Introduction
« L’État […] existe en droit pour autant que le pays existe en fait et aucune intervention extérieure n’est nécessaire pour le “fonder” ». Ces mots des professeurs Jean Combacau et Serge Sur dans leur ouvrage « Droit international public » montrent l’importance des éléments constitutifs de l’État, fondements factuels de son existence, pour caractériser l’émergence en droit de cette entité.
L’État se fonde sur l’existence d’une collectivité humaine circonscrite sur un territoire déterminé constituée comme une société politique organisée placée sous l’autorité d’un gouvernement. La formation de l’État est ainsi basée sur la réunion d’éléments matériels (un territoire au sein duquel est circonscrite une population) et un élément organique (l’existence d’une autorité institutionnelle, ici appelée « gouvernement »). Ces critères d’émergence de l’État sont appelés « éléments constitutifs de l’État ». La réunion de ces éléments constitutifs fonde l’existence de l’État. Une fois formé, l’État possède certaines caractéristiques qui lui sont exclusives, du moins dans leur forme et leur étendue. L’État possède « une compétence à conclure des traités et accomplir des actes internationaux, une compétence exclusive sur ses affaires intérieures, une immunité internationale de juridiction, une égalité souveraine avec ses pairs et, conformément à l’affaire du Lotus, une absence de possibilité de présomption de dérogation à ces principes ». Comprendre ce qu’est l’État et quels sont les éléments qui fondent sa formation est ainsi un préalable indispensable à l’étude du droit constitutionnel. La Constitution se fonde en effet sur l’existence de l’État et les droits qui découlent de ce statut. Son texte entérine les droits de l’État souverain et son application se circonscrit à l’intérieur du territoire, a pour objet la protection des droits et libertés de sa population et se voit appliquée et sanctionnée par le pouvoir politique et les juridictions de l’État concerné.
Historiquement, il est couramment admis que l’État sous sa forme moderne tire son origine du traité de Westphalie, en 1648, qui consacre une vision interétatique des relations internationales. Concernant la France, la structuration étatique en tant que nation débute dans le contexte de la guerre de cent ans, par opposition avec la nation britannique. La centralisation administrative et militaire conduit la monarchie à s’imposer sur les différentes féodalités. L’État s’unifie à partir de ce mouvement de centralisation pour former l’État-Nation qui est aujourd’hui la France. L’État, sa définition, et ses conditions d’émergence a été analysé juridiquement de manière variable. Les traités de Westphalie ont été analysés a posteriori comme fondant l’existence d’États souverains sur la scène internationale. Les éléments constitutifs de l’État n’ont quant à eux été définis que tardivement, au cours du XXe siècle, par les textes internationaux.
Il est ainsi cohérent de se demander quels sont les éléments fondant matériellement la naissance de l’État et quelles sont ses caractéristiques juridiques, fondant l’exercice de ses compétences constitutionnelles internes.
Pour répondre à cette problématique, il conviendra dans un premier temps d’analyser l’exigence de réunion des éléments constitutifs de l’État pour fonder en droit comme en fait l’émergence de cet objet juridique (I) pour se pencher dans un second temps sur les caractéristiques juridiques propres à l’État (II).
I - La réunion des éléments constitutifs de l'État comme condition de son émergence
La création d’un État est conditionnée à la réunion d’éléments constitutifs définis dans plusieurs textes à la nature juridique diverse (A). Toutefois, si l’État se doit de réunir ces éléments, il n’existe aucune exigence quant à leur forme, leur nature ou leur étendue (B).
A - Une définition des éléments constitutifs de l'État trouvant son fondement dans des textes de nature juridique diverse
La diversité de nature juridique des quatre textes définissant les éléments constitutifs de l’État (1) et l’imprécision de leur rédaction (2) rend difficile l’appréhension de la force normative de l’exigence de leur réunion pour considérer l’existence d’un État.
1 - L’existence de quatre textes définissant les trois éléments constitutifs de l’État
La sentence du tribunal arbitral mixte germano-polonais dans l’affaire Deutsche Continental Gas-Gesellschaft vient directement poser les trois éléments constitutifs de l’État comme absolument nécessaires à sa formation. Elle établit qu’ « un État n’existe qu’à la condition de posséder un territoire, une collectivité d’hommes habitant ce territoire, une puissance publique s’exerçant sur cette collectivité et ce territoire. Ces conditions sont reconnues indispensables et l’on ne peut concevoir un État sans elles ».
La convention de Montevideo du 26 décembre 1933 sur les droits et devoirs des États liste en son article premier les éléments constitutifs de l’État. Cette convention internationale est celle qui est généralement citée pour énumérer les éléments constitutifs de l’État. La convention de Montevideo dispose que « the state as a person of international law should possess the following qualifications : a) a permanent population ; b) a defined territory ; c) government ; and d) capacity to enter into relations with the other states » . Il est à noter au sujet de ce texte qu’il reprend les trois éléments constitutifs des États (territoire, population et gouvernement) et en ajoute un : la capacité à entrer en relation avec d’autres États. Ce quatrième critère n’est pas repris dans les autres textes définissant les éléments constitutifs de l’État.
L’article premier de la résolution de l’Institut de Droit international sur la reconnaissance des nouveaux États et des nouveaux gouvernements définit la « reconnaissance d’un État nouveau » comme « l’acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politique organisée ».
Pour finir, l’avis de la Commission d’arbitrage présidée par Robert Badinter, rendu à l’occasion de la Conférence pour la paix en Yougoslavie, le 29 novembre 1991, précise que « l’État est communément défini comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé ».
2 - Une définition au caractère large et imprécis des éléments constitutifs de l’État
Ces définitions, au caractère large et très général, rendent complexe l’appréhension de la normativité des éléments constitutifs de l’État ainsi que de leur applicabilité. Il est difficile d’estimer si ces éléments constitutifs sont des critères stricts et cumulatifs de l’existence de l’État ou comme des indices, parmi d’autres, permettant simplement d’identifier un État en droit international.
L’utilisation de l’auxiliaire should au sein de la convention de Montevideo et de l’expression « l’État est communément défini » par l’avis de la Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie ne permettent pas de leur confier de manière sûre une force obligatoire. Leur formulation reste générale et manque de précision. Cet écueil ne prive toutefois pas ces éléments de toute force normative. Ils sont en effet les fondements factuels de l’existence de l’État et l’objet même de son existence. Le territoire marque ainsi le cadre fonctionnel de l’exercice par l’État de ses compétences et la population l’objet même de l’existence de l’État et de l’exercice de ses compétences constitutionnelles. Il est toutefois à noter que, si ces critères doivent nécessairement exister pour considérer qu’un État existe, ceux-ci n’ont aucune influence sur les formes mêmes que l’État peut prendre.
B - L'absence de conséquence de la variabilité des formes de l'État sur son statut
L’État est considéré comme tel dès lors qu’une collectivité réunit les trois éléments constitutifs que sont le territoire, la population et un gouvernement effectif. L’étendue des éléments matériels de l’État (1) comme les formes que peuvent prendre son élément organique (2) sont susceptibles d’être très variables selon l’État pris en compte, ce qui n’affecte en rien la qualification juridique de cette entité.
1 - Un État pouvant posséder des éléments matériels à l’étendue très variable
Le territoire de l’État, condition matérielle de son existence et cadre d’exercice de sa souveraineté, est délimité par des frontières terrestres, maritimes et aériennes. L’autorité de l’État s’exerce à l’intérieur de ses frontières. Chaque État bénéficie d’une égalité souveraine lui permettant d’exercer les pouvoirs et compétences définis par sa constitution au sein de ses frontières sans qu’un autre État ne puisse intervenir sur son territoire. Les autres États ne sauraient avoir de prétentions ni exercer leur autorité à l’intérieur du territoire d’un État tiers. La superficie du territoire ou ses caractéristiques géographiques n’ont aucune incidence sur la qualité d’État et l’exercice souverain de ses compétences constitutionnelles.
La population est la réunion des individus qui peuplent l’État. Leur sentiment commun d’appartenance à une même entité constitue le fondement de l’État en tant que nation. La population réunit les nationaux de l’État mais également les personnes étrangères se trouvant à l’intérieur du territoire de l’État et qui sont par conséquent soumises à son autorité. L’étendue de la population peuplant l’État n’a aucune incidence sur la qualité d’État. Chaque État possède ainsi cette qualité dès lors qu’il réunit ses éléments constitutifs et est reconnu comme tel par ses pairs.
Certains États sont géographiquement très étendus, à l’instar du Canada dont la superficie est près de deux fois supérieure à celle de l’Union européenne quand d’autres sont très réduits, comme Monaco dont la superficie ne dépasse pas 2km2 (soit un territoire près de 5 millions de fois plus petit que le Canada). De la même manière, la Chine, comptant près d’1,5 milliards d’habitants, est considérée comme un État au même titre que l’île de Niue dans l’Océan Pacifique, dont la population compte moins de 2000 personnes.
2 - Une variabilité des formes de gouvernement sans incidence sur la nature de l’État
L’existence d’un gouvernement organisé découle du caractère souverain de l’État. Le gouvernement peut exercer son autorité sans que celle-ci soit limitée par une autorité supérieure, hormis celles auxquelles il aurait consenti. Le gouvernement fixe les limites de l’exercice de son pouvoir par le biais de sa constitution. Les États tiers ne peuvent lui dicter quelles dispositions doivent entrer ou ne devraient pas figurer dans la norme suprême de son ordre juridique interne.
En conséquence, le type de régime politique n’a pas d’influence sur la qualité d’État. En pratique il existe de très nombreux régimes politiques sur la planète. Certains sont des républiques, des monarchie, des États fédéraux, des États unitaires, présentant un régime politique pouvant être démocratique ou dictatorial sans que cette diversité de régime n’affecte la nature juridique de l’État. Certains gouvernements ont également un contrôle plus ou moins fort sur leur territoire sans que cela n’ait été considéré comme affectant leur qualité d’État. La Somalie, la Libye, la Syrie, le Soudan, l’Érythrée ou encore l’Afghanistan ont ainsi perdu une grande partie de leur contrôle gouvernemental sans que cela ne les empêche de continuer à être considérés comme des États, démontrant la flexibilité très importante de l’élément organique de l’État. Ces éléments constitutifs sont un préalable pour qu’une collectivité accède au statut d’État et en possède de ce fait les droits et caractéristiques juridiques.
II - L'État, une entité présentant des caractéristiques juridiques lui étant exclusives
L’État, de par son statut, possède la personnalité juridique internationale et une capacité juridique particulièrement étendue (A). Il possède un nombre important de droits qui lui sont propres dans l’espace international et dont les contours sont fixés par sa constitution dans le respect du droit international (B).
A - L'État, une entité à la personnalité et à la capacité juridiques très étendues
L’État n’est pas le seul sujet de droit international. Celui-ci n’est toutefois soumis qu’au droit international et ne peut être soumis à des normes de droit interne émanant d’États tiers. L’exercice de ses compétences est encadré par les conventions internationales auxquels il est partie et par son droit constitutionnel (1). Il possède de ce fait une capacité juridique particulièrement étendue, lui permettant souverainement d’édicter des normes et de les mettre en application dans les limites de son territoire (2).
1 - Une personnalité juridique étatique sans égal sur la scène internationale
L’État a la personnalité juridique internationale. Il est sujet de droit international. Le droit international est le seul droit auquel l’État est soumis. Le droit interne d’un État tiers ne peut s’appliquer dans un autre État. En d’autres termes, les États ne peuvent être soumis aux normes produites par d’autres États. Le territoire étatique est l’espace à l’intérieur duquel s’exercent les compétences propres à l’État souverain.
À ce titre, l’État bénéficie d’une immunité de juridiction devant les tribunaux d’États tiers. Les compétences de l’État sont encadrées par le droit international auquel il a consenti et par son droit constitutionnel. Celui-ci peut être condamné selon les règles fixées par sa constitution et ses corpus juridiques internes, à l’instar, en France, des juridictions administratives permettant de régler les litiges entre l’administration et la population, mais ne peut être condamné selon des règles émises par d’autres États.
2 - L’étendue particulière de la capacité juridique étatique
Les États ont une capacité juridique très étendue. Ils ont un pouvoir normatif, en vertu duquel ils produisent des règles s’imposant sur leur territoire, un pouvoir exécutif leur permettant de faire appliquer les décisions et un pouvoir judiciaire, destiné à sanctionner les infractions aux normes fixées. Les États possèdent une personnalité juridique internationale et une capacité juridique dont l’étendue est sans égale parmi les autres sujets de droit international. La capacité de l’État en tant que sujet de droit, qui possède la personnalité juridique dans l’ordre juridique international, à agir dans cet ordre juridique est sans pareille sur la scène internationale.
L’État exerce sa capacité juridique dans les limites fixées par sa constitution. Les pouvoirs étatiques sont définis et encadrés par les dispositions constitutionnelles de l’État définissant la procédure législative, encadrant les compétences de l’exécutif et déterminant les contours des juridictions nationales, l’indépendance et l’exercice de la justice.
B - La multiplicité et l'ampleur des droits de l'État souverain
Il est à noter que les éléments constitutifs de l’État sont une condition d’émergence de l’État ne devant pas être confondue avec la définition de l’État en tant qu’entité juridique (1) ainsi qu’avec ses droits et compétences en tant qu’État souverain, reconnus par le droit international et bien souvent entérinés par sa Constitution (2).
1 - La réunion des éléments constitutifs : une condition de l’existence de l’État ne définissant pas cette entité juridique en tant que tel
S’il est possible de qualifier d’ « éléments constitutifs » la réunion au sein d’une entité d’une population circonscrite dans un territoire et régie par un appareil gouvernemental, ces critères ne constituent pas juridiquement l’État. L’État est une personne morale aux caractéristiques, aux droits et aux devoirs uniques en leur genre en droit international dont l’émergence est conditionnée à la réunion de ses éléments constitutifs.
L’État, ayant grâce à ses éléments constitutifs la forme à la fois de réalité matérielle et de réalité juridique, repose très largement sur ces derniers, qui constituent le fondement de son existence et le cadre d’exercice de sa souveraineté et de sa compétence. Un État ne pourrait émerger sans la réunion de ses trois éléments constitutifs, toutefois ceux-ci n’en constituent pas la définition juridique. Ce statut d’État lui donne en outre des droits uniques en leur genre parmi les sujets de droit international.
2 - L’État souverain, une entité dotée de droits particuliers
Une fois formé, l’État est souverain, c’est à dire qu’il ne peut être mis sous la contrainte d’une autorité supérieure, si ce n’est le droit international, sur le fondement duquel il exerce son pouvoir. La personnalité juridique des États leur confère ainsi des droits : la souveraineté, l’indépendance, l’égalité entre États, la coexistence pacifique, qui impliquent le respect de la souveraineté des autres États. L’État possède « une compétence à conclure des traités et accomplir des actes internationaux, une compétence exclusive sur ses affaires intérieures, une immunité internationale de juridiction et une égalité souveraine avec ses pairs ».
Ces attributs légaux de l’État sont liés à la réunion des éléments constitutifs de l’État en tant que conditions nécessaires à son émergence. Ils constituent les caractéristiques juridiques et les compétences de l’État souverain. Ces compétences se retrouvent par la suite dans la Constitution de l’État. À titre d’exemple, en France, le Titre Premier de la Constitution de la Ve République traite de la souveraineté et son Titre VI traite de la compétence à conclure des traités.
