Introduction
« La mère des Parlements », périphrase pour qualifier l’Angleterre prononcée en 1865 par John Bright, révèle à quel point l’histoire parlementaire britannique est ancienne. La France et le Royaume-Uni, pays de tradition parlementaire dont l’histoire institutionnelle est très différente, ont une pratique parlementaire distincte qu’il s’avère intéressant de comparer.
Le gouvernement désigne l’exécutif responsable de la conduite des affaires publiques. En France, il est dirigé par le Premier ministre, qui est nommé par le Président de la République. Le Premier ministre, au sens de l’article 21 de la Constitution, « dirige l’action du Gouvernement » qui, aux termes de son article 20 « détermine et conduit la politique de la nation ». Au Royaume Uni, le Gouvernement est également dirigé par le Premier ministre (Prime Minister). Le Parlement est l’organe législatif chargé de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. Il est bicaméral dans les deux pays. En France les deux chambres qui composent le Parlement sont l’Assemblée nationale et le Sénat, au Royaume-Uni, il s’agit de la Chambre des communes (House of Commons) et de la Chambre des Lords (House of Lords). Les relations entre le Gouvernement et le Parlement concernent les mécanismes de contrôle du Parlement sur l’exécutif, la responsabilité politique du gouvernement et le déroulement de la procédure législative.
Le Royaume-Uni représente un modèle historique du parlementarisme. L’histoire parlementaire britannique, et notamment anglaise, est particulièrement ancienne. Il est possible de retracer l’existence de parlements chez les peuples Britanni de l’Antiquité avant qu’apparaissent le Parlement d’Angleterre (Parliament) au XIIIe siècle puis la Chambre des communes au XIVe siècle, qui atteint sa forme actuelle au début du XIXe siècle. La responsabilité politique du gouvernement est un principe fondamental depuis le XVIIIe siècle. La France dispose d’une histoire parlementaire plus récente, du moins dans sa forme moderne. Le pays a connu dans son histoire moderne une évolution entre parlementarisme et présidentialisme. La IIIe République, et à sa suite la IVe République, donnaient un rôle central au Parlement et pouvaient être qualifiés de « régime d’Assemblée » du fait de la toute-puissance parlementaire. Cette prédominance du Parlement, conduisant à une très grande instabilité gouvernementale et à une impossibilité pour l’exécutif de gouverner, perdure jusqu’à l’instauration de la Ve République en 1958. Ce nouveau régime, sous l’impulsion du général de Gaulle, rationalise les pouvoirs du Parlement et renforce les pouvoirs de l’exécutif, mettant fin à cette période de suprématie parlementaire.
Il convient ainsi de se demander dans le cadre de cette dissertation comment les relations entre le gouvernement et le Parlement diffèrent-elles entre la France et le Royaume-Uni, et quelles sont les conséquences institutionnelles de ces différences ?
Nous verrons tout d’abord que la France et le Royaume-Uni incarnent deux conceptions différentes du parlementarisme, avec un exécutif plus fort en France (I), avant d’examiner la manière dont le Parlement exerce son contrôle sur le gouvernement dans chacun des deux systèmes (II).
I - L'importance différente de l'exécutif au sein des régimes français et britannique
La France et le Royaume-Uni sont tous deux des régimes parlementaires, aux modèles pourtant très distincts. Le Royaume-Uni suit un parlementarisme moniste, où le gouvernement est entièrement responsable devant le Parlement et où le Premier ministre est issu de la majorité parlementaire (B). La France, a adopté à l’inverse, sous la Ve République, un parlementarisme dualiste, caractérisé par un exécutif bicéphale avec un président fort et un Premier ministre responsable devant le Parlement (A).
A - Le Gouvernement français : un exécutif bicéphale sous influence présidentielle
La France sous la Ve République a mis en place un régime où le gouvernement est dirigé par un Premier ministre, mais où le président de la République joue un rôle déterminant (1) avec peu de limitations au pouvoir de l’exécutif, notamment en période majoritaire (2).
1 - Un pouvoir exécutif dominé par le Président de la République
Contrairement au Royaume-Uni, où l’exécutif est monocéphale (uniquement dirigé par le Premier ministre), la France dispose d’un exécutif bicéphale (président et Premier ministre), bien que dans les faits, le président concentre davantage de pouvoirs. Ainsi, le Président de la République dispose de prérogatives importantes vis à vis du Gouvernement, tout comme d’ailleurs du Parlement. Aux termes de l’article 8 de la Constitution, le Président de la République nomme le Premier ministre et peut également mettre fin à ses fonctions. Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand, avait à ce titre dit qu’il possédait à Matignon « le bail locatif le plus précaire de Paris ». Le Président, aux termes de l’article 9 de la Constitution, préside le Conseil des ministres. Cette prérogative lui permet d’orienter les grandes décisions politiques. Jacques Chirac avait ainsi dit, au sujet de Nicolas Sarkozy qui était alors Ministre sous sa présidence, « je décide et il exécute ». En outre, le Président de la République détient les pouvoirs exceptionnels en cas de crise, prévus à l’article 16 de la Constitution.
Par ailleurs, le Président de la République, ainsi qu’il sera vu, n’est pas responsable devant le Parlement, contrairement au Gouvernement, et a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la Constitution. Du fait de la réunion de toutes ces prérogatives et de la pratique du pouvoir sous la Ve République, quand le président dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, le Premier ministre est souvent un simple exécutant de la politique présidentielle. Ce déséquilibre de l’exécutif renforce le caractère présidentiel du régime.
En période de cohabitation, lorsque le Président de la République et la majorité parlementaire sont de bords politiques opposés, le Premier ministre prend davantage d’importance au sein de l’exécutif. Le régime devient alors celui d’un parlementarisme plus classique et, par ailleurs, plus proche de la lettre même de la Constitution. Trois périodes de cohabitation ont eu lieu sous la Ve République : une cohabitation entre Jacques Chirac (Premier ministre) et François Mitterrand (président) de 1986 à 1988, puis de 1993 à 1995 entre Edouard Balladur et François Mitterrand, lors du deuxième mandat de ce dernier à la présidence de la République et enfin de 1997 à 2002 entre Lionel Jospin et Jacques Chirac. En tout état de cause, peu importe la période, le Gouvernement dispose en principe d’une autonomie forte vis à vis du Parlement.
2 - Une autonomie faiblement limitée du Gouvernement face au Parlement en période majoritaire
Si le gouvernement est théoriquement responsable devant le Parlement, en pratique, il dispose de nombreux outils pour limiter l’opposition parlementaire et imposer son agenda. L’article 49-3 de la Constitution permet au Gouvernement de faire adopter une loi sans vote du Parlement, sauf si une motion de censure est adoptée. L’article 44-3 permet la mise en place du vote bloqué, limitant la discussion et les amendements parlementaires. En outre, en vertu de l’article 48 de la Constitution, le Gouvernement maîtrise presque en tout temps l’ordre du jour et décide ainsi d’une large part des débats à l’Assemblée nationale.
Le Parlement dispose en retour de pouvoirs à l’étendue limitée face au Gouvernement. L’Assemblée nationale peut, au titre de l’article 49-2 de la Constitution, renverser le Gouvernement si elle vote à la majorité absolue une motion de censure. Celle-ci est toutefois difficile à mettre en place. Le président peut en outre dissoudre l’Assemblée nationale, en vertu de l’article 12 de la Constitution, ce qui constitue une pression sur les députés et peut limiter les risques d’opposition forte. Le président Macron a fait usage de ce pouvoir en 2024.
B - Le Gouvernement britannique : un exécutif étroitement lié au Parlement
Le Royaume-Uni repose sur un régime parlementaire moniste, où le gouvernement est directement responsable devant le Parlement, qui dispose de grands pouvoirs de contrôle à son égard (2) et où le Premier ministre tire l’essentiel de son pouvoir de la majorité parlementaire (1).
1 - Un exécutif dépendant de la couleur politique et de la confiance du Parlement
Au Royaume-Uni, le Premier ministre, véritable chef de l’exécutif, n’est pas élu directement par le peuple. Le Premier ministre est nommé par le monarque et doit être le leader du parti majoritaire à la Chambre des communes. En outre, si le Premier ministre perd la confiance du Parlement, il doit démissionner ou demander des élections anticipées. Contrairement à la France où le Président continue de gouverner même en cas de cohabitation, le Premier ministre britannique ne peut gouverner sans majorité absolue stable.
Même en cas de majorité, s’il perd un vote clef ou la confiance de la Chambre des communes, le Premier ministre est contraint de se retirer. À titre d’exemple, Theresa May avait été contrainte à la démission en 2019 suite à une série de votes défavorables sur la question du Brexit. Boris Johnson avait quant à lui été poussé à la démission par son propre parti en 2022 à la suite de scandales internes. Ainsi, la stabilité du Gouvernement britannique dépend directement du soutien de la majorité à la Chambre des communes, qui n’hésite pas à le renverser s’il le perd, la Chambre disposant d’une autonomie bien plus grande que l’Assemblée nationale française.
2 - Une autonomie parlementaire britannique importante
Contrairement à la France, où l’exécutif limite l’action parlementaire, au Royaume-Uni, le Parlement exerce un véritable contrôle sur le gouvernement. Une majorité simple suffit en effet pour renverser un Gouvernement, là où en France une majorité absolue est requise. De nombreux Premier ministres ont été contraints à la démission suite à une perte de confiance, à l’instar de Margaret Thatcher et de Boris Johnson ou encore à titre d’exemple, de Liz Truss qui n’avait passé que 49 jours en fonction en 2022. Le Parlement n’hésite en effet pas à pousser le Premier ministre à la démission en cas de perte de confiance.
La Chambre des communes dispose en outre d’outils institutionnels favorisant la responsabilité du Gouvernement. Par exemple, chaque semaine, lors des Prime Minister’s Questions, le Premier ministre doit répondre publiquement aux questions des députés, y compris de l’opposition. Les commissions parlementaires ont également pour rôle d’enquêter sur l’action gouvernementale et convoquent des ministres pour expliquer leur action, leur imposant une recevabilité forte.
II - Le contrôle du Parlement sur le Gouvernement : un équilibre différent entre les deux pays
Le contrôle parlementaire est un élément fondamental du régime démocratique, garantissant la responsabilité du gouvernement et la transparence de son action. Cependant, la manière dont ce contrôle s'exerce diffère profondément entre la France et le Royaume-Uni. En France, le contrôle parlementaire est largement encadré et limité par les mécanismes constitutionnels de la Ve République, qui renforcent l’exécutif (A). Au Royaume-Uni, le gouvernement est directement responsable devant le Parlement, qui dispose de moyens de contrôle plus contraignants (B).
A - Un contrôle parlementaire limité en France
En France, le Parlement dispose de certains mécanismes pour contrôler le gouvernement, mais leur portée est réduite par la Constitution de 1958 (1), qui privilégie la stabilité gouvernementale sur le contrôle parlementaire (2).
1 - La motion de censure : une arme peu efficace en cas de majorité absolue
La motion de censure est le principal outil dont dispose le Parlement français pour renverser le gouvernement, mais son utilisation est fortement encadrée. La procédure est difficile à mettre en œuvre. En vertu de l’article 49-2 de la Constitution, une motion de censure doit être déposée par 1/10e des députés (soit 58 députés). Elle ne peut ensuite être adoptée, et donc entrainer la démission du Gouvernement, que si elle obtient la majorité absolue des députés, soit 289 voix sur 577.
Cette procédure n’a que très rarement abouti sous la Ve République. Seules deux motions de censure ont été votées depuis 1958. La première a été votée en 1962 contre le Gouvernement Pompidou suite à la décision prise par le général de Gaulle de soumettre directement au référendum via l’article 11 de la Constitution la révision constitutionnelle visant à l’élection au suffrage universel direct du président de la République. La deuxième a été votée en 2024 contre le Gouvernement Barnier, celui-ci ne possédant pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Il est toutefois à noter que si le Gouvernement bénéficie en principe d’une grande protection vis à vis des prérogatives du parlement, celle-ci est actuellement très affaiblie en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée au profit du Président de la République. En principe, le fait majoritaire donne de nombreux pouvoirs au Président et une grande protection au Gouvernement. En période de cohabitation, l’Assemblée n’a également pas intérêt à renverser un Gouvernement du même bord politique que lui et de risquer une dissolution. A l’heure où cette dissertation est écrite, en février 2025, le Parlement est particulièrement morcelé, sans majorité absolue d’aucun bord, laissant une grande place à l’opposition politique et une possibilité extrêmement accrue de motion de censure, bien que, au cours de la Ve République, le Parlement ait historiquement eu une marge de manœuvre limitée face à l’exécutif.
2 - Une marge de manœuvre limitée pour le Parlement
L’initiative législative est tout d’abord très largement contrôlée par le Gouvernement. En théorie, le Parlement peut proposer et voter des lois en autonomie. En pratique, l’ordre du jour est largement contrôlé par le gouvernement, aux termes de l’article 48 de la Constitution, qui détermine 2/3 du calendrier parlementaire. De plus, l’exécutif peut imposer l’adoption d’une loi sans vote grâce à l’article 49-3, qui engage la responsabilité du gouvernement.
Le Parlement dispose également, comme au Royaume-Uni, de mécanismes de contrôle sur le Gouvernement. Leur efficacité est pourtant plus limitée. Les questions au gouvernement permettent chaque semaine aux députés d’interroger le Gouvernent en séance mais ces questions ne contraignent pas l’action de l’exécutif. Les commissions parlementaires peuvent également enquêter sur l’action du Gouvernement mais elles ont une influence moindre que leurs homologues britanniques. Le Sénat peut également contrôler l’action du gouvernement mais il ne peut le renverser. Ainsi, bien que le Parlement français dispose d’outils de contrôle, ils sont encadrés et limités par une Constitution qui renforce l’exécutif là où le contrôle parlementaire britannique est bien plus direct et plus effectif.
B - Un contrôle parlementaire effectif au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, le contrôle du Parlement sur le gouvernement est beaucoup plus fort qu’en France. Le système repose sur une responsabilité politique directe (1), et le Premier ministre doit régulièrement rendre des comptes devant les députés (2).
1 - La motion de censure comme outil clé du contrôle parlementaire
Au Royaume-Uni, la pratique institutionnelle facilite davantage le renversement du Gouvernement. Contrairement à la France, la perte de votes et de soutien conduit bien souvent à la démission du Premier ministre, soit car il est poussé à le faire, soit car il subit une motion de censure (vote of no confidence). Theresa May avait dû le faire du fait de son échec à mener à bien les négociations sur le Brexit. James Callaghan avait aussi à titre d’exemple perdu en 1979 un vote de confiance à une seule voix près et avait dû présenter sa démission.
Au Royaume-Uni, la motion de censure est un outil redoutable et très utilisé, ce qui contraste avec la France où seuls deux exemples de motions de censure votées peuvent être cités depuis 1958. Cela est dû tant au fait qu’elle est plus facile à mettre en place (une majorité simple au Royaume-Uni contre une majorité absolue en France), qu’à la différence de culture politique entre les deux pays. L’action gouvernementale en France est ainsi peu contrôlée tant du fait de la faiblesse des moyens de contrôle prévus par la Constitution que du fait de l’esprit des institutions, fortement axés sur la recherche de stabilité gouvernementale suite aux périodes d’instabilités vécues lors des IIIe et IVe Républiques. Le Royaume-Uni dispose ainsi de pouvoirs de contrôle de l’action gouvernementale relativement similaires quoique plus développés.
2 - L’existence de mécanismes de contrôle développés
Le Parlement britannique exerce un contrôle beaucoup plus régulier et efficace sur le gouvernement, notamment à travers des pratiques institutionnelles bien établies. Les séances de questions au Premier ministre sont très médiatisées et constituent un véritable test pour le Gouvernement. Contrairement à la France où les questions au Gouvernement, pourtant institutionnellement proches, sont assez peu regardées et alternent souvent entre échanges formels et altercations avec l’opposition, au Royaume-Uni le Premier ministre est véritablement mis sous pression en direct par l’opposition devant un nombre important de téléspectateurs.
En outre, les parlementaires britanniques disposent d’une grande liberté d’amendement des projets de loi, contrairement aux députés français qui sont souvent contraints par le gouvernement. Les commissions parlementaires sont très influentes et disposent de pouvoirs d’enquête étendus. Elles peuvent convoquer les ministres pour exiger des réponses détaillées et n’hésitent pas à publier des rapports critiques qui influencent fortement les décisions politiques. Ainsi, le gouvernement britannique est sous un contrôle constant du Parlement, contrairement au modèle français, où l’exécutif dispose de mécanismes et d’une pratique institutionnelle destinés à limiter l’influence des députés.
