Introduction

Il est de ces notions fondamentales et originelles du droit administratif français qui ne peuvent recevoir de définition. Le service public en fait partie. Elle justifie, selon Duguit et Jeze, l’existence même d’un droit administratif, préside à ses évolutions, conditionne le raisonnement du juge administratif, et, pourtant, elle se trouve être un peu comme la prose de monsieur Jourdain : les personnes publiques et privées en font, sans le savoir. C’est toute la difficulté à laquelle est confronté l’arrêt CE, 23 mai 2011, Commune de Six-Fours-les-plages.

La commune de Six-Fours-les-plages avait créé en 1996, un festival de musique intitulé « les voix du Gaou », qui se tenait tous les étés sur la presqu’île du Gaou. Pendant 10 ans, la commune a pris elle-même en charge cette activité, en régie directe. En 2007, le conseil municipal a estimé être dans l’intérêt de la commune de conclure une convention avec une société privée afin que cette dernière poursuive l’organisation de ce festival. Elle lui a concédé l’organisation artistique et logistique de la manifestation, moyennant un abandon des recettes, en sus d’une subvention de 495 000 euros annuelle. Des membres de l’opposition municipale ont saisi le juge administratif afin de voir annuler cette délibération et le contrat subséquent. Ils estimaient que l’attribution du contrat aurait dû être précédée d’une mise en concurrence afin de sélectionner le meilleur des candidats, et ne pas procéder à une attribution directe. La commune soutenait qu’il s’agissait d’un simple contrat de subvention au spectacle vivant, ainsi que l’autorisent les dispositions législatives spécifiques. Le Tribunal administratif de Toulon, confirmé par la Cour administrative de Marseille, juge que l’activité en litige constitue une activité de service public. Il en déduit que le contrat par lequel la commune confie l’organisation du festival à la personne privée doit être qualifié de délégation de service public. Ce faisant, la commune a bel et bien violé les prescriptions légales relatives à la publicité et la mise en concurrence devant précéder l’attribution du contrat. Le Conseil d’État, saisi par la commune, s’est vu confié la tâche de qualifier la nature de l’activité d’organisation d’un festival, lorsque la commune n’exerce pas de contrôle sur la programmation artistique et octroi un abandon de recettes et une subvention à la personne chargée de son exécution. Il juge, à l’inverse des juridictions du fond, que l’activité n’est pas une activité de service public, mais que, s’agissant d’une prestation de services confiée à un opérateur économique, en contrepartie d’une rémunération, le contrat de subvention doit être requalifié en marché public. Il annule ainsi les jugements et arrêts des juges de première instance et d’appel mais confirme l’annulation de la délibération litigieuse.

L’arrêt Commune de Six-Fours-les-plages se situe dans la (riche) lignée des décisions relatives à des qualifications litigieuses d’activité de service public. Il démontre, encore une fois, l’incertitude qui pèse sur la qualification de service public (I). Au-delà des questions théoriques qu’elle soulève, l’incertitude rend difficile, en pratique, la détermination du régime de gestion applicable aux activités en cause (II).

I - La qualification incertaine du service public

Le service public est, par bien des égards, un objet juridique difficilement identifiable. Il se trouve que ses seules cohérence et consistance résident dans son régime juridique. Tout le problème initial relève de la qualification même de l’activité comme activité de service public. De ce point de vue, on trouvera dans l’arrêt commenté l’application des critères établis par les jurisprudences les plus récentes du Conseil d’État (A). Bien que l’édifice soit finement ciselé, son maniement est extrêmement compliqué (B).

A - L'évolution de la qualification du service public exercé par un tiers

On peut aisément souligner, dans l’arrêt commenté, la filiation avec l’arrêt Association des personnes relevant des établissements pour inadaptés (CE, 22 février 2007). Cet arrêt, dont le juge administratif fait en l’espèce application, atténue les exigences de réunion des critères de l’arrêt Narcy (1) et permet un assouplissement de la qualification de service public (2).

1 - Le critère déterminant des prérogatives de puissance publique : l’arrêt Narcy

La notion de service public a occupé une place importante dans le développement du droit administratif, et en particulier dans les années 1950, qui ont connu un véritable « renouveau » de la matière. Alors que l’exercice de l’autorité publique caractérisait quasiment à lui seul le droit administratif, plusieurs arrêts ont fait du service public le déterminant de cette branche du droit. Le service public a été mobilisé afin de qualifier un contrat d’administratif (CE, 1956, Epoux Bertin) ou un travail public (TC, 28 mars 1955, Effimief) ou encore le domaine public (CE, 1956, Société le Béton). Lorsqu’une activité d’intérêt général est prise en charge directement par une personne publique, il est assez communément admis qu’elle relève de la catégorie de service public. Mais, lorsque le service en cause se trouvait délégué, il n’existait, alors, pas de méthode arrêtée pour le définir.

L’arrêt Narcy comble cette lacune. Il conditionne la qualification de service public d’une activité déléguée à la réunion de trois critères : une activité d’intérêt général, un contrôle exercé par l’administration sur cette activité, et la dévolution de prérogatives de puissance publique. La doctrine s’est longuement questionnée sur le fait de savoir s’il s’agissait bien de critères cumulatifs ou d’un faisceau d’indices. Pour autant, le Conseil d’État a souvent rejeté la qualification de service public en l’absence de prérogatives de puissance publique. A tel point que ce critère (ou cet indice) est progressivement devenu déterminant. Les prérogatives de puissance publique sont découvertes essentiellement lorsque la personne à qui est confiée la gestion de l’activité litigieuse est en capacité d’exprimer une volonté juridiquement contraignante de façon unilatérale.

Si le juge administratif avait appliqué la jurisprudence Narcy, nul doute que la solution aurait été différente. Aucun des faits d’espèce ne laisse supposer que la société organisatrice du festival disposait de prérogatives de puissance publique. Bien au contraire, elle apparaît comme étant largement dépendante de l’appui de la commune, sans possibilité d’agir par des moyens qui relèvent de l’unilatéralité propre au droit administratif. Du reste, il est rare que les services publics culturels se trouvent en situation d’exercer des prérogatives de puissance publique, surtout lorsque, comme en l’espèce, elles assurent une activité de prestation. La solution de l’arrêt est bien plutôt fondée sur un refus d’application de l’arrêt APREI.

2 - Le refus de reconnaissance du service public

En 2007, le Conseil d’État a assoupli la méthode de reconnaissance des activités de service public. L’arrêt Association des personnels relevant des établissements pour inadaptés, atténue grandement la place du critère des prérogatives de puissance publique, qui était devenu, au fil des applications de la jurisprudence Narcy, le critère déterminant.

L’arrêt Narcy (CE, 13 juillet 1968) a bâti un faisceau d’indices destinés à qualifier un service public concédé. Ces indices consistent dans l’exigence d’une dévolution d’une activité d’intérêt général, dans l’existence d’un contrôle de la personne publique sur l’activité, et de l’attribution de prérogatives de puissance publique à la personne délégataire. Cette dernière condition n’était pas nécessairement remplie et avait eu tendance, au fil des applications successives de la jurisprudence Narcy à prendre une place prépondérante. L’arrêt APREI assouplit ces conditions (CE, Sect., 22 février 2007). Il y juge que « Considérant qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ; que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ». Le Conseil d’État rejette en l’espèce la qualification de service public au regard, notamment, de ces indices.

B - Le difficile maniement des critères

Les évolutions jurisprudentielles n’ont pas abouti à une stabilisation de la méthode de qualification du service public. Le maniement des critères est à ce point délicat qu’il a conduit à des solutions différentes de la part de la CAA (1) et du Conseil d’État (2).

1 - La qualification de service public par la CAA

La Cour administrative d’appel avait qualifié l’activité d’organisation du festival de service public. Elle s’était fondée sur un faisceau d’indices. Elle note « qu'eu égard aux conditions de sa création, à celles de son organisation et de son fonctionnement ». Ce faisant, la Cour a appliqué les critères de l’arrêt APREI. Cette conclusion est appuyée par un nombre important de faits non démentis : la commune est à l’origine de ce festival ; elle impose à la société la tenue d’un nombre défini de concerts, durant une période déterminée. La société est en outre tenue de mentionner la participation de la commune ainsi que de lui fournir des invitations et un bilan détaillé. L’ensemble de ces éléments permet de conclure, selon la Cour, à l’intention de la commune de s’engager dans la poursuite de l’activité. Elle souligne pertinemment qu’au cours de son existence, ce festival a pris une importance telle qu’il est devenu un « événement majeur de la politique culturelle et touristique de la commune et de contribuer à sa renommée ». La Cour rattache donc ce festival à la fois au service public culturel et au service public touristique.

Les obligations de la société trouvaient toutefois une contrepartie substantielle. Outre la mise à disposition des lieux et équipements, la commune octroyait à la société une « subvention » destinée à couvrir une partie de ses frais. L’arrêt ne mentionne toutefois pas la part des dépenses couvertes par la subvention. Cet élément revêt une importance certaine car il est très probablement à l’origine de la décision de la commune de ne plus assurer en régie directe le festival. Bien que l’arrêt de la Cour administrative d’appel ne le mentionne pas, il est établi dans l’arrêt du Conseil d’État que la société bénéficiait en outre du droit de percevoir le montant des billets, sans rétrocession à la commune.

Cette position de la Cour administrative d’appel ne semble pas, a priori, en contradiction avec la jurisprudence établie du Conseil d’État. Dans le domaine culturel, le Conseil avait jugé dans un arrêt CE, 5 octobre 2007, UGC-Ciné Cité, qu’un établissement assurant une mission culturelle d’intérêt général mais non doté de prérogatives de puissance publique ne pouvait « eu égard notamment à l'absence de toute obligation imposée par la ville d'Epinal et de contrôle d'objectifs qui lui auraient été fixés » recevoir la qualification de mission de service public. La Cour avait, semble-t-il cru déceler dans les obligations posées à la société, les modalités d’un contrôle de la commune. C’est autour de cette question que le débat devant le Conseil va être posé. 

2 - Le rejet de la qualification par le CE fondé sur une lecture stricte de la jurisprudence

Le Conseil d’État casse l’arrêt de la Cour administrative d’appel. Il juge que cette dernière a commis une erreur de droit dans l’application des critères issus de l’arrêt APREI. Il est intéressant de noter que l’arrêt est cassé motif pris d’une erreur de droit. Cela signifie que le Conseil estime que la Cour a inexactement appliqué la règle de droit issue de sa jurisprudence. Il motive son arrêt de cassation sur ce que la Cour a abouti à la qualification de service public, alors même qu’elle relevait une absence de contrôle de la commune et « notamment, de tout contrôle de la personne publique sur la programmation artistique et sur les tarifs des spectacles ». Cette absence ne pouvait conduire qu’à la conclusion que « la commune ne pouvait être regardée comme faisant preuve d'une implication telle que les conditions d'organisation de ce festival permettent de caractériser une mission de service public ».  Bien que le motif de cassation soit pris d’une erreur de droit, on peut voir dans la censure du Conseil d’État la sanction d’une contradiction.

On sait que l’arrêt APREI pallie l’absence de dévolution de prérogatives de puissance publique par l’exigence d’une implication renforcée. L’absence de contrôle aurait dû conduire au rejet de la qualification de service public même sous l’empire de la jurisprudence Narcy, et a fortiori, parce que la société ne s’était pas vue conférée de prérogatives de puissance publique. Le Cour a donc inexactement appliqué la règle de droit. Le contrôle doit souligner l’implication réelle de la personne publique en s’étendant aux aspects fondamentaux du cœur même du service délégué. En l’espèce, le simple contrôle budgétaire ne pouvait suffire.

II - La délicate détermination du régime juridique de gestion du service public

La qualification de service public de l’activité déléguée permet de déterminer le régime juridique applicable.  En prenant en compte l’aspect chronologique des faits, l’arrêt met à jour une problématique inédite (A). La solution retenue par le Conseil présente des conséquences importantes sur les modalités de gestion du service (B).

A - Une problématique inédite

Le fait que l’activité était considérée comme un service public lorsque gérée directement par la collectivité aurait pu laisser place pour l’application de la solution de l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence (1). Toutefois, le changement de personne responsable de l’activité l’interdit (2).

1 - Le mode d’emploi de l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence

L’arrêt Commune d’Aix-en-Provence (CE, Sect, 6 avril 2007) constitue ce que l’on appelle un arrêt pédagogique. Il recense l’ensemble des modes de gestion du service public. La solution qu’il construit à cette occasion se situe à la confluence du droit administratif général, du droit des contrats administratifs, du droit public économique et du droit de l’Union européenne, dans son versant marché intérieur. Après avoir rappelé les dispositions et la jurisprudence établies en matière de régie directe et de dévolutions contractuelles (marché public et délégation de service public), l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence, avait innové sur le point de la question de la possibilité pour une personne publique de subventionner une personne privée à l’initiative d’une activité d’intérêt général à laquelle elle accorde un « caractère de service public ». 

On peut se demander si le Conseil d’État n’a pas, implicitement, fait une application négative de cet arrêt. Le considérant pertinent est le suivant : l’« activité (d’une personne privée) peut cependant se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements ».  Dans ce cas, en effet, le contrôle est effectivement déterminant. Mais il intervient a posteriori. La séquence temporelle est importante : l’activité est en premier lieu exercée par la personne privée, puis, dans un second temps, la personne publique lui octroie une reconnaissance informelle, un « label » selon les mots de la doctrine de service public, afin, notamment de la soutenir dans son action. Dans les faits d’espèce, c’est encore le contrôle qui manque. Encore une fois, les limites du contrôle nécessaire sont sujettes à interprétation. Le contrôle sur les objectifs peut tout aussi bien justifier un subventionnement que le contrôle sur le fonctionnement. C’est d’ailleurs au regard essentiellement des objectifs que le législateur a fondé la possibilité de subventionner une activité privée (Art. 10 de la Loi du 21 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations).

2 - Le changement de nature de l’activité selon l’organisateur

Le caractère inédit de l’arrêt réside dans ce que l’on pourrait appeler une « novation » dans l’édifice intellectuel qui conduit à la qualification de service public. Cette novation réside dans la modification de la personne responsable directement de l’organisation et de la gestion de l’activité en cause.

On peut souligner la surdétermination de l’indice issu du contrôle, commun aux arrêt Narcy et APREI par rapport aux autres indices. Le fait que le festival ait été antérieurement géré en régie directe par la commune pèse pour peu dans le raisonnement du juge de cassation. L’arrêt APREI avait pris soin d’établir l’origine de l’activité comme indice pertinent. La Cour administrative avait principalement fondé son raisonnement sur cet indice. Elle relevait qu’eu égard à la volonté initiale de la commune d’assurer le festival, l’activité « a constitué, dès l'origine, une activité de service public administratif ». L’antériorité de la régie directe et sa continuité sur une période de 10 années permettait, selon la Cour, de caractériser les « conditions de sa création, à celles de son organisation et de son fonctionnement » comme indices déterminants de la volonté de créer un service public. On peut légitimement s’interroger sur la règle jurisprudentielle mobilisée par le Conseil d’État. L’arrêt APREI exigeait un contrôle essentiellement sur les objectifs à atteindre, et non explicitement sur le fonctionnement du service. Quoiqu’il en soit, le rejet de la qualification de service public entraîne des conséquences certaines sur les modalités de gestion de l’activité et les relations qu’entretiennent la commune et la personne privée responsable.

B - La conséquence de la solution sur la détermination du régime applicable

L’absence de reconnaissance du caractère de service public entraîne de lourdes conséquences sur les modalités de gestion de l’activité. D’une part, si la collectivité publique souhaite continuer à soutenir le festival, elle doit recourir à un contrat de la commande publique (1). D’autre part, on peut s’interroger sur la pérennité de l’hypothèse du subventionnement (2).

1 - La dévolution contractuelle

Dès lors que d’une part le Conseil d’État ne reconnaît pas le caractère de service public de l’activité et que, d’autre part, il souligne que la convention de subventionnement « prévoit ainsi la fourniture d'un service à la commune pour répondre à ses besoins, moyennant un prix tenant en l'abandon des recettes du festival et au versement d'une somme annuelle de 495 000 euros », le seul contrat possible est le marché public. Il est en effet défini à l’article 1er du Code des marchés publics comme des « contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». Deux critères sont déterminants pour qualifier le contrat de marché public. D’abord, le Conseil estime que l’activité vise à répondre aux besoins de la personne publique. Ce critère interdit de recourir à une délégation de service public, dans la mesure où l’objet d’un tel contrat est d’exploiter un tel service, en vertu de l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales. Ensuite, et surtout, le Conseil estime que la rémunération est une rémunération fixe constituée d’une part d’un abandon de recettes de billetterie, et d’autre part d’une subvention (c’est-à-dire, vu sous l’angle des marchés publics, d’un prix). Ce faisant, le critère de la rémunération ne correspond pas à celui d’une délégation de service public, contrat dans lequel le délégataire doit exploiter le service à ses propres frais et risque (CE, 30 juin 1999, SMITOM). Le Conseil estime que le risque n’est pas présent. Cette conclusion peut être soumise à questionnement. En effet, il existe bien un risque de fréquentation moins importante du festival. Dans ce cas, la personne privée verrait ses recette diminuer.

Toutefois, le problème peut être posé de façon inverse. Le fait que la méthode de qualification du service public délégué repose sur une approche a posteriori, permet d’interroger la possibilité d’attribuer à l’organisation du festival une telle qualification. On a vu que le contrôle manquait en fait. Dans la mesure où, quand elle était prise en charge directement par la commune, l’activité constituait un service public, sa nature propre n’est pas en cause. Si la commune décidait d’assumer à nouveau la responsabilité de l’organisation, mais de le déléguer par un contrat de délégation de service public, lequel contrat établirait un contrôle formalisé sur le délégataire, l’activité retrouverait nécessairement sa qualification de service public. La situation n’est donc pas si fermée que peut le laisser accroire la lecture de l’arrêt commenté.

2 - L’hypothèse subsidiaire de la subvention

La nature culturelle de l’activité aurait pu autoriser l’octroi de subventions. L’article 1-2 de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, toujours en vigueur, dispose que « les entreprises de spectacles vivants peuvent être subventionnées par l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements et établissements publics dans le cadre de conventions ».  Le Conseil d’État, à l’invitation des requérants mentionne bien cette possibilité, mais l’écarte en jugeant que ces règles « ne permettent pas de déroger, en tout état de cause, aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics ». Ce faisant, le Conseil reste focalisé sur la nature du contrat, issu de sa qualification de la relation existant entre la commune et la société. Il vise essentiellement à éviter le contournement des règles de la commande publique. L’origine du besoin d’organisation du spectacle le conduit à concevoir la démarche de la collectivité comme une demande, plutôt que comme un soutien à une initiative culturelle privée.

CE, 23/05/2011, Commune de Six-Fours-les-plages

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 août et 17 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE SIX FOURS LES PLAGES, représentée par son maire ; la commune demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09MA01507-09MA01508 du 17 juin 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'il a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 072660-072825 du 16 avril 2009 du tribunal administratif de Toulon annulant la délibération du 28 mars 2007 par laquelle le conseil municipal de Six-Fours-les-Plages avait, d'une part, approuvé la convention de partenariat portant sur le festival les voix du Gaou conclue entre la commune et la société Adam Concerts, et d'autre part, autorisé son maire à signer cette convention ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de Mme A et de MM. D, C, et B la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur, 
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES, 
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat de la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'entre 1996 et 2006, la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES a pris en charge l'organisation d'un festival de musique intitulé les Voix du Gaou sur la presqu'île du Gaou ; que, par délibération du 28 mars 2007, le conseil municipal a approuvé la passation d'une convention d'une durée de trois ans avec la société Adam Concerts pour lui confier la poursuite de l'organisation de ce festival, autorisé le maire à signer la convention et accordé à la société une subvention annuelle de 495 000 euros ; que par jugement du 16 avril 2009, le tribunal administratif de Toulon a annulé cette délibération au motif que la commune n'avait pu déléguer un service public sans procéder aux formalités de publicité et mise en concurrence applicables ; que par l'arrêt attaqué du 17 juin 2010, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulon, a confirmé cette annulation ; 

Considérant que, pour juger que l'organisation du festival des Voix du Gaou était constitutive d'un service public, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur la nature des prestations confiées à la société Adam concerts, consistant à organiser chaque été neuf concerts de musique de variétés, ainsi que sur la circonstance que la commune avait créé ce festival, le subventionnait et en mettait les lieux à disposition de l'exploitant ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait par ailleurs l'absence, notamment, de tout contrôle de la personne publique sur la programmation artistique et sur les tarifs des spectacles, de sorte que la commune ne pouvait être regardée comme faisant preuve d'une implication telle que les conditions d'organisation de ce festival permettent de caractériser une mission de service public, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES est fondée à demander l'annulation des articles 2, 4 et 5 de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que c'est à tort que, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation présentées, d'une part, par M. B et, d'autre part, par M. C, M. D et Mme A, le tribunal administratif de Toulon a jugé que la commune avait, par la convention litigieuse, délégué une mission de service public à la société Adam Concerts ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B et autres devant le tribunal administratif de Toulon et la cour administrative d'appel de Marseille ;

Considérant qu'en vertu des dispositions du I de l'article 1er du code des marchés publics, les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques publics ou privés pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services sont des marchés publics soumis aux dispositions de ce code ; qu'il ressort des pièces du dossier que la convention du 28 mars 2007, signée sans procédure de publicité et mise en concurrence, a été conclue à l'initiative la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES, en vue de confier à un professionnel du spectacle des prestations d'exploitation de la billetterie et de promotion du festival des Voix du Gaou ; qu'elle prévoit ainsi la fourniture d'un service à la commune pour répondre à ses besoins, moyennant un prix tenant en l'abandon des recettes du festival et au versement d'une somme annuelle de 495 000 euros ; que, dès lors, la convention litigieuse doit être regardée comme constitutive d'un marché public de services ; 

Considérant que la commune requérante ne peut utilement se prévaloir, d'une part, de ce que les sommes versées à la société étaient appelées subventions et, d'autre part, de ce que les personnes publiques peuvent accorder des subventions aux entreprises de spectacles vivants en application des dispositions de l'article 1-2 de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, lesquelles ne permettent pas de déroger, en tout état de cause, aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics ; qu'il résulte de ce qui précède que la commune ne pouvait conclure la convention litigieuse sans procéder aux mesures de publicité et de mise en concurrence applicables aux marchés publics de services ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé la délibération du 28 mars 2007 de son conseil municipal approuvant la convention litigieuse et autorisant le maire à la signer ; que, par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application de ces même dispositions, d'une part, une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par MM. C et D et Mme A, d'autre part, la même somme au titre des frais exposés par M. B ;

DECIDE :
Article 1er : Les articles 2, 4 et 5 de l'arrêt du 17 juin 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.
Article 2 : La requête d'appel de la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.
Article 3 : La COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES versera à MM. C et D et à Mme A une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES versera à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES, à M. Bernard D, à M. Philippe C, à Mme Josiane A et à M. Erik B.