Introduction
Comme le précise l’article 10 §2 du Traité sur l’Union européenne (TUE) : « les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d'État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens ».
Le Conseil de l’Union européenne et le Conseil européen font partie des institutions de l’Union européenne, au même titre que le Parlement européen ou la Commission européenne. Le Conseil de l’UE, que l’on peut également appeler Conseil ou Conseil des Ministres de l’UE, réunit les ministres des États membres dans un domaine donné (Économie et finances, Affaires étrangères, Justice…). Il représente donc les gouvernements des États membres de l’Union européenne (UE). Il est présidé par chaque État membre à tour de rôle et pour une durée de six mois. Le Conseil européen réunit quant à lui les chefs d’État et de gouvernement des États membres lors de de « sommets européens ». Il est présidé par une personnalité nommé pour une durée de deux ans et demi par les États membres. Il est important de différencier ces deux institutions du Conseil de l’Europe, qui est une organisation internationale extérieure à l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe réunit 46 États membres, dont tous les États membres de l’UE. La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme ont été adoptées dans le cadre du Conseil de l’Europe.
Historiquement le Conseil européen a connu un phénomène d’institutionnalisation progressive. Les réunions régulières de chefs d’État et de gouvernement ont été officialisées en 1974 mais sans être codifiées juridiquement. Cette consécration juridique interviendra avec l’Acte unique européen de 1986 puis avec le traité de Maastricht de 1992 qui précise le rôle du Conseil européen. Le Conseil européen devient officiellement une institution de l’Union européenne avec le traité de Lisbonne (article 13 TUE). Le Conseil de l’UE a quant à lui été codifié dès 1951 dans le traité de Paris. Il figure également dans les traités de Rome de 1957 et de Maastricht de 1992 sous l’appellation « Conseil ». Aujourd’hui le Conseil est désigné comme faisant partie des institutions de l’Union européenne par l’article 13 du TUE.
Le présent sujet amène à s’interroger sur la nature et le rôle du Conseil de l’UE comme du Conseil européen mais aussi sur les points communs et les divergences entre ces deux institutions.
Pour ce faire nous verrons dans un premier temps les différences, tant du point du vue de leur rôle que de leur composition, entre ces deux institutions (I) avant de nous pencher sur les similitudes, notamment pour ce qui concerne la prise de décision, de ces deux institutions (II).
I - Conseil et Conseil européen : deux institutions distinctes dans leur rôle et leur composition
Le Conseil et le Conseil européen sont deux instituions distinctes au sein de l’Union européenne, notamment du fait de leur composition : le Conseil représente les gouvernements des États membres (A) tandis que le Conseil européen représente les chefs d’État (B).
A - Le Conseil : la représentation des gouvernements des États membres au sein de l'Union européenne
Le Conseil est composé des ministres des différents États membres, sa composition varie ainsi de manière thématique (1). Outre les ministres il est important de souligner le rôle du Comité des représentants permanents (2).
1 - Une composition de niveau ministériel variable selon les formations
La composition du Conseil est précisée par l’article 16§2 du TUE : « Le Conseil est composé d'un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l'État membre qu'il représente et à exercer le droit de vote ». Le Conseil a ainsi une nature politique. Il appartient à chaque État membre de désigner le représentant adéquat en vertu de ses exigences constitutionnelles internes et de la thématique qui fait l’objet de la réunion. La Commission européenne est invitée à participer aux réunions du Conseil mais ne fait pas partie intégrante de cette institution. Le Conseil est présidé de manière tournante par un des États membres pour une durée de six mois.
La particularité du Conseil est que sa composition varie de manière thématique. Il existe en effet dix formations au sein du Conseil : Affaires générales, Affaires étrangères, Affaires économiques et financières, Justice et affaires intérieures, Emploi, politique sociale, santé et consommateurs, Compétitivité, Transports, télécommunications et énergie, Agriculture et pêche, Environnement, Education, jeunesse culture et sport. Il est à noter que seules les formations « affaires générales » et « affaires étrangères » sont prévues explicitement par l’article 16§6 du TUE, les autres formations ont été fixées dans une liste adoptée par le Conseil européen.
2 - Le rôle important du comité des représentants permanents
Le rôle du comité des représentants permanents (dit COREPER) est consacré par l’article 16§7 du TUE (« Un comité des représentants permanents des gouvernements des États membres est responsable de la préparation des travaux du Conseil »). Les représentants permanents des États membres ont rang d’ambassadeurs. L’État qui préside le Conseil préside également les réunions du COREPER.
Les membres du COREPER engagent une négociation en amont d’une session du Conseil. Si un consensus se dégage sur un point, ce point sera adopté sans débats par le Conseil. En l’absence de consensus le point fera l’objet d’un débat au sein du Conseil. Dans tous les cas le COREPER ne dispose pas d’un pouvoir de décision autonome. Des comités spécialisés peuvent par ailleurs être mis en place au sein du Conseil, soit de manière ad hoc (sur le Brexit par exemple) soit de manière permanente (sur la politique commerciale commune, la politique économique, la sécurité intérieure…). Dans tous les cas un représentant de chaque État membre siège au sein de ces comités pour y défendre la position de son pays.
Si le Conseil est composé des différents ministres des États membres, le Conseil européen accueille quant à lui les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’UE.
B - Le Conseil européen : la représentation des chefs d'État et de gouvernement au sein de l'Union européenne
Le Conseil, conformément à l’article 10§2, du TUE, permet la représentation des chefs d’État et de gouvernement au sein de l’UE et favorise les débats directs entre eux (1). À cette fin il convient de souligner l’importance particulière du président du Conseil européen (2).
1 - Le Conseil européen : une institution permettant des échanges directs entre les chefs d’États et de gouvernement au sein de l’UE
La composition du Conseil européen est fixée par l’article 15§2 du TUE : « le Conseil européen est composé des chefs d'État ou de gouvernement des États membres, ainsi que de son président et du président de la Commission. Le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité participe à ses travaux ». L’article 15§3 précise « Le Conseil européen se réunit deux fois par semestre sur convocation de son président. Lorsque l'ordre du jour l'exige, les membres du Conseil européen peuvent décider d'être assistés chacun par un ministre et, en ce qui concerne le président de la Commission, par un membre de la Commission ». Le Président du Parlement européen peut-être invité devant le Conseil européen. Les réunions se déroulent uniquement à Bruxelles et non plus dans l’État membre qui préside le Conseil, comme c’était le cas avant 2004.
Il apparait ainsi que la composition du Conseil européen n’est pas purement intergouvernementale. Il permet néanmoins de mettre en œuvre l’objectif fixé par l’article 10§2 du TUE : la représentation des chefs d’État et de gouvernement au sein de l’Union. Le Président de la République ou le Premier ministre, voire les deux, représentent leur État selon le système politique et les règles constitutionnelles propres à chaque État membre.
Le Conseil européen présente ainsi un nombre de participants beaucoup plus réduit que le Conseil, dont les réunions accueillent souvent une centaine de personnes. De plus les réunions du Conseil européen ne sont pas publiques, contrairement à celles du Conseil. L’objectif est de favoriser les échanges de vues et des débats francs et directs entre chefs d’État et de gouvernement.
2 - Le président : une personnalité choisie par les membres du Conseil européen à l’importance capitale pour la conduite des débats
Avant le traité de Lisbonne (2009) le président du Conseil européen était le chef d’État dont le pays présidait le Conseil de l’UE. Le Conseil européen possède désormais une présidence permanente. L’article 15§5 du TUE précise que « Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois ». Le Président du Conseil européen peut être démis de ses fonctions en cas de faute grave ou d’empêchement. Il ne peut exercer de mandat national, ce qui souligne la volonté de l’émanciper, dans une certaine mesure, de l’influence des États membres.
Le rôle du Président, conformément à l’article 15§6 du TUE, est de présider et d’animer les travaux du Conseil européen. Il bénéficie des services du secrétariat général du Conseil pour l’assister. Le Président n’a pas un rôle uniquement honorifique ou de représentation. Ses attributions, au titre de l’article 15§6 du TUE, sont assez larges. Son objectif est de créer de la cohésion et du consensus au sein du Conseil européen. Le Président est garant de l’intérêt général de l’Union dans une institution de nature avant tout intergouvernementale. Le Président du Conseil européen occupe ainsi une fonction d’une importance déterminante, bien que tributaire de la personnalité de son titulaire et de ses qualités de négociateurs.
Si le Conseil et le Conseil européen présentent, nous l’avons vu, des divergences du point de vue de leur composition et de leur fonctionnement, ces deux instituions présentent aussi des similitudes, notamment du point de vue de la procédure de décision en leur sein.
II - Conseil et Conseil européen : deux institutions symboles de l'Europe intergouvernementale présentant des similitudes
La prise de décision au sein des deux instituions est caractérisée avant tout par la règle du consensus, ou en cas de vote, de la majorité qualifiée (A). Leur nature intergouvernementale est de plus soulignée par la possibilité pour les membres d’adopter des accords en marge du droit de l’Union en leur sein (B).
A - Les règles encadrant la prise de décision au sein du Conseil et du Conseil européen : la prévalence du consensus ou de la majorité qualifiée
L’Union européenne, en tant qu’organisation favorisant l’intégration entre ses membres, recourt souvent au principe de la majorité qualifiée plutôt qu’au principe de l’unanimité, qui est souvent la norme dans les organisations internationales de coopération. Cela se vérifie dans la prise de décision au sein du Conseil, où le vote se fait par principe à la majorité qualifiée (1). Le Conseil européen statue, quand à lui, par principe par consensus (2).
1 - Le Conseil : un vote à la majorité qualifiée de principe rarement mis en œuvre en pratique
Comme le précise l’article 16§1 du TUE « Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination conformément aux conditions prévues par les traités ».
Pour remplir ces objectifs, et selon l’article 16§3 du TUE, « le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». La majorité qualifiée désigne ici un système de double majorité défini à l’article 238 du TFUE. Selon cet article la majorité qualifié se définit en principe « comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États ». 55% des États membres représente 16 États. Ce même article précise également qu’ « une minorité de blocage doit inclure au moins le nombre minimum de membres du Conseil représentant plus de 35 % de la population des États membres participants, plus un membre, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise ». La minorité de blocage représente au minimum quatre États. Cet article introduit également une dérogation à cette première règle en précisant que « lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États ». Plus rarement le Conseil peut statuer à la majorité simple ou à l’unanimité (par exemple pour conclure un accord international dans certains domaines).
Pour que le vote au sein du Conseil puisse avoir lieu il faut qu’une majorité des membres soit présente. Chaque État peut voter par délégation pour un seul autre État. Dans le cadre de la procédure législative les résultats des votes sont publics.
En pratique il est à noter que le vote est assez rarement mis en œuvre. En effet un certain nombre de décisions sont tranchées au stade du COREPER et simplement entérinées sans débat par le Conseil. Pour rappel le COREPER désigne le comité des représentants permanents. Ce comité est chargé de négocier en amont d’une session du Conseil. Si un consensus se dégage sur un point, ce point sera adopté sans débat par le Conseil. En l’absence de consensus le point fera l’objet d’un débat au sein du Conseil. Si un consensus se dégage lors du débat au sein du Conseil une délibération peut être adoptée sans vote formel. Le vote est ainsi plutôt un outil de dernier recours en cas de blocage. Le fait de privilégier la négociation sur l’organisation d’un vote formel se retrouve au sein du Conseil européen où la prise de décision se fait par principe par consensus.
2 - Le Conseil européen : une institution politique privilégiant la prise de décision par consensus
Conformément à l’article 15§1 du TUE le Conseil européen « donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales. Il n'exerce pas de fonction législative ».
Les actes adoptés par le Conseil européen ne sont pas, en principe, des actes juridiques à proprement parler. Il adopte des « conclusions » qui sont des positions politiques sur un sujet. Depuis le traité de Lisbonne (2009) le Conseil européen peut également adopter des actes juridiques dans certains domaines précis (adoption de sanctions envers un État membre, révision des traités, adhésion d’un nouvel État, retrait d’un État membre…). Pour autant il ne s’agit pas d’une fonction législative, comme le rappelle l’article 15§1 du TUE.
Le Conseil européen a ainsi un fonctionnement plus politique que juridique, même si l’article 15 du TUE et le règlement intérieur du Conseil européen encadrent désormais son organisation et son fonctionnement.
La prise de décision au sein du Conseil européen se fait en principe par consensus, conformément à l’article 15§4 du TUE. Le Conseil européen peut également organiser, dans certains cas, un vote formel mais en pratique cela est rare.
En cas de vote, le Conseil européen peut statuer à l’unanimité, à la majorité qualifiée ou à la majorité simple dans les cas précisés par les traités. Chaque membre peut recevoir une délégation d’un seul autre membre. L’abstention d’un des membres ne fait pas obstacle à l’adoption d’une décision lors d’un vote à l’unanimité. Comme le précise l’article 235 du TFUE, si le Conseil européen statue à majorité qualifiée les mêmes règles s’appliquent que pour le Conseil. Le Président du Conseil européen et le Président de la Commission ne prennent pas part aux votes, ce qui souligne que le Conseil européen représente les États membres.
La nature intergouvernementale de ces deux instituons est soulignée par leur composition mais aussi par la possibilité qu’ont leurs membres d’adopter des accords en marge du droit de l’Union.
B - Le Conseil et le Conseil européen comme instances d'adoption d'accords strictement intergouvernementaux
Les États membres réunis au sein du Conseil européen ou du Conseil peuvent adopter des accords intergouvernementaux (1), ces derniers échappent alors au droit de l’Union et au contrôle de la CJUE (2).
1 - La possibilité pour les États membres de conclure au sein du Conseil européen ou du Conseil des accords en marge du droit de l’Union
Ces deux institutions symbolisent l’Europe intergouvernementale. Cela est d’autant plus le cas que certaines décisions du Conseil européen ou du Conseil doivent être ratifiées par chacun des États membres. C’est par exemple le cas pour une modification des traités européens ou une nouvelle adhésion à l’Union. Il est également possible pour les États membres de conclure des accords intergouvernementaux dans le cadre du Conseil européen ou du Conseil. Ces accords ne font pas partie du droit de l’Union et les règles de vote au sein de ces institutions ne s’appliquent alors pas.
Il est arrivé à plusieurs reprises que les chefs d’État et de gouvernement concluent des accords au sein du Conseil européen dont la nature juridique est parfois floue. On peut penser par exemple à la décision du 19 février 2016 constituant un arrangement avec le Royaume-Uni dans le cas où celui aurait décidé de ne pas quitter l’UE ou à la déclaration « UE-Turquie » du 18 mars 2016 à propos de la crise des migrants. Cela pose alors la question d’un éventuel contrôle de la CJUE sur ces actes juridiques.
2 - L’absence de contrôle de la CJUE sur les actes ayant une nature purement intergouvernementale
La CJUE n’exerce pas de contrôle de légalité sur des actes purement intergouvernementaux car elle considère que les représentants des États membres agissent non pas en tant que membres du Conseil ou du Conseil européen mais en tant que représentants des différents gouvernements (CJUE, 16 juin 2021, Sharpston c. Conseil et les Représentants des Gouvernements des États membres).
En tout état de cause, la CJUE apprécie au cas par cas la nature de tels accords et leur éventuel rattachement au droit européen. S’il s’agit d’actes de droit de l’UE la Cour pourra exercer un contrôle, le Conseil ou le Conseil européen sont considérés comme agissant comme des institutions de l’Union (voir par exemple CJUE, 31 mars 1971, Commission c. Conseil). Dans le cas contraire la Cour n’exercera pas de contrôle puisque les États membres exercent souverainement leur droit de conclure un accord entre États en dehors du droit de l’UE (CJUE, 30 juin 1993, Parlement c. Conseil). La seule exigence dans ce cas pour les États membres est de respecter le droit de l’Union dans le sens où le nouvel engagement pris ne doit pas entrer en contradiction avec leur obligations dans le cadre de l’UE. Le Tribunal s’est par exemple déclaré incompétent pour statuer sur la déclaration « UE-Turquie » en estimant qu’il ne s’agissait pas d’un acte juridique émanant du Conseil européen (Tribunal UE, 28 février 2017, NF c. Conseil européen).
