Introduction
« Our war on terror begins with al Qaeda, but it does not end there. It will not end until every terrorist group of global reach has been found, stopped and defeated ». Par ces mots prononcés le 20 septembre 2001 le Président américain George W. Bush marque le lancement de la « guerre contre le terrorisme » (ou « guerre contre la terreur »), qui désigne un ensemble de campagnes militaires américaines menées en réponse aux attentats du 11 septembre 2001. Ces attentats ont en effet brutalement rappelé que la menace ne venait pas toujours d’États ennemis, mais aussi d’acteurs moins visibles, transnationaux et non étatiques. Cette attaque, perpétrée au cœur du territoire américain, a inauguré une ère nouvelle dans laquelle le terrorisme international semble échapper aux cadres traditionnels de l’analyse stratégique et diplomatique.
Le terrorisme international désigne l’usage de la violence à des fins politiques, religieuses ou idéologiques, perpétré par des acteurs non étatiques ciblant des civils, des institutions ou des symboles, souvent dans un cadre transfrontalier. Il diffère des formes traditionnelles de guerre par l’absence de déclaration formelle, le rejet des règles de la guerre conventionnelle et l’utilisation délibérée de la terreur comme arme psychologique et stratégique. Al-Qaïda, Daech, ou encore des mouvements transnationaux comme Boko Haram ou Al-Shabaab incarnent ce type de menace, opérant à l’échelle globale et mobilisant des réseaux de financement, de propagande et de recrutement dépassant les frontières. Les principes classiques des relations internationales s’inscrivent dans le paradigme westphalien, fondé sur la souveraineté des États, la non-ingérence, la guerre interétatique, la diplomatie bilatérale et la reconnaissance juridique mutuelle. Ces principes reposent sur une vision du monde ordonné par des règles partagées entre entités souveraines dotées d’un territoire, d’une population et d’un gouvernement. Le présent sujet nous amène à questionner la compatibilité de ces principes avec une menace qui échappe aux logiques étatiques, qui opère en réseaux, se dissimule dans les interstices du droit et mobilise la société civile mondiale comme terrain de confrontation. Il s’agit de déterminer si le cadre conceptuel traditionnel des relations internationales est encore adapté face à cette forme nouvelle de conflictualité.
D’un point de vue historique, le terrorisme, en tant que violence politique asymétrique, existe depuis des siècles. Il a pris des formes variées : terrorisme révolutionnaire à la fin du XIXe siècle (anarchistes russes), attentats indépendantistes au XXe siècle (FLN en Algérie, IRA en Irlande, ETA en Espagne), ou terrorisme d’État parfois maquillé en opérations secrètes. Toutefois, ce n’est qu’à partir des années 1990, et surtout après le 11 septembre 2001, que l’on parle véritablement de terrorisme international comme phénomène global et structurant pour les relations internationales. L’attentat contre les tours du World Trade Center marque une rupture : pour la première fois, un acteur non étatique frappe le cœur d’une grande puissance mondiale, avec une capacité de destruction inédite. Ce choc engendre une reconfiguration des priorités stratégiques (guerre contre le terrorisme, Patriot Act, intervention en Afghanistan et en Irak) et déclenche une vague d’adaptations normatives (résolutions du Conseil de sécurité, conventions antiterroristes, coopération policière et judiciaire). Les années 2010 sont marquées par l’émergence de Daech, qui combine actions terroristes, conquête territoriale et propagande numérique, brouillant encore davantage les frontières entre guerre classique, insurrection et communication. Cette évolution place les États devant un défi majeur : répondre à une menace protéiforme, transnationale et idéologiquement radicale, sans renoncer aux principes fondamentaux du droit international.
Dès lors, le terrorisme international doit-il être considéré comme une rupture fondamentale dans la manière de concevoir les relations internationales, ou s’agit-il plutôt d’une évolution des moyens de gestion d’une menace persistante ?
Nous verrons d’abord en quoi le terrorisme international bouleverse certains fondements de l’ordre westphalien et défie les cadres classiques de l’analyse des relations internationales (I), avant d’analyser les réponses étatiques et multilatérales qui tendent à réintégrer cette menace dans un cadre stratégique et juridique renouvelé, mais encore largement étatique (II).
I - Le terrorisme international : un défi pour les fondements classiques de l’ordre interétatique
L’émergence du terrorisme international, par sa nature transnationale, sa dimension idéologique et sa stratégie de rupture, représente une forme inédite de conflictualité qui bouscule les cadres analytiques traditionnels des relations internationales. En s’affranchissant des logiques de souveraineté, en opérant dans les interstices du droit et en mobilisant des réseaux déterritorialisés, le terrorisme remet en question certains des principes constitutifs de l’ordre westphalien, au premier rang desquels la souveraineté territoriale et la distinction entre guerre et paix (A), tout en affaiblissant le rôle exclusif des États dans la régulation des conflits et des rapports de force (B).
A - Une remise en cause de la souveraineté et de la distinction entre guerre et paix
En attaquant au cœur des territoires nationaux, sans déclaration formelle et sans identification claire, les groupes terroristes internationaux portent atteinte au principe même de souveraineté, qui repose sur le monopole étatique de la violence légitime et du contrôle des frontières (1). Par ailleurs, ces formes de violence asymétrique ne s’inscrivent ni dans un cadre de guerre conventionnelle, ni dans une situation de paix, mais dans une zone grise, juridiquement et stratégiquement instable, qui rend obsolète la distinction binaire héritée du droit classique des conflits armés (2).
1 - Des acteurs non étatiques qui violent les frontières et sapent la souveraineté des États
L’un des principes fondamentaux du droit international classique est la souveraineté étatique, c’est-à-dire la compétence exclusive d’un État sur son territoire, sa population et ses institutions sans soumission à une autorité supérieure. Le terrorisme international remet frontalement en cause ce principe, en incarnant une forme de violence transnationale non étatique, difficilement localisable, et échappant aux mécanismes traditionnels de contrôle territorial.
Contrairement aux conflits interétatiques, les attaques terroristes ne respectent aucune frontière : elles peuvent être planifiées dans un État, financées depuis un autre, exécutées dans un troisième, et revendiquées depuis un quatrième. L’attentat du 11 septembre 2001, planifié par Al-Qaïda depuis l’Afghanistan, a ainsi été conduit par des ressortissants de plusieurs pays, formés ailleurs, et dirigé contre le territoire américain. Ce schéma s’est reproduit dans de nombreuses attaques, notamment à Madrid (2004), Londres (2005) ou Paris (2015). Dans tous ces cas, la souveraineté des États a été ignorée par des réseaux qui exploitent les failles de la mondialisation.
Cette dynamique impose aux États une reconfiguration de leur stratégie de sécurité, les obligeant à intensifier leur surveillance intérieure, à renforcer le contrôle des flux transnationaux (financements, communications, déplacements), voire à intervenir militairement à l’étranger sans autorisation préalable, comme l’ont fait les États-Unis en 2011 pour éliminer Oussama Ben Laden au Pakistan.
Par ailleurs, le terrorisme international entraîne une révision implicite du droit à la souveraineté pour certains États considérés comme « défaillants » ou « refuges de terroristes ». La logique de la « guerre préventive » ou du « droit d’ingérence sécuritaire », notions non consacrées juridiquement mais appliquées de facto, affaiblit le respect absolu de la souveraineté et de la non-ingérence, piliers du droit international classique.
Ainsi, en brisant la logique frontalière, en exploitant les interdépendances mondiales et en provoquant des réponses extraterritoriales, le terrorisme international sape les fondements de la souveraineté étatique, pierre angulaire de l’ordre westphalien.
2 - Une conflictualité hybride brouillant les lignes entre guerre, criminalité et insécurité diffuse
Le terrorisme international ne se conforme à aucune des catégories classiques du droit de la guerre ou de la paix. Il ne relève ni de la guerre interétatique, régie par les Conventions de Genève, ni de la simple criminalité, sanctionnée par le droit pénal interne. Il occupe une zone grise où se mêlent actes de guerre, violence politique, délinquance transnationale et conflits idéologiques, rendant floue la distinction traditionnelle entre guerre et paix.
Les groupes terroristes internationaux, comme Al-Qaïda ou Daech, adoptent des formes de lutte asymétriques : attentats-suicides, prises d’otages, cyberattaques, campagnes de désinformation, financement par le trafic d’armes, de drogue ou d’êtres humains. Ces modes opératoires s’inspirent à la fois de la guérilla, du banditisme, et de la propagande révolutionnaire, brouillant les repères stratégiques habituels. Dans ce contexte, les notions classiques telles que « champ de bataille », « belligérant » ou « cessez-le-feu » deviennent inopérantes.
Cette hybridation de la violence rend la qualification juridique des actes terroristes complexe. Sont-ils des crimes de droit commun relevant uniquement du droit interne ? Des actes de guerre ? Des crimes contre l’humanité ? La qualification juridique du terrorisme est d’autant plus complexe qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée de cette notion en droit international, ni de convention internationale spécifiquement consacré à ce sujet. Le terrorisme est uniquement défini, et réprimé, par le droit interne des États, ce qui entraine une certaine disparité dans l’appréciation juridique de cette notion. Cette incertitude crée des tensions entre la logique judiciaire et la logique militaire, entre traitement pénal et réponse armée. Par exemple, les prisonniers de Guantanamo ont été détenus en dehors du cadre légal classique, en tant que « combattants irréguliers », catégorie juridiquement floue.
En outre, le terrorisme ne vise pas exclusivement des objectifs militaires ou politiques traditionnels : il cherche à déstabiliser des sociétés entières, à provoquer la peur, à susciter des réactions disproportionnées ou à polariser des communautés. Il s’inscrit dans une logique de guerre psychologique et symbolique, fondée sur la médiatisation du choc plutôt que sur l’occupation du terrain.
Enfin, cette conflictualité hybride entretient un climat d’insécurité généralisée, où les frontières entre front et arrière, civil et militaire, intérieur et extérieur s’effacent. Ce brouillage fragilise les capacités d’analyse des États et des institutions internationales, les poussant à repenser leurs doctrines de sécurité dans un cadre juridique et stratégique encore en construction.
B - L’affaiblissement du modèle westphalien fondé sur l’État comme acteur exclusif des relations internationales
Le terrorisme international ne remet pas seulement en cause la souveraineté territoriale : il décentre profondément l’analyse des relations internationales, en substituant à une logique d’affrontement entre États une dynamique d’insécurité transnationale portée par des acteurs informels, délocalisés et idéologiquement mouvants. En échappant aux instruments classiques de régulation (diplomatie, guerre conventionnelle, dissuasion) il expose les limites du paradigme westphalien qui faisait de l’État l’unité de base du système international (1), et impose une nouvelle conflictualité asymétrique que les outils traditionnels de sécurité ne parviennent qu’imparfaitement à contenir (2).
1 - Une menace transnationale incontrôlable par les mécanismes traditionnels de diplomatie
Le terrorisme international défie les canaux classiques de la diplomatie interétatique, qui reposent sur la reconnaissance mutuelle, la négociation entre représentants étatiques légitimes et l’usage encadré du recours à la force. En tant qu’acteurs non étatiques, les groupes terroristes échappent à ces logiques, car ils ne représentent aucun gouvernement reconnu, ne disposent d’aucune légitimité institutionnelle et n’entrent dans aucune configuration de négociation bilatérale ou multilatérale formelle.
La diplomatie repose sur la possibilité de dialogue, même entre ennemis. Or, les organisations terroristes comme Al-Qaïda ou Daech refusent toute forme de reconnaissance de leurs adversaires, rejettent les normes internationales, et placent leur action dans une logique de confrontation absolue. Aucun canal officiel ne peut être établi avec des acteurs qui ne recherchent ni compromis, ni stabilité, mais la destruction ou la subversion de l’ordre existant.
Les États se retrouvent ainsi privés de leviers diplomatiques face à des réseaux fragmentés, clandestins, souvent mobiles, dont les leaders peuvent être éliminés sans que cela entraîne de dissolution du groupe. L’extrême fluidité de ces organisations rend toute négociation structurelle ou médiation impossible dans les termes du droit classique.
En outre, la fragmentation des mouvements terroristes rend caduque la stratégie du dialogue classique. Les mouvances jihadistes opèrent selon des logiques de franchisage, où des cellules locales agissent au nom d’une idéologie globale, sans coordination centralisée. Cette absence de hiérarchie formelle rend inefficaces les outils diplomatiques traditionnels, fondés sur la centralisation du pouvoir de décision. Face à cette impasse diplomatique, les États privilégient des réponses sécuritaires et unilatérales (frappes ciblées, opérations spéciales, dispositifs antiterroristes), qui témoignent de l’affaiblissement du rôle de la diplomatie dans la gestion des conflits contemporains.
Ainsi, le terrorisme international échappe aux instruments classiques du dialogue interétatique, rendant inopérants les mécanismes fondamentaux de la diplomatie comme outil de prévention ou de résolution des conflits.
2 - L’essor d’une conflictualité asymétrique qui échappe aux logiques de dissuasion classiques
L’un des piliers de la stabilité internationale repose sur la dissuasion, principe selon lequel un acteur hostile est dissuadé d’agir par la perspective de représailles proportionnelles, souvent fondées sur un équilibre de puissance. Cette logique, théorisée pendant la Guerre froide, suppose la rationalité stratégique, la traçabilité de l’agresseur et la possibilité d’identifier des cibles légitimes. Or, le terrorisme international dévitalise ces trois conditions.
Les groupes terroristes opérant à l’échelle mondiale, comme Al-Qaïda, Daech ou leurs filiales, ne disposent pas de territoires clairement identifiables, ni d’infrastructures permanentes qui pourraient faire l’objet de représailles conventionnelles. Ils agissent de manière décentralisée, clandestine et mobile, rendant l’exercice de la dissuasion militaire inopérant. Lorsqu’une attaque est perpétrée, il est souvent impossible de riposter immédiatement contre une cible identifiable — ce qui déstabilise la logique classique de la riposte dissuasive.
Par ailleurs, ces groupes ne réagissent pas selon une rationalité politique classique. Leur objectif n’est pas forcément la conquête territoriale ou la négociation d’avantages matériels, mais l’imposition idéologique, le martyre ou le chaos. Dans ce cadre, la menace de représailles n’a pas l’effet dissuasif escompté : certains attentats visent même à provoquer une réaction excessive de l’adversaire, pour nourrir la radicalisation ou légitimer une cause aux yeux d’une partie de l’opinion.
L’utilisation de moyens non conventionnels (attentats-suicides, armes improvisées, cyberattaques) accentue encore cette dissymétrie. Les États, tenus de respecter le droit international, doivent adapter leur action à un adversaire qui, lui, s’en affranchit totalement. La disproportion structurelle entre les règles contraignantes pesant sur les États et l’impunité tactique des groupes terroristes invalide le modèle classique du rapport de force équilibré.
Enfin, la multiplicité des fronts, la nature diffuse de la menace et l’absence d’instances de régulation collective efficaces contre le terrorisme transnational achèvent de déstabiliser les outils classiques de gestion des conflits, fondés sur la réciprocité et l’interaction entre entités étatiques.
II - Des réponses encore largement étatiques et multilatérales face à une menace globale
Si le terrorisme international défie certains principes fondamentaux des relations internationales classiques, les réponses apportées à cette menace témoignent d’une résilience du cadre westphalien. En dépit de son caractère transnational, le terrorisme est toujours combattu par des États souverains, dans le cadre de coalitions, de stratégies nationales ou de dispositifs multilatéraux. Cela montre que les fondements étatiques de la sécurité internationale demeurent solides, bien qu’en constante adaptation (A), et que la souveraineté reste un pilier central de l’action contre le terrorisme, y compris à travers des formes de coopération institutionnalisée visant à préserver un ordre juridique commun (B).
A - L’adaptation des pratiques sécuritaires et du droit international
Face à la menace du terrorisme international, les États n’ont pas abandonné les outils classiques de l’action internationale : au contraire, ils ont mobilisé leurs appareils diplomatiques, militaires et juridiques en s’appuyant sur les structures déjà existantes du système international. La lutte contre le terrorisme s’est inscrite dans une logique de réappropriation des instruments étatiques : coalitions armées, résolutions onusiennes, traités multilatéraux et renforcement du droit pénal international (1), mais aussi dans une adaptation des normes juridiques visant à encadrer les nouveaux enjeux sécuritaires, notamment en matière de surveillance, de financement du terrorisme et de droits fondamentaux (2).
1 - La mobilisation des instruments classiques du système international face au terrorisme : coalitions, interventions, résolutions onusiennes
Dès les attentats du 11 septembre 2001, les États ont réagi en réactivant les mécanismes classiques de la sécurité collective, notamment à travers la mobilisation de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, qui reconnaît le droit à la légitime défense. Cette disposition a été invoquée par les États-Unis pour justifier l’intervention militaire en Afghanistan contre les Talibans, accusés d’héberger Al-Qaïda.
Dans les années qui ont suivi, la lutte contre le terrorisme s’est traduite par la formation de coalitions militaires internationales, comme l’opération « Enduring Freedom» (en français opération Liberté immuable) menée par les États-Unis en Afghanistan à partir de 2001 ou la coalition contre Daech à partir de 2014, coordonnée par les États-Unis et intégrant plusieurs dizaines d’États. Ces réponses ont conservé un caractère étatique et intergouvernemental, fondé sur des accords bilatéraux ou multilatéraux.
Sur le plan juridique, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté plusieurs résolutions majeures, dont la résolution 1373 (2001), qui oblige les États à criminaliser le financement du terrorisme, à renforcer la coopération judiciaire et policière, et à lutter contre l’asile accordé aux terroristes. L’ONU a également créé un comité contre le terrorisme (CTC) et un cadre de coordination mondiale de la lutte antiterroriste.
Ainsi, loin de marginaliser les États, le terrorisme international a conduit à une reconsolidation des prérogatives étatiques dans les domaines militaire et sécuritaire, tout en affirmant le rôle des institutions internationales comme relais des stratégies nationales.
2 - L’évolution du droit international : lutte contre le financement du terrorisme, sécurité collective et droits fondamentaux
La montée du terrorisme international a contraint les États et les organisations internationales à adapter en profondeur les instruments du droit international, afin de répondre à une menace diffuse, transnationale et souvent clandestine. Cette adaptation a porté à la fois sur le renforcement de la sécurité collective, la criminalisation de nouvelles formes de participation au terrorisme, et la réinterprétation de certains droits fondamentaux au nom de l’impératif sécuritaire.
Un des premiers volets de cette évolution concerne la lutte contre le financement du terrorisme. La résolution 1373 du Conseil de sécurité (2001) a marqué un tournant, en imposant aux États de geler les avoirs des individus ou organisations suspectés de lien avec des groupes terroristes, et d’intensifier les contrôles sur les flux financiers internationaux. Le Groupe d’action financière (GAFI), organisme intergouvernemental, a joué un rôle clé dans l’élaboration de normes contraignantes en matière de transparence bancaire, de surveillance des ONG ou de coopération entre services de renseignement.
Le droit international a également évolué en matière de sécurité collective, en étendant les cas d’usage légitime de la force armée contre des entités non étatiques. Si cette évolution demeure controversée (en particulier sur le plan de la souveraineté des États tiers), elle reflète une tendance à élargir l’interprétation du droit à la légitime défense, y compris dans des contextes où l’agresseur n’est pas un État.
Enfin, la lutte contre le terrorisme a soulevé des tensions importantes avec les droits fondamentaux, notamment en matière de liberté individuelle, de droit à un procès équitable ou de protection contre la détention arbitraire. Des dispositifs comme le Patriot Act aux États-Unis, les législations antiterroristes en France ou au Royaume-Uni, ou encore les listes noires de l’ONU ont suscité de vifs débats sur l’équilibre entre sécurité et liberté. Plusieurs ONG et juridictions internationales (notamment la Cour européenne des droits de l’homme) ont rappelé que la lutte antiterroriste devait rester encadrée par l’État de droit.
Ainsi, face au terrorisme, le droit international s’est transformé, non par abandon de ses principes, mais par élargissement et redéfinition de ses champs d’application, dans un effort constant de conciliation entre efficacité et légitimité.
B - La persistance du rôle central des États dans la lutte antiterroriste
En dépit de la fragmentation des menaces et de la diversification des acteurs impliqués dans la sécurité internationale, les États restent les principaux maîtres d’œuvre de la lutte contre le terrorisme international. Ils conservent les leviers de puissance, l’autorité légale, les capacités opérationnelles et l’accès aux institutions de coordination. Cette centralité s’exprime dans le maintien de la souveraineté comme cadre de légitimation des actions antiterroristes (1), mais aussi dans le rôle structurant des formes de coopération multilatérale, qui traduisent une tentative de concilier sécurité internationale, respect des droits fondamentaux et préservation d’un ordre juridique commun (2).
1 - La souveraineté étatique comme cadre de légitimation des actions antiterroristes
Face à la menace terroriste internationale, les États ont réaffirmé leur rôle central en tant que garants de la sécurité sur leur territoire, en s’appuyant sur le principe de souveraineté pour justifier et encadrer leurs réponses. Ce recentrage sécuritaire s’est traduit par un renforcement des capacités nationales de surveillance, de renseignement, de contrôle des frontières et de répression, parfois au détriment de la coopération internationale ou des libertés individuelles.
La souveraineté reste le cadre juridique et politique fondamental dans lequel s’inscrivent les politiques antiterroristes. Chaque État conserve le pouvoir d’adopter des mesures exceptionnelles, d’interdire certaines organisations, de déployer ses forces armées ou de conclure des accords bilatéraux. Même dans un contexte de mondialisation, c’est à l’échelle nationale que s’organise la lutte opérationnelle contre les attentats, le démantèlement des réseaux, ou le suivi des radicalisations.
Cette réaffirmation se manifeste également dans la méfiance envers les ingérences extérieures : nombre d’États refusent que des institutions internationales imposent leurs normes en matière de sécurité, préférant conserver le contrôle sur la qualification juridique du terrorisme et les procédures judiciaires ou militaires qui en découlent. Le cas des listes de sanctions de l’ONU, contestées devant certaines juridictions nationales ou régionales, illustre cette volonté de préserver un espace souverain de décision.
Néanmoins, cette centralité des États s’exerce dans un environnement de fortes interdépendances : les groupes terroristes opèrent à travers les frontières, les flux financiers sont mondialisés, et les technologies de communication échappent souvent aux juridictions nationales. Les États doivent donc composer avec des réseaux, des plateformes numériques, des diasporas ou des États tiers qui influencent leur capacité d’action.
Ainsi, si la souveraineté reste le cadre de légitimation principal de la lutte antiterroriste, elle doit être articulée à une logique de coopération et d’adaptation, dans un système international où les menaces ignorent les frontières que le droit continue pourtant de reconnaître comme lignes de partage de l’autorité.
2 - La coopération multilatérale comme tentative de concilier sécurité et droit international
La montée du terrorisme international a mis en lumière la nécessité pour les États de coopérer afin de répondre à une menace globale, diffuse et mouvante. Cette coopération ne vise pas seulement à mutualiser les moyens de surveillance ou de répression, mais aussi à préserver un cadre normatif commun, capable de garantir la sécurité tout en respectant les principes fondamentaux du droit international. La coopération multilatérale constitue une tentative structurante pour faire face à une menace qui remet en cause les équilibres classiques, sans pour autant renoncer aux fondements d’un ordre juridique international fondé sur le droit.
Plusieurs organisations internationales jouent un rôle central dans cette dynamique. L’Organisation des Nations Unies, à travers ses résolutions, son Comité contre le terrorisme et son Bureau de lutte contre le terrorisme, établit des standards partagés pour la criminalisation, la prévention et la coopération judiciaire. De même, Interpol, l’Union européenne, ou encore des forums comme le GAFI, fournissent des cadres techniques, juridiques et diplomatiques pour faciliter les échanges d’informations, la traçabilité des flux financiers et la coordination transfrontalière des enquêtes.
Cette logique multilatérale répond à une double exigence : l’efficacité dans la lutte contre une menace transnationale, et la préservation de l’État de droit face au risque de dérive sécuritaire. Elle permet notamment de définir des seuils communs d’intervention, de partager des bonnes pratiques, ou de limiter les abus liés aux détentions arbitraires, à la torture ou aux atteintes aux libertés fondamentales.
Cependant, cette coopération reste fragile et inégalement développée. Les intérêts stratégiques des États, les divergences sur la définition du terrorisme, ou les réticences à partager des données sensibles entravent souvent la mise en œuvre d’une réponse véritablement cohérente et solidaire. En outre, certains dispositifs, comme les « listes noires » ou les régimes de sanctions ciblées, ont été critiqués pour leur manque de transparence et de garanties procédurales, exposant les institutions internationales à des accusations de partialité.
In fine, le terrorisme international, par sa nature transnationale, asymétrique et idéologique, ébranle plusieurs piliers fondamentaux de l’ordre international classique. Il remet en question la souveraineté territoriale, échappe aux logiques de dissuasion, neutralise les instruments diplomatiques traditionnels et impose une conflictualité qui ne se laisse pas facilement encadrer par les catégories du droit de la guerre ou de la paix. À ce titre, il constitue un défi profond aux principes westphaliens qui ont longtemps structuré la pensée et la pratique des relations internationales. Pourtant, cette remise en cause ne s’est pas traduite par un effondrement du cadre étatique. Les réponses à cette menace demeurent largement portées par les États, qui conservent leur rôle central dans la sécurisation des territoires, la production normative et la coordination des dispositifs multilatéraux. Loin d’être dépassé, le système international s’est adapté, en reformulant ses instruments juridiques, en renforçant la coopération sécuritaire, et en intégrant progressivement cette menace dans une logique de gouvernance partagée. Le terrorisme international ne remplace pas le paradigme classique des relations internationales, mais l’oblige à évoluer. Il révèle les limites d’un ordre fondé uniquement sur les États, tout en soulignant leur persistance comme acteurs essentiels de la stabilité mondiale. Ce défi appelle donc moins une rupture qu’une reconfiguration des principes classiques à l’épreuve d’un monde interconnecté et conflictuel.
