La disparition volontaire des actes administratifs unilatéraux (CE, ass., 26/10/2001, Ternon ; Code des relations du public avec l’administration)

Introduction

La disparition des actes administratifs unilatéraux est longtemps demeurée le parent pauvre du droit administratif. Les conditions de l’entrée en vigueur, les modalités procédurales d’adoption des actes, le contrôle des exigences de forme et de fond ont bien plus mobilisé l’attention du juge et de la doctrine. Cette situation peut être expliquée par le fait que l’essentiel des recours devant le juge de l’excès de pouvoir tendent à faire annuler un acte qui vient d’être adopté. À l’inverse, une fois l’acte entré en vigueur, sa disparition poserait, a priori, moins de problèmes. 

Si, quantitativement, cette situation est compréhensible, qualitativement, lorsque des problèmes juridiques liés à la disparition des actes administratifs unilatéraux émergent, ils présentent souvent une complexité importante. La disparation naturelle, en quelques sortes, de l’acte est moins crispante. Un acte peut cesser de produire des effets lorsque l’action qu’il prescrit est entièrement exécutée. Il peut également disparaître naturellement lorsque les motifs qui le fondent ont disparu. Les dispositions qu’il supporte peuvent enfin être modifiées ou abrogées par l’autorité compétente. Mais, en parallèle, il existe de nombreuses situations dans lesquelles l’administration doit pouvoir retirer un acte soit parce qu’il est inexact, soit parce qu’il est illégal ab initio, soit parce que l’administration a été trompée. 

Le problème réside dans le fait que l’acte administratif unilatéral est exécutoire dès que les modalités de publicité, publication ou notification selon qu’il s’agit d’un acte réglementaire ou individuel et, le cas échéant, concernant les collectivités territoriales, de transmission au contrôle de légalité ont été satisfaites. De la sorte, l’acte administratif unilatéral présente des effets dès son entrée en vigueur. Un retrait correspond à une annulation rétroactive de l’acte, ce qui implique que ses effets passés doivent être également annulés. Cette hypothèse est la plus problématique au regard de la sécurité juridique. Une abrogation, elle, ne vaut que pour l’avenir, mais, dans certaines situations, cette disparition peut porter atteinte également à une situation juridique établie. Dans tous les cas, il est apparu nécessaire de différencier le régime de disparition des actes selon qu’ils modifiaient ou non la situation juridique individuelle des administrés. Dans la mesure où la disparition de l’acte peut porter atteinte à une situation acquise, le critère dégagé fut fondé sur le caractère créateur de droits (CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet). 

Il est revenu en premier lieu au juge d’assurer la conciliation entre respect de la légalité et préservation de la sécurité juridique. S’il s’est saisi du problème, les solutions et leurs évolutions qu’il a apporté se sont avérées à la fois inefficaces et lacunaires (I). En 2015, profitant de la systématisation et de la mise en cohérence de la procédure administrative non contentieuse, par la création d’un Code des relations du public avec l’administration (CRPA), le législateur a assuré une mise en cohérence du droit régissant la disparition volontaire des actes administratifs unilatéraux (II). 

I - Une évolution inefficace et lacunaire du droit prétorien

La première jurisprudence qui a tenté de rendre cohérent le régime de la disparition des actes administratifs unilatéraux date de 1922. Elle est vite apparue inefficace et a dû être aménagée (A). En 2001, le Conseil d’État a tenté de réformer la règle. Cependant, là encore, l’opération n’a pas été totalement réussie. La nouvelle jurisprudence s’est montrée lacunaire (B). 

A - Une première pierre inefficace

Il aura fallu attendre l’arrêt CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet, pour le Conseil d’État se saisisse de la question de la disparition des actes administratifs unilatéraux. Dans cette espèce, était en cause, une décision du directeur de l’enregistrement du Rhône qui avait accordé à la requérante une indemnité pour pertes de loyers. Estimant l’octroi insuffisant, la requérante avait préalablement sollicité de l’administration une réévaluation du montant. Agissant sur recours hiérarchique, le ministre avait retiré la décision de son subordonné, au motif que la requérante ne remplissait pas les conditions légales pour obtenir l’indemnité sollicitée et estimant, de ce fait, que la décision était illégale ab initio. Le Conseil posa alors le principe selon lequel : « d'une manière générale, s'il appartient aux ministres, lorsqu'une décision administrative ayant créé des droits est entachée d'une illégalité de nature à en entraîner l'annulation par la voie contentieuse, de prononcer eux-mêmes d'office cette annulation, ils ne peuvent le faire que tant que les délais du recours contentieux ne sont pas expirés ; que, dans le cas où un recours contentieux a été formé, le ministre peut encore, même après l'expiration de ces délais et tant que le Conseil d'Etat n'a pas statué, annuler lui-même l'acte attaqué dans la mesure où il a fait l'objet dudit recours, et en vue d'y donner satisfaction, mais qu'il ne saurait le faire que dans les limites où l'annulation a été demandée par le requérant et sans pouvoir porter atteinte aux droits définitivement acquis par la partie de la décision qui n'a dans les délais été ni attaquée ni rapportée ». Ce très riche considérant, pour l’époque, mérite que l’on s’y attarde. 

Le cadre que suit le juge administratif dans son raisonnement prend en compte les effets d’un éventuel contentieux. Sa décision semble, à première vue, frappée du bon sens. Elle peut être résumée ainsi : tant que la décision peut être annulée par le juge, l’administration doit pouvoir annuler l’acte elle-même. Rien ne sert en effet d’interdire à l’administration de réaliser cette action alors que le juge est en mesure de le faire. Pour que cette solution soit admissible dans son principe, encore faut-il que l’acte soit susceptible d’être annulé par le juge. C’est la raison pour laquelle elle est limitée aux seuls cas dans lesquels l’acte est illégal.  A contrario, les actes qui ne sont pas illégaux doivent demeurer. 

Dans la mesure où il s’agit d’une solution de conciliation entre le respect de la légalité qui interdit qu’un acte illégal demeure en vigueur et la protection d’une sécurité juridique qui ne dit pas son nom, elle ne peut concerner que les « ayant créé des droits ». À l’inverse, une décision non créatrice de droits n’entre pas dans le champ d’application de cet arrêt et doit pouvoir être retirée à tout moment. 

Sur les modalités pratiques, qui constitueront à l’usage le défaut majeur de la solution ainsi établie, le Conseil d’État lie le délai d’annulation par l’administration au délai de recours contentieux. Il adapte le délai lorsqu’un recours a effectivement été formé : tant que le juge administratif n’a pas statué, l’administration demeure en capacité d’annuler elle-même son acte. Toutefois, cette hypothèse est doublement limitée. D’une part, il faut que ce soit le destinataire de l’acte lui-même qui sollicite l’annulation et d’autre part, l’annulation par l’administration ne saurait porter atteinte aux « droits définitivement acquis » par la partie de la décision non attaquée ni rapportée. 

La pratique a rapidement démontré les limites de la solution ainsi posée. L’alignement du délai de retrait sur le délai de recours contentieux suivait les modulations que ce dernier subissait. En effet, si le délai est en principe de deux mois, plusieurs situations l’aménagent. La première à avoir fait l’objet d’une attention particulière fut celle dans laquelle l’acte n’ayant pas été publié, le délai contentieux ne court pas. Dans ce cas, l’administration est en capacité de retirer l’acte à tout moment : CE, Ass, 6 mai 1966, Ville de Bagneux. L’équilibre entre droits acquis et sécurité juridique s’est délitée, au profit d’un autre équilibre : l’administré conservait la possibilité d’attaquer l’acte à tout moment, et, en parallèle, l’administration conservait la possibilité de le défaire à tout moment. D’un autre côté, le Conseil avait fermé la porte à la possibilité de retrait par l’administration pour les actes créateurs de droits acquis par décision implicite (CE, Sect. 14 novembre 1969, Eve, req. n°74930). 

En outre, la solution présentait une ambiguïté relative aux termes employés : elle évoquait soit l’annulation de l’acte, soit le fait que l’administration pouvait le « rapporter ». La lecture qui fut faite de cet arrêt a tendu à considérer qu’il ne concernait que l’annulation de l’acte, c’est-à-dire son annulation rétroactive. Celle lecture est logique avec la volonté d’aligner le régime de disparition avec l’annulation contentieuse, qui, elle, vaut également pour le passé. En somme, l’administration pouvait devancer le juge lorsqu’elle avait compris qu’il aboutirait à l’annulation. Enfin, la question de savoir précisément ce que recoupe l’acte créateur de droits peut être posée. Cette formulation, en forme de limitation, tend à faire considérer que le fait simple que l’acte soit décisoire, c’est-à-dire, qu’il fasse grief et donc modifie l’ordonnancement juridique n’est pas suffisant. Il faut plutôt lire cette création de droits dans un sens subjectif.  

B - Une réforme inaboutie : l'arrêt Ternon

En 2001, le Conseil est largement revenu sur la solution de l’arrêt Dame Cachet par sa jurisprudence CE, Ass, 26 octobre 2001, Ternon, req. n°197018. Il a estimé plus sage de découpler le délai de retrait du délai de recours contentieux. La solution retenue a consisté à laisser une marge de 4 mois à l’administration pour retirer de sa propre initiative une décision illégale créatrice de droits : « Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ». Dans cette optique, sont plus ou moins préservées les limites à l’applicabilité de la règle. D’abord, ne sont concernées que les décisions individuelles, et encore, uniquement celles qui sont créatrices de droits. Sont donc exclues les actes réglementaires et les actes mixtes, ainsi que les décisions implicites. Est également préservée l’hypothèse d’une demande du bénéficiaire. Mais, ici, le Conseil n’a pas enserré le retrait dans un délai particulier. La question s’est donc posée de savoir si la jurisprudence Dame Cachet devait continuer à s’appliquer, dans ses éléments qui n’ont pas été modifiés par l’arrêt Ternon ou si l’administration jouissait d’un délai non fini. Enfin, l’innovation de l’arrêt Ternon aurait été de bien peu d’intérêt si le Conseil n’avait pas pris soin de faire débuter le délai à la prise de la décision et non à une quelconque mesure de publicité ou de notification. 

Le Conseil d’État a précisé sa jurisprudence par un arrêt postérieur CE, Sect, 6 mars 2009, Coulibaliy, req. n°306084. Tout en la confirmant, il a aligné le régime de l’abrogation sur celui du retrait : « l'administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l'intervention de cette décision et si elle est illégale ». Là encore, les hypothèses de subsidiarité (l’existence de dispositions législatives ou réglementaires contraires) et de réponse à une demande du bénéficiaire, sont maintenues. De la même façon, la jurisprudence ne continue de valoir que pour les décisions expresses individuelles créatrices de droit. 

La réforme était bienvenue, mais elle était particulièrement lacunaire, même après la précision apportée par l’arrêt Coulibaly. De trop nombreuses exceptions demeuraient, et il devenait compliqué d’avoir une lecture claire du régime de disparition des actes administratifs. Surtout, plus les distinctions devenaient byzantines, plus la justification de régimes différenciés s’amenuisait. Pourquoi le régime de disparition d’un acte mixte, par exemple, susceptible de créer des droits devait être différent d’un acte individuel de même nature ? Pourquoi une décision implicite ne suivait pas le même régime que les décisions explicites, alors même que leurs effets sur les administrés pouvaient être identiques (CE 16 janv. 2007, Kaeffer Wanner, no 284605) ? C’est à cette réponse que le législateur a entendu répondre. 

II - Une mise en cohérence par le législateur

La disparité des textes, les revirements et les lacunes de la jurisprudence ont rendu bienvenue l’intervention du législateur (A). Même si ce dernier a véritablement fait œuvre de simplification et de systématisation, le CRPA ne règle pas toutes les hypothèses (B).

A - Une réforme législative bienvenue

Accompagnant le souhait de dépoussiérer et de regrouper l’ensemble des règles relatives à la procédure administrative non contentieuse au sein d’un code unique, le législateur a souhaité se pencher sur une rationalisation de la sortie de vigueur des actes administratifs unilatéraux. L’ordonnance 2015-1341 du 23 octobre 2015 crée la partie législative du Code des relations du public avec l’administration, et le Décret 2015-1342 du même jour, sa partie réglementaire. Cette initiative rend plus lisible le régime applicable. Pour l’essentiel, la réforme reprend la logique de l’arrêt Ternon, complété par l’arrêt Coulibaly, en y apportant toutefois des aménagements substantiels. 

Sur le plan de l’applicabilité, tout d’abord, le Code définit précisément le retrait et l’abrogation. L’article L.240-1 dispose « Au sens du présent titre, on entend par : 1o Abrogation d'un acte : sa disparition juridique pour l'avenir ; 2o Retrait d'un acte : sa disparition juridique pour l'avenir comme pour le passé ». Au titre des définitions, il faut également mentionner que l’article L.200-1 applicable à tout le livre relatif aux actes administratifs unilatéraux dispose : « Pour l'application du présent livre, on entend par actes les actes administratifs unilatéraux décisoires et non décisoires.    Les actes administratifs unilatéraux décisoires comprennent les actes réglementaires, les actes individuels et les autres actes décisoires non réglementaires. Ils peuvent être également désignés sous le terme de décisions, ou selon le cas, sous les expressions de décisions réglementaires, de décisions individuelles et de décisions ni réglementaires ni individuelles ». En outre, l’article L. 240-2 étend l’applicabilité des règles de sortie de vigueur aux actes unilatéraux des personnes publiques mais aussi des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public industriel et commercial, pour les actes pris dans l’exercice de cette mission. Enfin, le législateur réserve l’hypothèse d’un acte obtenu par fraude, qui peut être retiré à tout moment, par inspiration de l’adage Fraus omnia corrumpit. Cette dernière avait déjà été évoquée par la jurisprudence Coulibaly, préc.

Pour le reste, le code distingue entre les « décisions » créatrices de droit, d’un côté, et les actes réglementaires et non réglementaire non créateurs de droit, d’un autre côté. La précision est importante car, selon les définitions de l’article L. 200-1 précité, le terme de « décision » est applicable à tous les actes administratifs, contrairement à la coutume doctrinale qui consistait à ne réserver ce terme qu’aux décisions individuelles. De ce fait, contrairement, à la jurisprudence Ternon, les nouvelles dispositions trouvent à s’appliquer aux décisions mixtes dès lors qu’elles sont créatrices de droit, permettant ainsi de supprimer une incohérence de la jurisprudence antérieure. En revanche, en ne distinguant pas selon que la décision est explicite ou implicite, il convient de considérer que l’ensemble des actes sont concernés par les règles nouvelles. Cette conclusion est renforcée par le fait que l’article 23 de la loi 2000-321 du 21 avril 2000 qui régissait les conditions de retrait des décisions implicites, qui disposait : « Une décision implicite d'acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l'autorité administrative :1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d'information des tiers ont été mises en œuvre ;2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsqu'aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en œuvre ;3° Pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été formé », a été abrogée par l’ordonnance portant partie législative du CRPA.

Sur le fond, s’agissant en premier lieu des décisions créatrices de droits, celles dont l’anéantissement est le plus susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique, le Code envisage trois situations : l’abrogation et le retrait spontanés par l’administration ou sur la demande d’un tiers (art. L242-1 et 2), la suppression de l’acte sur demande du bénéficiaire (art. L.242-3 et 4), et celle intervenant dans le cadre d’un recours administratif préalable obligatoire (art. L. 242-5). Dans le premier cas, le délai est connu : 4 mois, avec la condition cumulative que l’acte soit illégal. La condition de délai n’a pas à être respectée lorsque soit, une condition fondant l’acte n’est plus remplie (cette solution ne vaut que pour l’abrogation), soit l’administration entend retirer une « décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n'ont pas été respectées ». Dans le second cas, les règles divergent selon que la décision est légale ou non et selon le délai. Si elle est illégale, l’administration n’a pas d’autre choix que d’abroger ou retirer la décision, mais uniquement dans le délai de 4 mois. En revanche, l’administration peut (et non doit) retirer ou abroger une décision, même légale, sans condition de délai, à la double condition d’une part de ne pas porter atteinte aux droits des tiers que la décision aurait pu faire naître, et, d’autre part, de la remplacer par une décision plus favorable à son bénéficiaire (voir sur les difficultés d’apprécier le caractère d’une décision « plus favorable » : CE, 9 juin 2017, M. Mribah, req. n°406062). La troisième situation entend préserver la ratio des recours préalables administratifs obligatoires (RAPO) qui visent à constituer des modes alternatifs de règlement des litiges, en étendant le délai de retrait ou d’abrogation à la limite du temps imparti pour ce RAPO. 

S’agissant, désormais des actes réglementaires et des actes non réglementaires non créateurs de droits, le régime est différencié selon que la mesure envisagée consiste en une abrogation ou un retrait. 

Dans le premier cas, la loi offre la possibilité d’abroger les actes réglementaires et non réglementaires non créateurs de droit, « pour tout motif et sans condition de délais » (art. L-243-1). La seule exigence réside dans le fait d’adopter des mesures transitoires, le cas échéant, pour éviter une atteinte excessive à la sécurité juridique. Cette solution est logique, sinon cela interdirait de modifier tout acte réglementaire !  Pour le reste, l’article L.243-2 dispose « L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. L'administration est tenue d'abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ». Cette règle intègre dans le droit écrit les principes généraux du droit imposant l’abrogation des actes réglementaires illégaux (CE, ass., 3 févr. 1989, Cie Alitalia) ou devenus illégaux à la suite de changements de circonstance de fait ou de droit (CE 10 janv. 1930, Despujol). Pour les actes non réglementaires non créateurs de droit : CE, sect., 30 nov. 1990, Assoc. Les Verts

Dans le second cas, la loi aligne le régime de retrait de tous les actes administratifs unilatéraux. Ainsi, alors que le Conseil d’État avait jugé (CE, 19 mars 2010, Syndicat des compagnies aériennes autonomes SCARA, req. n°305047) que les actes réglementaires ne pouvait être retirés que s’ils étaient illégaux et dans le délai de recours contentieux, éventuellement augmenté, l’article L243-3 du Code des relations du public avec l’administration dispose que « L'administration ne peut retirer un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ». Le législateur semble avoir considéré que, finalement, tout acte réglementaire avait des conséquences sur la situation des administrés et qu’un retrait avec anéantissement rétroactif portait tout autant atteinte, du moins potentiellement, à leurs droits. Ce faisant, on saisit pourtant mal s’il s’agit d’une atténuation de la distinction entre actes créateurs de droit et actes non créateurs de droits ou s’il s’agit plutôt d’une lecture moins subjective de ce que constitue un acte créateur de droits. La seule exception admise est posée par l’article L. 243-4 : « Par dérogation à l'article L. 243-3, une mesure à caractère de sanction infligée par l'administration peut toujours être retirée ». 

B - La persistance d'hypothèses non prévues par les textes

Malgré toute la cohérence dont a voulu faire preuve le législateur, il demeure des domaines en dehors des hypothèses prévues par le Code. C’est le cas, notamment, des situations dans lesquelles des dispositions législatives et réglementaires spéciales trouvent un terrain d’épanouissement, par application de l’article L.241-2 CRPA, reprenant le principe lex specialis generalibus derogant. Ces situations sont trop nombreuses, malheureusement, pour pouvoir être abordée ici. 

Le cas du droit de l’Union européenne est intéressant, notamment le cas de l’obligation de récupérer une aide d’État versée illégalement. La jurisprudence avait déjà réservé cette hypothèse (CE 28 oct. 2009, Viniflhor, no 302030). La Cour de justice, rendant un arrêt dans le cadre d’une saga judiciaire, a, en toute hypothèse, imposé au juge national d’ordonner la récupération d’une aide d’État illégale (CJCE, 11 mars 2010, Centre d’exportation du livre français). Elle fonde sa solution sur l’exigence d’effectivité et d’effet utile du droit de l’Union qui interdit l’octroi d’aide, sous certaines conditions. Le Conseil d’État a tiré les conclusions de l’évolution du droit européen dans son arrêt CE 28 mai 2014, Association Vent de colère ! Fédération nationale, req. n° 324852.

CE, ass., 26/10/2001, Ternon

Vu la requête, enregistrée le 8 juin 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Eric X..., ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 mars 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté ses requêtes tendant à l'annulation des jugements du 11 mai 1995 et du 8 novembre 1995 par lesquels le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes dirigées contre l'arrêté du 31 décembre 1987 du président du conseil régional de la région Languedoc-Roussillon en tant que, par cet arrêté, le président du conseil régional a prononcé sa réintégration en qualité d'agent contractuel, la décision du 25 mars 1988 par laquelle la même autorité a refusé de le titulariser en qualité d'ingénieur ou d'administrateur territorial, et l'arrêté du 7 janvier 1991 par lequel le président du conseil régional a mis fin à ses fonctions ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Derepas, Maître des requêtes ;
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. X... et de la SCP Peignot, Garreau, avocat du conseil régional du Languedoc-Roussillon,
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par délibération du 16 décembre 1983, le conseil régional du Languedoc-Roussillon a adopté un statut général du personnel de l'établissement public régional ; que, par arrêtés en date du 30 décembre 1983, le président de ce conseil a titularisé à compter du 1er janvier 1984 de nombreux agents contractuels dans des emplois prévus par ce statut, et en particulier M. Eric X..., nommé au grade d'attaché régional de première classe, 1er échelon ; que la délibération réglementaire du 16 décembre 1983 ayant été annulée le 14 novembre 1984 par le tribunal administratif de Montpellier, le président du conseil régional a pris le 14 janvier 1986 des arrêtés titularisant à nouveau les intéressés dans les conditions prévues par des délibérations réglementaires en date du 14 février et du 7 novembre 1985 ; qu'à la demande du préfet de région, le tribunal administratif de Montpellier a annulé ces arrêtés, par jugement en date du 25 mars 1986 devenu définitif ; que le président du conseil régional a ensuite, en premier lieu, par arrêté du 31 décembre 1987, nommé M. X... à compter du 1er janvier 1988 en qualité d'agent contractuel de la région, puis a, en deuxième lieu, par lettre du 25 mars 1988, refusé de l'intégrer en qualité de fonctionnaire territorial et a, en troisième lieu, par arrêté du 7 janvier 1991, licencié M. X... pour faute disciplinaire ; que M. X... se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 26 mars 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a refusé d'annuler ces trois décisions ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que la cour, après avoir relevé que M. X... soutenait que ces trois décisions méconnaissaient les droits acquis qu'il estimait tenir de l'arrêté de titularisation du 30 décembre 1983, a jugé qu'il n'était pas fondé à se prévaloir de tels droits dès lors que, par lettre du 16 février 1984 adressée au président du conseil régional dans le délai du recours contentieux, il avait exprimé son refus d'être titularisé et sa volonté de rester contractuel ; qu'il ressort toutefois du dossier soumis aux juges du fond qu'à supposer que cette lettre du 16 février 1984 ait constitué un recours administratif contre l'arrêté du 30 décembre 1983, ce recours n'a pas été accueilli avant que l'intéressé n'y ait renoncé, en entreprenant dès mars 1985 de faire valoir les droits qu'il estimait tenir du caractère définitif de cet arrêté ; que par suite la cour a dénaturé les pièces du dossier en estimant que les deux premières décisions répondaient aux voeux de M. X... et que, pour les mêmes motifs, la troisième n'avait pas à respecter les garanties prévues en faveur des fonctionnaires titulaires ; que dès lors M. X... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler les affaires au fond ;

Considérant que les deux requêtes d'appel de M. X..., qui sont relatives à sa situation, doivent être jointes pour y être statué par une seule décision ;

En ce qui concerne l'arrêté du 31 décembre 1987 :

Considérant que par décision du 2 mars 1994, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté les conclusions de M. X... dirigées contre cet arrêté ; que l'autorité de chose jugée qui s'attache à cette décision s'oppose à ce que M. X... conteste à nouveau le même arrêté par des moyens relevant de la même cause juridique ; que M. X... n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a refusé d'annuler cet arrêté ;

En ce qui concerne la décision du 25 mars 1988 :

Considérant que si l'arrêté du 31 décembre 1987, devenu définitif, n'a eu ni pour objet ni pour effet de retirer l'arrêté en date du 30 décembre 1983 par lequel M. X... a acquis un droit à être titularisé dans la fonction publique territoriale, telle a été la portée de la décision du 25 mars 1988 par laquelle la région a refusé de régulariser la situation de M. X... ; que l'arrêté en date du 25 octobre 1995 par lequel le président du conseil régional a retiré l'arrêté du 30 décembre 1983 n'a fait que confirmer cette décision de retrait ;

Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ;

Considérant que si M. X... a demandé le 26 février 1984 à l'administration de retirer l'arrêté susmentionné du 31 décembre 1983, il a ensuite, ainsi qu'il a déjà été dit, expressément abandonné cette demande ; que, par suite, le président du conseil régional ne pouvait pas légalement prononcer ce retrait, comme il l'a fait par sa décision du 25 mars 1988, réitérée le 25 octobre 1995 ; que M. X... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'annuler cette décision ;

En ce qui concerne le licenciement du 7 janvier 1991 :

Considérant que l'arrêté du 31 décembre 1983 a conféré la qualité de fonctionnaire territorial à M. X..., lequel devait par suite bénéficier des garanties statutaires prévues par la loi susvisée du 26 janvier 1984 ; que M. X... est dès lors fondé à soutenir que son licenciement disciplinaire a été prononcé irrégulièrement, faute d'avoir été précédé de l'avis préalable de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline exigé par l'article 89 de cette loi, et que c'est à tort que le tribunal a refusé d'annuler la décision du 7 janvier 1991 ;

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la région de régulariser la situation de fonctionnaire territorial de M. X... :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, "lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ( ...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code, "saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet" ; 

Considérant que l'annulation de la décision du 25 mars 1988 susmentionnée implique nécessairement que la région Languedoc-Roussillon reconstitue la carrière de l'intéressé et procède à sa réintégration ; que si la région fait valoir qu'elle a explicitement retiré l'arrêté du 30 décembre 1983 par l'arrêté du 25 octobre 1995 susmentionné, cette décision, purement confirmative de celle du 25 mars 1988, est sans effet sur la situation juridique de M. X... et ne fait donc pas obstacle à ce qu'il soit maintenant procédé à sa réintégration ; qu'il y a lieu d'enjoindre à la région, d'une part, de procéder à la réintégration juridique de M. X... en qualité de fonctionnaire territorial, après avoir reconstitué sa carrière par comparaison avec la progression moyenne des autres agents qu'elle a titularisés dans le grade d'attaché régional par des arrêtés du 31 décembre 1983, d'autre part, de l'affecter dans un emploi correspondant au grade résultant de cette reconstitution, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984 ; que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, il y a lieu de prononcer contre la région, à défaut pour elle de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 1 000 F par jour jusqu'à la date à laquelle elle aura reçu exécution ;

Sur les conclusions de M. X... tendant à ce que le Conseil d'Etat ordonne la suppression des passages des mémoires de la région qui mettraient en cause sa dignité :

Considérant que M. X... invoque à l'appui de ses conclusions les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, qui permettent aux tribunaux, dans les causes dont ils sont saisis, de prononcer la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ; que les mémoires de la région Languedoc-Roussillon ne comportent pas de passages présentant ces caractères ; que les conclusions de M. X... doivent par suite être rejetées sur ce point ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de cet article, de condamner la région Languedoc-Roussillon à verser à M. X... la somme de 5 880 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et de rejeter les conclusions présentées par la région sur ce point ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 26 mars 1998 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 11 mai 1995, en tant qu'il a refusé d'annuler la décision du président du conseil régional de Languedoc-Roussillon en date du 25 mars 1988, ensemble cette décision sont annulés.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 8 novembre 1995, ensemble la décision du président du conseil régional de Languedoc-Roussillon en date du 7 janvier 1991 sont annulés.
Article 4 : La région Languedoc-Roussillon est condamnée à verser à M. X... la somme de 5 880 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 5 : Une astreinte de mille francs par jour est prononcée à l'encontre de la région Languedoc-Roussillon si elle ne justifie pas avoir, d'une part, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, procédé à la réintégration juridique de M. X... en qualité de fonctionnaire territorial, après avoir reconstitué sa carrière par comparaison avec la progression moyenne des autres agents qu'elle a titularisés dans le grade d'attaché régional le 31 décembre 1983, d'autre part, l'avoir affecté dans un emploi correspondant au grade résultant de cette reconstitution, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984.
Article 6 : Le surplus des conclusions de M. X... est rejeté.
Article 7 : Les conclusions de la région relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à M. Eric X..., à la région Languedoc-Roussillon, au ministre de l'intérieur et au ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.