Introduction
La responsabilité sans faute est probablement l’une des spécificités les plus remarquables de la responsabilité administrative. Elle peut se fonder sur le risque ou sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. L’affaire relative à M. Couitéas est l’occasion pour le Conseil d’Etat d’illustrer la seconde hypothèse de ce type de responsabilité lorsqu’une décision administrative régulière cause un dommage.
Dans cette affaire, M. Couitéas était propriétaire de parcelles de terres en Tunisie. Mais, celles-ci étaient occupées par plusieurs milliers « d’autochtones ». Le tribunal civil de Sousse confirma, le 13 février 1908, le droit de propriété de l'intéressé sur ces parcelles et lui conféra le droit d’en faire expulser ces personnes. M. Couitéas demanda à l’Etat le concours de la force publique pour procéder à cette expulsion. Mais, l’Etat refusa par crainte de troubles à l’ordre public et opposa le même refus à la demande de réparation du préjudice ainsi causé déposée par M. Couitéas. Celui-ci saisit donc le Conseil d’Etat afin d’obtenir réparation. Le 30 novembre 1923, la Haute juridiction fait droit à sa demande.
Pour parvenir à cette solution, le juge administratif suprême considère qu’en principe, l’Etat était tenu de prêter le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion. Mais, il juge que le refus opposé à M. Couitéas était légal car il visait à éviter des désordres encore plus grands. Pourtant, bien que prise dans l’intérêt général, la mesure a causé un préjudice à l’intéressé et l’a placé dans une situation plus défavorable que celle des autres administrés. Aussi, il y a, pour le Conseil d’Etat, une rupture de l’égalité devant les charges publiques qui engage la responsabilité sans faute de l’Etat et doit donner lieu à réparation.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la raison d’être de la jurisprudence Couitéas (I) et d’examiner, dans une seconde partie, ses conditions d’application (II).
I – La raison d'être de la jurisprudence Couitéas
La jurisprudence Couitéas repose sur le principe en vertu duquel la rupture de l’égalité devant les charges publiques (B) que cause le refus de prêter le concours de la force publique décidé dans l’intérêt général et donc parfaitement légal (A) doit donner lieu à réparation.
A – Le refus légal de l'Etat de prêter le concours de la force publique …
En principe, l’administration doit, non seulement respecter les jugements et arrêt rendus contre elle, mais prêter son concours à l’exécution de ceux qui ont été rendus contre des personnes privées. C’est ce que le Conseil d’Etat relève en l’espèce en considérant que « le justiciable nanti d’une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur le force publique pour l’exécution du titre qui lui a été délivré ». Le caractère illégal de ce refus constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, en vertu du principe selon lequel toute illégalité constitue une faute (CE, sect., 26/01/1973, Ville de Paris c/ Sieur Driancourt).
Il arrive, toutefois, dans certaines affaires, que le refus de prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice soit tout à fait légal. C’est le cas lorsque le concours de la force publique risque d’entraîner des troubles plus graves que celui que fait naître l’inexécution de la décision de justice, comme dans l’affaire Couitéas. La Haute juridiction relève, en effet, ici, les « troubles graves que susciterait l’expulsion de nombreux indigènes de terres dont ils s’estiment légitimes occupants depuis un temps immémorial ». Le juge administratif suprême conclut, alors, que « le Gouvernement n’a fait qu’user des pouvoirs qui lui sont conférés en vue du maintien de l’ordre et de la sécurité publique dans un pays de protectorat ». La même démarche a été adoptée par le Conseil d’Etat dans des affaires où il s’agissait d’expulser des grévistes occupant une usine (CE, ass., 02/06/1938, Société La Cartonnerie et l’Imprimerie Saint-Charles) ou des locataires occupant un appartement (CE, ass., 22/01/1943, Braut).
Si cette position apparaît salvatrice pour les administrés concernés, elle peut aussi causer des effets pervers, l’administration préférant, parfois, payer une indemnité pour échapper à l’exécution difficile d’une décision de justice. C’est pour cela que diverses solutions sont venues restreindre les cas où l’administration peut, légalement, décider du refus de prêter le concours de la force publique. Le Conseil constitutionnel a, ainsi, rappelé que toute décision de justice a force exécutoire et que seules des « circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l’ordre public » peuvent permettre à « l’autorité administrative de ne pas prêter son concours à l’exécution d’une décision juridictionnelle » (CC, 29/07/1998, n° 98-403). Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’Homme, tout en affirmant que « l’exécution d’une jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit » relève du droit à un procès équitable et doit être assurée par les autorités compétentes (CEDH, 19/03/1997, Hornsby c/ Grève), admet que des motifs sérieux d’ordre public peuvent justifier que le concours de la force publique soit différé, mais non refusé définitivement (CEDH, 21/01/2010, Barret et Sirjean c/ France). Dans un contexte sensiblement différent, mais aux rouages identiques, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France pour manquement quand celle-ci n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la libre circulation des marchandises face aux manifestations violentes des agriculteurs ayant détruit des camions de fraises espagnoles (CJCE, 09/12/1997, Commission c/ France). Enfin, le Conseil d’Etat a affirmé que, sauf risque excessif de trouble à l’ordre public, l’autorité administrative est toujours tenue d’accorder le concours de la force publique, sans pouvoir porter aucune appréciation sur la nécessité de la demande (CE, 25/11/2009, Ministre de l’Intérieur c/ Société Orly Parc).
Indépendamment de ces solutions, la jurisprudence Couitéas demeure toutefois : c’est ainsi que lorsque le refus de prêter le concours de la force publique est légal, l’administré est en droit d’obtenir une indemnité motifs pris d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques.
B – … crée une rupture de l'égalité devant les charges publiques
Dans l’affaire Couitéas, le Conseil d’Etat considère que « le préjudice qui résulte de ce refus [le refus de prêter le concours de la force publique] ne saurait, s’il excède une certaine durée, être une charge incombant normalement à l’intéressé ». Il rajoute, plus loin, que ce refus « lui a imposé, dans l’intérêt général, un préjudice pour lequel il est fondé à demander une réparation pécuniaire ». Par ces mots, la Haute juridiction pose que le fait de ne pas prêter le concours de la force publique pour l’exécution de la décision de justice dont bénéficie M. Couitéas rompt à son détriment l’égalité devant les charges publiques entre lui et les autres citoyens.
Le principe d’égalité devant les charges publiques est posé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 aux termes duquel « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de ce principe, les charges doivent, normalement, être équitablement réparties entre tous les citoyens. Mais, il arrive, parfois, du fait d’une décision administrative parfaitement légale, que certains administrés se trouvent dans une situation plus défavorable que celle des autres citoyens. Aussi, le juge administratif considère que, si la puissance publique peut, légalement, faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, cette situation commande d’indemniser la personne (ou les quelques personnes) qui est la seule à souffrir des conséquences d’un acte ou d’une activité menée dans l’intérêt général, donc dans l’intérêt de tous.
Ces principes ont, par la suite, été repris par le législateur. Une loi du 9 juillet 1991 a, ainsi, posé que « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ». Le Conseil constitutionnel a suivi la même voie : la victime d’un « préjudice anormal et spécial » causé par une autorité publique peut « en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques » (CC, 5/08/2015, n° 2015-715).
La nécessité de corriger le déséquilibre existant entre l’administré objet de la mesure, ici M. Couitéas, et les autres citoyens ne s’impose, toutefois, que si certaines conditions sont satisfaites.
II – Les conditions d'application de la jurisprudence Couitéas
La jurisprudence Couitéas s’applique à la plupart des mesures administratives (A), mais elle nécessite que le préjudice causé soit anormal (B).
A – Des conditions tenant aux mesures éligibles
La jurisprudence Couitéas concernait le refus de l’Etat de prêter le concours de la force publique pour exécuter une mesure d’expulsion ordonnée par une juridiction. Par la suite, le Conseil d’Etat a, progressivement, étendu le champ d’application de cette jurisprudence à d’autres mesures. C’est ainsi qu’il a admis l’éligibilité d’autres cas d’abstention de la part des autorités administratives, tels que le refus des autorités de police d’intervenir pour maintenir ou rétablir l’ordre public ou le défaut d’application d’une règlementation. En principe, de telles décisions sont fautives, mais elles sont regardées comme légales si elles visent à éviter un désordre plus grand. En pareille hypothèse, elles ouvrent, alors, droit à indemnisation.
La responsabilité de la puissance publique peut, également, être engagée, cette fois-ci, lorsque des mesures positives, parfaitement légales, causent une rupture de l’égalité devant les charges publiques. La solution a, d’abord, été admise pour les décisions individuelles, tel que le refus d’autoriser le licenciement de personnels en raison de la « perturbation grave dans la vie économique locale » qui en résulterait (CE, sect., 28/10/1949, Société des Ateliers du Cap Janet). Il en est allé de même pour les mesures règlementaires : par exemple, un règlement de police interdisant le passage de piétons (CE, sect., 22/02/1963, Commune de Gavarnie).
Enfin, il convient de noter que la responsabilité sans faute de l’Etat peut, aussi, être engagée sur la base de la rupture de l’égalité devant les charges publiques du fait des lois (CE, ass., 14/01/1938, Société des produits laitiers « La Fleurette ») et des conventions internationales (CE, ass. 30/03/1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique).
D’autres conditions tiennent aux caractéristiques que doit présenter le préjudice pour que l’administré puisse obtenir réparation.
B – Des conditions tenant à l'anormalité du préjudice
Pour que la responsabilité sans faute de l’administration soit engagée sur la base des principes dégagés par la jurisprudence Couitéas, le préjudice invoqué par l’administré doit être tel qu’il constitue une rupture de l’égalité devant les charges publiques, ce qui suppose qu’il présente certains caractères. De ce point de vue, la jurisprudence a retenu plusieurs formulations pour identifier ces caractères. Dans l’arrêt Couitéas, le juge administratif suprême évoquait un préjudice qui « ne saurait être une charge incombant normalement à l’intéressé ». Par la suite, le préjudice a été considéré comme spécial et anormal, ou anormal parce que grave et spécial, voire anormal, grave et spécial. De nos jours, prévaut la formule selon laquelle « le préjudice … ne saurait, s’il revêt un caractère grave et spécial, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé » (CE, ass., 22/10/2010, Mme Bleitrach). En d’autres termes, le préjudice doit être anormal, ce critère étant lui-même défini par deux sous-critères cumulatifs : la spécialité et la gravité.
S’agissant de la spécialité, le principe est que le préjudice doit n’atteindre que certains membres de la collectivité. Ce critère présente un aspect quantitatif (le dommage doit concerner un nombre raisonnablement limité d’administrés) et un aspect qualitatif (les personnes affectées doivent l’être particulièrement). Les choses sont simples si une seule personne est atteinte. Lorsque plusieurs personnes sont concernées, le préjudice ne sera regardé comme spécial que s’il apparaît que ces personnes le sont plus que d’autres en raison de leur activité particulière : c’est par exemple le cas d’entreprises empêchées d’accéder à leurs installations par suite du blocage des voies d’accès sans intervention de la police. En ne retenant que les préjudices spéciaux, le Conseil d’Etat limite, ainsi, la responsabilité de l’administration aux seuls cas où il y a vraiment rupture de l’égalité devant les charges publiques, puisque seuls certains membres de la collectivité sont touchés.
S’agissant de la gravité, le préjudice doit excéder les simples gênes que les membres de la collectivité doivent supporter sans compensation. En effet, indemniser tous les préjudices conduirait à une inaction de l’administration, puisque chacun de ses agissements cause, à un point de vue ou à un autre, un dommage. Aussi, le juge détermine la part du préjudice qui est imputable aux inconvénients normaux de la vie sociale et indemnise la part du dommage qui va au-delà. C’est ce que note le Conseil d’Etat en l’espèce lorsqu’il relève que le préjudice ne sera considéré comme grave que « s’il excède une certaine durée » et qu’il lui revient de déterminer « la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité ». En d’autres termes, ce n’est que la partie du préjudice qui excède les aléas normaux de la vie en collectivité qui donnera lieu à réparation.
Dans l’affaire Couitéas, seul l’intéressé est concerné : le préjudice est donc spécial. De plus, le refus de l’administration de prêter le concours de la force publique l’empêche de récupérer les terres dont il s’estime propriétaire. Cette décision entraîne « la privation totale et sans limitation de durée » de ses droits. Le préjudice est donc, aussi, grave. Le Conseil d’Etat conclut, alors, que ce refus « lui a imposé, dans l’intérêt général, un préjudice pour lequel il est fondé à demander une réparation pécuniaire ». M. Couitéas pourra donc obtenir réparation de son préjudice sur la base de la rupture de l’égalité devant les charges publiques.
CE, 30/11/1923, Couitéas
Vu 1/ la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur Basilio X..., demeurant à Tunis, rue de Russie n° 14, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 6 août 1909 et 11 mai 1910, sous le numéro 38284, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler une décision en date du 7 juin 1909 par laquelle le ministre des affaires étrangères a rejeté la demande d'indemnité qu'il avait formé contre l'Etat français à raison du refus par l'autorité française en Tunisie de mettre à exécution deux jugements rendus par le tribunal civil de première instance de l'arrondissement judiciaire de Sousse ordonnant l'expulsion du domaine du requérant des indigènes qui s'y étaient installés sans droit ;
Vu 2° sous le n° 48.688, la requête du sieur X... tendant à ce qu'il plaise au Conseil d'Etat annuler une décision en date du 11 mars 1912, par laquelle le ministre des Affaires étrangères a rejeté la demande d'indemnité formée par le requérant contre l'Etat français à raison de l'expropriation de son domaine de Tabia et Houbira, expropriation résultant en fait d'une série d'actes et de mesures qui engageraient la responsabilité de l'Etat français ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Considérant que les deux requêtes susvisées tendaient à faire condamner l'Etat français à payer au sieur X... diverses indemnités pour le préjudice que lui aurait causé une série d'actes et de mesures ayant eu pour effet de le priver tant de la propriété que de la jouissance du domaine de Tabia et Houbira ; que, à raison de la connexité existant entre les faits qui leur servaient de base, il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur l'intervention du Crédit foncier et agricole d'Algérie et de Tunisie :
Considérant que cette Société, à raison de l'ouverture de crédit qu'elle a consentie au sieur X..., a intérêt à l'annulation des décisions déférées qui ont contesté le droit à indemnité de son débiteur ; que, dès lors, son intervention doit être admise ;
Sur les requêtes du sieur X... :
Considérant que, dans ses dernières productions et notamment dans son mémoire du 10 février 1914, le sieur X..., abandonnant une partie des demandes antérieurement formulées par lui, réclame à l'Etat français une indemnité de 4.600.000 francs, en fondant cette prétention exclusivement sur le préjudice qu'il aurait subi jusqu'au 31 décembre 1917 du fait, par le gouvernement, d'avoir refusé de prêter mainforte à l'exécution de jugements rendus à son profit par le tribunal civil de Sousse le 13 février 1908, préjudice consistant dans la privation du droit de jouissance que ces décisions lui reconnaissaient sur le domaine de Tabia et Houbira et dans la ruine consécutive de sa situation commerciale ; qu'il y a lieu, par suite, de ne statuer que sur lesdites conclusions ;
Considérant, il est vrai, que le Crédit foncier et agricole d'Algérie et de Tunisie a déclaré, dans son mémoire du 20 juillet 1914, maintenir aux débats et vouloir faire juger les demandes primitivement introduites par son débiteur et retirées par ce dernier ;
Mais considérant que ladite société, simple intervenante aux pourvois, n'est pas recevable à reprendre les conclusions auxquelles la partie principale a expressément renoncé ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par jugements en date du 13 février 1908, le tribunal civil de Sousse a ordonné "le maintien en possession du sieur X... des parcelles de terrain du domaine de Tabia et Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l'Etat" et lui a conféré "le droit d'en faire expulser tous occupants" ; que le requérant a demandé, à plusieurs reprises, aux autorités compétentes, l'exécution de ces décisions ; mais que, le gouvernement français s'est toujours refusé à autoriser le concours de la force militaire d'occupation reconnu indispensable pour réaliser cette opération de justice, à raison des troubles graves que susciterait l'expulsion de nombreux indigènes de territoires dont ils s'estimaient légitimes occupants, depuis un temps immémorial ;
Considérant qu'en prenant, pour les motifs et dans les circonstances ci-dessus rappelées, la décision dont se plaint le sieur X..., ledit gouvernement n'a fait qu'user des pouvoirs qui lui sont conférés en vue du maintien de l'ordre et de la sécurité publique dans un pays de protectorat ;
Mais considérant que le justiciable nanti d'une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; que si, comme il a été dit ci-dessus, le gouvernement a le devoir d'apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force armée, tant qu'il estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s'il excède une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé, et qu'il appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité ;
Considérant que la privation de jouissance totale et sans limitation de durée résultant, pour le requérant, de la mesure prise à son égard, lui a imposé, dans l'intérêt général, un préjudice pour lequel il est fondé à demander une réparation pécuniaire ; que, dès lors, c'est à tort que le ministre des Affaires étrangères lui a dénié tout droit à indemnité ; qu'il y a lieu de le renvoyer devant ledit ministre pour y être procédé, à défaut d'accord amiable et en tenant compte de toutes les circonstances de droit et de fait, à la fixation des dommages-intérêts qui lui sont dus ;
DECIDE :
Article 1er : L'intervention du Crédit foncier et agricole d'Algérie et de Tunisie est déclarée recevable.
Article 2 : Les décisions du ministre des Affaires étrangères en date des 7 juin 1909 et 11 mars 1912 sont annulées.
Article 3 : Le sieur X... est renvoyé devant ledit ministre pour y être procédé, à défaut d'accord amiable à la liquidation, en capital et intérêts, de l'indemnité à laquelle il a droit, à raison de la privation de jouissance qu'il a dû subir jusqu'au 31 décembre 1917 par suite du refus du Gouvernement français de prêter le concours de la force armée pour l'exécution des jugements susrappelés.
Article 4 : Les conclusions du Crédit foncier et agricole d'Algérie et de Tunisie tendant à reprendre les conclusions auxquelles la partie principale a renoncé, sont rejetées.
Article 5 : Les dépens sont mis à la charge de l'Etat. Article 6 : Expédition au ministre des Affaires étrangères.
