Introduction
Le contrôle de constitutionnalité correspond à la mission de contrôle confié à un organe ou une juridiction afin de vérifier la conformité des lois aux normes constitutionnelles clairement définies. Ce contrôle permet notamment de garantir la primauté des normes constitutionnelles dans l’ordre juridique et dans la hiérarchie des normes. La France a été plus tardive que d’autres pays – les États-Unis en premier lieu au début du XIXe siècle – à mettre en œuvre un tel contrôle…
En 1946, le second projet de Constitution de la IVe République adopté par les Français met en œuvre pour la première fois un organe de contrôle de constitutionnalité, bien qu’il ne soit pas en tant que tel une cour constitutionnelle à l’image de ce qu’on pourrait connaitre dans d’autres pays. Ce comité constitutionnel, présidé par le Président de la République, est alors composé de treize membres occupant tous des fonctions politiques (président de l’Assemblée, président du Conseil de la République, des membres élus par les deux assemblées). Les conditions de sa saisine sont alors très restrictives, ce qui fait qu’il est rarement sollicité : il n’a ainsi été saisi qu’en juin 1948, sans que la procédure n’aille à son terme.
Avec la Constitution de 1958, la Ve République est marquée par la naissance du Conseil constitutionnel dont le rôle sera beaucoup plus important. S’il est prévu avant tout à l’origine comme un véritable outil de rationalisation du parlementarisme, le Conseil a progressivement acquis un véritable rôle de protecteur des libertés fondamentales. La norme de références s’est étendue à l’ensemble du bloc de constitutionnalité (CC, 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC), tandis que la question prioritaire de constitutionnalité permet depuis 2010 la saisine du Conseil par tout justiciable et sous certaines conditions au cours d’un procès devant une juridiction. La Constitution lui donne une compétence facultative sur les lois ordinaires, c’est-à-dire que le contrôle a lieu sur saisine des autorités désignées à cet effet ; une compétence obligatoire pour les lois organiques et les règlements des deux assemblées qui composent le Parlement (Constitution, art. 61). Le Conseil constitutionnel est aussi chargé du contentieux des référendums, des élections nationales et parlementaires (Constitution, art. 58 à 60).
Au-delà de ses compétences, la nomination des membres du Conseil constitutionnel reste un débat d’actualité. Le Conseil est composé de « neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n'est pas renouvelable » tandis qu’il se renouvelle par tiers tous les trois ans (Constitution 1958, art. 56). Cette nomination est avant tout l’affaire de diverses autorités publiques, ce qui est assez classique, mais avec peu de conditions à respecter (I). Par ailleurs, l’entrée en fonction se fait après un contrôle par les commissions des lois de l’Assemblée et du Sénat, procédure régulièrement critiquée (II).
I - Une nomination quasi discrétionnaire des juges constitutionnels par des autorités politiques déterminées par la Constitution
La nomination des juges constitutionnels en France se fait de façon quasi discrétionnaire, à l’initiative des plus hautes autorités de l’État (A) et ceci sans que la Constitution n’émettent de nombreuses conditions à respecter quant aux personnalités retenues (B).
A - Des nominations à l'initiative des plus hautes autorités de l'État
Parmi les plus hautes autorités de l’État, trois membres dont le président du Conseil constitutionnel sont nommés par le Président de la République (1). Les autres membres sont nommés par les présidents des deux chambres qui composent le Parlement (2).
1 - La compétence du Président de la République dans la nomination : trois membres, dont le président du Conseil constitutionnel
L’article 56 prévoit que « trois des membres sont nommés par le Président de la République » (alinéa 1er), mais aussi que le Président du Conseil constitutionnel est « nommé par le Président de la République » (alinéa 3). Cela a une importance, car le Président du Conseil fixe évidemment les grandes orientations de l’organisation interne au Conseil et il a voix prépondérante en cas d’égalité à l’occasion des examens de constitutionnalité. Très récemment, le Président de la République, Emmanuel Macron, a nommé son ancien compagnon politique Richard Ferrand, qui a remplacé Laurent Fabius nommé à la tête du Conseil constitutionnel depuis 2016 par François Hollande. Il peut arriver qu’un président qui n’est élu que pour un seul mandat ne puisse nommer un Président du Conseil constitutionnel, du fait de la durée de mandat de ses membres fixée à 9 ans : cela a notamment été le cas de Nicolas Sarkozy. Cette nomination présidentielle s’inscrit en tout cas dans le présidentialisme de la Ve République ou, à tout le moins, dans le sillage du rôle important que l’on veut donner au Président de la République parmi les institutions.
2 - La compétence des présidents des deux chambres du Parlement dans la nomination des autres membres
L’article 56 prévoit, par ailleurs, que trois membres soient nommés par le président de l'Assemblée nationale et trois autres par le président du Sénat. Finalement, les autorités de nominations sont aussi celles qui peuvent saisir le Conseil constitutionnel, bien que l’article 61 y ajoute le Premier ministre et 60 députés ou sénateurs. Les nominations effectuées par les présidents des deux chambres du Parlement sont aussi souvent induites par des proximités politiques ou philosophiques avec les membres nommés. Il n’est ainsi pas rare que d’anciens députés ou d’anciens sénateurs soient nommés au Conseil constitutionnel. On peut ainsi citer le sénateur Philippe Bas qui a récemment été nommé par Gérard Larcher. Pour autant, l’étiquette politique semble moins importante que dans d’autres systèmes constitutionnels comme les États-Unis où les partis politiques des juges sont très affichés. La conception française n’empêche pas que les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale nomment aussi des personnalités qui ne font pas partie de leur formation politique. On peut ici citer la dernière nomination de Laurence Vichnievsky, ancienne magistrate, par la présidente Braun-Pivet. Il faut dire que le choix des personnalités nommées se veut relativement discrétionnaire.
B - L'absence de conditions relatives aux personnalités nommées
Si la Constitution ne prévoit aucune condition relative aux personnalités choisies, au-delà de la suggestion de fait de simples connaissances juridico-politiques (1), il s’agit d’une singularité française souvent critiquée (2).
1 - La suggestion de simples connaissances juridico-politiques
La Constitution en elle-même ne prévoit pas de qualifications requises ou d’éléments particuliers quant aux profils nommés pour siéger au Conseil constitutionnel. Les autorités bénéficient ainsi d’une grande liberté, si ce n’est que le membre nommé doit jouir de ses droits civiques et politiques. L’institutionnalisation d’une véritable coutume constitutionnelle veut que les autorités nomment des personnalités qui ont un minimum d’expérience tout en assurant la diversité au sein du Conseil entre les politiques et les juristes. Pour autant, le manque de connaissances juridiques des membres du Conseil fait régulièrement débat. À chaque période de nomination, des tribunes ou articles de doctrines écrits par des professeurs de droit appellent à la mise en œuvre de véritables critères pour la nomination des « Sages » en y intégrant davantage d’enseignants-chercheurs en droit constitutionnel. Récemment l’une d’elles précisait que la « politisation [des membres] pose de nombreuses difficultés. Elle sème d’abord le doute quant à la capacité des conseillers constitutionnels à s’approprier la culture de l’État de droit, dont le respect est au cœur de la justice en général, et de la justice constitutionnelle en particulier. Peuvent-ils, une fois nommés, se défaire de leur culture (très politique) de la raison d’État ? Cette dernière ne continue-t-elle pas de les guider lorsqu’ils se prononcent » (Elina Lemaire, « Conseil constitutionnel : Il serait opportun que le président de l’institution soit choisi parmi des juristes aguerris », Le Monde, 8 février 2025). Cette conception est jugée « restrictive » par des membres du Conseil constitutionnel, à l’image des récentes déclarations de l’ancien Premier ministre Alain Juppé (Frédéric Lemaitre et Solen de Royer, « Alain Juppé : Aujourd’hui, l’enjeu, c’est celui de notre liberté », Le Monde, 7 mars 2025). Ces débats mettent indéniablement en lumière, alors même que les missions du Conseil ont évolué depuis sa création, une singularité dans notre pays.
2 - Une singularité française face aux conditions prévues par d’autres Constitutions et pratiques
Il est vrai que l’absence de l’exigence de critères et de qualifications pour les personnalités siégeant au sein du Conseil constitutionnel est une rare singularité française. D’autres juridictions constitutionnelles dans de grandes démocraties sont composées selon des exigences listées dans les lois fondamentales. La Constitution américaine « n'impose certes aucune qualification particulière ni d'âge, ni même de formation » (Elisabeth Zoller, « Présentation de la Cour suprême des États-Unis », Cahiers du Conseil constitutionnel, 1998), mais la tradition veut que la Cour suprême américaine soit composée d’éminents juristes (avocat, juge, etc…). Ailleurs, en Europe, les Constitutions sont plus précises sur les qualifications et expériences requises. La Constitution de Roumanie (art. 143), par exemple, prévoit très précisément que « les juges de la Cour Constitutionnelle doivent avoir une formation juridique supérieure, une haute compétence professionnelle et une ancienneté de 18 ans au moins dans l'activité juridique ou dans l'enseignement juridique supérieur ». La loi fondamentale allemande n’est pas très précise, mais la tradition veut que « les juges de la Cour [de Karlsruhe] sont nécessairement choisis parmi les personnes qui ont fait les longues études de droit, mi-théoriques, mi-pratiques, requises pour exercer les fonctions de juge, d'avocat ou de haut fonctionnaire » (Michel Fromont, « Présentation de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2004).
II - Une nomination après un contrôle des parlementaires prévu par la Constitution
Si la nomination des membres est relativement libre, elle est tout de même soumise à une rapide audition des parlementaires (A), tout en devant veiller à la nécessité d’une plus grande neutralité de la part des futurs membres (B).
A - Une rapide audition des candidats de la part des parlementaires
L’audition et la validation de la nomination des nouveaux membres du Conseil constitutionnel sont prévues par la Constitution (1), mais cette procédure reste très légère, ce qui lui confère un certain nombre de critiques (2).
1 - Une audition et une validation des candidats, prévues par la Constitution
L’alinéa 1er de l’article 56 de la Constitution prévoit notamment que « la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 est applicable à ces nominations. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée ». La procédure prévoit ainsi que « le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés » (Constitution 1958, art. 13). Pour les membres du Conseil constitutionnel, il s’agit des commissions des lois au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat. Une liste de questions est adressée par un parlementaire rapporteur au membre pressenti pour chaque nomination. Le « candidat » doit se présenter, traiter des questions du rapporteur et répondre aux interrogations orales de quelques parlementaires. Ces auditions sont publiques et un compte-rendu est publié à son issue, comprenant les résultats du vote.
2 - Une procédure critiquée par la doctrine pour sa légèreté
Les auditions sont régulièrement critiquées pour plusieurs raisons : les questions écrites du rapporteur sont envoyées en amont ; les questionnements restent régulièrement les mêmes ; le vote final n’a jamais permis d’empêcher une nomination. Sur le premier point, la doctrine souligne effectivement que le candidat est en capacité – avec l’aide d’un certain nombre de collaborateurs – de préparer son audition et les réponses aux questions sont sans réelle spontanéité, ce qui ne permettrait pas d’évaluer réellement les compétences notamment juridiques du candidat. Pour autant, il faut souligner que le travail de juge constitutionnel se fera aussi une fois nommé dans le cadre d’un certain nombre de recherches juridiques avec l’aide du secrétaire général et du personnel du Conseil constitutionnel. Sur le second point, il est vrai que les questions sont régulièrement semblables à la lecture des derniers comptes-rendus des auditions : connaissances juridiques, affaires judiciaires ou condamnations passées, avenir de la juridiction… Sur le troisième point, le vote final est souvent très « politiques ». Seuls une personnalité très contestée et un positionnement politique particulier pourraient empêcher sa nomination. Dans notre histoire constitutionnelle récente, aucun candidat n’a été écarté par un vote négatif des 3/5e des suffrages. Ceci dit, la configuration politique particulière depuis l’été 2024, a failli changer la donne. La nomination de Richard Ferrand à la présidence a ainsi été validée à une voix près (58 voix contre alors qu’il aurait fallu 59 voix pour l’empêcher d’y accéder). Certains parlementaires critiquent la procédure de nomination et le fonctionnement de l’audition… peut-être mèneront-ils un jour une révision constitutionnelle sur ce point ?
B - La nécessité d'une neutralité préservée des membres
Au-delà, les commissions parlementaires s’intéressent tout particulièrement à la nécessaire neutralité des membres du Conseil constitutionnel. Les parlementaires veillent à la fois aux situations d’incompatibilités prévues par les textes (1), mais ne manquent pas aussi d’interroger les candidats sur leur neutralité à venir dans le cadre de leurs missions, ce qui ne va pas toujours de soi (2).
1 - L’application des incompatibilités prévues par les textes
L’article 57 de la Constitution prévoit que « les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par une loi organique ». Ainsi, l'ordonnance du 7 novembre 1958, complétée par la loi organique du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que l'exercice des fonctions de membre du Conseil constitutionnel est incompatible avec l'exercice de toute fonction publique, de tout mandat électoral et de toute autre activité professionnelle ou salariée, y compris avec l'exercice de la profession d'avocat. Les membres du Conseil constitutionnel peuvent toutefois se livrer à des travaux littéraires ou scientifiques, notamment à des conférences. On peut citer l’exemple d’Alain Juppé régulièrement invité à des conférences et qui a publié ses mémoires en 2023 ou de Laurent Fabius régulièrement amené à intervenir dans des conférences ou dans les médias durant sa présidence. Les parlementaires, à l’occasion de l’audition des candidats, sont particulièrement attentifs à ce que les règles relatives aux incompatibilités soient respectées. De la même façon, ils n’hésitent pas à rappeler ces dernières aux personnalités nommées ou à les interroger sur tout possible conflit d’intérêts. Le Conseil lui-même peut être amené à se prononcer sur toute incompatibilité. Au-delà, la neutralité future des membres du Conseil constitutionnel interroge également les parlementaires.
2 - Une neutralité future interrogeant régulièrement les parlementaires
De la même façon, le décret du 13 novembre 1959 est venu interdire aux membres d'occuper pendant la durée de leurs fonctions un poste à responsabilité ou de direction au sein d'un parti ou groupement politique. Les membres doivent également faire preuve de réserve sur la matière politique ou sur les domaines qu’ils peuvent être amenés à juger. Cet élément indispensable fait partie du serment que chaque membre nommé prête devant le président de la République, bien qu’aucune réelle sanction ne soit prévue par ailleurs. Dès lors, le principe de la réserve est souvent contourné par des déclarations problématiques de membres du Conseil dans les médias. Les parlementaires font régulièrement part de ces problématiques de neutralité à l’occasion des auditions. Une question revient régulièrement, celle du déport pour les contentieux constitutionnels relatifs aux lois qui auraient été adoptées à l’époque par un parlementaire qui va devenir membre du Conseil ou sous l’impulsion d’un gouvernement au sein duquel figurait un futur juge constitutionnel. Ainsi, le déport s’est institutionnalisé, y compris pour le président du Conseil, qui laisse alors la place à un autre membre, souvent le plus âgé. Cela a notamment été le cas à quelques reprises sous le mandat de Laurent Fabius.
