La Décision Liberté d’association (Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 « Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association »)

Introduction

« La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » Cette célèbre maxime de Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) illustre parfaitement la tension constante entre la liberté individuelle et l’intervention du législateur. Parmi les libertés fondamentales en France, la liberté d’association joue un rôle central, notamment dans l’organisation de la société civile et la vie démocratique.

La liberté d’association est le droit pour toute personne de créer, adhérer ou refuser d’adhérer à une association, sans ingérence injustifiée de l’État. Elle est consacrée par la loi du 1er juillet 1901, qui en fait un pilier de la vie démocratique française. Le Conseil constitutionnel, défini par le titre VII (articles 56 à 63) de la Constitution de la Ve République, est l’organe chargé du contrôle de constitutionnalité des lois. La décision "Liberté d’association" du 16 juillet 1971 marque une rupture en consacrant cette liberté comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) et étendant le rôle du Conseil au contrôle du respect des droits fondamentaux.

Avant 1971, le Conseil constitutionnel était principalement perçu comme un arbitre des compétences entre le législatif et l’exécutif. Son rôle, tel que vu par le Général de Gaulle dès 1958, était purement formel et était principalement voué à contrôler le respect du domaine de la loi vis à vis du domaine réglementaire. Le domaine de la loi est en effet limitativement défini à l’article 34 de la Constitution. Le domaine du règlement, défini à l’article 37 de la Constitution, comprend quant à lui toutes « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ». Certains observateurs sont même allés jusqu’à qualifier le Conseil constitutionnel de « chien de garde de l’exécutif ». Son rôle dans la protection des droits fondamentaux était ainsi très limité avant 1971. La saisine du Conseil en 1971 par Alain Poher, président du Sénat, visait à contester une loi restreignant la liberté d’association en imposant un régime d’autorisation préalable pour certaines associations. Dans sa décision, le Conseil opère un revirement majeur en érigeant la liberté d’association au rang de norme constitutionnelle, changeant durablement ses attributions, l’étendue de son contrôle et marquant son indépendance vis à vis de l’exécutif. 

Au vu de ces éléments, il conviendra de répondre, dans le cadre de la présente dissertation, à la problématique suivante : Comment la décision "Liberté d’association" a-t-elle transformé le rôle du Conseil constitutionnel et marqué une évolution du contrôle de constitutionnalité en France ?

Pour répondre à cette problématique, nous verrons dans un premier temps comment cette décision a permis la consécration constitutionnelle de la liberté d’association et l’émergence du bloc de constitutionnalité (I). Puis, nous analyserons les conséquences de cette décision sur l’évolution du contrôle de constitutionnalité et la garantie des libertés fondamentales (II).

I - La décision "Liberté d'association" : un tournant vers la reconnaissance constitutionnelle des droits fondamentaux

La décision du 16 juillet 1971 marque un tournant décisif dans l’histoire du droit constitutionnel français. De manière tout à fait inédite, le Conseil est saisi pour contrôler une liberté fondamentale (A). La décision rendue par le Conseil affirme que la liberté d’association possède une valeur constitutionnelle, ce qui restreint considérablement le pouvoir législatif en la matière. Ce renforcement des libertés fondamentales est accompagné d’une transformation majeure du rôle du Conseil constitutionnel, qui élargit ses bases de contrôle et inaugure ce que l’on appellera plus tard le "bloc de constitutionnalité » (B).

A - Un cas juridique et politique inédit de saisine du Conseil constitutionnel

Avant 1971, la liberté d’association était protégée par la loi du 1er juillet 1901 et n’était pas un principe à valeur constitutionnelle. En 1971, le Conseil est saisi de manière inédite par le Président du Sénat (2) pour contrôler la restriction de cette liberté par un projet de loi du Gouvernement Pompidou (1). 

1 - Un projet de loi controversé limitant la liberté d’association à l’origine de la saisine

Avant 1971, la liberté d’association était bien ancrée dans le droit français, notamment depuis la loi du 1er juillet 1901, qui reconnaît aux citoyens la possibilité de se regrouper librement sans autorisation préalable. Toutefois, cette liberté n’avait pas encore été érigée en principe à valeur constitutionnelle. Ce principe, prévu par une loi ordinaire, ne contraignait par conséquent pas le législateur qui pouvait modifier à tout moment la législation pour restreindre cette liberté. En 1971, le gouvernement de Georges Pompidou propose ainsi une réforme législative visant à imposer un contrôle administratif préalable à la création de certaines associations. Cette initiative intervient dans un contexte politique tendu, où le gouvernement souhaite encadrer, de manière assez controversée, les associations jugées subversives ou susceptibles de troubler l’ordre public.

Concrètement, le projet de loi prévoit d’instaurer un régime d’autorisation préalable pour certaines catégories d’associations, notamment celles ayant des activités politiques ou susceptibles de remettre en cause les institutions établies. Ce dispositif rompt avec le principe fondamental de la loi de 1901, qui repose sur un régime déclaratif. Une simple déclaration en préfecture suffit en principe pour fonder une association. Ce projet suscite une vive opposition de la part de nombreux acteurs politiques et juridiques, qui y voient une atteinte grave à la liberté d’association, perçue comme une liberté essentielle en démocratie. Cela conduit alors à la saisine du Conseil constitutionnel par le Président du Sénat. 

2 - Une saisine inédite du Conseil constitutionnel par le Président du Sénat pour contrôler une liberté fondamentale

Depuis 1958, et jusqu’au premier élargissement de la saisine du Conseil en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel est ouverte à un nombre restreint de personnes. Aux termes de l’article 61 de la Constitution, en 1971, « les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale [et] le président du Sénat ». Pour contester cette réforme, Alain Poher, président du Sénat et figure emblématique de l’opposition modérée, décide de saisir le Conseil constitutionnel, ainsi que la Constitution le lui permet. Cette saisine est une première historique, car c’est la première fois que le Conseil est directement sollicité pour examiner une loi portant sur une liberté fondamentale.

Jusqu’alors, le Conseil constitutionnel avait été perçu comme un simple arbitre des domaines de la loi et du règlement, et par conséquent des champs de compétence du Parlement et du Gouvernement, sans véritable rôle dans la protection des droits fondamentaux. La question posée au Conseil est par conséquent cruciale. Le Conseil est chargé de se demander si la liberté d’association bénéficie d’une protection constitutionnelle qui limiterait l’action du législateur. Dans sa décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel censure partiellement la loi en affirmant que la liberté d’association est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), une notion qui sera déterminante dans l'évolution du droit constitutionnel français.

B - La reconnaissance du bloc de constitutionnalité par la décision Liberté d'association

La décision "Liberté d’association" va bien au-delà d’une simple censure législative. Elle introduit une nouvelle manière d’interpréter la Constitution en donnant à un principe juridique une valeur constitutionnelle (1) et élargit le contrôle du Conseil constitutionnel en intégrant des principes issus de textes antérieurs à 1958 (2). 

1 - L’élévation de la liberté d’association au rang de PFRLR

Le Conseil constitutionnel estime, aux termes de son deuxième considérant, « qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association ». Cette élévation de la liberté d’association au rang de PFRLR lui permet de censurer les dispositions restreignant la liberté d’association de la loi soumise au Conseil. Un PFRLR est un principe dégagé à partir des grandes lois républicaines, qui répond à trois critères cumulatifs. En premier lieu, il doit être énoncé dans un texte adopté sous un régime républicain antérieur à 1946. En deuxième lieu, il doit être appliqué de manière continue dans les régimes successifs, sans qu’aucune loi républicaine antérieure à 1946 ne déroge à ce droit. Pour finir, le principe doit avoir une importance fondamentale pour l'organisation démocratique et doit en cela énoncer une règle suffisamment importante, générale ou essentielle pour la vie de la nation, les libertés, la souveraineté ou les pouvoirs publics. 

En l’espèce, le Conseil considère que la loi de 1901 sur la liberté d’association constitue un socle essentiel des valeurs républicaines. Le Conseil remarque en effet dans sa décision « que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; qu’en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ». En élevant la liberté d’association au rang de PFRLR, le Conseil la rend intangible. Désormais, aucune loi ne pourra restreindre cette liberté de manière excessive. Le législateur doit dès lors respecter un cadre constitutionnel strict lorsqu’il entend réguler les associations. Cette consécration constitutionnelle marque une rupture avec la conception classique de la Constitution, qui jusqu’alors était perçue comme limitée aux seuls articles de la Constitution de 1958.

2 - Le bloc de constitutionnalité : une redéfinition des contours normatifs de la Constitution

L’innovation majeure de cette décision réside dans la redéfinition du contenu normatif de la Constitution. Avant 1971, le contrôle de constitutionnalité portait uniquement sur le seul texte de la Constitution de 1958. Avec cette décision, le Conseil constitutionnel affirme que le Préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au Préambule de 1946, a aussi une valeur constitutionnelle. Celui-ci n’était pourtant pas à l’origine utilisé comme fondement au contrôle de constitutionnalité. Dès lors, le bloc de constitutionnalité comprend en 1971 : la Constitution de 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. 

Ce changement est fondamental, car il élargit considérablement le champ du contrôle de constitutionnalité. Désormais, une loi peut être censurée non seulement si elle est contraire à la Constitution de 1958, mais aussi si elle viole un principe énoncé dans la DDHC de 1789, dans le Préambule de 1946 ou étant compris parmi les PFRLR. Cette décision marque ainsi un tournant décisif dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Il devient un véritable garant des libertés fondamentales, et non plus seulement un arbitre des pouvoirs. Le contrôle de constitutionnalité prend une dimension matérielle, portant non seulement sur la procédure d’adoption des lois, mais aussi sur leur contenu.

II - Une décision fondatrice transformant durablement le rôle du Conseil constitutionnel

La décision Liberté d’association du 16 juillet 1971 ne se limite pas à reconnaître une liberté fondamentale : elle révolutionne le contrôle de constitutionnalité et le rôle du Conseil constitutionnel. À partir de cette décision, le Conseil devient un véritable garant des libertés fondamentales (A), ce qui modifie profondément l’équilibre des pouvoirs et renforce l’État de droit en France. Cette décision pose alors les bases de l’élargissement progressif des prérogatives et de la saisine du Conseil (B). 

A - L'affirmation du Conseil constitutionnel comme protecteur des libertés fondamentales

Ainsi qu’il a été vu, avant 1971, le Conseil constitutionnel était souvent perçu comme un organe simplement chargé d’empêcher le Parlement d’empiéter sur les compétences du gouvernement. La décision Liberté d’association transforme cette institution en un véritable gardien des droits et libertés fondamentaux (2) habilité à contrôler la constitutionnalité des lois au fond (1). 

1 - Un tournant jurisprudentiel élargissant le champ et le rôle du contrôle de constitutionnalité

Jusqu’en 1971, le Conseil constitutionnel avait une vision strictement formelle du contrôle de constitutionnalité. Il vérifiait essentiellement le respect des procédures législatives et la répartition des compétences entre le Parlement et l’exécutif. Il n’exerçait pas de contrôle sur le fond des lois, c’est-à-dire sur leur conformité aux principes fondamentaux du droit constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs strictement encadré son propre rôle, se qualifiant lui-même, dans le deuxième considérant de sa décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, d’« organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics ». Il était également marqué, dans les premières années de son fonctionnement, par une jurisprudence relativement timorée. Le Conseil avait par exemple refusé de contrôler l’utilisation par le Général de Gaulle de l’article 11 de la Constitution pour réviser la Constitution, qui était pourtant contraire à l’esprit de la Constitution qui prévoyait explicitement une procédure de révision complexe à l’article 89 de la Constitution. 

Avec la décision Liberté d’association, le Conseil inaugure une lecture matérielle du contrôle de constitutionnalité. Il ne se contente plus de vérifier si une loi a été adoptée selon la bonne procédure ; il examine si elle respecte les droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité. Cette évolution permet d’empêcher l’adoption de lois qui, bien qu’adoptées selon les procédures idoines, porteraient atteinte aux principes fondamentaux de la République. En d’autres termes, cette décision marque le passage d’un contrôle de constitutionnalité formel à un contrôle de constitutionnalité substantiel, qui protège les citoyens contre les éventuelles dérives du législateur.

2 - Une décision marquant un renforcement du rôle du Conseil constitutionnel au sein des institutions

En affirmant que le Conseil constitutionnel peut censurer une loi qui porte atteinte aux libertés fondamentales, la décision Liberté d’association transforme profondément le système institutionnel et politique français. Grâce à cette décision, le Conseil constitutionnel n’est plus un simple arbitre des compétences législatives et exécutives, il devient une véritable Cour constitutionnelle, chargée de protéger l’État de droit et de faire respecter les droits fondamentaux des citoyens. Cette évolution rapproche la France des autres démocraties occidentales, qui disposent généralement d’une juridiction constitutionnelle garantissant les droits fondamentaux.

Ce changement contribue également à modifier l’équilibre des pouvoirs en France. Une telle décision contraint le législateur sur le fond. Le Parlement ne dispose plus d’une souveraineté absolue dans le domaine législatif et le Gouvernement ne peut plus adopter de règlements restreignant indument des libertés fondamentales. La loi et le règlement n’ont plus pour seule charge de respecter leur domaine respectif, ils doivent respecter un ensemble large de règles et de principes à valeur constitutionnelle. Le Conseil se dote ainsi d’un pouvoir accru, qui le place au cœur de la protection des droits et des libertés. Cette décision pose ainsi les fondements du fonctionnement futur du Conseil constitutionnel et sera le point de départs des réformes successives que l’institution va connaître. 

B - L'élargissement du contrôle de constitutionnalité et l'ouverture de la saisine du Conseil postérieurement à la décision Liberté d'association

La décision Liberté d’association a ouvert la voie à un renforcement progressif du contrôle de constitutionnalité en France (1). Elle a permis d’ancrer durablement le rôle protecteur du Conseil constitutionnel et a préparé des réformes majeures qui ont encore élargi son champ d’intervention (2).

1 - L’extension progressive du contrôle de constitutionnalité après 1971

Après 1971, le Conseil constitutionnel va peu à peu élargir son contrôle en s’appuyant sur le bloc de constitutionnalité et reconnaitre un grand nombre de droits à valeur constitutionnelle. À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel estime dans sa décision n° 75-56 DC du 23 juillet 1975 que « le principe d'égalité devant la justice (qui) est inclus dans le principe d'égalité devant la loi proclamé dans la Déclaration des Droits de l'homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution ». Le Conseil a grandement enrichi sa jurisprudence en consacrant de nouveaux principes constitutionnels issus du Préambule de 1946 et de la Déclaration de 1789. Il renforce progressivement la protection des libertés fondamentales, notamment en matière de droit de grève, de séparation des pouvoirs, et de protection de la vie privée.

Cette évolution n’est pas sans donner lieu à certaines critiques. En prenant cette décision en 1971, le Conseil a lui-même élargi son propre rôle. Ce faisant, il n’a certes pas enfreint la Constitution mais il a étendu son rôle au-delà de la seule lettre et de l’esprit des institutions de l’époque. De plus, le recours aux PFRLR laisse au Conseil une large marge d’interprétation. Les décisions du Conseil ont ainsi souvent été critiquées par ceux à qui il donne tort en lui reprochant de prendre des décisions motivées par le jeu politique et de se transformer en « Gouvernement des juges ». Ces critiques n’ont toutefois pas empêché le Conseil de bénéficier des réformes institutionnelles ayant encore davantage élargi son rôle depuis 1971. 

2 - L’élargissement progressif de la saisine du Conseil comme source de renforcement du contrôle de constitutionnalité depuis 1971

La décision Liberté d’association a véritablement positionné le Conseil constitutionnel comme garant des droits et libertés. Cette place institutionnelle nouvelle a conduit à une attente d’ouverture accrue de sa saisine au fil du temps. Le Conseil ne peut en effet s’autosaisir pour contrôler le respect d’une loi à la Constitution. En 1971, le rôle du Conseil s’est considérablement élargi mais le nombre de personnes pouvant le saisir est resté très restreint. Seuls le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat avaient ce pouvoir. Il est de plus à noter que ces autorités étaient tous du même bord politique de manière constante depuis le début de la Ve République. Une telle saisine ne correspondait dès lors plus aux attentes démocratiques pour saisir le juge constitutionnel. De ce fait, en 1974 une révision constitutionnelle voulue par le Président Valéry Giscard d’Estaing, permet à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel pour contrôler la constitutionnalité d’une loi. Une telle réforme donne ainsi à l’opposition parlementaire la possibilité de saisir le Conseil, ne laissant pas le contrôle de constitutionnalité entre les seules mains d’une même force politique. 

En 2008, une seconde révision constitutionnelle va encore considérablement élargir le rôle du Conseil constitutionnel : l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La révision de 2008 va introduire par ce mécanisme la possibilité pour n’importe quel citoyen de saisir le Conseil constitutionnel pour contester la constitutionnalité d’une loi applicable à un litige dans lequel ils sont parti devant une juridiction française. Cette révision permet aux citoyens de défendre leurs libertés devant le Conseil, consacrant de ce fait le rôle du Conseil comme protecteur des droits fondamentaux. En outre, elle permet pour la première fois au Conseil de contrôler a posteriori le respect de la Constitution par la loi. Une loi peut être déclarée contraire à la constitution après sa promulgation, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors, la saisine étant seulement ouverte avant la promulgation de la loi. Cela a permis au Conseil de contrôler un nombre important de lois anciennes, inadaptées aux évolutions des droits et libertés, ou pour lesquelles il n’avait pas été saisi dans le cadre d’un contrôle a priori. Cette révision constitutionnelle constitue une véritable consécration du rôle que le Conseil s’est arrogé en 1971, lui donnant davantage encore les moyens de faire respecter les droits fondamentaux. Le Conseil a ainsi pu prendre des décisions importantes sur les droits et libertés comme la présence d’un avocat dans le cadre d’une garde à vue ou la procédure et les contrôles dans le cadre d’une hospitalisation d’office. En ce sens, la QPC constitue l’aboutissement du processus initié par la décision Liberté d’association en donnant pleinement au Conseil constitutionnel une fonction de Cour des droits fondamentaux.

DECISION N° 71-44 DC DU 16 JUILLET 1971

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 1er juillet 1971 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, du texte de la loi, délibérée par l'Assemblée nationale et le Sénat et adoptée par l'Assemblée nationale, complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
Vu la Constitution et notamment son préambule ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ;
Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;
1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ;
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ;
3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire de leur conformité à la loi ;
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ;
5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;
6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune disposition de la Constitution ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence.
Article 2 :
Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.