Décrets en conseil des ministres, un chef de l’État compétent quoi qu'il en soit (CE, ass., 10/09/1992, Meyet)

Introduction

La problématique de la répartition du pouvoir réglementaire entre le chef de l’État et le Premier ministre semblait avoir été suffisamment encadrée par la Constitution de 1958. C'était sans compter l'opportunisme de certains occupants de la magistrature suprême qui n'ont eu de cesse que d'user des moindres failles de la Charte fondamentale pour accroître les maigres prérogatives réglementaires que celle-ci leurs avaient confiés. L’arrêt Meyet vient consacrer la démarche qui a été la leurs et réviser, dans le même temps, une jurisprudence vieille d'à peine cinq ans.

Dans cette affaire, M. Meyet conteste, devant le Conseil d’État, la légalité de plusieurs textes, décrets et décisions, liés à l'organisation du référendum sur le traité de Maastricht. Parmi ces décrets, deux ont été signés par le chef de l’État et contresigné par le Premier ministre après délibération en conseil des ministres, alors qu'aucun texte n'imposait une telle délibération. La question posée au juge administratif suprême est donc de déterminer qui du chef de l’État ou du chef du Gouvernement devait signer ces décrets. 

Cette question s'est imposée au juge administratif en raison d'une pratique politique qui s'est, peu à peu, éloignée de la lettre du texte constitutionnel. Ce dernier réserve, en effet, en son article 21, la compétence réglementaire de principe au Premier ministre et ne laisse au chef de l’État qu'une compétence réglementaire résiduelle, limitée, selon l'article 13, aux décrets délibérés en conseil des ministres, notamment. Or, certains présidents de la République n'ont pas hésité, par opportunisme politique, à inscrire à l'ordre du jour dudit conseil certains projets de décrets, sans qu'aucune disposition textuelle n'impose une telle formalité. La question s'est, alors, posée de savoir laquelle des deux têtes de l'exécutif devait, en pareille hypothèse, supporter la paternité du décret.

Le Conseil d’État a, d'abord, jugé en 1987 que le décret devait être regardé comme relevant de la compétence du Premier ministre, la signature du chef de l’État étant considérée comme sur-abondante. Avec l’arrêt Meyet du 10/09/1992, la Haute juridiction adopte, à peine cinq ans plus tard, la position inverse et considère que lorsqu'un décret est délibéré en conseil des ministres, le chef de l’État a seul compétence pour le signer, quand bien même aucune disposition textuelle ne prévoyait une telle délibération. Celui-ci est, alors, regardé comme étant juridiquement l'auteur du texte. Le Conseil constitutionnel va dans le même sens (CC, n° 2021-184/188, 24/03/2022).

Ce revirement de jurisprudence n'est pas sans conséquence dans la mesure où la signature du président de la République est attributive de compétence. Cela signifie que les mesures ultérieures liées à la matière traitée par le décret relèveront elles-aussi de son autorité. Le juge permet, ce faisant, au chef de l'Etat d’accroître, de lui-même et pour simple opportunité politique, le champ de ses attributions réglementaires. Cette extension se fait au détriment des prérogatives réservées au Premier ministre par l'article 21 de la Constitution qui voit, ainsi, son champ d'application varier au gré de l'interprétation que le chef de l’État fait de l'article 13. Cette affaiblissement du poids des textes est encore plus net s'agissant des textes prévoyant une délibération en conseil des ministres, puisque la seule volonté du président de la République suffit, à présent, à produire le même effet.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la portée de la signature du chef de l'Etat (I), et d’analyser, dans une seconde partie, la portée, cette fois-ci, de la jurisprudence Meyet (II).

I – La portée de la signature du président de la République

Cette question est liée à l’ambiguïté qui caractérise la Constitution de 1958 (A). Elle a reçu, en moins de cinq ans, deux réponses différentes de la part du Conseil d’État (B).

A – Une question née de l'ambiguïté de la V° République

La lecture littérale de la Charte fondamentale atteste de la nette prédominance du Premier ministre en matière d'exercice du pouvoir réglementaire (1). La pratique qui en a été faite s'est, cependant, éloignée de ces principes (2).

1 – Une lettre du texte constitutionnel ...

La Constitution de 1958 opère, en matière de pouvoir réglementaire, un total changement de perspective par rapport au régimes antérieurs. Jusqu'à cette date, en effet, ce pouvoir relevait d'une seule et unique autorité. Il s'agissait, sous la III° République, du chef de l’État, bien que la pratique l'ait, peu à peu, cantonné à un rôle purement formel, l'essentiel des décrets étant préparés par le Gouvernement. Quant à la Constitution de 1946, elle opère une nouvelle centralisation de ce pouvoir au profit, cette fois-ci, du président du Conseil. La Constitution de la V° République s'éloigne de ce système pour opérer une répartition entre le chef de l’État et le Premier ministre.

Bien que caractérisé par son bicéphalisme, le pouvoir réglementaire demeure, sous l'emprise de la Constitution de 1958, principalement entre les mains du chef du Gouvernent qui détient, en la matière, la compétence de droit commun. En effet, aux termes de l'article 21 du texte constitutionnel, « sous réserve des dispositions de l'article 13, il [le Premier ministre] exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires ». Le président de la République voit, lui, sa compétence limitée, par l'article 13 de la Constitution, à la seule signature des ordonnances prévues par l'article 38 et des décrets délibérés en conseil des ministres. C'est à ce seul titre, qu'il participe à l'exercice du pouvoir réglementaire, hormis le cas de mise en application des pouvoirs exceptionnels qu'il tient de l'article 16. 

La liste des décrets qui doivent être délibérés en conseil des ministres n'a, cependant, pas été véritablement déterminée par la Constitution. L'on ne peut guère citer que l'alinéa 3 de l'article 13 qui prévoit que les titulaires de certains emplois, parmi lesquels les préfets ou les ambassadeurs, sont nommés en conseil des ministres, ou, encore, l'article 36 qui soumet la déclaration de l'état de siège à un tel décret.

Le même constat peut être fait s'agissant d'autres textes : ils sont, en effet, peu nombreux à prévoir cette formalité. Il peut s'agir de lois, qu'elles soient organiques ou ordinaires, comme l'ordonnance organique du 22/12/1958 relative au statut de la magistrature qui impose que les traitements des magistrats soient fixés par décret en conseil des ministres ou de décrets, tel que celui du 22/01/1959 sur la fixation des attributions des ministres.

Le nombre, pour le moins, limité de textes imposant une délibération en conseil des ministres confirme donc l'orientation générale du texte constitutionnel. Cette lacune sera, cependant, très vite utilisée par certains chefs de l’État pour accroître leurs attributions réglementaires.

2 – … qui se heurte à la pratique constitutionnelle

Le flou qui entoure les matières relevant d'une délibération en conseil des ministres pourrait apparaître comme un handicap. L'opportunisme de certains occupants de la magistrature suprême va, cependant, faire de cette faiblesse un atout pour accroître leurs pouvoirs.

Certains chefs de l’État n'ont, ainsi, pas hésité à signer des décrets pour lesquels leur signature n'était pas, en principe, obligatoire. Il en est allé ainsi pour des décrets simples, c'est-à-dire des décrets qui ne doivent pas être délibérés en conseil des ministres et qui ne doivent, dès lors, être signés que par le Premier ministre et, le cas échéant, les ministres responsables. Cette pratique paraît contraire au texte constitutionnel, puisque d'après l'article 13 le président de la République ne signe que les décrets délibérés en conseil des ministres. Il en est allé de même pour des décrets délibérés en conseil des ministres, alors qu'aucun texte n'imposait une telle délibération.

Cette attitude tient, principalement, au poids politique que la Constitution de 1958 accorde au chef de l’État, poids d'autant plus important que ce dernier est élu au suffrage universel direct depuis 1962. Couplée à une personnalité, parfois, forte, cette tendance à la présidentialisation du régime de la V° République explique, alors, que certains d'entre eux aient voulu, en inscrivant à l'ordre du jour du conseil des ministres certains projets de décrets, marquer leur emprise sur l'action gouvernementale, notamment lorsqu'étaient en cause des sujets politiques particulièrement importants. L'on peut, au contraire, y voir, en période de cohabitation, une volonté d'exercer une forme de contre-poids vis-à-vis de la majorité parlementaire.

Ce conflit entre la lettre du texte constitutionnel et la pratique qui en est résultée n'a pas été sans incidence juridique. En effet, si la président de la République a toujours été considéré comme l'auteur du décret lorsque la délibération en conseil des ministres est imposée par un texte, la question de l'identité de son auteur se pose lorsqu'aucun texte n'impose une telle procédure : s'agit-il du Premier ministre en raison de l'absence d'obligation textuelle ou est-ce le chef de l’État du simple fait que la décision a été délibérée en conseil des ministres ? A cette question, le Conseil d’État a donné deux réponses différentes en quelques années.

B – Une réponse fluctuante du Conseil d'État

A cinq ans d'intervalle, le Conseil d’État a apporté deux réponses différentes à la question qui nous occupe. D'abord, considérée comme sur-abondante (1), la signature par le chef de l’État des décrets délibérés en conseil des ministre, sans aucune obligation textuelle, est, depuis 1992, regardée comme attributive de compétence (2).

1 – Hier, une signature sur-abondante

La Haute juridiction a, d'abord, opté pour une position qui privilégie la lettre de la Constitution. Ainsi, à l'occasion d'un arrêt rendu en pleine cohabitation, le juge administratif a considéré que lorsqu'un décret a été délibéré en conseil des ministres sans qu'un texte n'impose une telle formalité, l'auteur de la décision reste le Premier ministre (CE, 16/10/1987, Syndicat autonome des enseignants de médecine). En d'autres termes, la signature du chef de l'Etat, outre qu'elle n'entache pas d'incompétence le décret en cause, est considérée comme sur-abondante, c'est-à-dire sans portée juridique. 

D'un point de vue juridique, cette jurisprudence préserve les prérogatives du Premier ministre contre les tentatives du chef de l’État de s'allouer certaines matières réglementaires. Par ailleurs, étant juridiquement l'auteur du décret, l'occupant de l’Hôtel Matignon conserve seul la compétence pour le modifier ou l'abroger à l'avenir. Au plan politique, elle est de nature à consolider le poids du chef du Gouvernement, ce qui n'est pas sans incidence lorsque les majorités présidentielle et parlementaire ne coïncident pas.

Cette décision créait, ainsi, deux catégories de décrets en conseil des ministres, là où le Constitution ne fait aucune distinction. Les premiers sont ceux qui y sont délibérés en vertu d’un texte : ils portent la mention « le conseil des ministres entendu » et doivent être signés par le président de la République qui en est, juridiquement, l'auteur. Les seconds sont soumis au conseil des ministres par simple opportunité : ils portent la mention « après avis du conseil des ministres » et doivent être signés par le Premier ministre qui en est, juridiquement, l'auteur.

La logique qui sous-tend cette position n'était pas entièrement nouvelle. En effet, par une jurisprudence, cette fois-ci constante, le Conseil d’État avait déjà jugé que les décrets simples, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas délibérés en conseil des ministres, signés par le chef de l’État, alors que cette signature n'est pas exigée en pareille hypothèse, ne sont pas juridiquement l’œuvre du président de la République, mais celle du Premier ministre (CE, 27/04/1962, Sicard). La Haute juridiction considère, en effet, comme superfétatoire la signature apposée par le chef de l'Etat. Ceux-ci sont valables dès lors qu'ils comportent la signature du chef du Gouvernement et, le cas échéant, des ministres responsables.

Cette dernière jurisprudence demeure toujours en vigueur. La solution posée par l’arrêt Syndicat autonome des enseignants de médecine n'a, en revanche, pas eu la même longévité.

2 – Aujourd'hui, une signature attributive de compétence

Avec l’arrêt Meyet, le juge administratif suprême décide que tous les décrets délibérés en conseil des ministres doivent être signés par le président de la République et doivent donc être considérés comme étant juridiquement son œuvre. Il n'y a donc plus lieu de distinguer selon que cette formalité était ou non imposée par un texte. Dans l'une et l'autre de ces hypothèses, le chef de l’État est juridiquement l'auteur de la décision. Désormais, la seule distinction au sein des décrets réglementaires est celle existant entre les décrets délibérés en conseil des ministres qui relèvent de la compétence du chef de l'Etat et les décrets simples, c'est-à-dire non délibérés en conseil des ministres, qui relèvent de l'autorité du chef du Gouvernement en vertu de la jurisprudence Sicard.

Cette fois-ci, le Conseil d’État fait primer la tendance à la présidentialisation qui caractérise la V° République. D'un point de vue juridique, cette solution n'est pas sans conséquences. En effet, en attribuant compétence au chef de l'Etat pour signer les décrets délibérés en conseil des ministres sans aucune obligation textuelle, il crée à son profit un bloc de compétence puisque les mesures adjacentes à ces décrets relèveront aussi de ses attributions. Ainsi, le président de la République peut renvoyer à d’autres décrets en conseil des ministres le soin de fixer les mesures complémentaires au décret adopté. Il en va, ainsi, en l’espèce, des règles relatives à la campagne du référendum et des aménagements nécessaires à l'application du décret du 06/08/1992 dans les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Surtout, ces décrets ne pourront, à l’avenir, être modifiés ou abrogés que par des décrets de même nature, c'est-à-dire délibérés en conseil des ministres et signés par le chef de l’État (CE, 27/04/1994, Allamigeon). Le président de la République voit donc sa compétence réglementaire considérablement étendue.

Le Conseil d’Etat prévoit, toutefois, l’hypothèse d’une réversion au profit du Premier ministre de la compétence pour modifier le décret délibéré en conseil des ministres (CE, 09/09/1996, Collas). Cette jurisprudence a, récemment, été affinée. Le Conseil d’Etat a, en effet, jugé qu’il en va ainsi « soit lorsque ce décret [délibéré en conseil des ministres] prévoit qu'elles peuvent être modifiées par décret en Conseil d'Etat ou par décret simple, soit lorsque les dispositions ainsi créées ou modifiées par ce décret sont codifiées dans des conditions qui manifestent qu'elles relèvent du décret en Conseil d'Etat ou du décret simple » (CE, 05/02/2024, n° 470962). Ainsi, la reversion de la compétence au profit du Premier ministre peut, à présent, aussi, se déduire de l’intention du codificateur, indépendamment de toute mention explicite dans le décret délibéré en conseil des ministres.

Au plan politique, cette interprétation extensive des compétences réglementaires du président de la République peut donner lieu à des tensions en période de cohabitation. Elle est, aussi, de nature, en cas de concordance des majorités, à affaiblir le rôle du Premier ministre. C'est, là, l'une des conséquences de la jurisprudence Meyet.

II – La portée de la jurisprudence Meyet

La jurisprudence Meyet emporte deux série de conséquences : d'une part, elle remanie le poids des textes (A), d'autre part, elle renforce le rôle du chef de l’État (B).

A – Une jurisprudence qui amende le poids des textes

La solution consacrée en l'espèce amène d'une part à repenser les poids respectif des articles 21 et 13 de la Constitution (1) et d'autre part à relativiser l’intérêt pour un texte de prévoir une délibération en conseil des ministres (2).

1 – Une extension du champ d'application de l'article 13

Avec la jurisprudence Meyet, le Conseil d'Etat n'enlève pas à la Constitution de 1958 son rôle majeur dans la répartition du pouvoir réglementaire entre chef de l’État et Premier ministre. Ce dernier conserve la compétence de principe quand celle du président de la République reste limitée aux décrets en Conseil des ministres (art. 13), aux ordonnances de l'article 38 (art. 13) et aux mesures prises dans le cadre de l'article 16.

Il faut bien noter, cependant, que l'interprétation que la Haute juridiction retient de l'article 13 rend les attributions réglementaires du chef de l’État moins résiduelles qu'elles ne l'étaient. S'il ne s'agit pas d'un changement de paradigme, la solution posée réagence, notoirement, la portée des articles 21 et 13, en accordant au second quelques strates de la sphère jadis réservée au premier.

En jugeant que le président de la République est l’auteur des décrets délibérés en conseil des ministres, même lorsqu'aucun texte n'impose une telle délibération, le Conseil d’Etat lui permet de s’attribuer de nouvelles compétences : il lui suffit, en effet, d'inscrire à l'ordre du jour dudit conseil, qu'il arrête en dernier ressort, un projet de décret pour que cette matière relève, à l'avenir, de sa compétence. Au gré de ses décisions, le chef de l’État peut, ainsi, étendre la portée de l'article 13 et, de ce fait, limiter, sensiblement, le champ d'intervention que l'article 21 réserve au Premier ministre. Le poids de ce dernier s'en trouve, alors, affecté. Il en va, de même, des textes qui prévoient une délibération en conseil des ministres.

2 – Un moindre intérêt des textes prévoyant une délibération en conseil des ministres 

Les textes imposant une délibération en conseil des ministres n'ont jamais véritablement eu une importance majeure. Outre le faible nombre d'entre eux, la pratique constitutionnelle de la V° République a démontré le peu d'autorité que certains chefs de l’État leur accordaient. Avec la jurisprudence Meyet, ce rôle, déjà réduit, s'en trouve encore plus amoindri.

En effet, alors qu’auparavant, le président de la République n’était compétent que si un texte imposait une délibération en conseil des ministres, l’inscription à l’ordre du jour dudit Conseil d'un projet de décret et sa signature suffisent, à présent, à lui conférer le pouvoir de régir, à l'avenir, la matière en cause. Sa seule volonté apparaît, ainsi, aussi fertile que n'importe quelle disposition textuelle.

Dès lors, l’intérêt pour un texte de prévoir un passage en conseil des ministres s'avère quasi nul. Ces textes héritent, ainsi, de la qualité jadis attribuée à la signature du chef de l’État : ils deviennent sur-abondants.

Ce constat mérite, cependant, une nuance. Le président de la République étant une autorité administrative, il demeure soumis au respect de la loi. Dès lors, si une loi attribue à une autorité autre que le président de la République le pouvoir d'édicter une réglementation, le chef de l’État ne pourra que s'incliner et c'est cette autre autorité qui sera seule apte à la prendre. Il en va, ainsi, que la matière ait fait ou non l'objet antérieurement d'un décret en conseil des ministres.

Les textes voient donc, outre cette limite, leur rôle nettement diminuer au profit d'un chef de l’État qui acquiert la maîtrise de sa compétence.

B – Une jurisprudence qui renforce le poids du chef de l'État

C'est le président de la République qui sort grand vainqueur de la position prise par la Conseil d’État. En conférant au chef de l'exécutif la maîtrise de sa compétence (1), cette solution affaiblit, en effet, le poids du Premier ministre (2).

1 – Un chef de l’État, maître de sa compétence

En jugeant que les décrets pris en conseil des ministres relèvent de la compétence du président de la République, y compris lorsqu'aucun un texte n'impose une telle délibération, le juge administratif suprême permet au chef de l'Etat d’accroître, de lui-même, ses attributions. Il lui suffit, en effet, d’inscrire à l’ordre du jour dudit conseil, qu’il arrête en dernier ressort, un projet de décret pour qu'ultérieurement les mesures liées à ce texte, qu'il s'agisse de modifications ou d'abrogation, relèvent de son autorité.

Ainsi, là où d’autres autorités sont tributaires d’un texte pour intervenir dans une matière donnée, le président de la République peut, de son propre chef, décider de s’auto-attribuer une compétence. Certes, cette dernière dépend de l'article 13 de la Constitution, mais cette disposition textuelle est, en quelques sortes, rendue transparente par la jurisprudence Meyet, puisque c'est le chef de l’État lui-même qui en détermine le champ d'application. Seule la loi peut, alors, on l'a vu, faire échec à la volonté du premier magistrat de France.

Cette extension de la compétence réglementaire du président de la République se fait aux dépens de celle du Premier ministre.

2 – Un affaiblissement du rôle du Premier ministre

La place du Premier ministre au sein des autorités réglementaires, censée être cardinale selon la lettre du texte constitutionnel, se voit considérablement affectée par la solution retenue dans l’arrêt Meyet. Elle l'est du fait des compétences que le chef de l’État s'arroge. Mais, elle l'est aussi de par l'insécurité qui touchent ses attributions puisque celles-ci sont à la merci des décisions du président de la République.

Chaque compétence que le chef de l’État s'auto-attribue est, en effet, enlevée au Premier ministre qui ne peut plus ni modifier, ni abroger un décret signé par le président de la République et délibéré en conseil des ministres (jurisprudence Allamigeon). Il n'est fait exception à ce principe que si le chef de l'exécutif décide de rendre au Premier ministre la compétence qu’il lui a enlevé (jurisprudence Collas) : il suffit, alors, qu’un décret en conseil des ministres le prévoit. Mais, là encore, les attributions du Premier ministre dépendent du bon vouloir du chef de l’État.

La question se pose, alors, de l'existence de conflits entre les deux têtes de l'exécutif. Deux cas de figure doivent être distingués. Soit les majorités coïncident, et il n’y a pas de raisons pour que le chef de l’État s’attribue à l'excès de nouvelles compétences, hormis les textes importants de la mandature sur lesquels celui-ci peut vouloir apposer son empreinte. Cette situation ne peut guère susciter d'opposition de la part du chef du Gouvernement de par l'existence, en pareille hypothèse, d'un rapport de loyauté de ce dernier vis-à-vis du président de la République. Soit, il y a cohabitation et un usage excessif de la jurisprudence Meyet par le chef de l'Etat risque de se heurter au refus du Premier ministre de contresigner le décret. Ce dernier doit, en effet, aux termes de l'article 19 de la Constitution, apposer son contre-seing sur les décrets délibérés en conseil des ministres.

La boucle est, alors, bouclée. La pratique constitutionnelle avait fait dévier le régime de la V° République de la lettre du texte constitutionnel. A présent, c'est elle qui, au travers des rapports de forces inhérents à tout système politique, est de nature à tempérer les abus que le chef de l’État pourrait être tenté de faire de la solution adoptée par le juge administratif.

Reste que le système constitutionnel français a franchi un pas de plus vers le régime présidentiel. Par l’arrêt Meyet, le Conseil d’État en prend acte et accompagne ce mouvement, amorcé en dehors de lui, au travers d'une jurisprudence qu'il y a lieu de regarder, non comme un élément isolé, mais comme une partie du tout que constitue l'écosystème politique de la V° République.

CE, ass., 10/09/1992, Meyet

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007834093/