de l’Intérieur, celui-ci estime que la présence de l’intéressé sur le territoire national constitue une menace grave pour l’ordre public, du fait de ses propos antisémites et de son discours sur l’infériorité de la femme, et qu’au regard de ces éléments, la décision d’expulsion ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale (CE, ord., 30/08/2022, M. B).
Le type de contrôle consacré en matière de police des étrangers n’est donc pas inconnu en droit administratif. Sa mise en œuvre est, elle-aussi, classique.
II – La mise en œuvre du contrôle de proportionnalité en matière de police des étrangers
Le contrôle de proportionnalité peut s’apparenter à une équation mathématique : d’un côté les avantages de la mesure, de l’autre ses inconvénients. Le Conseil d’Etat commence par préciser les termes de cette équation (A), puis il les applique aux deux affaires (B).
A – Les termes de l'équation
Conformément aux jurisprudences Ville Nouvelle Est et Benjamin, le Conseil d’Etat applique le contrôle de proportionnalité, que l’on qualifie aussi de contrôle maximum, aux mesures de police administrative prises à l’encontre des étrangers. A travers ce contrôle, le juge administratif cherche à s’assurer du respect par l’autorité administrative d’un juste équilibre entre les avantages de la mesure pour l’intérêt général et ses inconvénients pour les droits et libertés de l’étranger.
Pour déterminer les termes de cette équation, le Conseil d’Etat recourt à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article consacre certains droits et pose qu’il ne peut y être porté atteinte que dans les cas prévus par la loi et que si la mesure est nécessaire pour préserver certains impératifs d’intérêt public.
Au titre des droits et libertés des étrangers, la Haute juridiction mentionne le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect du domicile et le droit au respect de la correspondance.
Au titre des finalités pouvant justifier des restrictions à l’un de ces droits, le juge administratif suprême retient : la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui.
Le Conseil d’Etat déduit de cet article que l’autorité de police administrative peut limiter l’exercice des droits, ainsi, consacrés, mais que cette atteinte n’est légale que si elle est proportionnée aux finalités d’intérêt général visées. En d’autres termes, il ne faut pas qu’elle excède ce qui est nécessaire à la réalisation desdits objectifs. C’est cette équation que la Haute juridiction applique en l’espèce.
B – La solution de l'équation dans les affaires M. Belgacem et Mme. Babas
Le Conseil d’Etat fait application du contrôle de proportionnalité dans les affaires M. Belgacem et Mme. Babas : la balance entre les avantages et les inconvénients des deux mesures ne débouche, cependant, pas sur la même solution.
Dans le cas de M. Belgacem, la Haute juridiction considère que la mesure d’expulsion prise à l’encontre de l’intéressé « a, eu égard à la gravité de l’atteinte portée à sa vie familiale, excédé ce qui était nécessaire à la défense de l’ordre public » et décide, donc, de l’annuler. La gravité de l’atteinte à sa vie familiale se justifie, selon le juge administratif, par trois raisons : M. Belgacem, ressortissant algérien, n’a aucune attache avec l’Algérie ; il réside en France depuis sa naissance en 1958 avec toute sa famille ; et il a assumé une partie de la charge de sa famille à la suite du décès de son père en 1976. Les finalités de la mesure tiennent, elles, à la préservation de l’ordre public : M. Belgacem a, en effet, commis plusieurs vols en 1980 et 1982. Mais le juge administratif suprême relève que son comportement n’a pas, par la suite, posé de problème. Aussi, l’impératif de protection de l’ordre public apparaît bien modeste au regard des graves atteintes portées à la vie familiale de l’intéressé. Ainsi, se justifie la décision du Conseil d’Etat.
La solution est toute autre dans le cas de Mme. Babas : celle-ci conteste la mesure de reconduite à la frontière dont elle a fait l’objet. Le Conseil d’Etat constate, d’abord, une atteinte à la vie familiale de l’intéressée qui tient, d’une part, au fait qu’elle est mère d’un enfant dont le père, ressortissant marocain, est titulaire d’une carte de résident et, d’autre part, au fait qu’elle était enceinte à la date de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière.
La Haute juridiction considère, cependant, que « compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de Mme. Babas en France, et eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté du préfet du Loiret en date du 19 avril 1990 n’a pas porté au droit de l’intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été pris ledit arrêté ».
L’on peut regretter le laconisme du Conseil d’Etat dans ce second arrêt, mais cela ne signifie nullement que celui-ci n’a apprécié les faits que de manière lointaine (la Haute juridiction évoque « l’ensemble des circonstances de l’espèce »). Bien au contraire, le propre du contrôle de proportionnalité est de permettre au juge administratif d’examiner chaque mesure au plus près des données de l’affaire. C’est, là, une garantie fondamentale pour que se trouvent protégés les droits et libertés des administrés, et notamment ceux des étrangers. Telle est la raison d’être des jurisprudences M. Belgacem et Mme. Babas.
CE, ass., 19/04/1991, M. Belgacem
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 29 mai 1989 et 29 septembre 1989, présentés pour M. Hamid X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 1989 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 16 mars 1988 lui enjoignant de quitter le territoire français ;
2°) d'annuler ledit arrêté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Errera, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Hamid X...,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de M. X... :
Considérant que copie de l'arrêté enjoignant à M. X... de quitter le territoire français a été produite en appel devant le Conseil d'Etat ; que, par suite, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de production de la décision attaquée ne peut être opposée à la demande tendant à l'annulation dudit arrêté ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2° - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant que M. X..., ressortissant algérien, n'a aucune attache familiale avec le pays dont il possède la nationalité ; qu'il réside depuis sa naissance en 1958 en France où demeure sa famille composée de douze frères et soeurs dont il a, avec son frère aîné, assumé une partie de la charge à la suite du décès de son père en 1976 ; que si l'intéressé s'est rendu coupable de plusieurs vols en 1980 et 1982, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de son comportement, postérieurement aux condamnations prononcées à raison de ces faits, la mesure d'expulsion prise à l'encontre de M. X... a, eu égard à la gravité de l'atteinte portée à sa vie familiale, excédé ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public ; que, dans ces conditons, elle a été prise en violation de l'article 8 de la convention précitée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur en date du 16 mars 1988 ordonnant son expulsion ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 1989 et l'arrêté du ministre de l'intérieur du 16 mars 1988 sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au ministre de l'intérieur.
CE, ass., 19/04/1991, Mme. Babas
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 juin 1990 et 16 juillet 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Naima X..., demeurant ... ; Mme X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 avril 1990 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Loiret en date du 19 avril 1990 ordonnant sa reconduite à la frontière,
2°) d'annuler ledit arrêté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié par son premier avenant du 22 décembre 1985 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Errera, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme Naima X...,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Sur les moyens relatifs à la régularité de l'arrêté attaqué :
Considérant que Mme X... n'avait invoqué, devant le tribunal administratif d'Orléans, aucun moyen relatif à la légalité externe de l'arrêté attaqué ; qu'ainsi elle n'est pas recevable à soutenir, pour la première fois en appel, que ledit arrêté serait insuffisamment motivé et aurait été pris en méconnaissance de la procédure prévue par l'article 8 du décret susvisé du 28 novembre 1983 ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2° - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant que si Mme X... est mère d'un enfant né le 26 mars 1989 reconnu par son père, ressortissant marocain titulaire d'une carte de résident, et si elle se trouvait en état de grossesse à la date de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, il résulte des pièces du dossier que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de Mme X... en France, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté du préfet du Loiret en date du 19 avril 1990 n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été pris ledit arrêté ;
Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation :
Considérant que, lorsqu'un étranger se trouve dans un des cas où, en vertu de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifié, le préfet peut décider qu'il sera reconduit à la frontière et alors même que ni les dispositions de l'article 25 de la même ordonnance ni celles de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ne font obstacle à une décision de reconduite, il appartient au préfet d'apprécier si la mesure envisagée n'est pas de nature à comporter des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de l'intéressé ;
Considérant que Mme X... ne justifie pas que son état de santé s'opposait à la date de la décision attaquée à sa reconduite à la frontière ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Loiret ait entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans son appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de Mme X... ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué qui est suffisamment motivé, le conseiller délégué par le Président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 avril 1990 ordonnant sa reconduite à la frontière ;
DECIDE :
Article 1er : La requête susvisée de Mme Naima X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Naima X..., au Préfet du Loiret et au ministre de l'intérieur.
