Existe-t-il un équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sous la V° République ? (dissertation)

Introduction

La Troisième République a été la première république véritablement parlementaire. Ses détracteurs la qualifiaient même de parlementariste. La Quatrième République n’a pas eu besoin de connaître de détracteurs : elle faisait à peu près l’unanimité contre elle, après avoir versé dans le régime d’assemblée.

La volonté des constituants ayant rédigé le texte de la Constitution de la Cinquième République s’orientait selon plusieurs axes et, notamment, celui de la restauration de l’autorité de l’Etat ainsi que celui du renforcement de ses organes exécutifs, tout en respectant les droits du Parlement. Lire le texte de la Constitution, c’est aussitôt observer les relations entre les différentes institutions et, particulièrement, entre les organes composant le pouvoir exécutif et ceux composant le pouvoir législatif. Qualifier ces relations, c’est placer chacun d’eux sur l’échelle hiérarchique du pouvoir.

Ainsi, poser la question d’un équilibre éventuel entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif revient à identifier une supériorité intervenant nécessairement dans le jeu du pouvoir. Derrière la recherche d’un équilibre, se cache la recherche de la nature des relations entre les institutions. Or, sous la Cinquième République, il n’a jamais été entendu, d’une part, qu’un tel équilibre devait exister et, d’autre part, encore moins que le législatif put surpasser l’exécutif. Bien au contraire, l’Exécutif a toujours dominé.

Cette domination a trouvé ses origines dans le texte de la Constitution (I), en tout cas, si ce n’est dans sa lettre, dans son esprit et dans la pratique du pouvoir qui a été mise en place aux débuts de la Cinquième République. Cette domination a par la suite connu des soubresauts dont l’objectif était de revenir à un plus grand équilibre (II) à travers la procédure de la motion de censure, jusqu’aux plus récentes évolutions constitutionnelles ou aux mécanismes traditionnels du régime parlementaire tels l’engagement de responsabilité qui, pour autant, n’ont pas bouleversé la donne des grands équilibres propres à la Cinquième République.

I - Un déséquilibre favorable à l’Exécutif

Aucun équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif n’a existé sous la Cinquième République. Il n’en a jamais été question tant en sondant la volonté des constituants (A) qu’à l’occasion de l’observation de la pratique du pouvoir (B).

A - L’absence d’un équilibre exécutif - législatif dès les origines du régime

Dès ses débuts, la Cinquième République s’est imposée comme un régime attestant de l’inégalité désirée entre les organes législatif et exécutif. Cela tient d’abord à l’histoire. La Troisième République avait sombré dans l’abîme vichyste et la Quatrième s’était définitivement discréditée au sujet de la question algérienne, la première par son parlementarisme, la deuxième en se transformant en régime d’assemblée. Du point de vue de l’inspiration, il fallait rompre avec ce type de systèmes et employer une nouvelle philosophie dont le général de Gaulle avait, dès le 16 juin 1946 à Bayeux, tracé les grandes lignes dans son discours resté célèbre sur les institutions. Les solutions préconisées ne seraient reportées que de douze ans, mais allaient enfin voir le jour en 1958.

L’inspiration est très claire : il s’agit de renforcer les organes exécutifs et d’attribuer au président de la République un rôle nouveau de gardien et de garant de l’Etat.

Les constituants - pour l’essentiel, Charles de Gaulle et Michel Debré, chargé de la rédaction du projet - souhaitaient mettre en place un système institutionnel dans lequel l’autorité de l’Etat serait affirmée à l’intérieur et son indépendance maintenue à l’extérieur. Il était dès lors à craindre que le pouvoir législatif refluerait nécessairement face au pouvoir exécutif et qu’aucun équilibre ne serait ainsi concevable. Il fallait tout autant préserver l’Etat des clans et autres factions, comme précédemment, que des pressions de l’étranger. Cela impliquait un Etat fort par l’action des organes exécutifs, rôle que le pouvoir législatif n’aurait pas su assurer.

Dans la foulée des deux précédentes républiques, les constituants souhaitaient par ailleurs relever le pouvoir exécutif de la condition diminuée qui lui avait été faite alors. Ce renforcement des organes exécutifs allait ainsi assurer la stabilité gouvernementale qui faisait défaut aux deux républiques précédentes.

La meilleure démonstration de cette soudaine supériorité conférée aux organes exécutifs s’explique par la condition faite au président de la République. Celui-ci, au nom d’une nouvelle conception de la séparation des pouvoirs, se voit, au sein du pouvoir exécutif, le détenteur initial de ce dernier, à l’instar du Parlement pour le pouvoir législatif.

Ce même chef de l’Etat, placé au-dessus des partis, nouvel homme fort du régime, se voit confier des pouvoirs propres importants qui lui permettent d’engager un dialogue direct avec le peuple soit par l’usage du référendum (article 11 de la Constitution), soit par la dissolution de l’Assemblée nationale (article 12), soit encore dans d’autres circonstances par le recours à une dictature à la romaine (article 16). Si le référendum constituait bien une nouveauté et les pleins pouvoirs une procédure ambigue et dont l’application s’avèrera douteuse, la dissolution prononcée par le chef de l’Etat, la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, ainsi que l’irresponsabilité politique du président de la République restituent bien les traits caractéristiques d’un régime parlementaire.

En effet, la fidélité au régime parlementaire, la filiation même à celui-ci est réaffirmée dans le corps de la Constitution et à travers les propos fameux, tenus par Michel Debré le 27 août 1958 devant l’Assemblée générale du Conseil d’Etat : « Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel, la voie devant nous est étroite, c’est celle du régime parlementaire ». Il n’y aucun doute quant à cet héritage.

Cependant, cette conception des institutions, pour relever d’une philosophie politique libérale et républicaine, ne traduit que partiellement la nature du régime et ne reflète guère la réalité du pouvoir, le rôle tenu par chacun des organes. Il ne s’agit que d’une inspiration et de la lettre de la Constitution. L‘esprit et la pratique en seront tout différent. De manière plus pragmatique, la durée initiale du mandat présidentiel, le rôle militaire et diplomatique du chef de l’Etat, l’usage du référendum, le fait de pouvoir être à l’origine d’une révision de la Constitution, les nominations très importantes auxquelles peut procéder le chef de l’Etat font du pouvoir exécutif, en général, et au sein de ce pouvoir, le président de la République, l’organe dominant des institutions. Aucun équilibre exécutif-législatif ne saurait être trouvé dans un tel régime.

De la même manière, l’article 34 de la Constitution, délimitant le domaine d’intervention de la loi quand celle-ci relevait sous la Troisième République d’une conception légicentrique qui en faisait l’alpha et l’oméga des actes normatifs, marque aussi le recul du pouvoir législatif. De plus, toute la procédure relative à l’adoption de la loi, les dispositions limitant l’adoption de celle-ci (les ordonnances de l’article 38, l’article 40, l’article 41 : exception d’irrecevabilité, l’article 44-3 : vote bloqué, l’article 47 : budget adopté sans vote parlementaire au-delà de soixante-dix jours d’examen, le fameux « 49-3 ») réduisent le périmètre d’action de la loi et signifient d’autant la soumisssion nouvelle du pouvoir législatif au pouvoir exécutif. L’instauration d’un contrôle limité de la constitutionnalité des lois par un nouvel organe, le Conseil constitutionnel, et le respect par la France des règles de droit public international constituent le chant du cygne du légicentrisme et sonne le glas de l’ultra-domination parlementaire.

Le pouvoir législatif se voit condamné, réduit et cantonné au bénéfice du pouvoir exécutif. Bien malin qui, dans ces conditions, saurait trouver un équilibre exécutif-législatif, déséquilibre que la pratique du pouvoir va renforcer et consolider. L’esprit de la Cinquième, à défaut de sa lettre, s’avère favorable au déséquilibre institutionnel au profit du pouvoir exécutif et au détriment du pouvoir législatif.

B - Un déséquilibre à l’honneur sous la Cinquième

Ce déséquilibre initial, propre à la Cinquième République, n’a eu de cesse, hélas, de s’amplifier et la pratique institutionnelle n’a fait que le renforcer.

D’une part, la révision constitutionnelle du 26 novembre 1962, permettant désormais l’élection au suffrage universel direct du président de la République, hisse ce dernier, en termes de légitimité, au moins au niveau des députés puisque le chef de l’Etat sera issu, dès l’élection présidentielle suivante de 1965, de l’expression directe de la volonté populaire, ce qui ne contribuera pas peu, à travers cette légitimité concurrente, à poursuivre la pente favorable au pouvoir exécutif et au déséquilibre institutionnel permanent.

D’autre part, la liste impressionnante des pouvoirs propres du président de la République indique de quel côté penche le balancier. Au titre de ses compétences politiques (articles 8 de la Constitution), il nomme le Premier ministre et sur sa proposition les ministres. Il préside le Conseil des ministres (article 9), demande une nouvelle délibération de la loi qui ne peut être refusée (article 10), a droit de messages aux assemblées (article 10), jouit de la faculté de prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès (article 18) et ouvre et clôt les sessions extraordinaires (article 30).

Ses compétences exécutives ne sont pas moindres puisqu’il promulgue les lois dans les quinze jours suivant leur transmission au gouvernement, signe les ordonnances et décrets délibérés en Conseil des ministres, nomme aux emplois civils et militaires (article 13). Au titre de ses compétences diplomatiques et militaires, il négocie et ratifie les traités (articles 52 et 53), accrédite les ambassadeurs (article 14), est chef des armées et préside les conseils et comités supérieurs de défense nationale (article 15). Enfin, en matière constitutionnelle et judiciaire, il doit veiller au respect de la Constitution (article 5), a l’initiative concurremment avec les membres du Parlement de sa révsion et peut intervenir dans la procédure de révision pour réunir le Parlement en Congrès (article 89), dispose d’un doit de grâce (article 17), peut demander des avis au C.S.M (article 64) et y nomme deux personnalités qualifiées (article 65). On le voit, le recensement des compétences propres comme des pouvoirs partagés du chef de l’Etat donne le tournis.

Mais, plus conjoncturellement et plus pratiquement, l’emploi fréquent et régulier du référendum et l’extension de son champ (révision constitutionnelle du 4 août 1995) par la plupart des présidents, l’usage prolongé et quelque peu abusif de l’article 16 et de son application en 1961 par le général de Gaulle, les pouvoirs importants aussi bien du Premier ministre que de l’ensemble du gouvernement ont poursuivi ce mouvement ascendant.

Il faudrait y ajouter, en période de cohabitation, le refus, désormais accepté, par le président Mitterrand de signer certaines ordonnances réglementaires présentées par le gouvernement, la constitutionnalisation des collectivités territoriales et la possibilité d’expérimentations, doublées d’un nouveau pouvoir réglementaire pour celles-ci en 2003 ainsi qu’une plus grande autonomie des territoires ultra-marins, l’adoption du quinquennat en 2000 modifiant l’équilibre institutionnel en accélérant le temps propre au régime et renforçant d’autant la personnalisation du pouvoir et la responsabilité politique du président, l’absorption de la charge gouvernementale par certains titulaires récents de la fonction présidentielle, l’emprise de plus en plus forte du droit international public mais aussi du droit communautaire, lequel se voit constitutionnalisé au titre XVI du texte suprême (Traités de Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne), l’émergence et l’ascension fulgurante du Conseil constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité de la loi et de la défense et garantie des droits et libertés fondamentaux depuis la décision fondatrice  Liberté d’association du 16 juillet 1971, tout comme l’élargissement de la saisine de ce dernier. Tous ces facteurs ont à la fois marqué le recul du pouvoir législatif, la domination sur ce dernier du pouvoir exécutif et la réduction, le cantonnement des organes législatifs, concurrencés par divers organes juridictionnels (Conseil constitutionnel ,Cour de Justice de l’Union européenne, Cour européenne des droits de l’Homme, Cour Internationale de Justice,  Cour pénale internationale … et, plus généralement, toute la normativité extérieure, législations, règlements, directives, arrêts et autres). Autant d’éléments qui sonnent comme une longue litanie et confirment le recul incessant du pouvoir législatif au bénéfice permanent du pouvoir exécutif 

Il n’est pas jusqu’à nombre d’articles de la Constitution, issus de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui visait un rééquilibrage des institutions et une revalorisation parlementaire, mais qui, sous ce prétexte, ne finissent en réalité par s’imposer que comme un renforcement des prérogatives de l’Exécutif au détriment des organes législatifs.      

Par ailleurs, certains articles, issus de cette révision constitutionnelle, tels le nouvel article 6, révèlent l’aspect parfois « gadget » de celle-ci (pas plus de deux mandats consécutifs ce qui n’interdit pas de se représenter par la suite), le faux référendum d’initiative populaire de l’article 11 qui n’est qu’un référendum d’initiative partagé, un Défenseur des droits dans la main du chef de l’Etat du fait de son mode de nomination, un C.E.S devenu en plus environnemental (la belle affaire !), les groupes d’opposition et minoritaires du nouvel article 51-1 … Les exemples sont légion. Une fois encore, tout cela s’est opéré à l’avantage du pouvoir exécutif et aucun équilibre n’est apparu pour poser le pouvoir législatif comme un concurrent direct de l’Exécutif.

Néanmoins, cette domination exécutive ne s’est pas faite uniformément. Des reculs, des retraits se sont opérés et le pouvoir législatif a parfois pu reprendre une place plus conforme à celle qui devrait lui revenir, la dernière révision constitutionnelle en date ayant tenté d’opérer ce rééquilibrage.

II - A la recherche d’un nouvel équilibre institutionnel

Le mouvement, pour régulièrement avancer dans un sens favorable à la domination exécutive face à la condition législative, a connu des accrocs, des entorses dont l’objectif était de rendre sa place aux organes législatifs, largement bafoués jusque là et, s’il n’y est pas toujours parvenu, a limité l’ultra-domination du pouvoir exécutif. L’on peut citer la motion de censure (A) et deux autres procédés (B).

A - Une tentative avortée de retour de balancier : la motion de censure

Face au déséquilibre institutionnel, le pouvoir législatif a parfois tenté, si ce n’est d’inverser le mouvement, à tout le moins de rééquilibrer le rapport de forces. En ce sens, le vote d’une motion de censure par l’Assemblée nationale à l’encontre du gouvernement le 5 octobre 1962 illustre la situation.

Le vote d’une motion de censure est un des procédés par lequel le régime parlementaire s’exerce parfaitement et permet au Parlement de voir le gouvernement lui rendre des comptes par le rejet de celui-ci.

Pour mémoire, la motion de censure, arme classique codifiée à l’article 49.2 de la Constitution, demeure néanmoins favorable à l’exécutif dans le cadre d’un régime parlementaire rationalisé. Elle doit être signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée et ce, par rapport au nombre de sièges effectivement pourvus. Non seulement, un député ne peut signer plusieurs motions à la fois mais en plus, aucune signature ne peut être ajoutée ou retirée, le tout seulement pendant les sessions ordinaires et à l’exclusion de périodes pendant lesquelles intervient soit l’intérim présidentiel soit est appliqué l’article 16. Le vote intervient seulement quarante-huit heures après le dépôt de la motion. Enfin, le calcul de la majorité comprend seulement les votes favorables à la motion, adoptée à la majorité des membres composant l’Assemblée. En cas d’adoption, seule la démission du gouvernement peut intervenir et la signification politique d’un tel acte ne peut être interprété que comme une mise en cause globale de la politique gouvernementale et de l’ensemble du pouvoir exécutif. En effet, la motion de censure adoptée en 1962 était davantage dirigée contre le chef de l’Etat que contre le Premier ministre, bien que cette dernière l’est en général contre celui-ci.

D’une part, on le voit bien, tout est fait dans la technique pour que le vote d’une motion de censure soit le plus difficilement possible et le plus favorablement possible à l’exécutif. On peine à trouver là un rééquilibrage institutionnel dont l’initiative reviendrait au pouvoir législatif.

D’autre part, d’un point de vue plus factuel, l’adoption de cette célèbre motion de censure le 5 octobre 1962 constitue l’exception plutôt que la règle.

Le cas, à ce jour, ne s’est produit qu’une seule fois et en l’espèce, cette crise intervenait à la suite de l’annonce - sur fond de fin de crise algérienne qui avait justifié une intervention présidentielle forte et qui devait, selon le sentiment parlementaire, laisser place désormais à une pratique du pouvoir plus conforme aux rites parlementaires jugés normaux - par le général de Gaulle, de la soumission d’un projet de loi prévoyant l’élection au suffrage universel direct du président de la République à référendum sur la base de l’article 11 de la Constitution au lieu de l’article 89, procédure qui consistait à court-circuiter le Parlement en faisant voter directement le peuple français, ce qui était pour le moins iconoclaste .

Le choix d’un Premier ministre non-parlementaire tel Georges Pompidou et la démission de Michel Debré, à la demande du président, n’allaient pas véritablement dans le sens souhaité par le Parlement après cette phase algérienne transitoire.

Bien qu’échappant au contreseing, l’article 11 n’est pas un pouvoir propre du président et l’initiative doit venir soit du gouvernement soit du Parlement. En l’espèce, elle est venue du gouvernement ce qui a permis la mise en jeu de sa responsabilité. C’est ce contexte de crainte d’un retour au césarisme démocratique tel que le pratiquait l’Empire ou le souvenir du général Boulanger qui a provoqué les foudres parlementaires et provoqué un sentiment d’acte anticonstitutionnel voulu par le président de la République. Cependant, la rédaction de la motion visait très clairement, à travers le Premier ministre, la figure du chef de l’Etat, ce qui fait plutôt penser à un acte d’accusation proche de la haute trahison de l’article 68 qu’à la censure du gouvernement. Une fois la motion adoptée, le Premier ministre présenta sa démission au président, lequel ne l’accepta pas formellement, lui demandant de rester en place, et prononca la dissolution de l’Assemblée. L’affaire se solda par la victoire du général de Gaulle, ses partisans rempotant les élections législatives et lui, le référendum. La bipolarisation était dès lors installée en France.

La procédure d’adoption de la technique qu’est la motion de censure tout comme la seule adoptée en 1962 sont par trop exceptionnelles pour constituer non seulement une règle générale mais en plus un acte visant au rééquilibrage des pouvoirs. La tentative tourna court et se conclue par un échec fracassant.

B - Les autres procédés de rééquilibrage institutionnel

Deux procédés peuvent être envisagés : l’engagement de responsabilité du Gouvernement et le contrôle et l’évaluation des politiques publiques par le Parlement.

L’article 49-1 de la Constitution postule l’engagement de responsabilité de la part du gouvernement devant l’Assemblée nationale que ce soit sur le programme du gouvernement ou sur une déclaration de politique générale. Si selon la lettre de la Constitution, l’accord du président, en règle générale, n’est jamais requis (encore moins en période de cohabitation) pour engager la procédure, il n’en reste pas moins que l’esprit du texte fait que ce dernier en est souvent à l’origine.

Du fait que, pour son adoption, l’engagement de responsabilité nécessite un nombre plus important de voix favorables qu’hostiles (votes pour, contre et abstentions étant dénombrés), cette procédure apparaît comme plus délicate pour le gouvernement. De là à parler d’équilibre institutionnel, il y a un pas qui ne saurait être franchi. D’autant que, pour avoir été pratiqué une trentaine de fois environ depuis 1958, l’engagement de responsabilité s’est parfois vu substitué la possibilité de communications donnant lieu à un débat organisé mais non suivi de vote ainsi que le prévoit l’article 132 du règlement de l’Assemblée nationale.

La responsabilité peut aussi être engagée sur le vote d’un texte aux termes de l’article 49-3 de la Constitution. Chacun connaît la procédure. Le sort du gouvernement est lié à l’adoption d’un texte particulier. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a limité l’usage de cet article, très critiqué, aux projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale ou d’un autre projet ou proposition de loi par session.

De cette situation, trois cas se présentent : l’absence de dépôt de motion de censure, un dépôt puis un rejet, un dépôt puis une adoption. Si le premier cas peut sembler logique, le deuxième est plus douteux tant il est favorable au gouvernement. Il faut se prononcer explicitement contre le gouvernement (les abstentions ne sont pas dénombrées) pour que soit adoptée la motion de censure, à défaut de quoi, c’est « coup double » pour le gouvernement qui voit son texte adopté et peut, en plus, se maintenir. Le comptage n’est pas si scandaleux qu’en apparence. Pour une affaire aussi importante que l’existence d’un gouvernement, le moins que l’on puisse attendre des députés est qu’ils sachent prendre parti et se prononcer.

Ce qui est plus choquant est la pression exercée par le gouvernement sur les députés en recourant à une telle procédure et le fait que les amendements parlementaires passent à la trappe en maintenant le texte dans la forme voulue par le gouvernement. Il y a là comme une négation des principes de la démocratie représentative. Le célèbre « 4-3 », même « rationalisé » depuis 2008, s’avère redoutable pour le Parlement et particulièrement efficace à l’endroit du gouvernement en liant son sort à l’adoption d’un texte. On cherchera là vainement un quelconque rééquilibrage institutionnel.

Enfin, le contrôle et l’évaluation des politiques publiques par le Parlement est sensé participer à ce mouvement de valorisation du Parlement et de revalorisation par rapport au pouvoir exécutif. La dernière révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a particulièrement œuvré en ce sens. C’est l’affirmation explicite de cette mission à l’article 24 de la Constitution. Mais, cette valeur ajoutée demeure faible. Le nouvel article 47-2 donne ainsi à la Cour des comptes la compétence nécessaire pour assister le Parlement dans son contrôle de l’action gouvernementale par le biais de l’évaluation des politiques publiques. Il faut y ajouter la création de commissions d’enquêtes, prévue à l’article 51-2, renforçant le pluralisme de leur composition par une désignation à la proportionnelle des groupes et l’attribution automatique des fonctions de président ou de rapporteur à un membre d’un groupe d’opposition ou minoritaire. Enfin, le Comité d’évaluation et de contrôle parachève le système.

Mais, tout cela demeure marginal et sans une portée capable de bouleverser les grands équilibres. Il faudrait y ajouter toute la procédure d’adoption de la loi pour souligner ce déséquilibre et le fait qu’aucun remède opportun n’y ait été apporté.

Aucun équilibre originel entre les pouvoirs exécutif et législatif n’a existé sous la Cinquième République. Ce déséquilibre s’est toujours renforcé, toujours au bénéfice de l’exécutif, toujours au détriment du législatif. Aucune réforme ne l’a sérieusement écorné ni n’a pu améliorer la situation jusqu’aux dernières évolutions institutionnelles. La Sixième République pourrait peut-être le faire ou alors le déséquilibre institutionnel ne peut être que la règle, l’avantage à l’exécutif, la soumission au législatif, comme a pu le démontrer avec brio Georges Vedel et c’est une impasse dont on ne saurait sortir. Et, ce n’est pas la mandature actuelle, celle de 2017, qui infirmera ce constat : la confrontation entre un Exécutif fort, notamment présidentiel, et des députés souvent novices et inexpérmentés à qui l’on ne reconnaît comme seul rôle que celui d’avaliser les décisions du Gouvernement est de nature à conforter cette prédominance du pouvoir exécutif.