Introduction
La loi, expression de la volonté générale, a, longtemps, constitué une norme intouchable, comme le souhaitaient les révolutionnaires de 1789. Outre qu’elle a pu à certaines époques (par exemple avec la Constitution de 1791) être la seule norme habilitée à poser des règles à portée générale, elle a, également, été, jusqu’à il y a peu finalement, dispensée du respect de toute norme supérieure. Cette situation est, aujourd’hui, révolue. La loi est devenue une norme parmi d’autres.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce déclin. Certaines tiennent à la Constitution de 1958. Celle-ci a, en effet, bouleversé la place reconnue à la loi au sein de l’ordre juridique, qu’il s’agisse du domaine d’attribution qui lui est, désormais, réservé, de sa soumission à un contrôle de constitutionnalité ou du fait que le législateur puisse se dessaisir de sa compétence. D’autres raisons tiennent à la concurrence qui existe, à présent, entre les lois et les normes internationales, les premières devant respecter les secondes. Enfin, les dernières décennies ont été marquées par une inflation législative qui a nui à la qualité intrinsèque de la loi et affaibli sa portée juridique.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, le déclassement de la loi par la Constitution de 1958 (I), d’analyser, dans une deuxième partie, la concurrence des normes internationales (II) et d’examiner, dans une troisième partie, la dégradation de la qualité intrinsèque des lois (III).
I – La loi, une norme déclassée par la Constitution de 1958
La Constitution du 4 octobre 1958 opère d’importants changements quant au régime politique de la France. L’un de ces changements se traduit par un déclassement de la loi. Ce constat peut être effectué à trois points de vue : la loi se voit, d’abord, assignée un domaine d’attribution (A) ; elle est, par ailleurs, soumise à un contrôle de constitutionnalité (B) ; enfin, le législateur peut se dessaisir de sa compétence (C).
A – Une loi assignée à un domaine d'attribution
La Constitution de 1958 délimite les domaines de compétences respectifs du législateur et du pouvoir exécutif selon une répartition qui bénéficie largement au second (1). La mise en œuvre de ces principes amène, toutefois, à relativiser ce constat (2).
1 – Les principes découlant de la Constitution
Jusqu’en 1958, la loi était, uniquement, définie par un critère formel : il s’agissait de l’acte voté par le Parlement sans que son domaine d’intervention ne soit limité. L’Exécutif ne disposait que d’un pouvoir règlementaire d’application des lois. Et, si celui-ci pouvait agir en dehors de toute loi l’y habilitant afin, notamment, de préserver l’ordre public général (CE, 08/08/1919, Labonne), ses interventions pouvaient, ultérieurement être remises en cause par une loi.
La Constitution de 1958 opère un changement de paradigme, puisque la loi se voit cantonnée à un domaine d’attribution. Son article 34 énumère, en effet, les domaines où le législateur est habilité à intervenir. La loi fixe, d’abord, les règles concernant : les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales, …. Elle fixe, également, les principes fondamentaux afférents à l’organisation générale de la Défense nationale, la libre administration des collectivités territoriales, l'enseignement, …
En dehors de ces matières, la compétence pour fixer les règles relève du pouvoir règlementaire qui détient, ainsi, une compétence de principe en vertu de l’article 37 du texte constitutionnel : « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». Ce nouveau type de pouvoir règlementaire, qui intervient en dehors de toute prescription législative, s’ajoute au pouvoir règlementaire d’exécution des lois (art. 21 Constitution), au pouvoir réglementaire d’organisation interne des services publics et au pouvoir règlementaire de police générale.
Cette limitation du domaine réservé au législateur fait l’objet d’une double protection. D’une part, l’article 41 du texte constitutionnel permet au Gouvernement ou au président de l’assemblée saisie de s’opposer à l’adoption d’une loi ou d’un amendement qui empièterait sur le domaine réservé au pouvoir règlementaire. En cas de désaccord, c’est le Conseil constitutionnel qui tranche le conflit à la demande de l’un ou de l’autre dans un délai de huit jours. D’autre part, une loi, qui intervient dans le domaine réservé au pouvoir règlementaire, peut être modifiée par décret pris après avis du Conseil d’État pour les textes antérieurs à 1958 ou après décision du Conseil constitutionnel pour les textes postérieurs dans le cadre de la procédure de délégalisation (art. 37, al. 2 Constitution).
2 – Un constat à relativiser
Si ce nouveau cadre constitutionnel consacre une certaine limitation du rôle de loi, il doit, toutefois, être, en partie, relativisé. Plusieurs constats, qui attestent que la « révolution n’a pas eu lieu » (Jean Rivero), peuvent être effectués.
D’abord, il s’est avéré que les chefs de compétence du législateur ne se limitaient pas à l’article 34 : en effet, il est apparu que d’autres articles du texte constitutionnel ou de son préambule pouvaient fonder la compétence du Parlement (pouvoir du législateur de limiter la liberté d’opinion et de communication prévue par les articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789, de limiter le droit de grève prévu par préambule de la Constitution de 1946, notamment). Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont, par ailleurs, interprété de manière extensive le domaine de la loi, notamment lorsque les dispositions en cause ont des incidences sur des droits constitutionnellement garantis. Les mécanismes de protection du domaine du règlement n’ont, en outre, pas été systématiquement utilisés par le Gouvernement : il arrive, en effet, fréquemment, que celui-ci laisse le législateur adopter des dispositions présentant un caractère règlementaire pour des raisons politiques. Le Conseil constitutionnel a même jugé, alors qu’il était saisi par les parlementaires dans le cadre de l’article 61, « qu’une loi qui empiète sur le domaine du règlement n’en est pas pour autant inconstitutionnelle » (CC, n° 82-143, 30/07/1982). Enfin, si le règlement autonome dispose d’un domaine propre, il n’est nullement assimilé à une loi d’un point de vue formel, de sorte que celui-ci demeure un acte administratif ordinaire contestable devant le juge administratif et soumis aux normes supérieures, parmi lesquelles figurent … les lois (CE, sect., 26/06/1959, Synd. des Ingénieurs conseils).
Ainsi, comme le relèvent J. Petit et P-L. Fier dans leur ouvrage (Droit administratif, 16° édition, 2022 – 2023, LGDJ), « dans la Constitution telle qu’elle est interprétée, le règlement est autonome parce qu’il intervient dans certains domaines sans qu’une loi l’y autorise expressément, mais il n’est ni affranchi du respect des lois, ni protégé des incursions du législateur. »
B – Une loi astreinte à un contrôle de constitutionnalité
Jusqu’en 1958, les lois n’étaient astreintes à aucun contrôle de leur conformité à la Constitution, une norme pourtant dotée d’une autorité supérieure. La Constitution de 1958 change la donne. Elle crée un contrôle de constitutionnalité des lois a priori (1), complété en 2008 par un contrôle de constitutionnalité a posteriori (2). Ce double mouvement vient remettre en cause le dogme de la loi expression de la volonté générale et le caractère intouchable qui lui était associé.
1 – Le contrôle de constitutionnalité des lois a priori
Le contrôle de constitutionnalité des lois est l’une des grandes nouveautés introduites par la Constitution de 1958. Jusque-là, en effet, à l’inverse des autres grandes démocraties, la France ne disposait pas d’un tel mécanisme. Prévu à l’article 61 de la Charte fondamentale, ce contrôle de constitutionnalité a priori, c’est-à-dire après le vote de la loi, mais avant sa promulgation, permet à certaines autorités de demander au Conseil constitutionnel de vérifier la conformité de la loi à la Constitution.
Dans cette tâche, trois voies s’offrent à lui. Il peut déclarer la loi conforme à la Constitution : celle-ci peut, alors, être promulguée. À l’inverse, il peut déclarer la totalité de la loi contraire à la Constitution, ce qui fait obstacle à sa promulgation. Il peut, enfin, décider qu’une loi est en partie conforme à la Constitution. Dans cette hypothèse, la loi peut être promulguée à l’exception de ses articles déclarés contraires à la Constitution (et à condition que ceux-ci soient « séparables » de l’ensemble du dispositif).
Ce contrôle de constitutionnalité a connu deux révolutions qui en ont bouleversé la portée. La première a concerné les autorités pouvant saisir le juge constitutionnel. Initialement, cette faculté n’était, en effet, offerte qu’au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat. La révision constitutionnelle de 1974 a opéré un changement en profondeur en reconnaissant le même pouvoir à 60 députés ou 60 sénateurs, offrant, ainsi, aux parlementaires et, plus particulièrement, à l’opposition un outil supplémentaire pour l’exercice de leur travail législatif. La seconde révolution a été opérée par le Conseil constitutionnel lui-même. Ce dernier a, en effet, jugé, par sa décision Liberté d’association du 16/07/1971, que les normes à l’aune desquelles apprécier la constitutionnalité d’une loi comprenaient le texte constitutionnel lui-même, mais aussi le préambule constitutionnel et tous les textes auxquels celui-ci renvoie (Déclaration de 1789 et préambule de la Constitution de 1946, notamment). Cette décision a constitué un véritable tournant dans la mesure où ces textes contiennent un ensemble de principes et de libertés extrêmement riche que les autorités de saisine (les parlementaires, notamment) n’ont pas manqué d’invoquer. C’est, d’ailleurs, à partir de ce moment que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a pris une envergure qui jusque-là lui faisait défaut.
2 – Le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori
Le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori a, longtemps, été attendu en France (voir la tentative avortée du Rapport Vedel en 1993). Ce n’est, en effet, qu’avec la révision constitutionnelle du 23/07/2008 qu’un tel mécanisme a été mis en place au travers de ce que l’on appelle la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Plus précisément, le nouvel article 61 - 1 de la Constitution prévoit : « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
Cette procédure doit être soulevée par un justiciable à l'occasion d'un litige porté devant une juridiction administrative ou judiciaire. Son champ d'application est, par ailleurs, strictement encadré puisque, d'une part, seule une disposition législative peut être contestée et, d'autre part, les griefs d'inconstitutionnalité invoqués doivent se rapporter aux droits ou libertés que la Constitution garantit.
Toute QPC soulevée ne débouche pas automatiquement sur la saisine du Conseil constitutionnel. Un double filtrage est, en effet, exercé, dont la finalité est de parer à tout risque de manœuvres dilatoires de la part de justiciables zélés ou de dépôt de QPC manifestement infondées. Un premier filtre est, ainsi exercé par les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d'appel. Le second est à la charge du Conseil d’État qui décide, en dernier lieu, de renvoyer ou non la Question au Conseil constitutionnel.
Une fois saisi, le juge constitutionnel dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer. Il peut déclarer la disposition législative contestée conforme à la Constitution. Celle-ci conserve, alors, sa place au sein de l'ordre juridique. Il peut, au contraire, la déclarer contraire à la Constitution. La disposition est, alors, abrogée à compter de la publication de la décision : concrètement, elle disparaît de l'ordre juridique pour l'avenir et n'est appliquée ni au litige à l'origine de la QPC, ni aux instances en cours à la date de la publication de la décision, sous réserve, parfois, de modulations des effets de sa décision.
C - Un législateur qui peut se dessaisir
Sur un plan formel, le mécanisme des ordonnances, en tant qu’il dessaisit le législateur, révèle un certain déclin de la loi. La pratique de ce dispositif accentue encore plus ce constat. En effet, une fois installé, tout nouveau Gouvernement dépose, habituellement, une demande pour légiférer par voie d’ordonnances. Il s’ensuit que la plupart des textes majeurs de la nouvelle majorité sont fréquemment adoptés selon cette procédure et non par le Parlement lui-même dans le cadre de la procédure législative classique. Sur un plan plus statistique, depuis les années 2000, le nombre d’ordonnances est en forte augmentation. Une étude du Sénat de juin 2022 démontre, ainsi, que le nombre d'ordonnances publiées chaque année est supérieur au nombre de lois promulguées. Entre mai 2012 et mai 2022, le rapport comptabilise 621 ordonnances publiées (soit une hausse de 85% par rapport à la période 2004-2012). Par ailleurs, les ordonnances ne sont plus uniquement utilisées pour des sujets techniques (simplification du droit, application outre-mer, ...), mais tendent à toucher des sujets de nature plus politique.
La question des ordonnances amène, alors, à examiner deux points : leur mécanisme général (1) et leur nature juridique (2).
1 – Le mécanisme des ordonnances
Par principe, le Gouvernement ne peut intervenir dans le domaine de la loi qu’après autorisation du Parlement. Ce mécanisme a pris la forme des décrets-lois sous les III° et IV° Républiques. Sous la Constitution de 1958, c’est l’article 38 qui l’organise sous l’appellation « ordonnances ». Cet article permet au Gouvernement de prendre des mesures relevant normalement du domaine législatif et qui, par conséquent, peuvent modifier des lois existantes.
Le recours à ces ordonnances doit être autorisé par le Parlement par le vote d'une loi d'habilitation. Celle-ci doit prévoir le délai durant lequel le Gouvernement est habilité à prendre des ordonnances et définir, avec précision, la finalité et le domaine d’intervention de ces ordonnances. La loi d’habilitation doit, également, prévoir le délai maximum pour déposer le projet de ratification des ordonnances prises par le Gouvernement auprès du Parlement. Chaque ordonnance doit, ensuite, être délibérée en Conseil des ministres, soumise pour avis au Conseil d’État et signée par le président de la République.
A l’expiration du délai de l’habilitation, le gouvernement perd le droit d’intervenir dans le domaine de la loi et l’ordonnance, si elle porte sur des matières législatives, ne peut plus être abrogée ou modifiée que par le Parlement. De plus, avant la date prévue sur ce point par la loi d’habilitation, un projet de loi de ratification doit être déposé devant les Chambres. Cette condition suffit pour que l’ordonnance reste en vigueur, même si le projet de loi de ratification n’est pas soumis au vote des assemblées. Si le gouvernement ne dépose pas un projet de loi de ratification dans le délai fixé, l'ordonnance devient caduque et l'état du droit antérieur est rétabli. Enfin, depuis la loi constitutionnelle du 23/07/2008, la ratification des ordonnances doit être expresse.
2 – La nature juridique des ordonnances
La nature juridique des ordonnances varie selon qu’elles ont ou non été ratifiées. Jusqu’à il y a peu, les règles étaient assez simples. Tant qu’elles n’étaient pas ratifiées, elles demeuraient des actes administratifs contestables devant le juge administratif à l’aune des normes supérieures traditionnelles (traités internationaux, principes généraux du droit, …). Une fois ratifiées, elles acquéraient valeur législative et ne pouvaient plus être contestées directement, mais seulement dans les conditions applicables à la loi, c’est-à-dire par la voie de l’exception en arguant de leur inconventionnalité ou dans le cadre d’une QPC.
Ce régime a quelque peu évolué sous l’impulsion du Conseil constitutionnel. Par deux décisions (CC n° 2020 – 843, QPC 28/05/2020 ; CC n° 2020 – 851,/ 852, QPC 03/07/2020), celui-ci a considéré que les dispositions d'une ordonnance, non ratifiée par le Parlement, « doivent être regardées, dès l'expiration du délai de l'habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution », de sorte que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut être contestée que par une QPC.
Le Conseil d’État a, partiellement suivi cette position (CE, ass., 16/12/2020, Fédération CFDT Finances et autres). Désormais, saisi, par voie d’action ou d’exception, d’une contestation portant sur la légalité d’une disposition matériellement législative d’une ordonnance non ratifiée, le délai d’habilitation ayant expiré, il considère qu’il lui revient de distinguer entre les moyens qui lui sont présentés : ceux qui portent sur la conformité aux droits et libertés constitutionnels ne peuvent être présentés et examinés que selon la procédure de la QPC et doivent donc être renvoyés au Conseil constitutionnel si les conditions du renvoi sont remplies ; en revanche, tous les autres moyens (respect de la loi d’habilitation, des principes généraux du droit, des engagements internationaux, des règles constitutionnelles autres que les droits et libertés) continuent de relever de sa compétence.
II – La loi, une norme concurrencée par les normes internationales
Le poids du droit international n’a cessé de s’accroître au sein du droit français au cours du XX° siècle. Qu’il s’agisse de conventions internationales bilatérales ou conclues sous l’égide des Nations-Unis ou, encore et surtout, du droit européen (droit de l’Union européenne et droit de la Convention européenne des droits de l’homme), ces normes régissent, de nos jours, une grande partie de la vie des Français.
Cette situation n’a été possible que par la reconnaissance par les textes constitutionnels de l’autorité du droit international sur les normes nationales. Le Préambule de la Constitution de 1946 (alinéa 14) affirme, ainsi, que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». Plus tard, l’article 55 de la Constitution de 1958 posera que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de la loi, sous réserve de leur application par l’autre partie ».
Si l’autorité, ainsi, reconnue aux traités internationaux sur les lois est des plus claires, elle a, toutefois, tardé à s’imposer pleinement devant le juge administratif. Le Conseil d’Etat ne reconnaissait, en effet, pleinement la supériorité des traités que sur les lois qui leurs étaient antérieures, mais se refusait à adopter une telle position lorsque les lois leurs étaient postérieures (CE, sect., 1°/03/1968, Synd. général des fabricants de semoules de France). Celui-ci considérait que cela revenait à contrôler la constitutionnalité de ces lois au travers du respect de la règle de l’article 55.
En plus de s’écarter des solutions retenues par ses homologues étrangers, cette position conduisit le Conseil d’Etat à un certain isolement au sein des juridictions françaises. Le Conseil constitutionnel renvoya, d’abord, la charge de ce qu’il convient d’appeler un contrôle de conventionnalité aux juges ordinaires (administratif et judiciaire). Dans sa décision IVG du 15/01/1975, il estima, en effet, que son contrôle, absolu et définitif, n’était pas adapté au contrôle de conventionnalité, relatif et contingent. Cette invitation fut, immédiatement suivie par la Cour de cassation dans son arrêt du 24/05/1975 So. des cafés Jacques Vabre.
Isolé, le Conseil d’Etat finit par abandonner son ancienne position en 1989 dans le célèbre arrêt Nicolo (CE, ass., 20/10/1989). Depuis cette date, l’autorité des traités internationaux sur les lois françaises est totale, que celles-ci soient antérieures ou postérieures. Cette solution a, par la suite, été appliquée au droit européen dérivé : les règlements (CE, 24/09/1990, Boisdet), les directives (CE, ass., 28/02/1992, SA Rothmans international France), et même les principes généraux du droit communautaire (CE, 03/12/2001, Synd. national de l’industrie pharmaceutique). Elle ne vaut pas, en revanche, pour la coutume internationale (CE, 06/07/1997, Aquarone).
L’ensemble de ces solutions renforce le caractère subordonné de la loi. Ainsi, après avoir été, effectivement, subordonnée à la Constitution par l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité des lois, la loi se doit, à présent, de respecter le droit international. Certes, les traités les plus importants doivent être ratifiés par le Parlement, ce qui permet de considérer que celui-ci consent aux règles qu’ils contiennent. Plus problématique, en revanche, est la soumission de la loi aux normes du droit dérivé européen : la loi votée par les représentants du peuple se trouve, en effet, ici, soumise au respect de règles édictées par les instances exécutives européennes (non élues), ce qui pose une question de légitimité démocratique.
III – La loi, une norme dont la qualité intrinsèque est mise en cause
Il existe, depuis un certain nombre d’années, une inflation législative qui est de nature à altérer l’intelligibilité de la loi par les administrés et à lui faire perdre de son autorité. Le Conseil d’Etat avait, parfaitement, résumé cette situation lorsqu’il avait déclaré : « qui dit inflation, dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ».
Cette inflation législative nuit à la qualité du travail législatif, de sorte que les lois adoptées sont de moindre qualité que par le passé. Cette situation résulte, notamment, de la précipitation avec laquelle certaines lois sont adoptées. Pour réagir à un fait divers marquant l’opinion publique, il est, de nos jours, tentant pour le Gouvernement de légiférer rapidement à des fins politiciennes. A un fait divers, une loi pourrait-on dire (alors que le problème résulte, la plupart du temps, du fait des lois inappliquées). Cette précipitation empêche une saine réflexion seule à même de penser, avec toutes les exigences qui s’imposent, les dispositions de la loi. Il faut rajouter à cela que l’ensemble des normes sont, de nos jours, fortement imbriquées entre elles : un délai raisonnable de réflexion doit, donc, être laissé au législateur afin qu’il résolve au mieux les problèmes posés par cet enchevêtrement de règles. Or, ce n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, de plus en plus de lois sont détournées de leur objet : au lieu d’énoncer des règles impératives, elles déclament des considérations d’ordre philosophique ou politique et deviennent, ainsi, de simples déclarations de bonnes intentions.
Tout cela contribue au « flou du droit » contre lequel le Conseil constitutionnel a voulu lutter en consacrant l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (CC, n° 99-421, 16/12/1999). Un objectif repris par le Conseil d’Etat et invocable pour contester la légalité d’un règlement administratif (CE, ass. 24/03/2006, KPMG).
Cette situation n’est pas sans conséquences. De telles dispositions législatives ne sont, en effet, pas considérées comme normatives. Pour le juge administratif, elles ne sont pas des règles dont le respect s’impose à l’administration et leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir (CE, ass., 05/03/1999, Rouquette). Elles ne sont pas non plus susceptibles de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) faute de pouvoir être considérées comme « applicables à un litige » (CE, 18/07/2011, Féd. nationale des chasseurs). Quant au Conseil constitutionnel, il a longtemps considéré que ces textes législatifs non normatifs ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, seule une norme pouvant être inconstitutionnelle. Il se montre, aujourd’hui, plus sévère, puisqu’il juge que de telles dispositions sortent de la compétence du Parlement et sont comme telles contraires à la Constitution, à moins qu’elles ne se rattachent à une catégorie particulière de lois instituée par celle-ci, telles que les lois de programmation (CC, n° 2005-512, 21/04/2005).
