Les Nations Unies et la refonte des relations internationales après 1945 (dissertation)

Introduction

« Les Nations Unies ne furent pas créées pour amener l’humanité au paradis, mais pour la sauver de l’enfer », déclarait Dag Hammarskjöld, Secrétaire général de l’ONU de 1953 à 1961. Cette formule souligne l’ambition fondatrice de l’Organisation : prévenir les conflits et rebâtir un ordre mondial fondé sur la paix, la coopération et le droit.

Les Nations Unies, ou Organisation des Nations Unies (ONU), sont une organisation internationale universelle créée en 1945 à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Son but principal, inscrit dans son texte fondateur, la Charte des Nations Unies, est le maintien de la paix et de la sécurité internationales (article 1 § 1). L’ONU vise également à promouvoir le respect des droits de l’homme, le développement économique et social, la coopération entre les peuples et le respect du droit international. L’ONU succède à la Société des Nations (SDN), organisation née en 1919 et dont l’échec à prévenir le second conflit mondial a justifié la mise en place d’une structure plus ambitieuse et mieux dotée juridiquement et institutionnellement. Dans le cadre du présent sujet, parler de refonte des relations internationales implique que l’on considère les Nations Unies non comme un simple outil de coordination entre États, mais comme un facteur de transformation structurelle et durable du système international : nouvelle légitimité accordée au multilatéralisme, émergence du droit international comme régulateur des rapports interétatiques, reconnaissance du rôle de nouveaux acteurs comme les peuples colonisés ou la société civile. Le sujet questionne ainsi la capacité de l’ONU à transformer les logiques de puissance et à instaurer un ordre mondial plus pacifique, plus égalitaire et plus coopératif.

D’un point de vue historique, la Seconde Guerre mondiale constitue un choc majeur pour le système international : plus de 60 millions de morts, des atrocités de masse (notamment la Shoah), la première utilisation de l’arme nucléaire, et un effondrement des normes de droit international. Face à ce traumatisme, les puissances alliées souhaitent éviter à tout prix une nouvelle dérive du système international vers le conflit généralisé. Dès 1941, la Charte de l’Atlantique entre Churchill et Roosevelt jette les bases d’une coopération internationale fondée sur la sécurité collective, le respect du droit et l’autodétermination des peuples. En 1945, lors de la conférence de San Francisco, 51 États fondent officiellement l’Organisation des Nations Unies. Sa Charte établit des principes forts : interdiction du recours à la force, égalité souveraine des États, règlement pacifique des différends. Un système institutionnel est mis en place autour de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité, du Secrétariat général et de diverses agences spécialisées. Dès sa création, l’ONU se veut un outil de paix, de reconstruction et de régulation mondiale. Elle reflète à la fois les espoirs d’un ordre nouveau et les rapports de force issus de la guerre, notamment par le droit de veto accordé aux cinq grandes puissances au Conseil de sécurité. C’est dans cette tension que s’inscrit l’action onusienne après 1945.

Dans le cadre du présent sujet nous nous interrogerons afin de déterminer dans quelle mesure les Nations Unies ont-elles permis une refonte effective des relations internationales après 1945, et dans quelle mesure leurs limites reflètent-elles aussi les continuités d’un ordre toujours marqué par les rapports de force.

Nous verrons d’abord comment les Nations Unies ont contribué à une transformation en profondeur des relations internationales après 1945 (I), avant d’analyser les limites structurelles et politiques de cette refonte onusienne (II).

I - Une refonte des relations internationales impulsée par les Nations Unies après 1945

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la création de l’Organisation des Nations Unies marque une tentative ambitieuse de rupture avec les logiques traditionnelles de confrontation et de souveraineté absolue qui avaient dominé l’ordre international. L’ONU se donne pour mission d’instaurer un nouvel équilibre mondial fondé sur la sécurité collective, le respect du droit international et la coopération entre États. Ce projet s’appuie sur une architecture institutionnelle inédite, mais aussi sur une vision élargie des relations internationales, incluant de nouveaux acteurs et de nouveaux enjeux. L’ONU a ainsi posé les fondements d’un système institutionnel tourné vers la paix et le dialogue (A), et, de ce fait, a contribué à faire évoluer la nature même des relations internationales, en donnant une place croissante à des acteurs et des problématiques auparavant marginalisés (B).

A - Une nouvelle architecture institutionnelle fondée sur la coopération et la paix

L’innovation fondamentale portée par les Nations Unies en 1945 réside dans la volonté d’instaurer un ordre fondé non plus uniquement sur la puissance militaire ou les alliances ponctuelles, mais sur un cadre juridique et institutionnel stable destiné à prévenir les conflits. Cette ambition se concrétise par la création d’un mécanisme de sécurité collective articulé autour du Conseil de sécurité (1), ainsi que par la promotion d’un multilatéralisme normatif qui place le droit international au cœur de la régulation des relations internationales (2).

1 - La mise en place d’un système de sécurité collective centré sur le Conseil de sécurité

L’un des apports majeurs des Nations Unies à la refonte des relations internationales réside dans l’instauration d’un système de sécurité collective, c’est-à-dire d’un dispositif destiné à prévenir et à répondre collectivement aux menaces contre la paix. Contrairement à la Société des Nations, dont les décisions étaient prises à l’unanimité et sans force contraignante, l’ONU se dote d’un organe exécutif doté de pouvoirs réels : le Conseil de sécurité.

Composé initialement de 11 membres (puis 15 à partir de 1965), dont 5 membres permanents — les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’URSS (aujourd’hui la Fédération de Russie) et la Chine — le Conseil de sécurité est chargé par l’article 24 de la Charte des Nations Unies de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il peut adopter des résolutions contraignantes, autoriser le recours à la force (chapitre VII), imposer des sanctions économiques, ou envoyer des opérations de maintien de la paix. Cette centralisation du pouvoir décisionnel en matière de sécurité internationale constitue une innovation institutionnelle majeure.

La Charte des Nations Unies, dans ses articles 39 à 51, précise les mécanismes de réaction aux menaces : constat d’une agression, tentative de règlement pacifique, puis autorisation du recours à la force si nécessaire. C’est sur cette base juridique que le Conseil de sécurité a pu autoriser, par exemple, l’intervention militaire en Corée en 1950 ou contre l’Irak en 1990 après l’invasion du Koweït.

Ce système représente une tentative de dépasser l’anarchie des relations internationales en instituant une autorité commune, légitime et universelle. En centralisant les décisions liées à la sécurité mondiale, l’ONU cherche ainsi à substituer la logique de coercition collective à celle des intérêts unilatéraux des puissances. Cela marque une rupture avec le passé : pour la première fois, un cadre juridique commun tente d’organiser la paix mondiale sur des bases institutionnelles durables.

2 - La légitimation du multilatéralisme et de la diplomatie par le droit international

Au-delà de son rôle en matière de sécurité collective, l’Organisation des Nations Unies a joué un rôle fondamental dans la consolidation du multilatéralisme comme principe structurant des relations internationales après 1945. Le multilatéralisme désigne un mode d’organisation des rapports internationaux fondé sur la coopération entre plusieurs États dans le cadre d’institutions communes et selon des règles juridiques partagées. À travers l’ONU, les relations internationales ne sont plus exclusivement l’affaire des grandes puissances ou des diplomaties bilatérales, mais tendent à se structurer autour d’un dialogue permanent entre les membres de la communauté internationale, dans un cadre institutionnalisé.

La Charte des Nations Unies constitue un texte fondateur pour le droit international contemporain. Elle affirme des principes désormais centraux : égalité souveraine des États, interdiction du recours à la force (article 2 § 4), obligation de régler pacifiquement les différends (article 33), ou encore respect des droits de l’homme. L’Assemblée générale, bien qu’ayant un rôle non contraignant, offre une tribune à tous les États quel que soit leur poids démographique ou économique, puisqu’elle fonctionne sur le principe un État = une voix, et participe à l’élaboration progressive de normes internationales. C’est dans ce cadre que se développent, notamment, les grandes conventions en matière de droit humanitaire, de droit de la mer ou de droit des traités.

Le recours à la Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’ONU, renforce encore cette juridicisation des relations internationales. Bien que son rôle soit limité par le consentement des États à sa compétence, elle contribue à résoudre pacifiquement certains différends (par exemple entre le Nicaragua et les États-Unis en 1986), et à diffuser une culture juridique globale.

L’ONU contribue ainsi à substituer aux logiques de rapports de force une culture de la règle, du dialogue et du droit. Même si l’effectivité de ces principes reste sujette à débat, leur formalisation dans un cadre multilatéral universel a profondément renouvelé les modes d’interaction entre les États, faisant du droit international un élément structurant de l’ordre mondial.

B - L’élargissement du champ des relations internationales au-delà des États puissants

La refonte des relations internationales opérée par les Nations Unies ne s’est pas limitée à la construction d’un système interétatique structuré autour de la paix et du droit. Elle a également consisté à élargir le périmètre des relations internationales, en reconnaissant la légitimité de nouveaux acteurs et de nouvelles problématiques dans un ordre international longtemps dominé par les grandes puissances. À travers son soutien aux processus de décolonisation et sa reconnaissance croissante du rôle des pays du « Sud global », l’ONU a permis à de nombreux États nouvellement indépendants de s’insérer dans l’arène internationale (1). En parallèle, l’Organisation a contribué à institutionnaliser des enjeux transversaux comme le développement, les droits humains ou l’environnement, donnant à la coopération internationale un contenu plus large que la seule sécurité (2).

1 - Le soutien à la décolonisation et la montée en puissance du « Tiers-monde »

L’un des apports majeurs des Nations Unies à la transformation des relations internationales réside dans son rôle central dans l’accompagnement du processus de décolonisation. Suite à sa création en 1945, l’ONU compte une majorité d’États européens et occidentaux. Mais très vite, avec les vagues d’indépendance en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, l’Organisation devient le théâtre d’une mutation géopolitique majeure : la montée en puissance du « Tiers-monde », terme désignant les États non-alignés et récemment décolonisés.

L’ONU offre une tribune internationale aux peuples encore colonisés et aux États nouvellement indépendants pour faire entendre leurs revendications. Elle crée dès 1961 un Comité spécial de la décolonisation, dit "Comité des 24", chargé de suivre l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux (résolution 1514 adoptée en 1960). Cette résolution affirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et condamne explicitement le colonialisme sous toutes ses formes. Elle marque une rupture normative majeure dans le droit international, plaçant la question de la décolonisation au cœur des priorités onusiennes.

Au fil des décennies 1950 à 1970, des dizaines de nouveaux États accèdent à l’indépendance et adhèrent à l’ONU, bouleversant ainsi l’équilibre de l’Assemblée générale, qui devient le principal espace d’expression des revendications du Sud global. Ces États nouvellement indépendants s’organisent en groupes (G77, Mouvement des non-alignés) pour défendre leurs intérêts communs face aux puissances dominantes. Ils réclament un nouvel ordre économique international, plus équitable, et une voix dans les décisions internationales.

Par son soutien juridique, politique et symbolique à la décolonisation, l’ONU a permis de pluraliser les relations internationales. Elle a fait émerger de nouveaux acteurs légitimes et contribué à faire évoluer les priorités de l’ordre mondial, en y intégrant des problématiques jusque-là ignorées : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, développement, justice globale. Ce rôle historique constitue l’un des fondements de la légitimité universelle que continue de revendiquer l’Organisation.

2 - L’institutionnalisation de nouveaux enjeux internationaux

Dans le prolongement de son soutien à la décolonisation, l’ONU a contribué à redéfinir les priorités des relations internationales en élargissant leur champ au-delà des questions traditionnelles de guerre et de paix. Sous son impulsion, des enjeux transversaux tels que les droits de l’homme, le développement et, plus récemment, la protection de l’environnement ont été progressivement intégrés dans l’agenda international et traités dans un cadre institutionnel global.

Dès 1948, l’adoption par l’Assemblée générale de la Déclaration universelle des droits de l’homme marque un tournant : pour la première fois, des droits fondamentaux sont proclamés comme universels, indépendants de la souveraineté des États. Ce texte inspire par la suite une série de traités internationaux contraignants, tels que les Pactes de 1966 (relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels), qui structurent le droit international des droits de l’homme. Le Conseil des droits de l’homme, créé en 2006, et divers comités de suivi permettent d’évaluer le respect de ces droits par les États, contribuant à l’émergence d’une responsabilité internationale en matière de droits humains.

Parallèlement, l’ONU devient l’acteur central du développement international. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), créé en 1965, coordonne des actions en faveur de la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la santé ou encore l’accès à l’eau. À partir des années 2000, les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), puis les Objectifs de Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030, définissent un cadre commun à l’action internationale, intégrant les dimensions sociales, économiques et environnementales du progrès humain. Les Nations Unies ont aussi favorisé l’émergence d’une gouvernance environnementale mondiale, en organisant les premières grandes conférences sur l’environnement (Stockholm 1972, Rio 1992), et en créant le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Ces initiatives ont jeté les bases des négociations climatiques contemporaines (COP, Accord de Paris, etc.).

Ainsi, en intégrant ces nouveaux enjeux dans son fonctionnement, l’ONU a contribué à faire évoluer les relations internationales vers une approche globale, multidimensionnelle et solidaire, élargissant les finalités de la coopération internationale.

II - Les limites structurelles et politiques de la refonte onusienne des relations internationales

Si les Nations Unies ont incontestablement contribué à transformer les relations internationales après 1945, leur action n’a pas été exempte de contradictions internes et de limites systémiques. Conçue à la fois comme un instrument de paix universelle et comme un reflet des rapports de force issus de la Seconde Guerre mondiale, l’ONU s’est retrouvée rapidement confrontée aux tensions géopolitiques de la Guerre froide, aux rivalités entre grandes puissances et à des blocages institutionnels durables. Ainsi l’efficacité de l’ONU s’est trouvée limitée tant du fait du poids des puissances dominantes (A) que du fait de ses faiblesses structurelles et fonctionnelles, qui entrainent des critiques pour son manque de réactivité, de moyens ou de représentativité (B).

A - Le poids des rapports de force entre grandes puissances

Dès sa création, l’ONU a été pensée comme un compromis entre les idéaux d’un ordre international fondé sur le droit et la réalité des rapports de puissance. Ce compromis se manifeste notamment dans la composition du Conseil de sécurité, où les cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) disposent d’un droit de veto. Présenté comme une garantie d’adhésion durable des grandes puissances à l’ordre onusien, ce privilège a en réalité permis à ces États de paralyser les décisions de l’Organisation dans de nombreuses situations critiques. Au fil du temps, ce déséquilibre a contribué à une instrumentalisation politique de l’ONU, transformant parfois l’Organisation en tribune diplomatique plus qu’en véritable organe décisionnel. Ainsi le droit de veto a entravé l’efficacité du système de sécurité collective (1), et a conduit les grandes puissances à instrumentaliser l’ONU à des fins stratégiques (2).

1 - Le droit de veto et le blocage du Conseil de sécurité pendant la Guerre froide

Le fonctionnement du Conseil de sécurité, principal organe décisionnel des Nations Unies en matière de paix et de sécurité, repose sur une architecture inégalitaire héritée des accords de San Francisco en 1945. Les cinq membres permanents disposent du droit de veto, c’est-à-dire de la capacité de bloquer un projet de résolution, quelle que soit la majorité obtenue parmi les autres membres. Ce privilège institutionnel visait à garantir l’adhésion continue des grandes puissances à l’ordre onusien, en leur assurant qu’aucune décision contraire à leurs intérêts vitaux ne pourrait être imposée.

Dans les faits, ce mécanisme a eu pour effet de paralyser l’action du Conseil de sécurité pendant de longues périodes, en particulier durant la Guerre froide (1947–1991). Le veto a été utilisé de manière répétée par les États-Unis et l’URSS pour bloquer toute résolution susceptible de nuire à leurs intérêts ou à ceux de leurs alliés. L’URSS a ainsi multiplié les vetos dans les années 1950 pour contrer l’influence occidentale, tandis que les États-Unis ont fait de même à partir des années 1970 pour protéger Israël ou faire obstacle à certaines interventions dans le monde arabe. Ce blocage systématique a empêché le Conseil de répondre efficacement à des conflits majeurs, comme la guerre du Vietnam, l’invasion de la Hongrie en 1956 ou l’intervention soviétique en Afghanistan en 1979.

Face à cette paralysie, l’Assemblée générale a parfois tenté de jouer un rôle de substitution, notamment par le biais de la résolution « Union pour le maintien de la paix » de 1950, permettant à l’Assemblée de recommander des mesures en cas d’inaction du Conseil. Toutefois, ses décisions ne sont pas contraignantes, ce qui limite leur portée.

Le droit de veto illustre ainsi l’ambivalence du système onusien : conçu pour préserver l’unité entre puissances, il a aussi empêché l’Organisation de remplir efficacement sa mission de maintien de la paix dans de nombreuses situations, révélant les tensions entre légalité internationale et réalité géopolitique.

2 - L’instrumentalisation de l’ONU à des fins stratégiques par les puissances dominantes

Outre les blocages liés au droit de veto, une autre limite majeure à la refonte des relations internationales par l’ONU réside dans son instrumentalisation par les grandes puissances, qui utilisent ses mécanismes à des fins de légitimation politique ou diplomatique de leurs propres stratégies. Cette tendance est particulièrement marquée lorsque le système onusien devient un levier de communication ou de justification, plutôt qu’un espace de décision impartial au service de l’intérêt général.

Pendant la Guerre froide, les deux superpuissances ont fréquemment transformé l’ONU en tribune diplomatique pour défendre leurs positions respectives. L’Assemblée générale, largement dominée à partir des années 1960 par les États du « Tiers-monde », devient un espace de contestation de l’ordre occidental, mais aussi un lieu d’affrontement idéologique entre blocs. Les résolutions adoptées dans ce cadre, bien que souvent symboliques, sont parfois utilisées comme outils de propagande dans la guerre d’influence que se livrent les puissances.

Même dans le cadre du Conseil de sécurité, certaines interventions militaires ont pu bénéficier d’une couverture onusienne ambiguë. L’exemple de l’intervention en Corée en 1950, décidée en l’absence de l’URSS, ou celui de la guerre du Golfe en 1991, où les États-Unis obtiennent un mandat onusien pour libérer le Koweït tout en gardant la direction militaire de l’opération, illustrent comment les puissances peuvent mobiliser l’ONU comme caution légale à des actions déjà décidées dans un cadre unilatéral.

Plus récemment encore, certaines opérations ont été lancées en dehors du cadre onusien, mais en invoquant des principes promus par l’ONU, comme la responsabilité de protéger (R2P). C’est notamment le cas de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 ou de l’intervention franco-britannique en Libye en 2011, qui ont suscité des critiques sur l’interprétation sélective du droit international.

Loin d’être toujours un acteur neutre, l’ONU est ainsi traversée par les intérêts géostratégiques de ses membres les plus influents. Cette instrumentalisation affaiblit sa légitimité et rappelle que la refonte des relations internationales reste conditionnée aux rapports de puissance qui structurent l’ordre mondial.

B - Les faiblesses opérationnelles et institutionnelles des Nations Unies

En plus des contraintes imposées par les grandes puissances, l’ONU souffre également de faiblesses internes qui limitent sa capacité d’action sur le terrain. Malgré son rôle central dans l’architecture du multilatéralisme, l’Organisation est souvent critiquée pour son manque d’efficacité opérationnelle, ses lourdeurs bureaucratiques et sa dépendance aux contributions financières des États membres. Par ailleurs, la structure même de l’ONU, conçue en 1945, ne reflète plus les réalités géopolitiques contemporaines, ce qui alimente les appels récurrents à sa réforme. L’ONU est ainsi confrontée à des limites concrètes dans la mise en œuvre de ses missions (1) ce qui ne manque pas de susciter des débats autour de la réforme du système onusien, entre ambition de transformation et résistances politiques (2).

1 - Une organisation dépendante des contributions volontaires et limitée dans son action sur le terrain

Malgré l’ambition universelle portée par la Charte de 1945, l’Organisation des Nations Unies se heurte à d’importantes contraintes financières, logistiques et administratives qui freinent son efficacité concrète. Ces limites tiennent notamment à sa dépendance structurelle vis-à-vis des États membres, tant pour son financement que pour la mise en œuvre de ses décisions.

Le budget de l’ONU repose en partie sur des contributions obligatoires réparties selon la capacité contributive des États, mais aussi, et de plus en plus, sur des contributions volontaires pour financer les agences spécialisées (comme le HCR ou le PNUD) et les opérations humanitaires. Ce mode de financement donne un pouvoir disproportionné aux pays les plus riches, capables d’orienter les priorités de l’Organisation en fonction de leurs intérêts. Il entraîne aussi une incertitude budgétaire permanente, affectant la réactivité et la pérennité de nombreuses missions. Une telle situation s’est illustrée très récemment, au début de l’année 2025, avec la décision du Président américain Donald Trump de quitter l’OMS et de mettre fin à l’USAID, l’agence américaine chargée du l’aide au développement, qui menait de nombreuses actions en partenariat avec l’ONU. Ces décisions ont fortement affecté le fonctionnement de certaines agences et missions de l’ONU du fait l’importance du financement des États-Unis.

Sur le plan opérationnel, l’ONU ne dispose pas d’une force armée propre. Ses opérations de maintien de la paix (les « casques bleus ») dépendent des contingents mis à disposition par les États membres, souvent de manière tardive et avec des mandats limités. Cette configuration a conduit à de graves défaillances, notamment lors du génocide au Rwanda en 1994 ou du massacre de Srebrenica en 1995, où l’inaction ou l’insuffisance des forces onusiennes a été sévèrement critiquée.

Par ailleurs, l’Organisation souffre de lourdeurs bureaucratiques et d’un manque de coordination entre ses différentes agences, ce qui nuit à l’efficacité de ses actions humanitaires et de développement. Ces faiblesses structurelles alimentent un déficit de crédibilité, notamment auprès des populations concernées et de certains États du Sud qui reprochent à l’ONU son manque de résultats concrets.

Ainsi, bien que dotée d’une légitimité morale et juridique incontestable, l’ONU reste fragile dans son fonctionnement quotidien, dépendante des bonnes volontés étatiques et souvent incapable d’intervenir de manière rapide, cohérente et efficace dans les crises internationales.

2 - Les appels récurrents à une réforme du système onusien : entre ambitions et blocages

Depuis plusieurs décennies, l’Organisation des Nations Unies fait l’objet de critiques récurrentes quant à son manque d’adaptation aux réalités géopolitiques contemporaines. Conçue dans le contexte de l’après-Seconde Guerre mondiale, sa structure institutionnelle reflète un monde dominé par les vainqueurs de 1945, ce qui pose problème dans un système international aujourd’hui multipolaire, interconnecté et en pleine mutation. Cette déconnexion alimente une demande croissante de réforme, à la fois sur le plan de la représentativité, de l’efficacité et de la légitimité.

La principale revendication porte sur la réforme du Conseil de sécurité, dont la composition fixe, avec cinq membres permanents dotés du droit de veto, est perçue comme injuste et anachronique. Des puissances régionales comme l’Inde, le Brésil, l’Allemagne, le Japon ou encore l’Afrique du Sud estiment qu’elles devraient accéder à un siège permanent afin de refléter les équilibres actuels. Le continent africain reste notamment le grand absent de la structure décisionnelle du Conseil, malgré le fait qu’une grande partie des opérations de maintien de la paix aient lieu sur son territoire.

D’autres propositions visent à encadrer ou limiter le droit de veto, notamment en cas de violations massives des droits de l’homme ou de crimes de guerre. Certaines initiatives, comme celle du groupe ACT ou du Code de conduite promu par la France et le Mexique, appellent les membres permanents à renoncer volontairement au veto dans certaines situations humanitaires. Mais ces projets se heurtent à l’opposition ferme des détenteurs du veto, jaloux de leurs prérogatives.

Par ailleurs, des réformes sont également demandées au sein de l’Assemblée générale, du Conseil économique et social, et du Secrétariat, pour améliorer la transparence, la coordination et la gestion administrative de l’ONU. Toutefois, l’absence de consensus, les divergences d’intérêts entre États membres et la règle du consensus pour certaines réformes majeures bloquent l’évolution du système.

Ainsi, malgré une reconnaissance quasi unanime du besoin de réforme, l’ONU reste prisonnière des rapports de force qui la structurent, illustrant la tension permanente entre idéal multilatéraliste et réalités politiques.