Introduction
L’identification des services publics a toujours constitué une question centrale en droit administratif, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer le juge compétent. Essentielle au début du XX° siècle en raison de la place occupée par la notion de service public, cette question joue encore, de nos jours, un rôle majeur dans la jurisprudence administrative. L’arrêt Ass. Nice Volley Ball constitue une illustration particulièrement didactique des modes d’identification des services publics gérés par des personnes privées.
Dans cette affaire, le ministre des Sports a, le 31/05/2011, refusé d’agréer le centre de formation de l’association Nice Volley Ball pour la saison 2011 – 2012. L’Association a, alors, saisi le Tribunal administratif de Nice pour faire annuler cette décision, ainsi que la décision dudit ministre en date du 22/06/2011 rejetant son recours grâcieux. Le juge de première instance a, toutefois, estimé que, le centre de formation gérant une mission de service public, le refus d’agrément constituait une mesure d’organisation du service public et relevait, en raison de son caractère règlementaire, du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. L’affaire a, donc, été renvoyée au juge administratif suprême. Celui-ci a, cependant, décidé, le 08/03/2012, que les centres de formation des associations sportives ne géraient pas une mission de service public et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal administratif de Nice.
Pour parvenir à cette solution, le Conseil d’Etat a, d’abord, écarté l’existence de tout texte reconnaissant le caractère de mission de service public à l’activité des centres de formation des associations sportives. Il a, ensuite, examiné l’activité de ces centres au regard des deux jurisprudences alternatives permettant d’identifier les services publics gérés par des personnes privées. Celles-ci reposent, principalement, sur l’existence d’une mission d’intérêt général et sur le rôle que joue l’autorité administrative vis-à-vis de l’organisme privé en charge de l’activité.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la nécessité de recourir aux critères jurisprudentiels pour qualifier l’activité des centres de formation des associations sportives (I) et d’examiner, dans une seconde partie, le fait que ces centres ne satisfont à aucune des deux grilles d’analyse élaborées par le Conseil d’Etat (II).
I – Une qualification qui nécessite le recours aux critères jurisprudentiels
Les centres de formation des associations sportives ne voient pas leur activité être qualifiée par la loi de mission de service public (A). Aussi, pour déterminer la nature de leur mission, il est nécessaire de recourir aux critères établis par la jurisprudence (B).
A – L'absence de qualification législative …
Pour être reconnu comme tel, un service public doit, toujours, être, directement ou indirectement, rattaché à un personne publique. Ce sont, en effet, de telles personnes qui sont responsables de la création et de l’organisation des services publics. L’hypothèse la plus simple est celle où cette qualification est prévue par les textes. Ceux-ci peuvent, en effet, venir reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public. Cette qualification s’impose au juge administratif si elle est posée par la loi, mais non si elle découle d’un acte règlementaire.
En l’espèce, le Conseil d’Etat cite les dispositions du Code du sport qui régissent les centres de formation des associations sportives. Celles-ci ne comportent aucune qualification expresse. Leur analyse détaillée va dans le même sens. La Haute juridiction conclut, alors, « qu'il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires préalables à la loi du 28 décembre 1999 portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives dont elles sont issues, que le législateur aurait entendu reconnaître que les missions assurées par un centre de formation relevant d'une association sportive ou d'une société sportive revêtent le caractère d'un service public. » Les centres de formation des associations sportives ne peuvent, donc, être regardés comme gérant une mission de service public en vertu de la loi. Aussi, en l’absence de qualification législative, le juge administratif doit se tourner vers les critères qu’il a établis pour déterminer l’existence éventuelle d’une telle mission à la charge de ces centres.
B – … impose le recours aux méthodes jurisprudentielles d'identification du service public
L’identification des services publics gérés par des personnes privées ayant bénéficié d’une habilitation unilatérale du fait de la loi ou d’une décision administrative peut être opérée sur la base de deux jurisprudences.
La première est ancienne (CE, sect., 28/06/1963, Narcy). Selon cet arrêt, une activité gérée par un organisme de droit privé est qualifiée de mission de service public si, d’une part, elle présente un caractère d’intérêt général et est soumise au contrôle de l’administration et, d’autre part, si la personne privée est titulaire de prérogatives de puissance publique, cette détention traduisant l’importance que la personne publique accorde à l’activité en cause.
La seconde, plus récente, est venue assouplir les critères de la jurisprudence Narcy en n’exigeant plus de l’organisme privé la détention de prérogatives de puissance publique (CE, sect., 22/02/2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés dit APREI). Cet arrêt prévoit, ainsi « que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission. » A travers ce faisceau d’indices, le juge recherche l’intention de l’administration de confier à la l’organisme privé une mission de service public.
Cette seconde jurisprudence avait connu un précédent (CE, 20/07/1990, Ville de Melun). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait jugé qu’une activité gérée par une personne privée ne détenant pas de prérogatives de puissance publique pouvait être qualifiée de service public dès lors que l’activité en cause présentait un caractère d’intérêt général et que l’administration exerçait sur cette personne un contrôle très étroit privant celle-ci de toute autonomie.
Ces deux jurisprudences – Narcy et APREI – sont alternatives. Le juge administratif doit, en effet, examiner les activités litigieuses au regard de l’une et de l’autre. En l’espèce, les centres de formation des associations sportives ne peuvent être regardés comme assurant une mission de service public à l’égard d’aucune d’entre elles.
II – Une qualification qui ne satisfait à aucune des grilles d'analyse de la jurisprudence
Le Conseil d’Etat examine l’activité des centres de formation des associations sportives au regard, d’une part, de la jurisprudence Narcy (A) et, d’autre part, de la jurisprudence APREI (B).
A – Du point de vue de la jurisprudence Narcy : l'absence de détention de prérogatives de puissance publique
Les deux premiers critères de la jurisprudence Narcy ne semblent pas poser de problème en l’espèce. S’agissant de l’intérêt général, l’association Nice Volley Ball intervient dans le domaine sportif. Si, par le passé, de telles activités n’étaient pas reconnues comme d’intérêt général, il n’en va plus de même aujourd’hui. En effet, le juge administratif adopte de l’intérêt général une conception évolutive qui embrasse les évolutions de la société. C’est lui qui, compte tenu des aspirations collectives, identifie les activités dignes d’une telle reconnaissance. Ainsi, s’explique que cette notion ait évolué au cours du temps : les activités culturelles, comme le théâtre, en sont, avec les activités sportives, de bons exemples.
S’agissant du contrôle de l’administration, il s’agit, pour le juge, de relever la présence indirecte d’une personne publique dans la gestion de cette activité, matérialisant, ainsi, sous une forme atténuée, le critère organique. Les modalités de ce contrôle peuvent concerner la constitution de la personne privée par le biais d’un agrément, son organisation par la désignation de certains de ses membres ou encore son fonctionnement (intervention d’un commissaire du gouvernement, approbation de certaines mesures, droit de véto). En l’espèce, l’article L 211 - 4 du Code du sport prévoit que les centres de formation relevant d’une association sportive font l’objet d’une procédure d’agrément par l’autorité administrative, de sorte que ces centres ne peuvent exercer leur activité sans l’aval de la puissance publique.
Le critère tiré de la détention de prérogatives de puissance publique n’est, en revanche, pas rempli. Le Conseil d’Etat juge, en effet, « que ni les dispositions précitées du code du sport ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'attribuent l'exercice de prérogatives de puissance publique aux associations sportives ou aux sociétés sportives s'agissant de ces centres de formation. » Ces prérogatives peuvent être définies comme des pouvoirs exorbitants du droit commun, c’est-à-dire des pouvoirs qui dépassent par l’ampleur et l’originalité de leurs effets ce qui est courant dans les relations de droit privé : par exemple, le monopole, la possibilité pour l’organisme privé d’édicter des actes unilatéraux exécutoires par eux-mêmes, de bénéficier de véritables impositions ou cotisations obligatoires ou, encore, d’exercer d’importants pouvoirs disciplinaires à l’égard de ses membres. La détention de tels pouvoirs traduit la présence d’un service public dans la mesure où, transmis par l’administration à la personne privée, ils démontrent l’importance que la personne publique accorde à cette activité. Au cas particulier, l’intégration d’un centre de formation suppose la signature d’une convention entre l’association et le jeune sportif. A l’issue de la formation, si le jeune décide d’exercer à titre professionnel la discipline sportive pour laquelle il a été formé, il peut être dans l’obligation de conclure avec l’association gérant le centre un contrat de travail pour trois ans maximum. Il existe donc une certaine contrainte sur le sportif, mais ce n’est qu’une possibilité et cette contrainte semble plus résulter des dispositions contractuelles elles-mêmes que d’un pouvoir unilatéral dont disposeraient les associations sportives. Ce troisième critère de la jurisprudence Narcy n’est, donc, pas satisfait. L’activité des centres de formation ne peut, alors, être regardée comme une mission de service public de ce point de vue-là. Il en va de même au regard de la jurisprudence APREI.
B – Du point de vue de la jurisprudence APREI : l'absence d'intention de l'administration de créer un service public
Pour caractériser une mission de service public sur la base de la grille d’analyse posée par l’arrêt APREI, le juge administratif se base sur plusieurs indices : les conditions de la création de la personne privée, de son organisation ou de son fonctionnement, les obligations qui lui sont imposées, les mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints. Ces indices permettent d’attester que l'administration a entendu confier à l’organisme privé une mission de service public.
En l’espèce, certains élément militaient en ce sens. Ainsi, pour pouvoir exercer, les centres de formation doivent être agréés par l’autorité administrative. Par ailleurs, s’agissant des obligations qui leurs sont imposées, le Code du sport prévoit qu’ils doivent respecter un cahier des charges. Malgré ces éléments, le Conseil d’Etat opte pour une autre solution. Les conclusions du rapporteur public permettent d’expliquer ce choix. Celui-ci note, ainsi, que le choix de fonder un centre, son organisation et son fonctionnement restent à la libre appréciation du gestionnaire du centre. Par ailleurs, le contrôle administratif sur le fonctionnement des centres reste limité et le financement de ces derniers est entièrement privé. Le juge administratif suprême conclut, alors, que « les conditions de création, d’organisation, de fonctionnement et de financement des centres de formation d’une association sportive ou d’une société sportive ne permettent pas de les regarder comme étant chargés d’une mission de service public ». La décision d’agrément de ces centres n’a donc pas pour effet d’investir les associations ou sociétés qui en sont à l’origine d’une mission de service public. Aussi, cette décision ne présente pas un caractère réglementaire et ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.
CE, 8/03/2012, Ass. Nice Volley Ball
Vu l'ordonnance n° 1103114-5 du 16 septembre 2011, enregistrée le 22 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Nice a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par l'ASSOCIATION NICE VOLLEY-BALL ;
Vu la demande, enregistrée le 5 août 2011 au greffe du tribunal administratif de Nice, présentée par l'ASSOCIATION NICE VOLLEY-BALL, dont le siège est 11, boulevard Victor Hugo, Le Francia, à Nice (06000), représentée par son président ; l'association requérante demande au juge administratif :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 mai 2011 par laquelle le ministre des sports a refusé d'agréer son centre de formation pour la saison 2011-2012, ainsi que la décision de ce ministre du 22 juin 2011 rejetant son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-4 du code du sport : Les centres de formation relevant d'une association sportive ou d'une société sportive sont agréés par l'autorité administrative, sur proposition de la fédération délégataire compétente et après avis de la Commission nationale du sport de haut niveau ; qu'aux termes de l'article L. 211-5 du même code : L'accès à une formation dispensée par un centre mentionné à l'article L. 211-4 du présent code est subordonné à la conclusion d'une convention entre le bénéficiaire de la formation ou son représentant légal et l'association ou la société sportive. / La convention détermine la durée, le niveau et les modalités de la formation. / Elle prévoit qu'à l'issue de la formation, s'il entend exercer à titre professionnel la discipline sportive à laquelle il a été formé, le bénéficiaire de la formation peut être dans l'obligation de conclure, avec l'association ou la société dont relève le centre, un contrat de travail défini au 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail, dont la durée ne peut excéder trois ans. / Si l'association ou la société sportive ne lui propose pas de contrat de travail, elle est tenue d'apporter à l'intéressé une aide à l'insertion scolaire ou professionnelle, dans les conditions prévues par la convention. / Les stipulations de la convention sont déterminées pour chaque discipline sportive dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, conformément à des stipulations types ;
Considérant qu'il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires préalables à la loi du 28 décembre 1999 portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives dont elles sont issues, que le législateur aurait entendu reconnaître que les missions assurées par un centre de formation relevant d'une association sportive ou d'une société sportive revêtent le caractère d'un service public ; que ni les dispositions précitées du code du sport ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'attribuent l'exercice de prérogatives de puissance publique aux associations sportives ou aux sociétés sportives s'agissant de ces centres de formation ; que, si l'activité de formation assurée par ces centres présente un caractère d'intérêt général et si la procédure d'agrément implique l'intervention du ministre chargé des sports, les conditions de création, d'organisation, de fonctionnement et de financement des centres de formation relevant d'une association sportive ou d'une société sportive ne permettent pas de les regarder comme étant chargés d'une mission de service public ;
Considérant, dès lors, que la décision par laquelle le ministre des sports agrée, sur le fondement de l'article L. 211-4 du code du sport, un centre de formation relevant d'une association sportive ou d'une société sportive n'a pas pour effet d'investir cette association ou société d'une mission de service public ; qu'ainsi, cette décision ne présente pas un caractère réglementaire et ne relève, en conséquence, pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat au titre du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative ; qu'aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d'Etat pour connaître en premier et dernier ressort des conclusions de l'ASSOCIATION NICE VOLLEY-BALL tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision par laquelle le ministre des sports lui a refusé l'agrément de son centre de formation ; qu'il y a lieu, en application de l'article R. 351-1 du code de justice administrative, d'en renvoyer le jugement au tribunal administratif de Nice, compétent pour en connaître en vertu de l'article R. 312-10 du même code ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement de la requête de l'ASSOCIATION NICE VOLLEY-BALL est renvoyé au tribunal administratif de Nice.
