Introduction
L’État est souverain. Cette affirmation, banale pour un publiciste, entraîne des conséquences très concrètes. Outre la détention du monopole de la violence légitime, l’État jouit de l’imperium qui donne la possibilité à ses organes, s’exprimant en son nom, de commander. La justice relève de l’exercice de ce pouvoir. C’est pourquoi elle est essentiellement publique. Mais il existe, en parallèle, une forme de justice que l’on dit « privée » : l’arbitrage. La soumission de l’administration à un droit exorbitant du droit commun rend difficilement admissible le recours à l’arbitrage par les personnes privées. C’est sur cette question de principe que prend position le Conseil d’État, dans son arrêt CE, Ass, 9 novembre 2016, Société Fosmax, req. n°388806.
En l’espèce, la société Gaz de France, établissement public industriel et commercial, et donc personne morale de droit public lors des faits, a passé un contrat en mai 2004 pour la construction d’un terminal méthanier sur la presqu’île de Fos Cavaou. Au cours de la vie du contrat, plusieurs avenants ont été signés pour acter les cessions successives et réciproques du contrat. La société Fosmax est venue aux droits GDF, et une société italienne est venue aux droits de son cocontractant. Par ailleurs, par avenant, une clause compromissoire a été négociée, qui confiait à un tribunal arbitral sous l’égide de la Chambre de commerce internationale. Un litige est survenu, de sorte que ledit Tribunal a été saisi et a rendu une sentence condamnant les deux sociétés à verser à l’autre une certaine somme. La société Fosmax a saisi le Conseil d’État en contestation de la validité de la sentence rendue. La Haute juridiction administrative a saisi, par un jugement avant dire droit, le Tribunal des conflits de la question de compétence pour connaître du litige. Par une décision du 11 avril 2016, ce dernier a attribué au juge administratif la connaissance du litige.
L’arrêt commenté statue donc au fond. C’est la première fois que le Conseil d’État se prononce sur les modalités du contrôle des sentences rendues en matière d’arbitrage international. Il faut noter le caractère très riche et prolixe de la décision. Le Conseil a souhaité proposer un arrêt particulièrement pédagogique, voire un « manuel ». Il a veillé à ne laisser aucun doute subsister. Il convient donc de l’examiner dans le détail. Il définit un contrôle au fond relativement en recul, concentré sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les éléments d’ordre public qui justifient sa compétence (I). Pour le reste, l’office du juge est limité (II).
I - Un contrôle au fond concentré sur l'essentiel
On retiendra de cet arrêt que le juge administratif prend pleinement en compte le caractère subsidiaire ou exceptionnel de sa compétence, par rapport à la compétence de principe du juge judiciaire. Cette solution résulte de la nécessité de préserver l’ordre public français (A). La conséquence immédiate de cette situation réside dans le fait que les moyens invocables dans le cadre d’un recours en contestation de validité d’une sentence rendue en matière de commerce international sont limités (B).
A - La préservation de la compétence du juge administratif fondée sur l'ordre public
La compétence du juge administratif ne va pas de soi. La raison première est que l’administration, en principe, ne dispose pas de la faculté de recourir à l’arbitrage. Cette question a longtemps fait l’objet d’un vide juridique. Lorsque la société Disney a entendu implanter un parc d’attraction à Marne-la-Vallée, elle a souhaité pouvoir recourir à l’arbitrage en cas de conflit durant l’exécution du contrat qui la liait au Département. Face aux doutes quant à la légalité de cette demande, le Conseil d’État avait été saisi d’une demande d’avis non contentieux. La solution rendue le 6 mars 1986 est très claire : « les personnes publiques ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquelles elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l'ordre juridique interne ». L’interdiction de l’arbitrage provient de l’indisponibilité de la compétence juridictionnelle, comme de toute compétence, du reste.
La seule possibilité de recours à l’arbitrage provient d’une exception législative, qui permet au Gouvernement d’autoriser certaines catégories d’établissements publics à y recourir. C’est exactement sur ce fondement que GDF avait pu insérer la clause compromissoire. Du reste l’article 90 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dispose : « Les acheteurs peuvent recourir à l'arbitrage tel qu'il est réglé par le livre IV du code de procédure civile pour le règlement des litiges relatifs à l'exécution des marchés de partenariat, avec application de la loi française. Pour l'Etat, le recours à l'arbitrage est autorisé par décret pris sur le rapport du ministre compétent et du ministre chargé de l'économie ».
Il faut enfin mentionner que les sociétés Fosmax et le groupement STS sont toutes deux des sociétés de droit privé. Mais la nature d’un contrat s’apprécie à la date de conclusion du contrat (TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance, n° 3506). Ainsi, un contrat conclu entre deux personnes privées peut relever de la compétence du juge administratif s’il est né administratif. C’est le cas en l’espèce puisqu’au moment de sa conclusion, GDF était une personne morale de droit public. Le Conseil d’État avait cependant posé au Tribunal des conflits la question de savoir si la clause de cession rétroactive, comme c’était le cas en l’espèce, qui démontrait la volonté des parties de considérer la société Fosmax comme cocontractant ab initio, avait pu avoir pour effet de modifier la nature du contrat. Le Tribunal répond par la négative : on ne change pas un contrat né administratif.
Le considérant de principe du Conseil est le suivant : « Considérant que le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ressortit, lorsque le contrat relève d’un régime administratif d’ordre public et que le recours implique, par suite, un contrôle de la conformité de la sentence arbitrale aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, à la compétence de la juridiction administrative ; qu’il en va ainsi y compris pour les sentences rendues, sur le fondement de l’article 90 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, en vue du règlement de litiges relatifs à l'exécution des marchés de partenariat mettant en jeu les intérêts du commerce international, dès lors que le renvoi que cet article comporte aux dispositions du livre IV du code de procédure civile ne saurait s’entendre, s’agissant de dispositions réglementaires, comme emportant dérogation aux principes régissant la répartition des compétences entre les ordres de juridiction en ce qui concerne les voies de recours contre une sentence arbitrale ; qu’au sein de la juridiction administrative, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître des recours dirigés contre une telle sentence arbitrale, en application de l’article L. 321-2 du code de justice administrative ».
Il reprend en substance la décision TC, 17 mai 2010, INSERM, n° 3754. La compétence du juge administratif est une exception fondée sur la préservation de l’ordre public. Cependant, cet ordre public ne comprend, à la lecture de cet arrêt, comme de la décision du Tribunal des conflits, que deux branches : il s’agit des « règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique ». Il est vrai que, dans ces deux matières, le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère particulier du régime juridique applicable : CC, 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports, n° 2005-513 DC, pour la protection du domaine public et CC, 6 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, n°2003-473 DC, pour la commande publique.
Un point de détail qui présente une importance majeure sur la compétence du juge administratif est apporté à la suite de ce considérant, alors que le Conseil en fait application au cas d’espèce. Il rappelle, en effet, que « le contrôle du juge administratif sur une sentence arbitrale doit porter non sur la qualification que les arbitres ont donnée de la convention liant les parties, mais sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que dans la mesure où cette solution méconnaît une règle d’ordre public ». Cela signifie que le juge étatique reste compétent pour qualifier le contrat en cause et en déduire toutes les conséquences juridiques. Si le juge étatique était lié à la qualification juridique du Tribunal arbitral, il ne serait revenu ni au Conseil d’État ni au Tribunal des conflits de décider de la compétence juridictionnelle pour connaître du recours contre la sentence. Le fait que le juge administratif est compétent provient de la qualification du contrat à l’origine du litige en contrat administratif.
B - Une limitation des moyens invocables
Bien que le contrôle soit limité, il n’en demeure pas moins que le recours reste juridictionnel. Le Conseil délimite donc des moyens qu’il doit soulever d’office, comme des moyens de procédure et des moyens de fond. Là encore, on peut que souligner (et saluer), la démarche particulièrement pédagogique du Conseil : « Considérant que lorsqu’il est saisi d’un tel recours, il appartient au Conseil d’Etat de s’assurer, le cas échéant d’office, de la licéité de la convention d’arbitrage, qu’il s’agisse d’une clause compromissoire ou d’un compromis ; que ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d’une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d’autre part, de ce qu’elle est contraire à l’ordre public ; que s’agissant de la régularité de la procédure, en l’absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence ; que s’agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu'elle fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu'elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne ».
Le premier moyen est d’ordre public. Cela signifie qu’il peut être soulevé d’office par le juge administratif, même en dehors de toute invocation par les parties. Le recours à l’arbitrage doit être prévu par les parties. Il ne peut être implicite, en particulier s’agissant des personnes publiques qui ne peuvent y recourir que de façon exceptionnelle. L’arbitrage peut être prévu soit dans une convention spécifique, soit par une clause au sein d’un contrat. Dans la mesure où il s’agit, dans les deux cas, de stipulations contractuelles, le juge doit s’assurer qu’elles sont juridiquement efficaces. C’est la raison pour laquelle il en vérifie la licéité.
Suit un groupe de moyens qui relèvent de la procédure. Le Conseil commence par reconnaître qu’il ne lui est pas possible de connaître de la validité des règles procédurales qui régissent l’arbitrage. Seul le juge judiciaire est compétent (« en l’absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative »). De ce fait, il limite les moyens invocables à ceux qui relèvent d’une forme d’ordre public procédural, dont la substance est issue de normes internes et européennes (et notamment de la Convention européenne des droits de l’Homme) et qui constituent une forme de droit commun des décisions de justice (rappelons que les sentences arbitrales sont revêtues de l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties). Ces moyens consistent dans l’impartialité, l’indépendance, la compétence, le respect du contradictoire et de la motivation de la décision. Puisque la sentence arbitrale est une décision de justice, le Conseil d’État agit comme le ferait tout juge d’appel ou de cassation sur un jugement qu’il aurait à connaître. Ces exigences sont d’ailleurs celles qui sont applicables à toutes les décisions rendues par les juridictions administratives, aux termes du « décalogue » du contentieux administratif, prévu aux article L.1 à 11 du Code de justice administrative.
Quant aux moyens relatifs au fond, le Conseil délimite cette catégorie aux exigences de la protection de l’ordre public qui fondent sa compétence. On retrouve ainsi le contrôle de la licéité du contrat (qui répond, par analogie, au contrôle de la licéité de la convention d’arbitrage elle-même). On retrouve également un contrôle lié à la validité du consentement des parties. Le Conseil aligne son contrôle sur celui qu’il a définit, pour le contentieux de droit commun des contrats administratifs, dans son arrêt CE, Ass, 2009, Commune de Béziers. Suit le contrôle du respect des « règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger ». La Haute juridiction présente une liste non limitative de quatre catégories de moyens. Le premier est relatif à l’interdiction des libéralités, en vertu du principe selon lequel les personnes publiques ne peuvent consentir des libéralités (CE, 1893, Compagnie des chemins de fer du Nord et de l’Est), ni ne peuvent être condamnées à payer des sommes qu’elles ne doivent pas (CE, Ass, 1971, Sieur Mergui). Le deuxième relève de la protection du domaine public, et l’interdiction de l’aliéner (CC, 2005, préc.). Le troisième est fondé sur la préservation des prérogatives de puissance publique, applicables même sans texte, et qui justifient le régime exorbitant des contrats administratifs. Le quatrième, enfin, renvoi aux règles d’ordre public de l’Union européenne. On doit admettre que ce moyen est toutefois un peu flou ; les juridictions de l’Union mettent une telle vigueur à assurer l’effectivité du droit européen, que l’on détermine mal ce qui ne pourrait pas être d’ordre public pour elles.
En l’espèce, la décision du Conseil d’État est justement fondée sur le constat d’une violation des règles relatives à l’exécution des contrats administratifs. Face à la carence du prestataire, la personne publique avait mis en régie le contrat, c’est-à-dire qu’elle avait fait exécuter les travaux aux frais et risques de son cocontractant. Cette prérogative importante de la personne publique contractante est une expression, dans la matière contractuelle, du privilège du préalable : l’administration n’a pas a attendre du juge qu’il prononce les sanctions contre son cocontractant défaillant. Elle peut agir d’elle-même en vue de préserver l’intérêt général que porte le contrat. Elle est l’une des sanctions que peut adopter d’office la personne publique, même sans texte (CE, 1907, Deplanque). Or, la sentence arbitrale n’avait pas reconnu le caractère administratif du contrat et avait dénié ce pouvoir à la personne publique. Le Conseil annule donc la sentence arbitrale pour ce motif.
II - Un office du juge limité
Au terme de ce contrôle, l’office du juge est également limité. Il n’agit pas en tant que juridiction supérieure d’un ordre de juridiction. Aussi, ses pouvoirs sont adaptés à la particularité du contrôle des sentences arbitrales. En d’autres termes, il ne dispose ni des mêmes pouvoirs qu’il aurait à l’issue du contrôle de la légalité des actes administratifs, ni de ceux dont il jouirait lors d’un examen d’appel ou de cassation. Cette particularité se ressent tant dans les conséquences qu’il tire d’une illégalité de la sentence (A), que dans les conditions strictes qu’il pose à l’exécution forcée (B).
A - Les conséquences à tirer d'une illégalité de la sentence
Lorsque le juge administratif conclut à l’illégalité de la sentence arbitrale, ses pouvoirs sont limités. Le Conseil les décrit précisément dans son arrêt : « Considérant qu’à l’issue de ce contrôle, le Conseil d’Etat, s’il constate l’illégalité du recours à l’arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l’interdiction pour les personnes publiques de recourir à l’arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne, prononce l’annulation de la sentence arbitrale et décide soit de renvoyer le litige au tribunal administratif compétent pour en connaître, soit d’évoquer l’affaire et de statuer lui-même sur les réclamations présentées devant le collège arbitral ; que s’il constate que le litige est arbitrable, il peut rejeter le recours dirigé contre la sentence arbitrale ou annuler, totalement ou partiellement, celle-ci ; qu’il ne peut ensuite régler lui-même l’affaire au fond que si la convention d’arbitrage l’a prévu ou s’il est invité à le faire par les deux parties ; qu’à défaut de stipulation en ce sens ou d’accord des parties sur ce point, il revient à celles-ci de déterminer si elles entendent de nouveau porter leur litige contractuel devant un tribunal arbitral, à moins qu’elles ne décident conjointement de saisir le tribunal administratif compétent ».
Deux catégories d’illégalités peuvent se présenter au juge. La première relève de l’illégalité non de la sentence directement, mais du principe même du recours à l’arbitrage. Dans ce cas, le litige doit être résolu par le juge administratif lui-même. Le Conseil d’État ne dispose alors que de la possibilité de renvoyer, d’office, sans intervention des parties, le litige devant le Tribunal administratif compétent ou de se saisir lui-même du litige. Le choix résultera tant de l’application des règles de répartition de compétence au sein de la juridiction administrative, telles que prévues par le CJA, que de la décision de faire application de l’article L.821-1 du même code. On trouve ici une conséquence de l’interprétation stricte du principe selon lequel les personnes publiques ne peuvent normalement pas recourir à l’arbitrage.
La solution est différente s’il constate que le principe de l’arbitrage n’est pas atteint. Il retrouve alors des pouvoirs qui sont plus communs à un juge d’appel ou de cassation. Il faut noter que ces pouvoirs ne nécessitent pas qu’il soit, au préalable, jugé de la validité de la sentence. Au contraire, leur mise en œuvre dépend de la conclusion que le juge tire de son examen. Soit il ne relève aucune illégalité, et, dans ce cas, le recours est rejeté, soit, à l’inverse, il juge la sentence illégale, totalement ou partiellement, et il l’annule. Dans ce cas, le juge doit se conformer à la volonté des parties. On retrouve toute la particularité du recours à la justice privée : la compétence du juge dépend de la volonté des parties. Cette possibilité est issue de la convention d’arbitrage elle-même qui peut attribuer l’appel au juge étatique. Dans ce cas, le Conseil ne peut que se soumettre à la loi définie par les parties et en assurer la pleine effectivité. Mais dans le silence des stipulations ou en cas de stipulation contraire dans la convention, il n’est compétent qu’après y avoir été invité par les parties. La demande des parties doit être convergente : en l’absence d’unanimité sur cette solution, il doit décliner sa compétence. Ces parties sont libres, dans le cas contraire, de ressaisir le Tribunal arbitral ou de saisir le Tribunal administratif compétent. On doit avouer qu’il est particulièrement déstabilisant de voir ainsi la compétence du juge décidée par les parties elles-mêmes, d’autant que la ratio qui régit l’architecture même de ce type de contentieux est fondée sur le principe de l’indisponibilité de la compétence juridictionnelle …
B - Les conditions strictes de l'octroi de l'autorisation d'exécution forcée
La sentence arbitrale dispose bien de la jurisdictio, c’est-à-dire de la capacité juridique de trancher un litige et de jouir de l’autorité de la chose jugée, mais, s’agissant d’une justice d’origine privée et non étatique, l’exécution de la sentence doit être admise par un juge étatique. C’est ce que l’on nomme procédure d’exequatur. Par elle, le juge étatique reconnaît la validité de la sentence et lui permet de pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée. Sans l’assentiment du juge étatique, il n’est pas possible de recourir à la force publique pour faire exécuter la sentence. C’est là une limite à la justice privée : seul l’État dispose du monopole de la violence légitime et donc de la contrainte.
Aussi, le juge étatique doit s’assurer que l’exequatur ne viole aucune règle d’ordre public. Son office est précisé par le Conseil d’État : « Considérant, enfin, que l’exécution forcée d’une sentence arbitrale ne saurait être autorisée si elle est contraire à l’ordre public ; que, par suite, un contrôle analogue à celui décrit au point 5 doit être exercé par le juge administratif lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à l'exequatur d’une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l’exécution d’un contrat administratif entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, mettant en jeu les intérêts du commerce international et soumis à un régime administratif d’ordre public, qu’elle ait été rendue en France ou à l’étranger ».
Pour l’essentiel, ce contrôle est totalement aligné sur celui que le juge administratif doit mener lorsqu’il est saisi d’un recours en contestation de validité contre la même sentence. La solution est logique et n’appelle pas d’autre commentaire.
L’ensemble de ces principes ont été appliqués récemment aux sentences arbitrales internes. Le Conseil d’État a, en effet, confirmé la compétence du juge administratif pour connaître du recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif (CE, 30/07/2024, Collectivité territoriale de la Martinique). Les modalités et les effets du contrôle du juge administratif sont les mêmes que ceux qui ont été définis pour les sentences arbitrales internationales dans l’arrêt Société Fosmax.
CE, ass., 9/11/2016, Société Fosmax
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000033364623/
