Introduction

Comme le souligne l’avocat général Maurice Lagrange dès 1954 l’Union européenne est un « embryon d’organisation fédérale » dans laquelle la CJUE doit avoir un « rôle constitutionnel ».

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est l’une des sept institutions de l’Union européenne (UE) citées par l’article 13 TUE (Traité sur l’Union européenne). Comme le précise l’article 19 TUE la Cour de Justice de l’Union européenne « comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés ». Techniquement le terme de Cour de Justice de l’Union européenne désigne une institution composée de plusieurs organes, ou plusieurs juridictions. Toutefois en pratique il est courant d’utiliser l’acronyme CJUE pour désigner la Cour de Justice. Comme indiqué par l’article 19 TUE le rôle général des différentes juridictions composant la Cour de Justice de l’Union européenne est d’assurer « le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ». Le siège de la CJUE est situé à Luxembourg. La Cour de Justice comprend 27 juges, un par État membre (dont un président, un vice-Président et dix présidents de chambre) ainsi qu’un greffier et 11 avocats généraux tandis que le Tribunal comprend 54 juges (dont un président, un vice-président et dix présidents de chambre) ainsi qu’un greffier. L’une des particularités de la CJUE est d’être entièrement multilingue puisque toutes les langues officielles des États membres peuvent être utilisées dans le cadre d’une procédure et que la jurisprudence est diffusée dans toutes les langues. Cela explique qu’en 2022 les traducteurs représentaient 43,6% des effectifs de la Cour (980 sur un total de 2254 agents).

Historiquement la CJUE a été créée en 1952 sous l’appellation Cour de Justice de la CECA, suite au traité de Paris de 1951 qui instaure la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). En 1957 l’adoption du traité de Rome conduit à renommer la Cour de Justice de la CECA en Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE). La CJCE devient un organe juridictionnel commun aux Communautés européennes, à la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) et à la Communauté économique européenne (CEE). Suite à l’adoption de l’Acte unique européen une décision du Conseil va mettre en place le Tribunal comme juridiction de première instance en 1988, essentiellement pour désengorger la Cour de Justice. Depuis le traité de Lisbonne (2009) la Cour a pris son appellation actuelle de Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Il est également à noter que les « tribunaux spécialisés » visés par l’article 19 TUE ont existé sous la forme du Tribunal de la fonction publique entre 2004 et 2016. En 2016 cette juridiction a cessé ses activités, qui concernaient les contentieux entre les institutions européennes et leurs agents, et ses compétences ont été transférés au Tribunal.

La présente problématique sur la nature de la CJUE nous amène à nous interroger sur le fonctionnement de la Cour, au sein de l’architecture institutionnelle européenne comme dans ses liens avec les juridictions nationales, ainsi que sur la signification du rôle « constitutionnel » que cette Cour est amenée à jouer.

Pour tenter de répondre à ces différentes interrogations nous nous pencherons dans un premier temps sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour de Justice de l’Union européenne (I) avant de s’interroger plus en détail sur la nature constitutionnelle de cette juridiction (II).

I - La Cour de Justice de l'Union européenne : une juridiction de l'Union offrant de multiples voies de saisine

La Cour de Justice de l’Union européenne est la juridiction de l’Union, ses objectifs et sont organisations sont définis par les traités européens (A). La Cour peut être saisie de multiples manières, permettant ainsi de remplir au mieux son rôle d’interprétation et d’application du droit de l’Union (B).

A - Un organe de l'Union au rôle et à la composition encadrés par les traités

La Cour de Justice de l’Union européenne désigne un ensemble de juridictions dont le rôle est, conformément à l’article 19 du TUE, l’interprétation et l’application des traités européens (1). Le fonctionnement de la Cour est encadrée par les traités européens, notamment pour ce qui concerne la nomination des membres (2).

1 - Un ensemble de juridictions chargés de veiller au respect du droit de l’Union

Pour comprendre le fonctionnement de la Cour de Justice de l’Union européenne, il est important de souligner que cette institution est, plus qu’une juridiction, un ensemble de juridictions comme l’indique l’article 19 TUE. Aujourd’hui la CJUE est composée uniquement de la Cour de Justice et du Tribunal, le Tribunal de la fonction publique ayant cessé ses activités, bien que l’article 19 TUE prévoit toujours la possibilité de « tribunaux spécialisés ».

Le statut de la CJUE peut-être modifié par le Parlement européen et le Conseil relativement facilement via la procédure législative ordinaire (article 281 TFUE). Cet article précise qu’un telle modification peut se faire « soit sur demande de la Cour de justice et après consul­tation de la Commission, soit sur proposition de la Commission et après consultation de la Cour de justice ». Une modification du statut par la procédure législative ordinaire exclut le titre I et l’article 64 du statut (ce qui correspond au statut des juges et avocats généraux et au régime linguistique). C’est une modification selon la procédure de cet article qui a permis, par exemple, de réformer le Tribunal et de mettre fin aux activités du Tribunal de la fonction publique. La Cour de Justice et le Tribunal ont par ailleurs une autonomie d’organisation. Chaque juridiction désigne son Président, nommé pour une durée de trois ans renouvelable ainsi qu’un greffier et adopte son propre règlement.

Il est à noter qu’au niveau de la terminologie la Cour et le Tribunal sont les seules juridictions de l’Union à proprement parler mais ne sont pas les seuls juges de l’Union puisque le juge national peut avoir pour rôle de faire respecter le droit de l’Union.

Les missions de la CJUE sont décrites par l’article 19 TUE : son rôle est d’assurer le « respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ». Pour ce faire il revient aux États membres d’établir « les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridic­tionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ».

2 - Un mode de nomination des membres de la Cour de Justice de l’Union européenne encadré par les traités

La Cour de Justice est composée de juges et d’avocats généraux tandis que le Tribunal compte uniquement des juges. Le rôle d’un avocat général est de présenter des conclusions sur une affaire avant le jugement. L’avocat général est indépendant des juges comme des États membres. La Cour de Justice siège en principe au sein de neuf chambres mais peut également siéger en grande chambre ou en assemblée plénière.

La Cour de Justice comprend un juge par État membre tandis que le Tribunal compte au moins un juge par État membre (article 19 TUE). La nomination des juges, pour une durée de six ans renouvelable, fait l’objet d’un accord entre les gouvernements des États membres. La fin des activités du Tribunal de la fonction publique a conduit à une augmentation du nombre de juges siégeant au Tribunal. En 2022, 27 juges et 11 avocats généraux siègent à la Cour de Justice contre 46 juges au Tribunal. Le nombre de 27 correspond au nombre d’États membres tandis que l’article 252 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) fixe le nombre d’avocats généraux à huit, avec une augmentation possible suite à une décision à l’unanimité du Conseil. Cette augmentation a eu lieu suite à une décision de 2015 puisque les avocats généraux sont désormais au nombre de 11. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne ont toujours un avocat général, le reste des postes est réparti entre les autres États membres par rotation. Le Brexit a mis fin aux fonctions de l’avocat général et des juges originaires du Royaume-Uni.

Les juges et avocats généraux doivent être des personnalités « offrant toutes garanties d’indépendance » (article 19 TUE). L’article 253 TFUE est légèrement plus précis sur ce point puisqu’il affirme que les juges et avocats généraux sont « choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont des jurisconsultes possédant des compétences notoires ». En pratique la nomination d’un juge relève de son État d’origine, ce qui induit une certaine diversité des critères de sélection selon les pays (en France par exemple la tradition est de nommer un membre du Conseil d’État et un membre de la magistrature). Pour éviter toute pression politique les gouvernements ou les institutions de l’Union ne peuvent révoquer un juge ou un avocat général. La seule possibilité de révocation est celle d’un vote à l’unanimité des autres juges et avocats généraux. De plus les juges ne peuvent exercer une autre fonction ou activité professionnelle.

Le traité de Lisbonne a introduit une forme de contrôle des candidats choisis par les États puisque l’article 255 TFUE mets en place un comité chargé de donner « un avis sur l'adéquation des candidats à l'exercice des fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice et du Tribunal avant que les gouvernements des États membres ne procèdent aux nominations ». Il est arrivé que ce comité donne un avis négatif à certains nominations (par exemple sur la période 2014-2018 le comité a rendu 80 avis dont 7 étaient négatifs).

Après avoir étudié le fonctionnement et l’organisation de la CJUE, ce qui contribue à éclairer sur la nature de cette juridiction, il est intéressant de détailler les voies de saisine de la Cour et la façon dont elles permettent de répondre aux objectifs fixée à la juridiction par les traités européens.

B - Une multiplicité des voies de saisine de la Cour permettant l'application et l'interprétation du droit de l'Union

Les traités européens prévoient de multiples cas permettant une saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne. Il est possible de les rassembler en deux catégories principales : les recours ayant trait à une violation des obligations découlant des traités (1) et les recours ayant trait à l’interprétation et l’application du droit de l’Union (2).

1 - La possibilité de saisines en cas de violation des obligations découlant des traités

Les traités imposent un certain nombres d’obligations aussi bien aux États membres qu’aux institutions européennes. La Cour peut ainsi connaitre d’un manquement par un État membre à ses obligations découlant des traités. Cette possibilité de saisir la Cour d’un recours en manquement est prévu par les articles 258 et 259 du TFUE. La saisine de la Cour peut être à l’initiative de la Commission (article 258 TFUE) ou d’un autre État membre (article 259 TFUE). Dans tous les cas la Commission doit rendre en premier lieu un avis à propos du manquement et c’est uniquement si l’État ne se conforme pas à cet avis qu’une saisine de la Cour est possible pour qu’elle statue sur le manquement aux traités. Cette possibilité de saisine souligne la rôle important de la Commission pour garantir l’effectivité du droit de l’Union, mais aussi des États membres entre eux. Il est aussi important de noter que le contentieux devant la Cour est une voie de dernier recours puisque les traités mettent en avant l’obligation d’une négociation préalable via l’avis de la Commission. L’idée est de parvenir à une solution amiable avant la saisine de la Cour. Si la Cour constate effectivement une violation des traités de la part d’un État membre elle va ordonner à l’État de prendre des mesures pour faire cesser cette violation.

Pour ce qui concerne une violation d’une obligation découlant des traités par une institution européenne, et non par un État membre, la Cour peut également connaître d’un recours en carence. Cette procédure, prévue par l’article 265 TFUE, permet de saisir la CJUE dans l’éventualité où le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil, la Commission ou la Banque centrale européenne «  s'abstiennent de statuer » (c’est à dire de prendre un acte juridique qu’ils sont tenus de prendre en vertu des traités européens). Cette possibilité de recours est ouverte aux États membres, aux institutions de l’Union et aux personnes privées. Il est à noter qu’un tel recours est possible uniquement si l’institution en cause a été invitée à agir et n’a pas réagi dans un délai de deux mois. Là encore l’idée est de privilégier une solution amiable en incitant l’institution à réparer sa propre carence avant d’envisager un contentieux devant la Cour.

2 - La possibilité de saisines en matière d’interprétation ou d’application du droit de l’Union

En matière d’interprétation du droit de l’UE la Cour peut être saisie, aux termes de l’article 267 TFUE, d’un renvoi préjudiciel (ou question préjudicielle). Avec cette procédure une juridiction nationale peut interroger la Cour sur l’interprétation des traités ou sur l’interprétation ou la validité d’un acte pris par une institution de l’UE. Si une question préjudicielle est soulevée devant une juridiction nationale dont la décision n’est pas susceptible d’un recours alors la saisine de la CJUE est obligatoire.

Par ailleurs, cette fois-ci en matière d’application du droit de l’UE, la Cour exerce une surveillance de la légalité des actes pris par les institutions de l’UE via la procédure du recours en annulation. Ce recours contre un acte juridique de l’Union est ouvert aux organes de l’UE, aux États membres ou aux personnes physiques et morales (pour ces dernières il est cependant nécessaire de prouver que l’acte en question les affecte directement et individuellement). Ce recours en annulation doit être déposé dans un délai de deux mois. Dans cette procédure c’est le Tribunal qui décide en première instance. Comme le précise l’article 263 TFUE ce recours peut avoir se baser sur plusieurs motifs (« incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir »). Si la Cour considère que le recours est fondé l’acte attaqué est déclaré nul (article 264 TFUE). 

Notons enfin deux autres possibilités de recours. D’une part, la CJUE, aux termes de l’article 268 TFUE, peut être saisie d’un litige découlant d’une action en responsabilité contre l’Union Cet article renvoie à l’article 340 TFUE qui fixe les principes de responsabilité contractuelle et extra-contractuelle de l’Union. En matière extra-contractuelle l’UE est tenue de réparer les dommages causés par ses institutions ou par ses agents « conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres ». En matière contractuelle la responsabilité de l’UE « est régie par la loi applicable au contrat en cause ». L’Union, lorsqu’elle passe un contrat, peut y adjoindre une clause compromissoire rendant la CJUE compétente en cas de litige (article 272 TFUE). En l’absence d’une telle clause les juridictions nationales seront compétentes (article 274 TFUE). D’autre part la CJUE peut également connaitre d’un litige entre l’Union et ses agents, ayant le statut de fonctionnaires européens ou non (article 270 TFUE). Dans ce type de litige le Tribunal statue en première instance, conformément à l’article 256 TFUE.

L’étude, dans une première partie, des possibilités de saisine et du fonctionnement de la CJUE permettent d’apporter des informations quant à la nature de l’institution ; il est intéressant de se pencher plus précisément, dans une seconde partie, sur la nature constitutionnelle de la Cour.

II - La Cour de Justice de l'Union européenne : une juridiction de nature constitutionnelle

La nature constitutionnelle de la Cour de Justice de l’Union européenne s’exprime d’une part par la « découverte » de principes généraux du droit de l’Union par la Cour (A) et d’autre part par l’exercice d’une véritable fonction constitutionnelle par la Cour (B).

A - Mise au jour et mise en œuvre des principes généraux du droit de l'UE par la Cour de Justice de l'Union européenne

Les principes généraux du droit de l’Union sont « découverts » par la Cour (1). Par la suite ces principes seront utilisés dans la jurisprudence de la Cour et ont vocation à s’imposer aux États membres comme aux autres institutions européennes (2).

1 - Des principes « découverts » par la Cour

En droit un juge ne crée pas des principes généraux mais peut être amené à la révéler et à les formaliser, leur donnant ainsi une force normative. Les principes généraux existent dans l’ordre juridique interne comme en droit international (ils sont d’ailleurs mentionnées explicitement comme une source du droit international par l’article 38 du statut de la CIJ). Pour ce qui concerne le droit de l’UE, les traités européens ne mentionnent pas explicitement le concept de principe général du droit. Notons néanmoins la mention dans les traités de « principes généraux communs aux droits des États membres » (article 340 TFUE), de « traditions constitu­tionnelles communes aux États membres » (article 6§3 TUE) ou de « principes communs à tous les États membres » (article 223§1 TFUE) qui peuvent sembler renvoyer à des concepts similaires.

En pratique pour révéler un principe général du droit de l’Union la Cour va souvent faire référence au droit interne des États membres. C’est le cas lors du premier arrêt consacrant un principe général (CJCE, 1957, Algera e.a) où la Cour invoque les règles « reconnues par les lois, la doctrine et la jurisprudence des États membres ». Par la suite la Cour a également invoqué « les traditions constitutionnelles communes aux États membres » (CJCE, 1970, Internationale Handelsgesellschaft). Pour autant cette motivation n’est ni systématique ni obligatoire, la Cour conserve une grande marge d’appréciation pour justifier le dégagement d’un nouveau principe général du droit de l’UE.

2 - Des principes s’imposant aux États membres et aux institutions européennes

Une fois dégagé par la CJUE un principe général du droit de l’Union devra être respecté tant par les institutions de l’UE que par les États membres quand ils prennent des mesures qui concernent le droit de l’UE. La Cour vient donner une valeur juridique et normative à un principe qui s’impose dès lors et doit être respecté, de la même manière que les dispositions découlant des traités par exemple. La Cour, une fois un principe « découvert », pourra l’utiliser dans sa jurisprudence pour justifier un raisonnement.

La question de la place de ces principes dans la hiérarchie des normes se pose cependant. La CJUE a en effet affirmé que ces principes ont un « rang constitutionnel »(CJCE, 2009, Audiolux SA). Plusieurs interprétations sont possibles en la matière. Tout d’abord on peut considérer que les principes généraux ont un rang inférieur dans la hiérarchie des normes par rapport au droit primaire issu des traités. Ce raisonnement se base sur le fait que les principes généraux découlent de la jurisprudence, qui a elle-même un rang inférieur à celui des traités. Une interprétation alternative consiste à considérer que les principes généraux ont en principe un rang inférieur à celui du droit primaire sauf pour les principes expressément consacrés par les traités. Cette interprétation permet d’affirmer, par exemple, que les principes généraux relatifs aux droits fondamentaux ont un rang équivalent aux traités puisque l’article 6§3 du TUE dispose que « Les droits fondamentaux […] tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ». Enfin une dernière interprétation conduit à affirmer que tous les principes généraux ont le même rang que le droit primaire car ils tirent leur origine du droit interne des États, ils sont simplement révélés par la jurisprudence. Notons que même dans cette interprétation un principe général issu du droit international n’aurait pas un rang équivalent à celui du droit primaire de l’Union car il ne tire pas son origine du droit interne des États membres. En tout état de cause la question de la place des principes généraux dans la hiérarchie des normes n’a jamais été tranchée explicitement par la Cour.

Au-delà du cas particulier des principes généraux du droit, la Cour est amenée à exercer un véritable office constitutionnel au sein de l’ordre juridique spécifique que forme le droit de l’Union.

B - L'exercice d'une fonction constitutionnelle par la Cour de Justice de l'Union européenne

La Cour, au travers de ses multiples fonctions, se pose comme la véritable garante de la spécificité et de l’unicité de l’ordre juridique formé par le droit de l’UE (1). Bien que la CJUE ne soit pas une Cour constitutionnelle au sens du droit interne des États elle exerce une véritable fonction constitutionnelle au sein de cet ordre juridique (2).

1 - La Cour comme garante de la spécificité constitutionnelle du droit de l’Union

Avec les arrêts Van Gend en Loos (1963) qui consacre le principe d’effet direct du droit de l’Union, et Costa c. Enel (1964) qui consacre le principe de primauté, la Cour a consacré le droit de l’Union comme un ordre juridique autonome, distinct du droit international et intégré dans les ordres juridiques nationaux. Depuis ces arrêts, réaffirmés à de nombreuses reprises, la CJUE a développé une véritable doctrine constitutionnelle du droit de l’Union. La Cour ne manque pas de réaffirmer la spécificité du cadre constitutionnel européen, qui crée un nouvel ordre juridique doté d’institutions propres et vers lequel les États consentent des limitations de souveraineté. La Cour a notamment rappelé ces différents principes dans son avis 2/13 en 2014.

2 - L’absence de statut de Cour constitutionnelle ne faisant pas obstacle à l’exercice d’une fonction constitutionnelle

La Cour de Justice de l’Union européenne n’est pas une Cour constitutionnelle, au sens du droit interne des États. Pour autant elle peut-être amenée à exercer une fonction constitutionnelle. C’est le cas, par exemple, lorsqu’elle contrôle le respect du droit primaire par le droit dérivé, la primauté du droit de l’UE sur le droit interne, le respect des droits fondamentaux, la juste réparation des compétences entre États membres et institutions européennes ou entre institutions européennes.

Dans ce cadre la Cour et souvent amenée à effectuer une mise en balance entre des normes issues des traités européens et l’intérêt supérieur de l’Union ou entre des normes issues des traités et les principes constitutionnels nationaux. Ainsi la CJUE a pu mettre en balance la protection des droits fondamentaux et l’objectif de lutte contre le terrorisme (arrêt Kadi, 2008), la liberté de circulation au sein de l’UE consacré par les traités et le respect de la dignité humaine tel que protégé par une Constitution nationale (arrêt Omega, 2004) ou encore le bien-être animal et la liberté de religion (arrêt Central Israëlitish Consistorie van België e.a., 2020). La CJUE n’est dès lors plus un simple arbitre des conflits normatifs mais a pour tâche de concilier des intérêts fondamentaux divergents au sein d’un ordre juridique spécifique fondé sur l’intégration au nom de valeurs partagées entre les États membres. En cela la Cour exerce une véritable fonction constitutionnelle.