Le régime présidentiel des États-Unis d’Amérique (dissertation)

Introduction

Le régime présidentiel apparaît aujourd’hui peu répandu à travers le monde. La France a pu retenir à plusieurs reprises un fonctionnement semblable à celui-ci notamment à travers la Constitution de 1791, mais aussi à travers le régime du Directoire (Constitution de 1795) ou la IIe République (Constitution de 1848). En effet, l’autorité exécutive y possédait des pouvoirs très larges et apparaissait particulièrement indépendante vis-à-vis des autres pouvoirs.

De son côté, la Constitution fédérale des États-Unis d’Amérique est adoptée en 1787 et fait de ce pays le régime présidentiel par excellence. Comme le rappelle le Pr. Bertrand MATHIEU, « le Nouveau Monde va se donner des institutions bien à lui, délaissant les modèles respectables que lui propose la vieille Europe. Même si passe parfois sur les institutions américaines comme un reflet des recettes et procédures chères aux Britanniques, le contraste est saisissant entre la Constitution imaginée en 1787 à Philadelphie (…) et les règles implicites patiemment affinées par des siècles de précédents en Grande-Bretagne » (B. MATHIEU et P. ARDANT, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 27e Ed., 2015, p. 270).

Effectivement, ce nouvel État – organisé selon le modèle fédéral – va s’appuyer sur une séparation particulièrement stricte entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Très souvent, de nombreux constitutionnalistes vont jusqu’à évoquer un véritable « isolement des pouvoirs » dans ce type de régime (M. TROPER, « La séparation des pouvoirs dans la Constitution de l’an III », in La Constitution de l’an III, 1999, pp. 51-71).

Mais cet isolement des pouvoirs, mentionné par la doctrine, n’entraine-t-il pas dans le fonctionnement du régime présidentiel américain un réel monopole de l’exécutif ?

Évidemment, cette séparation stricte des pouvoirs et la Constitution américaine viennent garantir des attributions très larges au Président des États-Unis (I), mais par souci de démocratie, d’autres organes institutionnels tiennent également une place considérable dans le fonctionnement du régime présidentiel américain (II).

I - Les larges attributions du Président des États-Unis

Ces larges attributions permettent au Président de tenir à la fois le rôle de Chef de l’État et de Chef du gouvernement (A), avec notamment de nombreux pouvoirs propres (B).

A - Un Chef d’État et de gouvernement

Ce rôle est pleinement garanti par la légitimité du Président (1) obtenue à l’occasion de l’élection présidentielle : un événement majeur pour les citoyens américains (2).

1 - La légitimité du Président élu

Le Président des États-Unis tient effectivement le rôle de Chef de l’État et de Chef du gouvernement. Il faut dire que, contrairement au Régime parlementaire, le Président est le seul détenteur du pouvoir exécutif du fait de sa légitimité. À titre de comparaison, dans le Régime parlementaire britannique, le monarque est le Chef de l’État non-élu, tandis que le Chef du gouvernement est le responsable du parti arrivé en tête lors des élections législatives.

Aux États-Unis, le Chef de l’État est élu au suffrage universel indirect, par les grands électeurs désignés par les citoyens, ce qui lui confère un certain poids, une réelle légitimité car son élection résulte de cette citoyenneté. Les pères fondateurs ont refusé catégoriquement l’idée d’une désignation par le Parlement. Il n’y a ainsi pas de responsabilité politique du Président devant le Congrès, comme le Chef du gouvernement devant le Parlement d’un régime parlementaire. Seule hypothèse dans laquelle la légitimité du Président peut être remise en cause : lorsqu’il est élu, malgré des suffrages populaires minoritaires, ce qui peut arriver en raison des règles spécifiques du scrutin. Le président Donald TRUMP n’a, par exemple, pas réuni une majorité de suffrages populaires, mais a bien obtenu le nombre de grands électeurs nécessaires pour être élu en 2016.

Il faut dire que l’élection présidentielle, qui confère sa légitimité au Président, est l’événement majeur de la vie politique américaine et que ses règles demeurent toutes particulières.

2 - L’élection présidentielle : un événement majeur

Effectivement, l’élection présidentielle est le rendez-vous majeur du calendrier électoral américain, tous les quatre ans. Les résultats du scrutin sont proclamés après plusieurs mois de campagne et d’évènements.

Ce long chemin électoral débute à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février avec le Caucus de l’Iowa. Dans chaque comté de l’État de l’Iowa, les membres locaux de chaque parti politique désignent ainsi les délégués qui voteront ensuite pour désigner leur candidat. Dans la plupart des États, ce sont des primaires – organisée un peu différemment, avec un vote par bulletin secret – qui ont lieu pour opérer une telle désignation.  Les candidats à cette délégation soutiennent officiellement tel ou tel candidat. Durant l’été ont lieu les conventions nationales de chaque parti politique, où les délégués des différents États fédérés se réunissent pour désigner leur candidat. La campagne débute ensuite jusqu’au scrutin présidentiel (Elections day) qui a lieu au début du mois de novembre. Les citoyens sont appelés à voter, dans un scrutin à un tour, pour une liste de grands électeurs soutenant soit le candidat républicain, soit le candidat démocrate. Le parti qui arrive en tête remporte la totalité des grands électeurs de l’État, dont le nombre est fixé en fonction des élus au Congrès. La Californie désigne ainsi 55 grands électeurs (c’est l’État le plus peuplé) tandis que le Minnesota, par exemple, en désignera seulement 10. Seuls deux États acceptent encore une répartition proportionnelle de leurs grands électeurs : le Maine et le Nebraska. Ensuite, les grands électeurs désignent le Président des États-Unis, ce dernier devant remporter au moins 270 grands électeurs sur 538 au total. Le vice-président est également désigné lors de cette élection, un « ticket » composé des candidats à la présidence et à la vice-présidence étant présenté.

Si le scrutin est difficile, indirect et comporte de nombreuses règles difficiles à appréhender, la légitimité du Président ne peut être remise en cause car les citoyens y tiennent une place considérable. C’est ce qui a permis aux Pères fondateurs de lui octroyer de très larges pouvoirs.

B - Un président doté de nombreux pouvoirs propres

Le Président est doté de nombreux pouvoirs qui le placent à la tête de nombreuses politiques publiques (1), alors qu’il dispose également d’un droit de véto présidentiel garanti par la Constitution (2).

1 - Le Président à la tête de nombreuses politiques

Le Président partage des pouvoirs avec le Congrès, mais il possède également de nombreux pouvoirs propres qui lui permettent d’exercer un grand nombre de prérogatives en vue de garantir l’unité de l’État fédéral.

En effet, le Président est d’abord le chef des forces armées, de la diplomatie et le premier représentant des États-Unis sur la scène internationale. C’est lui qui négocie les traités, qui intervient la plupart du temps au sein des différentes organisations internationales. Si la déclaration de guerre appartient au Congrès, le Président dirige ensuite les opérations militaires. Aussi, il nomme de nombreux fonctionnaires et haut-fonctionnaires civils de l’administration fédérale. Il nomme notamment les nouveaux juges à la Cour suprême lors de la mort de l’un d’eux.

Enfin, il est chargé de l’exécution des lois et détient un pouvoir réglementaire pour veiller sur cette application.  Il joue également un rôle considérable dans l’initiative législative. Malgré la séparation stricte des pouvoirs, le système américain prévoit également un droit de véto présidentiel sur les décisions du Congrès.

2 - Le droit de véto présidentiel

Les Constituants ont prévu l’existence d’un « droit de véto présidentiel » dans la loi fondamentale américaine. Ce droit de véto permet ainsi au Président des États-Unis de s’opposer à la promulgation d’un texte précédemment adopté par le Congrès, c’est-à-dire le Sénat et la Chambre des représentants. Sur décision présidentielle, le texte en question est donc renvoyé ensuite devant le Congrès. Le Président peut alors demander que les 2/3 des membres du Congrès valide le texte en question pour qu’il soit adopté ensuite légalement.

Cet outil retenu par les Pères fondateurs marque la méfiance, voir même la défiance des constituants par rapport au pouvoir législatif et à ses éventuelles dérives. Ils choisissent donc de doter l’exécutif d’un moyen d’action pertinent et quelque peu exorbitant. L’usage du véto présidentiel, rare il y a quelques décennies, est devenu assez fréquent depuis la présidence Roosvelt.

II - Les attributions d’autres organes institutionnels

Le système institutionnel américain prévoit ainsi de nombreux contrepoids constitutionnels (A) et une procédure particulière permettant la mise en œuvre d’une destitution du Président (B).

A - Des contrepoids constitutionnels

Parmi les contrepoids constitutionnels, on retrouve notamment les pouvoirs considérables attribués au Congrès des États-Unis (1), mais aussi ceux de la Cour suprême (2).

1 - Les pouvoirs considérables du Congrès

La Chambre des représentants, composée de 438 membres, et le Sénat composé de 100 membres, sont détenteurs du pouvoir législatif. La Constitution attribue à ce Congrès des pouvoirs assez classiques d’un Parlement, même si le fonctionnement est assez différent de nos modèles européens d’organisation parlementaire. Le Congrès peut notamment enquêter sur les agissements de l’exécutif, il peut déclarer la guerre et vote un grand nombre de textes relatif notamment au budget et à la fiscalité. Il peut ainsi limiter l’action du Président en travaillant à un budget qui ne permet pas la mise en œuvre de son programme provoquant parfois le Shutdown c’est-à-dire le défaut de paiement en attendant que le budget soit adopté. Le Sénat possède également – de son côté – quelques pouvoirs particuliers : il doit, par exemple, donner son accord à la nomination de certains hauts fonctionnaires et des juges de la Cour suprême. Le Sénat procède à la ratification d’un traité, qui doit obtenir la majorité des 2/3 des membres du Sénat, alors même que la politique extérieure est menée par le Président.

Il faut rappeler que le Président n’a pas non plus la possibilité de dissoudre les chambres qui composent le Congrès, mais simplement un droit de message notamment sur l’état de l’Union et sur le budget. De là, on comprend bien l’importance pour le parti présidentiel d’obtenir la majorité aux élections parlementaires se déroulant dans le même temps que l’élection présidentielle mais également lors des élections de mi-mandat (mid term) qui permettent le renouvellement à mi-mandat (tous les deux ans) de l’ensemble de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat. De plus, ni le gouvernement, ni le Président n’ont pour habitude d’assister aux séances du Congrès.

Les pouvoirs de la Cour suprême sont également considérables, même si son influence évolue au gré des nominations par le Président.

2 - Les pouvoirs de la Cour suprême

Au-delà de sa compétence en termes de contrôle de constitutionnalité et de juridiction suprême au niveau de l’État fédéral, la Cour suprême possède également un certain nombre de pouvoirs plus « politiques ». Elle fait ainsi écho, d’une manière générale, à l’organisation très politique ou partisane de différentes élections pour désigner les membres de juridictions américaines (procureurs, juges etc…).

Les juges de la Cour suprême sont nommés à vie par le Président, avec l’accord du Sénat. Dès lors qu’un juge décède ou renonce à ses fonctions, le Président doit choisir un remplaçant qu’il désigne généralement parmi les personnalités du monde judiciaire qui lui sont favorables.  Ils peuvent être eux aussi révoqués selon la procédure d’impeachment évoquée.

Plusieurs auteurs évoquent récemment le retour d’une idéologie plus conservatrice à la Cour suprême (v. Cyrine BIZRI, Juliette GRÉBAUT et Camille LEGEAY, « La nomination des juges à la Cour suprême américaine : un enjeu politique majeur. À propos de la nomination du juge Kavanaugh », La Revue des droits de l’Homme [en ligne], 2018).

B - La possible destitution du Président

Cette destitution du Président est ainsi possible à travers la procédure d’impeachment de la Constitution (1), même si elle reste particulièrement difficile à mettre en œuvre (2).

1 - La procédure d’impeachment

La Constitution américaine prévoit que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis pourront être destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ». C’est ce qu’on appelle la procédure d’impeachment. En effet, la commission judiciaire (Judiciary committee) de la Chambre des représentants peut enquêter sur les potentiels crimes ou délits notamment du Président. Alors que cette commission vote pour décider de retenir ou non tel chef d’inculpation, la Chambre des représentants se réunit ensuite pour débattre et voter en faveur ou contre la procédure de destitution. Si la majorité absolue est atteinte lors de ce scrutin, le Sénat organise le procès du Président quelques semaines plus tard. A l’issue du procès auquel le Président a la possibilité de se rendre avec ses avocats, le Sénat doit ensuite réunir une majorité particulière en faveur de la destitution. En effet, 2/3 des sénateurs doivent l’accepter, soit 67 sénateurs sur 100 au total.

Cette procédure prévue pour contrer un président tout puissant et irresponsable démontre, malgré tout, les nombreuses difficultés qui peuvent exister quant à sa mise en œuvre.

2 - Les difficultés de mise en œuvre de cette destitution

Si la procédure d’impeachment est prévue par la Constitution américaine, les tentatives des parlementaires de l’opposition pour destituer le Président sont toujours restées vaines dans l’histoire judiciaire des États-Unis.

A la fin du XIXe siècle, il s’en fallut de peu pour le Président JOHNSON. En effet, le Sénat avait réussi à réunir 66 voix en faveur de la destitution, ce qui n’a toutefois pas été suffisant. En 1974, Richard NIXON a démissionné avant la fin du processus d’impeachment, par suite des nombreux scandales qui touchaient ses services notamment l’affaire des Pentagon Papers et du Watergate. Les difficultés de mise en œuvre de cette procédure sont encore plus flagrantes pour la procédure lancée contre le Président Bill CLINTON, en 1998. Selon les chefs d’accusation, il manqua entre 10 et 15 voix parmi les Sénateurs. Cette tendance semble se confirmer également pour l’actuel président, Donald TRUMP : peu de chances que le Sénat majoritairement républicain vote en faveur de sa destitution.

La cohabitation des deux chambres du Congrès – dont généralement au moins une est plus favorable au Président – empêche en pratique de conduire l’impeachment à son terme.