Introduction
La Constitution est l’ensemble des lois fondamentales d’un Etat qui définissent les droits et les libertés des citoyens ainsi que l’organisation et les séparations du pouvoir politique. Le contrôle de constitutionnalité est un mécanisme permettant de s’assurer qu’une norme est conforme à la Constitution. Ce contrôle est un moyen d’assurer la suprématie de la Constitution vis à vis des autres normes lui étant inférieures au sein d’un ordre juridique donné. Plusieurs caractéristiques dichotomiques du contrôle de constitutionnalité peuvent être relevées. Tout d’abord, en ce qui concerne la concentration du contrôle, celui-ci peut être concentré si un organe spécialisé a la charge de ce contrôle ou diffus si toute juridiction peut l’assurer. Concernant la nature du contrôle, celui-ci peut être abstrait s’il porte sur l’examen de la constitutionnalité d’une norme ou concret si cet examen a lieu dans le cadre d’un litige. Relativement à la saisine, ensuite, le contrôle peut avoir lieu a priori s’il s’effectue avant la promulgation de la loi ou a posteriori s’il intervient après sa promulgation. Concernant les voies de ce contrôle, enfin, il peut être un contrôle par voie d’action si toute la loi concernée doit être déclarée inconstitutionnelle ou par voie d’exception si la demande porte sur l’inconstitutionnalité de l’application d’une loi (potentiellement constitutionnelle) à un cas d’espèce.
La présente dissertation, portant sur une étude comparée du contrôle de constitutionnalité aux États-Unis et en France appelle une mise en contexte historique de l’apparition et du développement de ces deux contrôles. La Constitution américaine, tout d’abord, est rédigée en 1787 et instaure une Cour suprême au niveau fédéral. Cette Cour est la juridiction suprême américaine mais ne dispose pas de pouvoir de contrôle de constitutionnalité aux termes de la Constitution. Il a fallu attendre l’arrêt Marbury c/ Madison en 1803 pour que la Cour s’arroge ce pouvoir puis plus de 50 ans pour qu’une loi fédérale soit pour la première fois déclarée inconstitutionnelle, en 1857. Le contrôle de constitutionnalité peut être effectué par n’importe quelle cour, la Cour suprême intervenant en dernier recours et s’imposant aux juridictions inférieures. Le système français repose sur un contexte historique bien différent. La Constitution française de la Ve République est entrée en vigueur en 1958 et instaure un organe particulier chargé du contrôle de constitutionnalité : le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a plusieurs attributions mais est le seul organe en France chargé du contrôle de constitutionnalité des lois. Son rôle s’est étendu par sa propre jurisprudence, notamment l’extension de la base juridique de son contrôle en 1971 avec la décision Liberté d’association et avec l’extension de sa saisine par deux révisions constitutionnelles l’ouvrant à 60 députés ou 60 sénateurs en 1974 puis à tout citoyen dans le cadre d’un litige pour effectuer un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois en 2008.
Au vu de ces éléments, il paraît pertinent de se demander quels sont les contours et les limites comparées des procédures de contrôle de constitutionnalité français et américain.
Il conviendra de répondre à cette problématique dans une analyse en deux temps. Il est en effet possible de relever que ce contrôle est effectué par deux organes de nature extrêmement différente (I) et intervient relativement à une norme constitutionnelle donnant une importance différente à l’interprétation de son texte (II).
I - La Cour suprême américaine et le Conseil constitutionnel français : deux organes de contrôle de constitutionnalité des lois aux caractéristiques distinctes
Le contrôle de constitutionnalité français et américain comporte des caractéristiques très distinctes (B) marquées par la saisine d’organes bien différents (A).
A - La distinction entre les modes de saisine des tribunaux américains et du Conseil constitutionnel
Le contrôle de constitutionnalité est effectué par la saisine d’organes bien distincts : d’une part aux États-Unis, tout citoyen peut saisir chaque tribunal pour effectuer un contrôle de constitutionnalité (1), d’autre part, le contrôle de constitutionnalité en France est effectué par la saisine d’un organe bien spécifique : le Conseil constitutionnel (2).
1 - Un contrôle de constitutionnalité pouvant être effectué par la saisine de tous les tribunaux par tout citoyen aux États-Unis
L’arrêt Marbury c/ Madison, aux États-Unis, a amené la Cour Suprême à donner compétence aux tribunaux américains, et notamment à la Cour suprême elle-même, pour connaître des conflits de norme entre la Constitution et les lois. Cet arrêt affirme plusieurs éléments fondamentaux pour le contrôle de constitutionnalité. Tout d’abord, il affirme un préalable fondamental à tout contrôle de constitutionnalité : la supériorité de la Constitution sur la loi, avec comme corollaire la nullité des normes contraires à la Constitution. L’arrêt affirme ensuite la compétence du pouvoir judiciaire pour traiter de l’interprétation de la Constitution et par conséquent de vérifier la conformité des lois à la norme suprême. D’après la Cour, cette supériorité de la Constitution découle directement de son caractère écrit, affirmant la nécessaire conformité des lois à ce texte.
Depuis cet arrêt, le contrôle de constitutionnalité aux États-Unis relève de la compétence de toutes les juridictions et la saisine est par conséquent ouverte à toute personne dans n’importe quel litige. La Cour suprême traite du litige si le recours monte jusqu’à elle et si elle accepte de traiter l’affaire. La Cour suprême a un rôle unificateur en raison du fait que la règle du précédent s’applique aux États-Unis, les arrêts de la Cour s’imposant aux juridictions inférieures. Ce système est très différent du mode de saisine du Conseil constitutionnel en France, bien que celui-ci se soit en partie rapproché du système américain en ouvrant graduellement la saisine du Conseil.
2 - Un contrôle effectué par la saisine d’un organe spécifique en France : le Conseil constitutionnel
Le mode de saisine français est différent du modèle américain à de nombreux égards. Tout d’abord, le contrôle de constitutionnalité en France est effectué par un seul organe bénéficiant d’une exclusivité de compétence sur la question : le Conseil constitutionnel. La compétence du Conseil constitutionnel, contrairement à celle de la Cour suprême, est directement dictée par la Constitution qui encadre en son titre VII le fonctionnement de cette institution. Contrairement à la Cour suprême, il ne s’agit pas d’une juridiction « ordinaire ». Le Conseil constitutionnel a des attributions bien précises définies par la Constitution comprenant notamment, en plus du contrôle de constitutionnalité, la régularité des opérations de référendum ainsi que de l'élection du Président de la République, des députés et sénateurs.
La Constitution de la Ve République prévoyait initialement que le pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel pour contrôler la constitutionnalité d’une loi était réuni entre les seules mains du Président de la République, du Premier ministre, du président de l'Assemblée nationale et du président du Sénat. En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ce pouvoir a été étendu à 60 députés ou 60 sénateurs. La réforme de 2008 a ouvert encore davantage la saisine en mettant en place la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette procédure permet à tout citoyen partie à un litige devant n’importe quelle juridiction de soulever une QPC qui sera transmise au Conseil constitutionnel. Ce système se rapproche en cela davantage du système américain malgré que les deux modes de contrôle de constitutionnalité aient des caractéristiques très distinctes.
B - Un contrôle de constitutionnalité aux caractéristiques distinctes
Le contrôle de constitutionnalité répond à des caractéristiques bien distinctes de chaque côté de l’Atlantique : il s’agit d’une part d’un contrôle a posteriori, diffus et concret aux États-Unis (1) et d’autre part un contrôle de constitutionnalité aux caractéristiques multiples en France (2).
1 - Un contrôle de constitutionnalité a posteriori, diffus et concret aux États-Unis
Pour les comparer de manière plus précise, il est intéressant de constater que le contrôle de constitutionnalité aux États-Unis ou en France ne revêt pas les mêmes caractéristiques. Du fait que l’autorité judiciaire soit aux États-Unis exclusivement en charge du contrôle de constitutionnalité, celui-ci est un contrôle a posteriori. La loi ne peut être déclarée inconstitutionnelle qu’après avoir acquis sa force exécutoire et être appliquée dans le cadre d’un litige où elle se verrait contestée dans sa constitutionnalité. Il s’agit également, contrairement à la France, d’un contrôle diffus en ce que tous les juges sont compétents pour les questions de constitutionnalité. La Cour suprême fait certes autorité mais elle n’est en rien un organe juridique dédié au contrôle de constitutionnalité comme l’est le Conseil constitutionnel. Elle n’est ni le seul organe compétent en la matière ni un organe créé dans l’objectif même de contrôler le respect de la Constitution. Le fait que la Cour s’arroge ce pouvoir était d’ailleurs contesté, notamment par le Gouvernement, en 1803. Il s’agit enfin d’un contrôle concret puisque l’examen de la constitutionnalité de la loi se fait dans le cadre du litige et non in abstracto.
Il apparaît ainsi que le contrôle de constitutionnalité aux États-Unis revêt des caractéristiques très différentes du modèle français en matière de contrôle de constitutionnalité.
2 - Un contrôle de constitutionnalité aux multiples facettes en France
Le contrôle de constitutionnalité en France revêt un grand nombre de caractéristiques. Il s’agit tout d’abord d’un contrôle pouvant avoir lieu à la fois a priori comme a posteriori. Si à l’origine le Conseil constitutionnel n’avait le pouvoir que de contrôler la constitutionnalité des lois avant leur mise en application, celui-ci s’est vu doter grâce à la QPC d’un pouvoir de contrôle a posteriori des lois. Cette procédure permet en effet à tout citoyen de faire parvenir au Conseil constitutionnel une QPC.
Il s’agit ensuite, contrairement aux États-Unis, d’un contrôle concentré et non diffus. En France, seul le Conseil constitutionnel a compétence pour effectuer un contrôle de constitutionnalité. Dans le cadre d’un contrôle a priori, les autorités compétentes ne peuvent saisir que le Conseil constitutionnel. Dans le cadre d’un contrôle a posteriori, plusieurs juridictions sont certes impliquées dans le contrôle. La juridiction devant laquelle le litige a lieu doit transmettre la QPC à la Cour de cassation ou au Conseil d’État selon qu’il s’agit d’une juridiction judiciaire ou administrative. La Cour de cassation ou le Conseil d’État vont ensuite effectuer un premier contrôle en décidant de transmettre ou non la question au Conseil en vérifiant plusieurs conditions : qu’elle s’applique au litige en cours, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme par une décision du Conseil et qu’elle possède un caractère sérieux et nouveau. On pourrait considérer qu’il s’agit là d’un embryon de contrôle diffus, toutefois il ne s’agit en aucun cas de trancher sur la constitutionnalité de la norme en cause. Si la question répond à ces trois critères elle est transmise au Conseil constitutionnel peu importe si la norme en question pourrait être considérée comme constitutionnelle ou non.
Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel peut en outre être concret ou abstrait en ce qu’il peut porter tant sur la constitutionnalité de l’application d’une norme dans un litige que sur la constitutionnalité d’une loi in abstracto dans le cadre d’un contrôle a priori. Ce contrôle peut être fait par voie d’action ou par voie d’exception, l’inconstitutionnalité pouvant porter tant sur l’intégralité d’une disposition législative que sur l’application de la loi dans le cadre d’un litige.
En somme, les contrôles de constitutionnalité français et américain comportent des caractéristiques très différentes et s’inscrivent dans un contexte constitutionnel distinct.
II - Deux Constitutions rigides dans leur procédure de révision mais à la souplesse d'interprétation très différente
Si la Constitution américaine laisse davantage de marge d’interprétation au contrôle de constitutionnalité que la Constitution française (A), aucun de ces deux textes n’est exempt de toute potentielle ingérence politique dans les décisions des juges constitutionnels (B).
A - La Constitution américaine : un texte laissant une grande marge d'interprétation au contrôle de constitutionnalité comparativement au texte constitutionnel français
Le texte de la Constitution américaine est marqué par son imprécision et l’importance donnée à l’interprétation que la Cour suprême peut avoir du texte dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité (1). La Constitution française, à l’inverse, laisse une place plus étroite à l’interprétation de son texte dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois (2).
1 - Un texte constitutionnel américain imprécis, marqué par l’importance de son interprétation prétorienne
La Constitution américaine et la Constitution française sont rédigées d’une manière extrêmement différente, amenant le contrôle de constitutionnalité à être d’une nature très différente. Les deux normes sont des constitutions particulièrement rigides, difficiles à réviser et dont les principes sont bien protégés de potentielles velléités de révisions qui ne feraient pas l’objet d’un consensus large. La Constitution américaine est rédigée de manière très générale et imprécise, rendant son interprétation particulièrement souple. Une telle souplesse d’interprétation est une des raisons principales de sa longévité. La Constitution américaine a plus de deux siècles et ne se trouve pas remise en cause. Cela marque une différence considérable avec la France où la Constitution, jeune de seulement 65 ans, est davantage remise en question et a subi presque autant de révision en un temps d’existence quatre fois plus court.
Le droit constitutionnel américain, dont les règles sont anciennes et peu précises, repose ainsi tant sur le texte constitutionnel en lui-même que sur l’interprétation qui en est faite par la Cour suprême. La jurisprudence de la Cour s’imposant aux juridictions inférieures selon la règle du précédent, celle-ci prend une très grande importance chaque fois qu’un conflit survient entre une norme constitutionnelle et l’application d’un norme ordinaire.
2 - Une Constitution française laissant une place plus étroite à l’interprétation de son texte dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois
La Constitution française est bien plus longue et précise que la Constitution américaine. Elle comporte davantage de règles sur l’organisation des pouvoirs publics et des institutions, les droits et libertés, la place de la Constitution ou encore le contrôle de constitutionnalité en lui-même. Une telle rédaction laisse moins de place à l’interprétation, donnant l’avantage d’une plus grande protection et stabilité des principes constitutionnels, en dépit toutefois d’une moins grande souplesse et adaptabilité de la norme fondamentale.
Toutefois, si la Constitution française est bien plus précise que la constitution américaine, l’interprétation que le Conseil constitutionnel et les décideurs politiques ont pu avoir de ce texte a joué un rôle considérable dans son évolution. Certaines jurisprudences du Conseil ont constitué une avancée majeure pour les droits et libertés, à l’instar de la décision Liberté d’association de 1971 qui a considérablement élargi le socle normatif sur lequel peut se fonder le contrôle de constitutionnalité. Ces normes portent de plus sur des droits et principes fondamentaux laissant plus de marge d’interprétation au Conseil constitutionnel ou pouvant amener les sages de la rue Montpensier à mettre en balance deux principes à valeur constitutionnel dans le cadre, notamment, d’une QPC. Les deux textes souffrent toutefois d’un inévitable biais à la souplesse d’interprétation dont ils bénéficient : celui du risque de détournement politique du contrôle de constitutionnalité.
B - Le risque de politisation de la procédure de contrôle de constitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité peut souffrir des deux côtés de l’Atlantique d’une politisation à la fois de la nomination des juges chargés du contrôle de constitutionnalité (1) et, par voie de conséquence, des décisions que ceux-ci sont amenés à prendre (2).
1 - Une politisation de la procédure de nomination des juges des deux côtés de l’Atlantique
La procédure de nomination des juges à la Cour suprême américaine comme au Conseil constitutionnel français a été l’objet du critiques ou de doutes sur l’impartialité des juges de la part de nombreux observateurs ou citoyens de ces deux pays. La Cour suprême des États-Unis est composée de neuf juges qui sont nommés à vie par le Président des États-Unis avec l’approbation du Sénat. Chaque fois qu’un juge décède ou démissionne, le Président en exercice nomme un nouveau membre. Ce mode de nomination implique que chaque Président choisisse en principe un juge réputé être de la même couleur politique, conservateur ou progressiste, que lui. La couleur politique de chaque juge étant bien connue, il est possible d’avoir à travers le temps et le hasard des nominations une Cour ayant une majorité conservatrice ou progressiste, pouvant mener à un biais politique dans ses décisions et dans l’interprétation de la constitutionnalité d’une norme.
Le Conseil constitutionnel français se compose également de neuf membres. Les membres du Conseil sont nommés pour un mandat de 9 ans non renouvelable et sont inamovibles pour cette durée. Ils sont renouvelés par tiers tous les trois ans. Le Conseil se compose de trois membres nommés par le Président du Sénat, trois membres nommés par le Président de l’Assemblée nationale et trois membres nommés par le Président de la République. Le processus de nomination des membres a été l’objet de nombreuses critiques. En effet, la procédure de nomination des membres du Conseil est parfois accusée de favoriser les partenaires politiques de chaque figure politique ayant le pouvoir de les nommer, au détriment de leurs compétences en matière constitutionnelle. Le contentieux constitutionnel est une matière extrêmement technique, vis à vis de laquelle certains membres ne sont pas nécessairement formés. La nomination en 2022 par le Président Emmanuel Macron de Jacqueline Gourault, qui est une ancienne ministre de son gouvernement et est professeure d’histoire-géographie de formation avait ainsi posé question sur ses compétences en tant que membre du Conseil constitutionnel. Il est à noter que les anciens présidents de la République sont également membres de droit du Conseil constitutionnel, pouvant conduire à une certaine partialité des décisions selon la couleur politique et les relations entre le Président en exercice et les anciens présidents siégeant au Conseil. Cette politisation des membres du Conseil, notamment aux États-Unis, peut se ressentir sur l’orientation de ses décisions, ou du moins faire parfois douter de sa partialité dans le contrôle de constitutionnalité des lois.
2 - Une politisation pouvant biaiser le contrôle de constitutionnalité opéré par les juges constitutionnels
La nomination des membres du Conseil constitutionnel comme des juges à la Cour suprême étant effectuée par des acteurs politiques, cette politisation peut se ressentir dans les décisions du Conseil constitutionnel. Aux États-Unis, la politisation de la Cour suprême est un état de fait, assumé par la Cour dont la majorité politique est bien connue. Les décisions de la Cour suprême suivent l’ancrage politique de ses membres d’une manière plus ou moins marquée. À titre d’exemple, la Cour est actuellement composée d’une majorité de membres conservateurs et suit une politique juridictionnelle particulièrement conservatrice. Plusieurs arrêts ont été à ce sujet extrêmement médiatisés. À l’été 2023, la Cour a ainsi, en deux jours, mis fin à la discrimination positive dans le recrutement des étudiants à l’Universités, refusé l’effacement des dettes étudiantes (qui était une mesure phare du Président Joe Biden) et autorisé la discrimination des couples LGBTQIA+ par les commerces au nom de la liberté religieuse.
L’exemple le plus marquant et le plus médiatisé de l’ancrage conservateur de la Cour suprême américaine est le retour de la jurisprudence de la Cour sur l’arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, reconnaissait un droit constitutionnel aux femmes d’accéder à l’avortement. En revenant sur cette décision qui rendait inconstitutionnelles les lois qui criminalisent ou restreignent l'accès à l’avortement, la Cour a permis à de nombreux États conservateurs de criminaliser l’avortement. Cette décision est révélatrice de la souplesse du contrôle de constitutionnalité aux États-Unis. La Constitution étant très peu précise, ce contrôle se base dans de nombreux sujets sur une interprétation très extensive du texte constitutionnel, rendant possibles les revirement constitutionnels de ce type.
Ce type de revirement est plus complexe en France du fait de la précision du texte constitutionnel. En réaction à la décision de la Cour suprême américaine, le président Emmanuel Macron a ainsi soumis au vote un projet de loi constitutionnelle pour y intégrer le droit à l’avortement. Ce projet, non encore abouti, constitutionnaliserait le droit à l’avortement, rendant impossible toute loi contraire, qui serait inévitablement sanctionnée par le contrôle de constitutionnalité du Conseil.
Le Conseil constitutionnel français est plus encadré dans son pouvoir de décision tant par le texte constitutionnel que par sa composition. Contrairement à la Cour suprême, les membres du Conseil sont en théorie neutres et impartiaux. Leur renouvellement par tiers tous les trois ans par trois acteurs politiques différends tend à éviter les majorités de juges nommés par des représentants de la même couleur politique. Ceux-ci sont également contraints par la plus grande précision du texte constitutionnel français, bien que certaines décisions du Conseil ou pratiques politiques se sont ancrées à l’extérieur du texte de la Constitution. Un des exemples les plus marquants de la Ve République est l’utilisation de l’article 11 de la Constitution pour effectuer un référendum constitutionnel, alors que la révision de la Constitution est en principe effectuée selon les termes de l’article 89 de la Constitution, qui n’avait alors pas été sanctionnée par le Conseil constitutionnel. Il est intéressant de noter qu’une telle pratique serait aujourd’hui vraisemblablement sanctionnée par le Conseil. Ainsi, si la Constitution française offre plus de garantie en laissant moins de place à l’importance de la coutume constitutionnelle et une moindre marge d’interprétation à ceux qui en ont le pouvoir, celle-ci n’est toutefois pas exempte de l’influence du politique sur le juridique et de la distinction entre l’application pratique des textes et leur sens juridique originel.
