Introduction
En 1957, le lancement du satellite Spoutnik 1 marquait une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité : celle de la conquête spatiale. À l’instar de la haute mer qui, depuis des siècles, échappe à toute souveraineté étatique exclusive, l’espace extra-atmosphérique pose aux juristes internationaux des défis inédits : comment encadrer juridiquement des espaces qui, par nature, sont inappropriables, et pourtant convoités pour leurs ressources et leur potentiel stratégique ?
La haute mer et l’espace extra-atmosphérique sont deux espaces qualifiés d’« extra-territoriaux » car ils partagent une caractéristique commune : ils échappent à toute souveraineté exclusive d’un État. La haute mer correspond, selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), aux zones maritimes situées au-delà de la zone économique exclusive (ZEE), soit en principe au-delà de 200 milles marins des côtes. Elle est régie par le principe de liberté (de navigation, de pêche, de pose de câbles sous-marins, de recherche scientifique…) sous réserve de règles de coopération et de protection de l’environnement. L’espace extra-atmosphérique, quant à lui, s’étend au-delà de l’atmosphère terrestre, sans frontière juridiquement précise, mais généralement fixée autour de 100 km d’altitude (limite dite « ligne de Kármán »). Il inclut les satellites et autres corps célestes. Le régime juridique de ces espaces désigne l’ensemble des normes internationales qui encadrent les activités humaines, issues tant des traités multilatéraux que du droit coutumier. L’étude de ces régimes vise donc à comparer les fondements, les principes directeurs et les mécanismes de mise en œuvre qui organisent juridiquement l’accès, l’usage, la protection et le contrôle de ces deux espaces.
L’encadrement juridique des espaces extra-territoriaux s’est construit progressivement au cours du XXe siècle, sous l’impulsion des avancées techniques, des revendications étatiques et des impératifs de coopération. Le droit de la mer s’est structuré autour du principe de liberté dès le XVIIe siècle, formalisé notamment dans les écrits d’Hugo Grotius, mais c’est au XXe siècle qu’un véritable cadre juridique multilatéral s’est imposé. Après plusieurs conférences onusiennes, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, dite convention de Montego Bay) a été adoptée en 1982 et est entrée en vigueur en 1994. Elle consacre la haute mer comme un espace international soumis à des libertés encadrées, et reconnaît la Zone internationale des fonds marins comme patrimoine commun de l’humanité. L’espace extra-atmosphérique, quant à lui, a fait l’objet d’un encadrement rapide après les premiers vols spatiaux : le Traité sur l’espace de 1967 (formellement le traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes) interdit l’appropriation nationale, l’installation d’armes nucléaires et impose une responsabilité des États pour les activités menées y compris par des acteurs privés. Plusieurs accords complémentaires (Accords sur la Lune, sur le sauvetage des astronautes, etc.) ont enrichi ce corpus. Ces deux régimes traduisent une même logique : organiser un usage pacifique, équitable et coopératif d’espaces qui, bien que physiquement accessibles, ne doivent pas être monopolisés.
Ces régimes juridiques, bien qu’issus de contextes historiques distincts, reposent sur une philosophie commune de non-appropriation et de coopération. Mais à l’heure de l’exploitation minière des grands fonds marins et de la commercialisation de l’espace par des acteurs privés, ces équilibres sont remis en cause. Dès lors dans quelle mesure le droit international parvient-il aujourd’hui à encadrer l’usage et la protection des espaces extra-territoriaux comme la haute mer et l’espace extra-atmosphérique ?
Une étude comparée des régimes juridiques de ces deux espaces révèle d’abord une communauté de principes structurés par des dispositifs multilatéraux conçus pour garantir l’usage pacifique et équitable des zones extra-territoriales (I), avant de mettre en lumière les fragilités, lacunes et tensions émergentes dans leur mise en œuvre face à des intérêts économiques, stratégiques et environnementaux croissants (II).
I - Le régime de la haute mer et l’espace extra-atmosphérique : une communauté de principes juridiques fondée sur la non-appropriation et la coopération
Bien que relevant de milieux physiques très différents, la haute mer et l’espace extra-atmosphérique sont juridiquement conçus comme des espaces internationaux échappant à toute souveraineté étatique exclusive. Le droit international les appréhende à travers une double logique : d’une part, l’interdiction de leur appropriation, affirmée comme principe fondamental (A) et d’autre part l’organisation de leur usage dans le cadre d’un intérêt commun, reposant sur des mécanismes de coopération multilatéraux et pacifiques (B).
A - Des espaces inappropriables au regard du droit international
La haute mer et l’espace extra-atmosphérique ont en commun de ne pouvoir faire l’objet d’une appropriation nationale ou privée. Cette inappropriabilité repose sur un principe juridique fondamental : l’absence de souveraineté étatique exclusive dans ces zones (1), consolidée par des règles spécifiques interdisant l’appropriation directe ou indirecte, qui font de ces espaces un patrimoine commun (2).
1 - Le principe de non-souveraineté sur la haute mer et l’espace extra-atmosphérique
Le fondement premier du régime juridique des espaces extra-territoriaux réside dans l’affirmation de leur caractère non souverain. En effet, ni la haute mer ni l’espace extra-atmosphérique ne peuvent être soumis à la juridiction exclusive d’un État. Ce principe de non-souveraineté découle directement du droit international coutumier, mais aussi de conventions précises qui en formalisent l’interdiction.
Pour la haute mer, l’article 89 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, 1982) est explicite : « aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté ». Il en résulte que cette portion des océans est ouverte à tous, dans une logique de liberté encadrée. De même, dans le domaine spatial, l’article II du Traité de 1967 sur l’espace extra-atmosphérique indique clairement que l’espace, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’ « appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen ».
Ces règles traduisent une conception partagée : les espaces extra-territoriaux sont des zones situées hors de toute juridiction nationale. Leur statut n’est donc pas « vacant » mais au contraire encadré par des principes de droit international qui imposent un usage non exclusif. Il ne s’agit pas d’une absence de droit, mais d’un droit conçu pour éviter toute monopolisation. Ce rejet de la souveraineté territoriale individuelle a pour objectif d’empêcher que des ressources stratégiques ou des positions géopolitiques privilégiées ne soient accaparées par certaines puissances. En garantissant l’ouverture et l’accès partagé à ces espaces, le droit international vise à maintenir un équilibre global et à favoriser la coopération internationale dans des domaines sensibles.
2 - L’interdiction d’appropriation nationale ou privée et ses fondements juridiques
Au-delà du refus de souveraineté étatique sur la haute mer et l’espace extra-atmosphérique, le droit international interdit également toute forme d’appropriation, qu’elle soit étatique ou privée. Cette règle, essentielle à la préservation du caractère international de ces espaces, découle à la fois de traités multilatéraux et de principes généraux du droit.
Dans le domaine maritime, cette interdiction se traduit notamment par la reconnaissance d’un statut de res communis à la haute mer. La CNUDM rappelle que nul ne peut s’en arroger la propriété ou en restreindre l’usage au profit exclusif d’un acteur. L’exploitation des ressources de la haute mer est placée sous l’autorité de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Cette approche reflète l’émergence du principe de patrimoine commun de l’humanité, qui interdit à la fois l’appropriation par un État et par une entreprise privée sans autorisation collective.
En matière spatiale, l’article II du Traité de l’espace de 1967 est sans ambiguïté : l’espace extra-atmosphérique et les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’une appropriation nationale. Ce principe vise également les acteurs non étatiques. Bien que les entreprises privées soient aujourd’hui très actives dans l’espace (satellites commerciaux, projets de tourisme spatial, ambitions minières sur la Lune ou les astéroïdes…), elles restent soumises à la responsabilité de l’État dont elles relèvent. L’article VI du Traité dispose ainsi que les activités des entités privées doivent être autorisées et supervisées par leur État national.
Ces règles visent à éviter une captation unilatérale de ressources ou d’avantages stratégiques dans des espaces considérés comme relevant d’un usage commun. Elles s’opposent à une logique de droit du premier occupant en instaurant un cadre juridique fondé sur la liberté, l’équité et la coopération.
B - Des régimes structurés autour de l’usage pacifique et de l’intérêt commun
Les principes d’inappropriabilité de la haute mer et de l’espace extra-atmosphérique s’accompagnent d’un ensemble de règles positives visant à encadrer concrètement l’utilisation de ces espaces. Ces régimes juridiques reposent sur des instruments conventionnels fondateurs qui établissent les libertés d’usage, les obligations de coopération et les mécanismes de gestion internationale (1), tout en intégrant la notion d’intérêt commun, parfois élevée au rang de patrimoine commun de l’humanité, pour garantir un accès équitable et une responsabilité partagée dans l’exploitation de ces espaces (2).
1 - Les principes fixés par les grands traités fondateurs : CNUDM (1982) et Traité de l’espace (1967)
La structuration juridique des espaces extra-territoriaux repose sur des textes fondateurs adoptés sous l’égide des Nations Unies, qui visent à garantir un usage pacifique, équitable et coopératif de ces zones échappant à toute souveraineté nationale : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM) pour la haute mer, et le Traité de l’espace de 1967 pour l’espace.
La CNUDM, souvent qualifiée de « constitution des océans », fixe un cadre juridique détaillé pour l’utilisation des espaces marins au-delà des juridictions nationales. Elle confirme le principe de liberté de navigation, de survol, de pêche, de recherche scientifique, ainsi que la pose de câbles et pipelines sous-marins dans la haute mer (art. 87). Ces libertés sont toutefois assorties de devoirs, en particulier celui de protéger le milieu marin, de coopérer avec les autres États et de respecter les droits égaux d’accès. S’agissant des fonds marins situés au-delà de la juridiction nationale, la CNUDM instaure un régime spécifique : la Zone internationale, dont l’exploitation est encadrée par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), chargée de gérer ces ressources au nom de l’humanité.
Dans le domaine spatial, le Traité de 1967 sur l’espace extra-atmosphérique énonce également une série de principes structurants. Il garantit la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace par tous les États, tout en interdisant l’appropriation nationale ou la militarisation des corps célestes. L’article IV prohibe notamment le placement d’armes nucléaires ou d’armes de destruction massive dans l’espace. L’article IX impose aux États de coopérer et de mener leurs activités avec le souci d’éviter des effets nuisibles pour les autres. Ce traité constitue le socle du droit spatial contemporain, complété par d’autres instruments comme les accords sur le sauvetage des astronautes ou sur la responsabilité pour les dommages causés par les objets spatiaux.
Ces traités reflètent une ambition commune : organiser l’usage des espaces extra-territoriaux au service de la paix, de la sécurité et du développement commun, en prévenant les conflits et les accaparements unilatéraux.
2 - Le principe de patrimoine commun de l’humanité et les mécanismes de coopération multilatérale
Le droit international des espaces extra-territoriaux ne se limite pas à une simple liberté d’accès : il repose également sur la reconnaissance d’un principe structurant, celui de patrimoine commun de l’humanité, qui implique des droits, mais aussi des responsabilités collectives. Cette notion, bien que juridiquement nuancée selon les régimes, permet de dépasser la seule logique de non-appropriation pour instituer un devoir de coopération active et équitable dans l’usage de ces espaces.
Dans le cas de la haute mer, ce principe est pleinement consacré par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) en ce qui concerne « la Zone », c’est-à-dire les fonds marins situés au-delà des juridictions nationales. L’article 136 qualifie expressément cette zone et ses ressources de « patrimoine commun de l’humanité ». Cela signifie qu’aucun État, peuple ou entité ne peut en revendiquer la propriété ou l’exploitation exclusive. L’exploitation des ressources doit se faire « au bénéfice de l’humanité dans son ensemble », selon des règles équitables établies par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), organe institué à cette fin. Ce mécanisme traduit une volonté de mutualiser la gestion des ressources globales.
En matière spatiale, la notion de patrimoine commun n’est pas inscrite dans le Traité de 1967, mais elle est développée dans l’Accord de 1979 sur la Lune, qui qualifie la Lune et ses ressources de patrimoine commun de l’humanité. Toutefois, cet accord reste très peu ratifié par les grandes puissances spatiales, ce qui limite sa portée pratique. Néanmoins, le principe de coopération internationale est présent dans le Traité de 1967 : les États sont responsables des activités menées dans l’espace extra-atmosphérique (y compris par des acteurs privées) et sont appelés à coordonner leurs activités, à notifier les lancements, à éviter les nuisances mutuelles et à répondre solidairement des dommages causés (articles VI à IX du Traité de 1967).
Ainsi, au-delà des principes de liberté, les régimes juridiques des espaces extra-territoriaux cherchent à instaurer une gouvernance collective. Cette orientation repose sur l’idée que ces espaces, en tant que biens communs, doivent être gérés selon une logique d’équité, de solidarité et de durabilité, un idéal qui reste cependant soumis à d’importants défis contemporains.
II - Des régimes confrontés à des défis contemporains croissants
Si les cadres juridiques de la haute mer et de l’espace extra-atmosphérique reposent sur des principes communs de non-appropriation et de coopération, leur mise en œuvre est de plus en plus mise à l’épreuve par de nouvelles dynamiques géopolitiques, technologiques et économiques. L’intensification des activités d’exploitation commerciale et les ambitions stratégiques des États rendent ces régimes vulnérables à des contournements ou à des conflits d’interprétation (A), tandis que l’absence de mécanismes coercitifs efficaces, conjuguée à l’inégale capacité d’accès et à l’aggravation des menaces environnementales, soulève la question de leur effectivité et de leur nécessaire adaptation (B).
A - Les tensions liées à l’exploitation économique des espaces extra-territoriaux
L’intensification des activités humaines dans les espaces extra-territoriaux, rendue possible par les avancées technologiques, soulève de nombreux enjeux en matière d’exploitation des ressources. La haute mer, notamment dans ses grands fonds, est l’objet d’intérêts économiques croissants qui mettent à l’épreuve l’équilibre voulu par la CNUDM (1), tandis que l’espace extra-atmosphérique connaît une privatisation accélérée, marquée par l’entrée d’acteurs commerciaux dans des activités naguère réservées aux États (2).
1 - L’exploitation minière des grands fonds marins
L’intérêt pour l’exploitation minière des grands fonds marins s’est considérablement accru au cours des dernières décennies car ces zones recèlent des ressources stratégiques pour les industries technologiques. Or, la Zone, située au-delà des juridictions nationales, est régie par un régime juridique unique : celui du patrimoine commun de l’humanité, administré par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
L’AIFM, créée par la CNUDM, délivre des permis d’exploration à des États ou à des entités sponsorisées, mais elle est aujourd’hui confrontée à une pression croissante pour autoriser des exploitations commerciales. Plusieurs pays, dont les États-Unis, la Chine ou la Russie, ont manifesté leur intérêt pour développer ces activités. En parallèle, des ONG, des scientifiques et des États insulaires appellent à un moratoire ou à une réglementation plus stricte, invoquant l’incertitude des impacts environnementaux.
Un débat majeur porte sur la réforme du règlement d’exploitation minière dans la Zone, encore inachevé. En juillet 2023, le Conseil de l’AIFM a refusé de précipiter l’adoption de règles définitives malgré la demande d’entreprises, révélant une tension entre impératifs économiques et principes de précaution. L’absence de consensus montre les limites de gouvernance d’un système multilatéral qui repose sur la coopération, mais sans mécanismes contraignants forts.
Les États ont par ailleurs adopté en juin 2023, dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le traité des Nations unies sur la haute mer. Ce traité vise à « la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale ». Il peut s’agir à ce titre d’un instrument supplémentaire de protection des grands fonds marins. Ce traité n’est cependant pas encore entré en vigueur et ses effets juridiques à long termes sont encore difficiles à mesurer.
Le cas de l’exploitation minière des fonds marins illustre ainsi les tensions contemporaines entre les principes fondateurs du régime de la haute mer (non-appropriation, coopération, durabilité) et les intérêts économiques et stratégiques qui poussent à leur redéfinition, voire à leur contournement.
2 - La commercialisation de l’espace extra-atmosphérique
L’espace extra-atmosphérique, longtemps réservé aux États dans le cadre d’activités scientifiques, militaires ou symboliques, connaît aujourd’hui une transformation rapide avec l’entrée massive d’acteurs privés. Cette privatisation croissante, qui concerne tant le secteur des télécommunications que celui du tourisme ou de l’exploitation des ressources, remet en cause certains équilibres du régime juridique existant, fondé sur la non-appropriation et l’usage pacifique.
Le développement fulgurant des constellations de satellites commerciaux, notamment Starlink (SpaceX), OneWeb (Eutelsat) ou Kuiper (Amazon), illustre cette évolution. Si le Traité de l’espace de 1967 garantit la liberté d’exploration et d’usage, cette prolifération soulève des enjeux de coordination, de pollution orbitale et de congestion des orbites basses, d’autant plus que les États restent juridiquement responsables des activités de leurs entités privées (article VI). Or, les mécanismes de régulation sont peu contraignants : la notification des lancements à l’ONU (via le Registre des objets spatiaux) ne suffit pas à prévenir les risques de collisions ou les conflits d’usage.
En parallèle, le tourisme spatial connaît ses premières réalisations commerciales, avec des vols suborbitaux organisés par Blue Origin ou Virgin Galactic. Cette évolution pose la question de la sécurité juridique et technique des activités spatiales privées, de la responsabilité en cas d’incident, et du statut des passagers.
Plus controversée encore est l’ambition affichée par certaines entreprises, notamment américaines, d’exploiter les ressources des astéroïdes ou de la Lune à des fins commerciales. Des lois nationales, comme le Space Act américain de 2015, autorisent la possession privée des ressources extraites, tout en affirmant ne pas enfreindre le principe de non-appropriation. Cette interprétation, jugée contestable par certains juristes, entre en tension avec l’esprit du droit spatial international, et souligne l’absence de mécanisme multilatéral pour encadrer l’exploitation minière spatiale.
Ces évolutions traduisent la difficulté croissante à faire coexister l’intérêt commun proclamé par les traités fondateurs et les intérêts économiques des puissances spatiales et de leurs industries. Elles interrogent sur l’opportunité d’une révision du cadre juridique existant pour préserver l’équilibre entre liberté d’activité et gouvernance responsable.
B - L’effectivité incertaine des régimes juridiques des espaces extra-territoriaux face aux défis contemporains
Les principes posés par les régimes juridiques de la haute mer et de l’espace extra-atmosphérique reposent largement sur la coopération et la bonne foi des États. Pourtant, ces mécanismes se heurtent à des limites structurelles : en l’absence d’institutions dotées d’un pouvoir contraignant fort, le respect des règles dépend largement de la volonté politique des acteurs (1), tandis que les déséquilibres d’accès, les pressions environnementales et les asymétries technologiques fragilisent l’idée même de gouvernance équitable de ces espaces (2).
1 - Des mécanismes de mise en œuvre limités et une coopération inégale
Le régime juridique des espaces extra-territoriaux repose en grande partie sur des principes de coopération, d’usage pacifique et de responsabilité partagée. Toutefois, en l’absence de structures de contrôle dotées d’un réel pouvoir coercitif, la mise en œuvre effective de ces principes demeure incertaine. La force normative du droit applicable à la haute mer et à l’espace extra-atmosphérique est ainsi directement tributaire de la volonté des États de s’y conformer, une fragilité d’autant plus préoccupante que les intérêts stratégiques et économiques s’intensifient dans ces domaines.
Dans le cas de la haute mer, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), bien qu’institutionnalisée par la CNUDM, souffre de capacités d’action limitées. Si elle délivre des permis d’exploration et élabore des règlements d’exploitation, elle ne dispose ni d’un pouvoir de sanction véritable ni de moyens de contrôle indépendants sur le terrain. La surveillance des activités minières ou de protection de l’environnement repose largement sur les déclarations des États ou des opérateurs eux-mêmes. Cette lacune crée une situation d’autorégulation de fait, où les rapports de force internationaux peuvent facilement s’imposer au détriment des règles collectives.
Dans le domaine spatial, le constat est similaire. Aucun organe international ne peut interdire un lancement, ni imposer des normes techniques contraignantes en matière de gestion des débris spatiaux ou de coordination orbitale. Les États ne sont tenus qu’à une obligation d’information et de consultation, sans contrôle externe. La Commission de coordination des débris spatiaux (IADC), purement technique, ne possède aucun pouvoir de contrainte. De plus, les grandes puissances spatiales ne participent pas systématiquement aux forums de discussion multilatéraux, comme en témoignent les absences de consensus sur les codes de conduite ou les règles d’exploitation lunaire.
Ces limites institutionnelles, conjuguées à une coopération inégale, certains États ayant bien plus de capacités que d’autres, contribuent à affaiblir l’autorité du droit international dans ces espaces. Face à la montée des tensions et à la concurrence stratégique, la nécessité d’un renforcement des mécanismes de régulation, de transparence et de règlement des différends devient de plus en plus pressante.
2 - Inégalité d’accès et pression environnementale : la gouvernance fragile des espaces extra-territoriaux
Au-delà des difficultés de mise en œuvre, les régimes juridiques de la haute mer et de l’espace extra-atmosphérique se heurtent à des inégalités structurelles entre États. Ces inégalités concernent l’accès technique et financier à ces espaces mais aussi la capacité à en tirer profit ou à participer aux processus de décision internationaux. Elles remettent en cause l’un des objectifs essentiels du droit international dans ces domaines : garantir un usage équitable et durable des espaces communs au bénéfice de l’ensemble de l’humanité.
Dans le cas de la haute mer, les États disposant de flottes de pêche industrielles, de capacités d’exploration océanique ou d’entreprises minières puissantes ont un avantage décisif. La Zone internationale des fonds marins, pourtant proclamée patrimoine commun de l’humanité, demeure inaccessible dans les faits à la majorité des pays en développement. Le mécanisme de transfert de technologie prévu par la CNUDM, destiné à corriger cet écart, n’a que peu d’effets concrets. Les débats actuels sur la réforme de l’Autorité internationale des fonds marins témoignent de la difficulté à concilier les intérêts économiques des États avancés et les aspirations à la justice globale.
En matière spatiale, les inégalités sont encore plus flagrantes. L’espace est aujourd’hui dominé par une poignée d’acteurs publics et privés, principalement occidentaux ou asiatiques. L’accès à l’orbite, aux données satellitaires ou aux futurs gisements de ressources lunaires ou astéroïdaires est contrôlé par ceux qui disposent des lanceurs, des technologies et des financements. Le droit spatial prévoit bien des principes de coopération et de bénéfices partagés, mais ceux-ci restent largement théoriques. Le désengagement de nombreux États vis-à-vis de l’Accord sur la Lune (1979), précisément parce qu’il exigeait une gouvernance plus collective, en est une illustration.
À cela s’ajoutent les pressions environnementales, de plus en plus inquiétantes : pollution plastique et chimique des océans, destruction des écosystèmes des grands fonds, accumulation de débris en orbite terrestre, augmentation du risque de collision spatiale… Ces menaces globales renforcent l’urgence d’une approche solidaire et durable. Or, faute de mécanismes efficaces et d’une réelle volonté politique, le principe d’équité apparaît aujourd’hui fragilisé, tant dans sa portée juridique que dans son effectivité.
Un ensemble de facteurs (ambitions politiques, appétits économiques, mutations technologiques, pressions environnementales) vient ainsi mettre à l’épreuve l’équilibre juridique des espaces extra-territoriaux, qui repose sur une spécificité rare en droit international : celle d’être soustrait à toute souveraineté étatique. Les principes de non-appropriation, de liberté d’usage et de coopération, qui structurent les instruments multilatéraux de gouvernance de ces espaces (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et Traité de l’espace), apparaissent comme progressivement remis en question. Cela ouvre le débat sur les évolutions normatives et institutionnelles qui permettraient d’améliorer durablement la gouvernance de ces espaces (renforcement de l’effectivité du principe de patrimoine commun de l’humanité, promotion d’un droit à l’accès équitable pour tous les États, mise en place de mécanismes robustes de coopération et de prévention des conflits, mesures de protection de l’environnement, mises en place d’instances de contrôles dotées d’un pouvoir contraignant…).
