Introduction
« Nous avons une stratégie. On appelle ça, choisis une direction générale et mets-la en œuvre ! ». Cette citation de Jack Welsh s’applique bien à la politique étrangère de l’Union. Toutefois, l’application d’une politique unifiée est parfois complexe, dans un monde où les tensions se multiplient, où la place de l’Europe tend à se marginaliser et avec une Union européenne où la montée des nationalismes se fait de plus en plus forte. Pourtant, ainsi que le souligne Robert Cooper, « pour un paquebot comme l’Union européenne, avec 28 capitaines potentiels, il est important de partager le même sens de l’orientation ».
En tant que sujet de droit international, l’Union est habilitée à avoir des relations autonomes avec des États extérieurs à l’organisation. Les relations extérieures de l’Union européenne (UE) englobent l’ensemble des actions menées par l’Union sur la scène internationale, à travers ses politiques commerciales, diplomatiques, de sécurité et de coopération. L’Union européenne exerce ses compétences en matière de relations extérieures selon le principe d’attribution. Elle agit par conséquent, comme en toute matière dans les limites des compétences que les traités lui attribuent. Elle dispose ainsi de compétences partagées ou exclusives en matière de relations extérieures, selon les domaines concernés. Ces relations s’exercent dans un cadre institutionnel complexe, impliquant des organes de l’Union et des acteurs divers, à l’instar de la Commission, du Conseil, du Parlement, ou encore du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères.
Dès le traité de Rome en 1957, l’UE a mené une action extérieure à travers une politique commerciale européenne commune adoptée par certains Etats européens pour avoir plus de poids vis à vis des États-Unis. Les relations économiques extérieures sont d’ailleurs une des raisons principales de la création de la CEE. Avec le traité de Maastricht, en 1992, elle a développé une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui constituait le deuxième des trois piliers du traité. L’Union a ensuite consolidé son rôle dans les affaires étrangères en 2009 avec le traité de Lisbonne, qui a introduit le Service européen pour l’action extérieure ainsi que le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est aujourd’hui un acteur phare de la diplomatie européenne. Aujourd’hui, l’Union est un acteur influent du commerce international, de l’aide au développement et de la diplomatie, bien que sa puissance reste limitée par l’absence d’une véritable politique étrangère commune des États membres.
Au vu de ces éléments, il convient de s’interroger sur la manière dont les relations extérieures de l’UE reflètent le rôle international accru de l’Union, tout en restant limitées par les souverainetés nationales et les divergences entre États membres.
Afin de répondre à cette problématique, nous verrons d’abord que l’UE est devenue un acteur global influent sur la scène internationale grâce à ses compétences économiques et diplomatiques (I), avant d’analyser les limites de son action extérieure liées à la fragmentation des États membres et aux défis géopolitiques actuels (II).
I - L'Union, un acteur majeur des relations internationales
Les compétences de l’Union en matière de relations extérieures font d’elle un acteur influent sur la scène internationale. Son cadre juridique et institutionnel (A), ainsi que ses différents instruments d’action (B), lui permettent de jouer un rôle significatif dans la politique mondiale.
A - Un cadre juridique et institutionnel organisé
L’Union européenne exerce son action selon les compétences qui lui sont conférées par les traités. Le cadre européen des relations extérieures est ainsi précis. Il se fonde sur les bases juridiques fondant la compétence de l’Union (1) et s’exerce dans le cadre des institutions compétentes en la matière (2).
1 - L’existence de bases juridiques fondant les relations extérieures de l’Union
L’Union européenne ne peut prendre d’actes que dans le cadre des compétences que les traités lui confèrent. Les traités habilitent l’Union à prendre des actes dans des domaines précis. Selon les domaines, l’Union a une compétence plus ou moins étendue. Si l’Union exerce son action en dehors du cadre fixé par les traités, tout acte émis en ce sens sera censuré par la Cour de Justice. En l’espèce, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et le traité sur l’Union européenne (TUE) prévoient un cadre pour les relations extérieures de l’Union.
En premier lieu, il convient de citer la base juridique d’une des grandes composantes des relations extérieures de l’Union : la politique commerciale, pour laquelle l’Union a une compétence étendue. L’article 3 TFUE confère en effet à l’Union une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune. En sus de cela, et de manière plus générale, l’article 216 TFUE permet à l’Union de conclure des accords internationaux engageant tous les États membres. Il convient de préciser qu’aux termes de l’article 3.2. « [l]’Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée ».
Le TUE, à travers l'article 21, précise les principes qui guident l'action extérieure de l’Union : « la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international ». L’ensemble de ces normes encadrent l’action de l’Union en matière de relations extérieures. Cette action est menée par un certain nombre d’institutions, qui interviennent pour conclure des accords internationaux ou pour négocier des actions en matière de relations internationales.
2 - Des institutions aux pouvoirs étendus en matière de relations extérieures
Un certain nombre d’institutions exercent une action en matière de relations extérieures. La première institution devant être citée est le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ce poste est actuellement occupé par l’estonienne Kaja Kallas. La Haute représentante incarne la diplomatie européenne et coordonne les initiatives en matière de politique étrangère et de défense. Elle préside le Conseil des affaires étrangères et représente l'Union dans les relations diplomatiques. Ce rôle, créé par le traité de Lisbonne, est clef dans les relations internationales.
La Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Conseil européen jouent également un rôle central. Les attributions du Conseil européen et du Conseil concernant la PESC sont définis à l’article 26 TUE. Aux termes de cet article, « Le Conseil européen identifie les intérêts stratégiques de l'Union, fixe les objectifs et définit les orientations générales » de la PESC et le Conseil élabore cette politique et la met en œuvre. Le Conseil mène cette politique en relation avec le Haut représentant. La Commission européenne possède des attributions, notamment en matière commerciale. Celle-ci, par la voie de sa présidente, Ursula von der Leyen, ancienne ministre fédérale de la défense allemande, exerce un rôle diplomatique important. Un exemple de cela est ainsi la présence d’Ursula von der Leyen au sommet réunissant le Président ukrainien, 20 dirigeants de l’Union, le Premier ministre canadien et le Président turc au sujet de l’Ukraine. La président de la Commission joue à ce sujet un rôle de premier plan dans les relations diplomatiques entourant la question de la guerre en Ukraine et dans la négociation d’aides au pays. Pour mener à bien ses relations extérieures, l’Union dispose d’un certain nombre d’instruments lui permettant d’agir dans des domaines divers tels que la politique commerciale ainsi que la diplomatie et la sécurité.
B - L'activisme de l'Union en matière de relations extérieures : l'exemple de la politique commerciale commune et de l'action diplomatique et de sécurité
L’Union est particulièrement active en matière de relations extérieures et ce dans de nombreux domaines. Il convient notamment de traiter la politique commerciale, au sein de laquelle l’Union, et notamment la Commission, négocie des accords de libre-échange (1) et l’action diplomatique et de sécurité de l’Union (2) pour donner un aperçu de l’activisme de l’Union en matière extérieure.
1 - La négociation par la Commission européenne d’accords de libre-échange : une création de partenariats stratégiques n’allant pas sans controverses
L’Union est une puissance économique majeure et utilise le commerce comme un levier d'influence dans ses relations extérieures. Elle négocie à ce titre des accords de libre-échange avec de nombreux partenaires internationaux, ce qui lui permet de réguler les échanges commerciaux et de promouvoir ses standards économiques. Par exemple, l'accord CETA avec le Canada et l'accord JEFTA avec le Japon illustrent la volonté de l'Union d'établir des partenariats stratégiques. L'UE impose également des règles strictes en matière de commerce durable, exigeant de ses partenaires le respect des normes environnementales et sociales.
Il est toutefois à noter que ces accords de libre-échange ne font pas toujours l'unanimité auprès des États membres de l’Union. Sont souvent visés la non-application des normes de production européennes dans les pays signataires et la concurrence qu’ils causent à l’union, notamment en matière agricole. L’accord CETA avait par exemple suscité de nombreuses critiques dans nombre d’États membres du fait de la taille et des capacités de production des exploitations agricoles canadiennes. De même, l’accord commercial entre l’Union et le Mercosur (espace unissant Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay) est très critiqué en France. La Commission européenne et une majorité d’États membres pressent pour une signature de l’accord. Toutefois, le gouvernement français s’y oppose en dénonçant une concurrence déloyale pour l’agriculture française raison des coûts de production plus bas et des normes plus souples dans les pays du Mercosur, et ce malgré le fait que les importations doivent respecter les normes européennes en matière alimentaire. Outre la politique commerciale, l’Union dispose de nombreux partenariats en matière de sécurité et de défense.
2 - Une action développée et étendue en matière diplomatique et de sécurité
En matière de diplomatie, l’Union dispose d'un réseau développé de délégations dans le monde entier, facilitant son dialogue avec les grandes puissances et les organisations internationales. Elle joue par exemple un rôle actif dans les négociations sur le climat. L’Union est ainsi partie à la CCNUCC qui joue un rôle diplomatique important dans le cadre des COP climat. Elle a à ce titre jouée un fort rôle de négociation pour l’accord de Paris. L’Union joue également un rôle de médiation important dans le cadre de conflits armés.
Sur le plan sécuritaire, en effet, la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) permet à l'Union de déployer des missions de maintien de la paix et d'assistance militaire. La PSDC et ses objectifs sont définis à l’article 42 TUE. L’Union a mené à ce titre de nombreuses opérations, notamment en Afrique et dans les Balkans. Vingt-deux opérations sont actuellement actives en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Il est ainsi possible de citer la force ALTHEA en Bosnie, active depuis 2004. L’Union peut mener aussi bien des missions de formation (EUTM), comme EUTM Somalia qui forme des soldats en Somalie ou directement des forces opérationnelles (EUFOR). Ainsi, l'Union européenne s'affirme progressivement comme un acteur incontournable des relations internationales. Toutefois, son action extérieure est confrontée à des limites et des défis structurels qui freinent parfois son influence globale.
II - Des relations extérieures limitées tant par des facteurs internes à l'Union qu'internationaux
Malgré ses ambitions internationales, l'Union européenne reste confrontée à des défis structurels et politiques qui freinent son influence sur la scène mondiale. L'absence d'une politique étrangère unifiée (A) et les difficultés à s'imposer comme un acteur géopolitique majeur (B) limitent son rôle dans les relations internationales.
A - Un acteur diplomatique faisant face à des contraintes institutionnelles fortes
L’Union européenne peine à s’affirmer en tant qu’acteur diplomatique en l’absence de possibilité pour elle d’avoir une position unique en cas de crise diplomatique ou militaire (1). Avec 27 capitaines à bord, aux intérêts souvent divergents, le navire européen peine parfois à trouver une direction commune, affaiblissant sa position sur la scène internationale (2).
1 - L’absence de politique étrangère unifiée comme frein à l’influence diplomatique de l’Union
L'un des principaux obstacles aux relations extérieures de l’UE réside dans l'absence d'une politique étrangère véritablement unifiée. La règle de l'unanimité en matière de Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) empêche ainsi souvent l'UE de réagir rapidement et efficacement aux crises internationales. Du fait de cette règle, un seul pays peut « prendre en otage » les discussions entourant une réponse commune à une crise diplomatique ou militaire. Cela est à titre d’exemple souvent le cas de la Hongrie, dont le Premier ministre, Viktor Orbán, est considéré comme pro-russe.
Cette contrainte est en effet particulièrement visible dans la gestion des crises géopolitiques majeures. Par exemple, lors du conflit en Ukraine, l’UE a eu du mal à imposer une réponse unifiée face à la Russie, certains États membres étant plus réticents à adopter des sanctions économiques que d’autres. Cette fragmentation affaiblit la capacité de l’UE à parler d'une seule voix et à exercer une influence diplomatique forte. Cette division des États membres est souvent due à la divergence de leurs intérêts et à l’écart entre les intérêts nationaux et ceux de l’Union européenne.
2 - Les tensions entre intérêts nationaux et intérêts européens comme source de fragmentation de la position des États membres
Les États membres conservent une grande autonomie en matière de politique étrangère. L’Union exerce certes un rôle diplomatique certain, toutefois chaque État membre est maître de sa politique étrangère, de ses accords internationaux ou de ses positions internationales. Chaque État, en tant qu’État souverain, est autonome dans la gestion de ses affaires étrangères et de ses relations avec les pays tiers. Une telle situation rend, d’un point de vue européen, difficile l'adoption d'une position commune. Certaines décisions sont entravées par des divergences d'intérêts nationaux, notamment en ce qui concerne les relations avec des puissances comme la Chine ou les États-Unis ou encore face à la Russie.
Par exemple, l'Allemagne et la France ont des approches différentes vis-à-vis de la Russie et de la Chine, ce qui complique l'adoption de sanctions économiques cohérentes. Bien que les deux pays soient amis et condamnent tous deux l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ceux-ci ont une vision différente des mesures à prendre (envoi de troupes au sol, étendue de l’aide financière, nature des armes à envoyer…). De plus, certains États d'Europe centrale et orientale entretiennent des relations plus étroites avec les États-Unis, ce qui peut créer des tensions au sein de l’Union, notamment suite à l’élection de Donald Trump et à sa politique diplomatique très dure vis à vis de l’Ukraine. De l’autre côté certains États sont ou ont été très dépendants énergiquement de la Russie. Tel est le cas de la Hongrie, très proche du pouvoir russe ou de l’Italie qui importait, au début de la guerre, 40% de son gaz de Russie et freinait à ce moment-là quant à un embargo sur le gaz russe. Ces divergences rendent plus difficiles la prise de décision au niveau européen et l’adoption d’une réponse commune en situation de crise et, entre autres facteurs, contribuent à rendre plus complexe l’affirmation de l’Europe sur la scène internationale.
B - Les difficultés d'affirmation de l'Union sur la scène internationale comme frein au bon développement de ses relations extérieures
En l’absence d’autonomie stratégique totale et de défense européenne suffisamment forte (2), l’Union peine parfois à faire entendre sa voix et apparaît comme un acteur plus en retrait dans les grandes crises internationales (1).
1 - Une influence limitée de l’Union dans les conflits internationaux
Contrairement aux grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine, l'Union peine à imposer sa présence dans la résolution des crises internationales. En l’absence de force européenne commune, la diplomatie européenne repose principalement sur le « soft power » (pouvoir d’influence normative et économique) et manque d'un « hard power » (force militaire et capacité d’intervention rapide). Sa politique militaire repose sur les puissances militaires nationales. De plus, depuis le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’Union ne compte plus qu’une seule puissance nucléaire, la France, dont l’extension de son parapluie militaire à toute l’Union, et non seulement au territoire français est actuellement discutée. En tout état de cause, la parole de l’Union sur les crises extérieures à son territoire reste marginalisée.
Un exemple frappant est la gestion du conflit israélo-palestinien, où l'Union joue un rôle limité par rapport aux États-Unis. Israël marginalise totalement l’Union dans la résolution du conflit et traite directement avec les États-Unis qui leur apporte, notamment depuis ‘l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, un soutien inconditionnel malgré les accusations de crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide qui pèsent sur le Gouvernement israélien en raison du nombre important de victimes civiles à Gaza. De même, dans les crises en Syrie ou en Libye, l’Union s’est souvent trouvée reléguée à un rôle humanitaire et de reconstruction, sans réelle capacité d’influer sur les décisions militaires et politiques, bien que certains États européens aient pu jouer un rôle militaire de premier plan dans ces conflits, à l’instar de la France. De manière plus spectaculaire encore, Donald Trump a entamé des pourparlers de paix avec la Russie sans même concerter l’Union européenne quand bien même ce conflit prend place en Europe continentale et a critiqué ouvertement la politique de défense européenne. L’autonomie stratégique de l’Union est ainsi plus que jamais au cœur des débats, notamment au regard du retrait voulu par Donald Trump de toute assistance militaire à l’Europe.
2 - L’autonomie stratégique européenne : un défi majeur pour les relations extérieures de l’Union
L’Union européenne dépend fortement de l’OTAN pour sa sécurité, ce qui limite son indépendance stratégique. Bien que des initiatives aient été lancées pour renforcer la défense européenne, comme le Fonds européen de la défense et la Coopération structurée permanente (PESCO), elles restent insuffisantes pour garantir une autonomie militaire réelle. La question de l’autonomie stratégique est d’autant plus pressante dans un contexte de tensions croissantes avec la Russie et la Chine. La guerre en Ukraine a mis en évidence la nécessité pour l’Europe de renforcer ses capacités militaires propres et de ne plus dépendre exclusivement des États-Unis et de l’OTAN pour sa sécurité.
L’Europe pâtit de l’absence d’armée unifiée et d’industrie européenne de défense. La fragmentation des industries de défense européennes empêche l’émergence d’une capacité militaire unifiée. Chaque pays dispose de ses propres industries nationales, ce qui ralentit nécessairement la mise en place d’une véritable politique de défense européenne commune. Ainsi, malgré un cadre juridique structuré et une influence économique considérable, l’Union demeure limitée par son manque d’unité politique et sa dépendance envers d’autres puissances pour la défense et la gestion des crises mondiales. L’avenir des relations extérieures de l’UE dépend ainsi en partie de la capacité des États membres à surmonter leurs divergences et à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union face aux enjeux géopolitiques actuels, notamment dans un monde de plus en plus marqué par la multipolarité et l’incertitude géopolitique.
