Énoncé du sujet
Une journée comme une autre au cabinet… Plusieurs clients se bousculent dans votre bureau, mais deux histoires retiennent particulièrement votre attention.
La première est celle de Mia et Sébastien. Ce jeune couple attendrissant vous consulte car il souhaite divorcer. Les époux vous expliquent qu’ils se sont mariés trop rapidement ; les choses se sont emballées, avec un premier enfant né l’année dernière, un second pour bientôt, les promotions professionnelles de chacun et l’installation dans leur maison familiale, héritée par Sébastien. La routine les a écrasés, et c’est en conscience qu’ils ont décidé de se séparer. Après des recherches sur internet, ils ont vu qu’il était possible de divorcer « à l’amiable ». Cela est-il possible dans leur situation ?
La seconde affaire concerne Mercédès. Ressortissante espagnole, elle a rencontré son mari, Edmond, alors qu’il profitait de vacances bien méritées en Catalogne. Le coup de foudre a été immédiat entre le jeune retraité et la jolie catalane. Cependant, ils ont divorcé il y a quelques mois par convention, en France où ils se sont installés. Pour autant, Mercédès ne comprend pas parfaitement le français et souhaite votre avis sur cette convention de ce divorce, qui a été, selon elle, conclue à des conditions peu avantageuses à son égard… En effet, elle ne bénéficie d’aucune prestation compensatoire, alors même qu’elle a quitté son emploi et sa famille pour rejoindre Edmond en France. Le notaire ne l’a pas non plus informée de ses droits. Plus encore, quand vous l’interrogez sur le nom de son avocat pour prendre contact avec votre confrère, elle n’est pas en mesure de vous le donner. Elle vous le certifie : il n’y avait que l’avocat de son mari lors des discussions et de la signature ! Que conseillez-vous à Mercédès ?
Résolution du cas
Deux couples nous consultent tous deux relativement à des divorces par consentement mutuel.
Le premier, Mia et Sébastien, souhaite divorcer (I). Il se demande si toutes les conditions sont réunies pour qu’un divorce par consentement mutuel soit réalisable.
Le second couple, Mercédès et Edmond, a déjà divorcé (II). C’est Mercédès qui vous interroge sur la validité de sa convention de divorce et sur les conséquences de la remise en cause de la convention le cas échéant.
I - Le divorce de Mia et Sébastien
Mia et Sébastien souhaitent divorcer. Ils nous demandent de les conseiller sur la possibilité d’un divorce par consentement mutuel.
Le divorce par consentement mutuel est l’un des quatre types de divorce prévus à l’article 229 du code civil. Les articles 229-1 à 232 du code civil reviennent sur les conditions de ce divorce par consentement mutuel, qui peut être déjudiciarisé ou judiciaire. Nous devons vérifier lequel de ces divorces est le plus adéquat pour le couple.
L’article 229-1 du code civil prévoit les conditions formelles (A) et substantielles (B) pour que les époux puissent divorcer par consentement mutuel déjudiciarisé.
A - Les conditions substantielles du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
Le divorce par consentement mutuel est possible lorsque « les époux s'entendent sur la rupture du mariage et ses effets » (art. 229-1, al. 2 c. civ.). Il faut donc qu’il existe un accord total des époux sur le principe même du divorce, mais aussi sur l’ensemble de ses conséquences.
Le divorce par consentement mutuel est par principe déjudiciarisé. Il existe cependant des exceptions, posées à l’article 229-2 du code civil : il ne peut pas y avoir de divorce par consentement mutuel déjudiciarisé si l’un des enfants mineurs du couple souhaite être entendu par le juge, conformément à l’article 388-1 du code civil, ou si l’un des époux est placé sous un régime de protection des articles 425 et suivants du code civil. Dès lors, la présence d’un enfant mineur du couple en état de comprendre la situation de divorce et souhaitant être entendu par le juge fait échec à une procédure déjudiciarisé. Le divorce devra donc être prononcé par un juge, en application des articles 230 à 232 du code civil.
En l’espèce, Mia et Sébastien sont deux époux qui souhaitent divorcer. Leur souhait penche vers un divorce « à l’amiable », c’est-à-dire un divorce par consentement mutuel. Il faut donc vérifier si les conditions sont remplies dans leur cas.
Les deux époux sont d’accord sur le principe de la rupture, car c’est « en conscience qu’ils ont décidé de se séparer ». L’énoncé nous fait également comprendre qu’ils se sont mis d’accord sur les effets de leur séparation : rien n’est dit sur leur patrimoine (le sort de la maison familiale ne devrait pas poser de problème, car il s’agit d’un bien propre à Sébastien qui lui reviendra après le divorce), ni sur les différentes sommes (prestation compensatoire, pension alimentaire…) que les époux se verseront. En revanche les jeunes parents s’accordent pour que les enfants résident chez Mia, leur mère, avec semble-t-il un droit de visite et d’hébergement au profit de Sébastien.
Il faut être vigilant sur les situations excluant le divorce déjudiciarisé. Rien n’est dit sur une quelconque mesure de protection à l’encontre de Mia ou de Sébastien. En revanche, le couple a un enfant mineur commun. L’article 229-2 du code civil précise que si un enfant commun, doué de discernement, souhaite être entendu par le juge, son audition fait échec à une procédure déjudiciarisée. L’enfant est ici en bas âge, car il est « né l’année dernière ». Il n’est donc pas doué de discernement et n’a pas à être entendu par le juge.
Toutes les conditions de fond sont donc réunies pour que les époux empruntent la voie du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé. On peut cependant conseiller aux deux époux de bien discuter des conséquences de leur divorce, notamment du point de vue des conséquences patrimoniales et personnelles de la rupture.
B - Les conditions formelles du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
Le divorce par consentement mutuel déjudiciarisé prend la forme d’une convention qui constate l’accord des époux. Chaque époux doit être assisté par un avocat. La convention est signée par chaque époux, contresignée par chaque avocat (art. 229-1, al. 1er c. civ.). Elle doit enfin être « déposée au rang des minutes d’un notaire ». Le notaire n’a pas à vérifier que les intérêts des parties sont respectés. Il doit simplement contrôler « le respect des exigences formelles » de la convention signée, telles qu’elles sont prévues à l’article 229-3 du code civil. Le dépôt de la convention est nécessaire, en ce qu’elle lui confère « date certaine et force exécutoire » (art. 229-1, 3e c. civ.).
En l’espèce, Mia et Sébastien devront veiller à respecter les conditions formelles de validité de la convention s’ils souhaitent divorcer. Ils devront donc chacun choisir un avocat, qui les représentera et les conseillera. Leur signature, ainsi que celle de leur avocat, est obligatoire sur la convention. Enfin, cette convention devra être enregistrée chez le notaire pour que le divorce prenne pleinement effet.
II - Le divorce de Mercédès et Edmond
Contrairement à Mia et Sébastien, Mercédès et Edmond ont déjà divorcé par consentement mutuel déjudiciarisé. Mercédès considère cependant que la convention n’a pas été correctement réalisée, ce qui lui a causé un préjudice car elle n’a pas pu être informée de ses droits, et les réclamer. Nous devons donc vérifier si les conditions de validité de la convention sont remplies (A) avant de s’interroger sur les potentielles conséquences du manquement à l’une de ces conditions (B).
A - Les conditions de validité de la convention de divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
Comme dit dans le premier cas, le divorce par consentement mutuel est prévu aux articles 229-1 à 232 du code civil. Notre cliente nous a précisé que sa situation concernait une convention de divorce enregistrée par notaire, et donc un divorce par consentement mutuel déjudiciarisé des articles 229-1 à 229-3 du code civil.
1 - Les conditions formelles du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
Le mariage prend fin par la convention qui constate l’accord des époux. Chaque époux doit être assisté d’un avocat. La convention est signée par chaque époux, contresignée par chaque avocat (art. 229-1, al. 1er c. civ.). Elle doit enfin être « déposée au rang des minutes d’un notaire ». Le notaire n’a pas à vérifier que les intérêts des parties sont respectés. Il doit simplement contrôler « le respect des exigences formelles » de la convention signée, telles qu’elles sont prévues à l’article 229-3 du code civil. Le dépôt de la convention est nécessaire, en ce qu’elle lui confère « date certaine et force exécutoire » (art. 229-1, 3e c. civ.).
En l’espèce, une convention a bien été signée entre les époux. En revanche, Mercédès indique qu’elle n’a pas eu, dans son souvenir, d’avocat qui la représentait. Le seul avocat présent représentait soit Edmond exclusivement, soit les deux époux ensemble. Dans les deux cas, une telle situation est contraire à la lettre de l’article 229-1 du code civil, qui exige que les époux soient « assistés chacun par un avocat » et que l’acte soit « contresigné par leurs avocats ». Une condition formelle n’est pas remplie ici.
2 - Les conditions substantielles du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
La convention de divorce par avocats est possible si les époux sont d’accord à la fois sur le principe de la rupture et sur les effets personnels et pécuniaires du divorce (art. 229-1, al. 2 c. civ.). L’article 229-2 du code civil pose deux exceptions au divorce par consentement mutuel déjudiciarisé : l’audition d’un enfant mineur commun et le régime de protection d’un des époux.
En l’espèce, il faut remarquer à titre liminaire que l’énoncé ne mentionne ni la présence d’enfants mineurs communs aux ex-époux, ni de régime de protection à leur profit. Le divorce s’est donc déroulé sans l’intervention du juge, comme le laisse entendre notre cliente.
L’énoncé indique sans hésitation que les époux étaient d’accord sur le principe de la rupture. En revanche, Mercédès indique que certaines conséquences patrimoniales n’ont pas été discutées, ce qui peut laisser supposer que les époux n’étaient, finalement, pas d’accord sur ce point.
Des conditions substantielles et formelles font ainsi défaut à la convention signée entre Mercédès et son ex-époux. Il faut s’intéresser aux conséquences de ces manquements.
B - Les conséquences de l'absence des conditions
Il faut distinguer entre l’absence des conditions substantielles (1) ou formelles (2).
1 - L’absence des conditions substantielles
S’agissant de l’absence de prestation compensatoire, deux voies sont possibles.
D’une part, l’époux lésé peut demander la nullité de la convention. Il devra agir sur le terrain du droit commun des contrats, et notamment sur l’existence d’un vice du consentement sur un élément déterminant de leur consentement (art. 1128 et s. c. civ.). Cependant, pour obtenir l’annulation de la convention, la preuve devra être rapportée du caractère déterminant de l’existence du versement d’une prestation compensatoire.
D’autre part, l’époux lésé pourrait demander à se voir attribuer une prestation compensatoire après l’enregistrement de la convention de divorce. Cependant, une jurisprudence établie de la Cour de cassation considère que la demande en prestation compensatoire doit être réalisée concurremment à la demande en divorce, car elle en est l’accessoire (Civ. 2e, 28 janv. 1987, n° 84-17.727).
En l’espèce, notre cliente Mercédès nous indique que la convention qu’elle a signé ne comporte pas de prestation compensatoire. Pourtant, elle a quitté son emploi, son pays et sa famille pour s’installer avec Edmond en France, ce qui laisse penser qu’elle était, pour le court temps de leur mariage, dépendante de ses moyens financiers. Nous n’irons pas sur le terrain de l’annulation (cela relève du programme de la deuxième année de licence). Notons simplement qu’il est difficile de lui conseiller d’aller sur ce fondement : la preuve à rapporter sera difficile, d’autant plus que l’absence de prestation compensatoire peut aussi s’expliquer par la durée très courte du mariage et l’absence d’incidence concrète du mariage sur la vie de Mercédès, qui ne fait pas état de conséquences quant à son avancement de carrière ou quant à sa capacité à se réinstaller en Espagne (sur les conditions de la prestation compensatoire : art. 271 c. civ.).
La voie d’une demande postérieure d’une prestation compensatoire est également fermée : en l’absence de demande au moment du divorce, l’action de Mercédès sera déclarée irrecevable.
2 - L’absence des conditions formelles
S’agissant de l’absence d’avocat représentant l’un des époux, le code civil ne donne aucune indication sur la sanction à apporter à un tel manquement. On peut penser que la présence d’un avocat représentant les intérêts de l’un des époux constitue une condition formelle importante, si bien que son absence rend nulle toute convention réalisée. Une telle solution a été confirmée par un jugement inédit rendu par le tribunal judiciaire de Versailles le 30 avril 2024, n° 20/00907. Dans cette affaire, l’épouse non française a obtenu l’annulation de la convention de divorce contresignée par avocats, au motif qu’elle n’avait pas été représentée, ni en présentiel, ni à distance, par un avocat distinct de celui de son époux. Le tribunal a alors jugé que la nullité de la convention emportait rétablissement du mariage entre les deux ex-époux, et restitutions le cas échéant.
En l’espèce, l’application de la solution dégagée par le tribunal judiciaire de Versailles devrait entraîner l’annulation de la convention. En effet, Mercédès nous indique qu’aucun avocat n’était présent pour lui indiquer ses droits et lui expliquer les conséquences de la convention signée. La convention doit donc être annulée dans l’ensemble de ses dispositions, en ce compris le principe même du divorce.
Plusieurs conséquences en découleraient. Mercédès et Edmond seraient considérés comme mariés : l’annulation fait disparaître l’acte pour l’avenir, mais également pour le passé. Le contrat n’ayant jamais existé, les parties reprennent la qualité qu’elles avaient avant sa conclusion. Par ailleurs, Mercédès pourrait demander d’engager la responsabilité de l’avocat d’Edmond et du notaire, qui n’ont pas veillé aux conditions formelles et au respect de son intérêt tout au long de la procédure. Mercédès pourrait demander la réparation de son préjudice moral et/ou matériel, si de tels préjudices peuvent être prouvés et rattachés à une faute d’un des acteurs de la procédure.
Enfin, il faudra rassurer Mercédès. Une nouvelle convention pourra être signée entre les époux. Cette fois-ci, elle pourra demander, si les conditions sont réunies et/ou si Edmond l’accepte, le versement d’une prestation compensatoire. Il demeurera que les époux devront, cette fois-ci pleinement informés, être en accord aussi bien sur le principe du divorce que sur ses effets.
