Enoncé du sujet
Pauline a quinze ans et rêve de devenir une star des réseaux sociaux. En effet elle ne cesse de suivre les comptes de ses influenceurs préférés, et envie profondément leur train de vie : leurs voyages au bout du monde et partenariats avec des marques de luxe n’attendent qu’elle ! Cependant, ses parents se sont rendus compte qu’elle commençait à poster des photographies de plus en plus osées pour imiter ses modèles. Si son père l’encourage dans son projet professionnel, sa mère au contraire est très inquiète. Après une énième dispute à ce sujet, sa mère a pris une décision radicale : elle ne veut plus que Pauline poste des images d’elle sur les réseaux sociaux. Pauline ne peut se résoudre à ce refus, et se demande si elle peut passer outre.
La colère de la mère de Pauline ne s’arrête pas là : elle s’est aperçue que son frère Paul, depuis quelque temps, n’avait semble-t-il plus du tout la notion de l’argent. Lors de la dispute de la veille, Pauline lui a en effet dit que lorsqu’elle était allée chez lui la dernière fois, il rédigeait des lettres en réponse à des démarchages publicitaires, pour commander tout type d’articles en vue de bénéficier des cadeaux offerts lors des commandes passées. Elle se rend alors chez lui, bien déterminé à lui dire qu’il fallait agir, et peut-être songer à le placer sous protection. Paul s’est beaucoup vexé, et lui a répondu qu’il n’était pas fou. La preuve : il vient de promettre au jeune infirmier qui s’occupe de lui de lui donner sa maison, s’il continuait à aussi bien s’occuper de lui, pour le remercier de tous les soins qu’il lui offre depuis son accident de moto. La mère de Pauline ne peut pas laisser perdurer cette situation et compte bien s’opposer à cette donation.
Qu’en pensez-vous ?
Résolution du cas
Pauline et Paul sont soumis à diverses difficultés :
- une mineure peut-elle consentir seule à l’usage de son droit à l’image ?
- comment protéger un majeur qui n’est plus en capacité de gérer son patrimoine ?
Il conviendra d’envisager la question relative à Pauline (I) avant celle relative à Paul (II).
I – Le cas de Pauline
Pauline est une mineure de quinze ans. Sa mère s’oppose à ce qu’elle publie des photographies d’elle sur les réseaux sociaux. Une mineure peut-elle exercer son droit à l’image sans l’accord de l’un de ses parents ?
L’article 388 du Code civil définit le mineur comme étant celui « qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis ». Dès lors, jusqu’à ses dix-huit ans, le mineur est soumis à l’autorité parentale de ses parents, qui l’exercent en vue de « le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne » (article 371-1 alinéa 2 du Code civil). Les parents exercent en commun cette autorité parentale (article 372 du Code civil), et plus précisément protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur, en associant ce dernier « selon son âge et son degré de maturité » (article 372-1 du Code civil). Par ailleurs, le mineur doit, en application de l’article 388-1 du même code, être entendu par le juge, dès lors qu’il dispose du discernement suffisant.
En cas de désaccord sérieux, le juge aux affaires familiales peut être saisi afin de concilier les parties (article 373-2-10 du Code civil), lequel prendra en compte « la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure », ainsi que « les sentiments exprimés par l’enfant mineur » (article 373-2-11 1° et 2° du Code civil).
En l’espèce, Pauline veut poster des photographies sur ses réseaux sociaux, mais sa mère s’y oppose. Peu importe que son père soit d’accord, l’autorité parentale étant exercée en commun, les deux parents doivent être d’accord pour que Pauline puisse continuer son activité. Cependant, Pauline a quinze ans, et sait qu’elle veut travailler sur les réseaux sociaux. Bien qu’elle puisse être considérée comme ayant un degré de maturité suffisant au regard de son âge, il est fait mention qu’elle commence à se dénuder sur les réseaux sociaux « pour imiter ses modèles ». Elle a donc l’air très influençable et influencée, et pourrait regretter d’avoir posté des photographies osées d’elle à l’avenir.
Cependant, le juge prendra en considération les pratiques antérieures, et Pauline avait jusque-là le droit de poster des photographies sur les réseaux sociaux. Le problème est davantage que les photographies ont changé d’ordre, et que la mère de Pauline a interdit de poster des photographies, sans distinction.
Ainsi, Pauline ne peut pas continuer à poster des photographies d’elle sur les réseaux sociaux si sa mère s’y oppose, et ce même si son père la soutient dans sa démarche. Toutefois, si un juge aux affaires familiales est saisi, celui-ci pourrait considérer que le fait d’interdire à Pauline de poster des photographies osées sur les réseaux sociaux est justifié, mais lui interdire de poster toute photographie alors qu’elle en avait jusque-là le droit et qu’elle souhaite en faire son métier à l’avenir pourra en théorie être remis en question par le juge.
II – Le cas de Paul
Paul est majeur, mais semble avoir des difficultés à gérer son argent. Il le dilapide sans avoir conscience de ce qu’il fait. Sa mère veut le protéger.
Quelle mesure choisir pour protéger un majeur n’ayant plus la notion de l’argent (A) ? Est-il possible, et si oui comment, d’annuler les actes auxquels il a consenti avant la mise en place de son régime de protection (B) ?
A – La mise sous protection de Paul
L’article 425 du Code civil dispose que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre ». A cet égard, le Code civil prévoit plusieurs mesures ouvertes pour protéger la personne, selon ses besoins : la tutelle, la curatelle, la sauvegarde de justice, l’habilitation familiale et le mandat de protection future. Il s’agira de choisir la mesure qui répond aux principes de proportionnalité, de subsidiarité et de nécessité en application de l’article 428 du Code civil.
Dès lors, il s’agit d’envisager les mesures de protection en commençant par la plus légère, à savoir la sauvegarde de justice (1) pour arriver à la plus adaptée, à savoir la curatelle renforcée (2).
1 - L’insuffisance de la sauvegarde de justice
La mesure de sauvegarde de justice prévue par les articles 433 et suivants du Code civil répond au cas dans lequel une personne a besoin d’une protection juridique temporaire, qui conduit à la désignation d’un mandataire spécial pour l’exercice de certains droits (article 435 c. civ.), pour une durée d’un an (article 439 c.civ.).
En l’espèce, Paul n’a plus du tout la notion de l’argent, comme en témoigne le fait qu’il réponde à de très nombreuses publicités pour obtenir des cadeaux, et le fait qu’il ait proposé à son infirmier de lui offrir sa maison s’il continuait à bien s’occuper de lui. Il se met en danger par ses actions, et doit donc être protégé. Toutefois, la mesure de sauvegarde de justice est la mesure la plus légère, qui ne peut être prononcée que pour un an. Ici, le cas de Paul semble être plus grave, et nécessiter une prise en charge plus longue.
La sauvegarde de justice ne sera donc pas suffisante.
2 - Le choix de la curatelle
L’article 440 du Code civil prévoit que « la personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin pour l’une des causes prévues à l’article 425, d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle ». L’alinéa 2 du même article ajoute « la curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante ». Les conditions visées par l’article 425 précité sont notamment l’altération des facultés mentales, qui devront être constatée par un médecin. En effet, la demande devra être accompagnée d’un certificat médical (article 431 du Code civil), et la personne concernée devra être entendue (article 432 du Code civil). Prévue pour cinq ans (article 441 du Code civil) et renouvelable (article 442 du Code civil), la curatelle devra être assurée en priorité par un membre de la famille (article 450 du Code civil).
Une fois la curatelle prononcée par le juge, l’article 459 du Code civil promeut l’autonomie du majeur protégé en rappelant que « hors les cas prévus à l’article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet ».
En l’espèce, Paul n’est plus en mesure de gérer son patrimoine seul, car il dépense tout son argent et veut donner sa maison pour des motifs assez légers, à une personne dont il dépend. Il doit donc être protégé, par une personne qui l’accompagnera dans la gestion de son patrimoine, en l’assistant notamment dans les actes juridiques qu’il conclura. Le principe de nécessité est observé. La sauvegarde de justice n’était pas suffisante comme cela a été démontré préalablement, donc le principe de subsidiarité est observé. Il n’est pas nécessaire qu’une personne le représente dans ses actes, puisque Paul semble avoir seulement une difficulté à gérer ses biens : seule une assistance est nécessaire. La curatelle est suffisante et proportionnée.
Ainsi, la mère de Pauline pourra demander au juge des contentieux de la protection que soit prononcée une mesure de curatelle à l’égard de Paul, afin de protéger son patrimoine. Elle pourra se proposer pour être son curateur, et ainsi l’assister dans certains actes mettant en péril son patrimoine. La curatelle, contrairement à l’habilitation familiale, permet un suivi judiciaire et un contrôle régulier, ce qui peut être bénéfique pour Paul.
B – L'annulation des actes passés par Paul
Paul a conclu des contrats d’achat (1) et projette faire une donation (2).
1 - Les contrats d’achat
En application des articles 414-1 et 1128 du Code civil, un contrat n’est valable que s’il a été conclu par une personne en ayant la capacité. Si l’absence de capacité est facile à prouver dès lors qu’une mesure de protection a été prononcée, il en est autrement lorsqu’elle ne l’a pas encore été. C’est pour cela que l’article 464 du Code civil prévoit que « les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés ». Dans ce cas, ces actes pourront être annulés, lorsqu’il en résulte un préjudice pour le majeur protégé.
En l’espèce, Paul répond aux publicités qu’il reçoit, et achète donc de très nombreux produits. Toutefois il achète par courrier postal, et le cocontractant ne peut a priori pas savoir qu’il est incapable.
Ainsi même si la mère de Paul prend la décision de demander au juge de protéger Paul en le plaçant sous curatelle, il n’est pas certain que les actes d’achat ici passés puissent être annulés.
2 - La donation
En sus des fondements précités s’agissant des contrats de vente, l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles prévoit une interdiction pour les personnes physiques prenant en charge une personne d’accepter une libéralité offerte à titre gratuite par cette dernière, réalisée pendant qu’elle s’en occupe, sauf « dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus » en application de l’article 909 1° du Code civil.
En l’espèce, un infirmier prend en charge Paul, depuis son accident, et s’occupe de lui en lui apportant les soins nécessaires. Paul lui propose de lui offrir sa maison, s’il continue de s’occuper si bien de lui. Or l’infirmier ne pourra pas accepter cette maison, à peine de nullité de la donation. Il semble difficile d’admettre que ce « cadeau » soit fait à titre rémunératoire, pour les soins offerts, sans prendre en considération que Paul est dans une situation de faiblesse ne lui permettant pas de réaliser ce qu’il fait, et ce d’autant que son logement est protégé de manière renforcé (article 426 du Code civil).
Ainsi, l’infirmier ne pourra pas recevoir la maison de Paul. Sa mère pourra s’y opposer, et la donation ainsi envisagée sera nulle.
