Introduction

De nos jours, le droit du travail connaît des régressions certaines, du fait de la prédominance des thèses économiques libérales, certes respectables, mais dont rien ne vient contrebalancer l’autorité que lui accordent (ou qu’elles s’arrogent) les classes politiques dirigeantes. Il arrive, cependant, de temps à autre, que, dans cet océan de reflux des droits sociaux, sous le joug d’un paradigme idéologique dont la légitimité est, dans un pays démocratique, par nature, contestable, émergent des îlots progressistes : la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de droit au reclassement en constitue un exemple.

C’est en 2002 que le juge administratif a, dans un arrêt au contexte factuel pour le moins étrange, consacré le principe général du droit (PGD) au reclassement au profit des agents de droit public atteints d’une inaptitude physique à occuper leur emploi.   Il imposait, ce faisant, à l’employeur public de rechercher et, le cas échéant, de proposer à l’agent un autre emploi, adapté à son état de santé et à ses compétences professionnelles, avant de pouvoir le licencier.

En décidant de la sorte, la Haute juridiction venait combler un vide juridique. En effet, si le Code du travail et le Statut général de la fonction publique prévoient bien, dans certaines hypothèses, une obligation de reclassement à la charge des employeurs, il existait une multitude de brèches dans ce maillage textuel, de sorte que certaines catégories d’agents publics se trouvaient exclus de ce droit essentiel. Il y avait, là, réunies toutes les conditions pour que le Conseil d’Etat vienne consacrer un nouveau principe général du droit, les PGD étant une norme jurisprudentielle utilisée par le juge administratif pour apporter des garanties aux administrés - agents lorsque le droit écrit fait défaut.

Cette solution devait connaître une postérité certaine. Par touches successives, en effet, le Conseil d’Etat devait en étendre la portée, notamment en prévoyant l’application du principe à l’hypothèse où un agent contractuel de droit public en CDI (contrat à durée indéterminée) se voit privé de son emploi, soit parce que l’administration décide de le supprimer, soit parce qu’elle décide d’y affecter un fonctionnaire. Plus même, cette exigence devait faire l’objet d’une consécration textuelle solennelle : sur invitation du législateur, le pouvoir règlementaire organisa, ainsi, par deux décrets parus en 2014 et 2015, le droit au reclassement des agents contractuels de droit public.

Quatre points doivent, alors, retenir l’attention : les origines du principe (I), son champ d’application (II), la procédure de reclassement proprement dite (III) et l’apport des textes en la matière (IV).

I – Les origines : un principe désiré ?

C’est à l’occasion d’un litige relatif à un agent du personnel administratif d’une Chambre de commerce et d’industrie (CCI) que le Conseil d’Etat a consacré le principe général du droit au reclassement en cas d’inaptitude physique (CE, 2/10/2002, CCI de Meurthe-et-Moselle). L’examen des faits de l’affaire permet, cependant, de s’interroger sur la volonté réelle de la Haute juridiction tant la finalité première de la décision était non le reclassement de la requérante (impossible en l’espèce), mais, tout au contraire, son licenciement. Dans cette affaire, en effet, l’agent de la CCI n’avait d’autre demande que de se voir licencier (A). Mais, pour que ce droit au licenciement lui soit reconnu, il incombait, d’abord, au juge de consacrer une obligation de reclassement, le licenciement n’étant là que pour en sanctionner l’échec (B). A cela s’ajoute que la solution retenue par le Conseil d’Etat l’a été sur conclusions contraires de son commissaire du Gouvernement, M. Piveteau (C). Les ramifications jurisprudentielles ultérieures de cette solution devaient, néanmoins, démontrer que ce principe, loin d’avoir été factuellement imposé au juge administratif, avait tous les attributs d’une création désirée.

A - Une situation inextricable qui justifie un droit au licenciement

Dans cette affaire, Mme. Fardouet était agent de la CCI de Meurthe-et-Moselle. Elle est tombée gravement malade 15 après son entrée en fonction et a bénéficié d’un arrêt maladie. Elle s’est, alors, retrouvée dans une situation inextricable : d’un côté, son état de santé l’empêchait définitivement de reprendre ses fonctions, d’un autre côté, la CCI refusait de la licencier pour inaptitude physique et de lui verser les indemnités correspondantes. « Ni effectivement à son poste, ni effectivement licenciée », telle était, selon le commissaire du gouvernement, sa situation.

C’est dans le statut des agents des CCI que l’on peut trouver les clefs de cette problématique. Ce dernier prévoit, ainsi, qu’en cas d’incapacité totale de travail due à une maladie contractée à l’occasion du service, l’agent voit son traitement intégralement maintenu pendant toute la durée de l’arrêt de travail. Dans les faits, cependant, lorsque cette situation se présente, la CCI, plutôt que de prolonger indéfiniment le paiement d’un plein salaire à un agent inactif, fait jouer la possibilité offerte par le statut de licencier l’agent pour inaptitude physique avec le paiement d’une indemnité de licenciement égale à un mois de traitement par année de service. Il ne s’agit pas, là, d’une obligation de licencier, mais d’une simple possibilité qui est, en pareille hypothèse, logiquement utilisée par la CCI.

Or, dans le cas de Mme. Fardouet, la maladie n’était pas due au service. Les seules obligations financières à la charge de la CCI se limitaient, alors, au paiement du traitement intégral pendant 3 mois et d’un demi-traitement les 3 mois suivants. Passé ce délai, elle ne bénéficiait plus que des indemnités légales d’assurance maladie. C’est pour cela qu’elle a demandé à la CCI de prononcer son licenciement pour inaptitude physique afin de percevoir l’indemnité correspondante, soit 15 mois de traitement. Mais, l’instance consulaire a systématiquement refusé de faire droit à ces demandes : elle n’y était juridiquement pas contrainte par son statut et, dans le cas d’espèce, laisser les choses en l’état était, pour elle, la situation la moins coûteuse financièrement.

C’est donc d’un droit au licenciement que Mme. Fardouet se revendique, un droit qui ne pouvait être reconnu qu’une fois consacrée une obligation de reclassement.

B - Un droit au licenciement qui suppose une obligation de reclassement

Comme l’indiquait le commissaire du Gouvernement, « l’obligation de licencier un salarié devenu physiquement inapte à son emploi ne peut pas se concevoir … en dehors d’un principe plus général de reclassement ». En effet, le licenciement n’est rien d’autre que la conséquence de l’échec du processus de reclassement. 

L’examen des dispositifs législatifs applicables tant aux salariés du secteur privé qu’aux fonctionnaires atteste, en effet, que le licenciement n’est que la dernière étape d’un processus qui doit d’abord conduire l’autorité à constater l’incapacité de l’agent, puis à tenter de le reclasser. 

C’est dans cette voie ambitieuse que le Conseil d’Etat s’est engagé, malgré les conclusions contraires de son commissaire du gouvernement.

C - Une solution rendue sur conclusions contraires

Les réticences de M. Piveteau à voir consacrer un principe général du droit au reclassement tenaient à l’ampleur de la construction qu’il s’agissait d’édifier. Pour lui, en effet, une obligation aussi complexe ne pouvait être réalisée par voie jurisprudentielle.

Cette position peut se comprendre si l’on pense au fait qu’un pareil principe implique une démarche bien plus sophistiquée que d’ordinaire. Traditionnellement, en effet, l’analyse du respect d’un PGD appelle un choix binaire : la décision de l’administration est-elle ou non conforme au principe (par exemple pour le PGD interdisant de licencier une salariée en état de grossesse : CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet) ?

Dans le cas de l’obligation de reclassement, il s’agissait, au contraire, d’organiser un processus complexe, où chaque étape doit voir ses modalités précisées, qu’il s’agisse du constat de l’inaptitude physique de l’agent, de la teneur de l’obligation de reclassement, du licenciement et, bien sûr, du versant indemnitaire. On le voit, l’ambition créative dont le juge doit, ici, faire preuve est bien plus exigeante que de coutume. Les développements qui suivront la décision CCI de Meurthe-et-Moselle en seront la parfaite illustration.

Soucieux de garantir les droits des agents relevant de son office, comme il le fait régulièrement en matière de droit social (voir : arrêt Dame Peynet ; pour le droit à une rémunération au moins égale au SMIC : CE, sect., 23/04/1982, Ville de Toulouse), le Conseil d’Etat a, malgré tout, relevé le défi. La reprise par le législateur et le pouvoir règlementaire du droit au reclassement, ainsi, consacré attestera, quelques années plus tard, de la pertinence du choix fait en 2002.

II – Quel est le champ d'application du principe ?

Au fil de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat a étendu le champ d’application du principe général du droit au reclassement : ce mouvement a, d’abord, concerné les agents bénéficiaires (A), puis les motifs justifiant une telle obligation (B).

A – A qui ce principe s'applique-t-il ?

Initialement consacré à propos des personnels administratifs des Chambres de commerce et d’industrie, le PGD au reclassement a, rapidement, vu sa portée accrue. Dès 2007, en effet, le Conseil d’Etat a considéré que l’ensemble des agents contractuels de droit public en bénéficiaient (CE, 26/02/2007, ANPE). Par cette décision, la Haute juridiction regardait ce principe comme d’application générale, puisque la catégorie visée englobe aussi bien les agents contractuels des services publics para étatiques ou locaux, comme l’ANPE, que les agents non titulaires de l’Etat ou des autres fonctions publiques

B – A quelles situations ce principe s'applique-t-il ?

La seule situation visée, à l’origine, était celle de l’inaptitude physique d’un agent. Par deux décisions rendues en 2013, le Conseil d’Etat a, cependant, regardé ce principe comme applicable aux agents contractuels en CDI qui se voient privés de leur emploi, soit parce que l’administration entend affecter un fonctionnaire sur le poste, soit parce qu’elle décide de le supprimer.

Auparavant, la Haute juridiction avait aussi reconnu que l’administration doit, lorsque le contrat de recrutement d’un agent de droit public est irrégulier, tenter de le reclasser avant de pouvoir prononcer son licenciement (CE, sect., 31/12/2008, Cavallo). Mais, la solution avait été, c’est vrai, rendue sans le détour par un principe général du droit.

a / Le premier motif imposant à l’administration une obligation de reclassement réside dans l’inaptitude physique d’un agent : c’est, là, l’hypothèse, de l’arrêt fondateur CCI de Meurthe-et-Moselle.

b / Le deuxième motif est double et tient à l’hypothèse où l’emploi de l’agent contractuel en CDI est soit attribué à un fonctionnaire, soit supprimé. Ayant un impact plus conséquent sur la gestion des ressources humaines des personnes publiques, ce second motif a mis plus de temps à s’imposer aux yeux du Conseil d’Etat. Ce n’est, en effet, que par l’effet combiné de solutions audacieuses adoptées par diverses Cours administratives d’appel (CAA) et d’une meilleure prise en compte du phénomène de « CDIsation » de la fonction publique que la Haute juridiction s’est, enfin, décidée à franchir le pas.

De nombreuses CAA ont, ainsi, décidé d’appliquer le PGD au reclassement à l’hypothèse de la suppression de l’emploi occupé par un agent contractuel. La CAA de Marseille a, d’abord, considéré que « lorsqu’elle supprime l’emploi d’un agent bénéficiaire d’un contrat à durée indéterminée, l’autorité administrative doit le reclasser et ne peut le licencier que si le reclassement s’avère impossible ou si l’agent refuse le reclassement qui lui est proposé » (CAA Marseille, 30/03/2010, Mme. Luzy). La CAA de Lyon est allée encore plus loin en reconnaissant que le principe était applicable à tous les agents contractuels, que la durée du contrat soit déterminée ou indéterminée (CAA Lyon, 15/12/2011, M. Etile).

Une autre raison de cet élargissement tient à la place croissante prise, au sein de la fonction publique, par les agents en CDI. Depuis les statuts fondateurs de la fonction publique autorisant de manière exceptionnelle le recrutement de contractuels pour des durées déterminées, diverses dispositions législatives sont, en effet, intervenues pour faciliter, cette fois-ci, la conclusion de CDI : ainsi, la loi du 26/07/2005 prévoit que la durée des contrats successifs ne peut excéder 6 ans et qu’au-delà, l’administration ne peut engager l’agent que sur la base d’un CDI. Parallèlement, différents textes ont instauré une véritable prise en charge de la carrière de ces agents, parfois très proche de celle des fonctionnaires. Pour le juge administratif suprême, l’enjeu était donc de prendre acte de cette évolution en consacrant, à leur profit, une obligation de reclassement permettant d’éviter un « licenciement sec » dans certaines hypothèses.

Par deux arrêts rendus en 2013, le Conseil d’Etat a, d’abord, rappelé que les emplois publics permanents sont, en principe, occupés par des fonctionnaires et que l’administration peut, dès lors, valablement licencier un agent contractuel soit pour affecter un fonctionnaire sur son emploi, soit pour supprimer cet emploi dans le cadre d’une modification de l’organisation du service. Puis, il a appliqué l’obligation de reclassement à ces deux grandes hypothèses. Ainsi, l’administration doit chercher, avant de procéder à son licenciement, à reclasser un agent contractuel recruté sur la base d’un CDI :
-    lorsqu’elle entend affecter un fonctionnaire sur le poste occupé par l’agent contractuel (CE, avis, 25/09/2013, Mme. S),
-    lorsqu’elle décide de supprimer l’emploi d’un agent contractuel dans le cadre d’une modification de l’organisation du service (CE, 18/12/2013, Ministre de l’Education nationale).

III – Comment se déroule la procédure de reclassement ?

La procédure de reclassement peut comporter jusqu’à trois étapes. La première est spécifique à l’hypothèse de l’inaptitude physique et consiste à faire constater médicalement que l’agent se trouve effectivement dans cet état (A). La seconde, d’application générale, porte sur le reclassement proprement dit (B). Quant à la troisième, elle n’intervient qu’en cas d’échec du reclassement et amène l’administration à licencier l’agent (C).

A – Une étape propre à l'inaptitude physique : la nécessité d'un constat médical

Lorsque le reclassement est motivé par l’inaptitude physique d’un agent à occuper son emploi, le Conseil d’Etat exige que cet état soit « médicalement constaté ». Cette étape vise à s’assurer de la réalité de l’inaptitude de l’agent et, surtout, de son caractère définitif. Ce n’est, en effet, que si cette situation est définitive que l’administration aura à assumer une obligation de reclassement. Dans le cas contraire, il y aura application des règles ordinaires relatives à la conciliation entre problèmes de santé et vie professionnelle (arrêt de travail pour maladie, mise en place d’un temps partiel pour raison de santé, …).

Pour déterminer qui doit procéder à ce constat médical, la jurisprudence s’en remet habituellement aux dispositions statutaires qui régissent la situation de l’agent. Il pourra, ainsi, s’agir d’un comité médical spécifique à l’organisme employeur (comme dans l’affaire CCI de Meurthe-et-Moselle) ou, tout simplement, du service de la médecine du travail.

B – Une étape commune : la recherche d'un reclassement

C’est, là, l’élément essentiel du dispositif : avant de pouvoir licencier l’agent, l’administration doit, préalablement, chercher à le reclasser. Il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat. En d’autres termes, l’employeur n’est pas tenu, à la fin du processus, de reclasser effectivement l’agent, mais il doit déployer toutes les diligences nécessaires pour chercher et, si cela est possible, proposer un reclassement.

Des jurisprudences récentes ont précisé la teneur et la durée de l’emploi éligible au reclassement. 

a / S’agissant de la teneur de l’emploi proposé, les exigences varient selon le motif qui justifie l’obligation de reclassement.

Dans le cas d’un reclassement motivé par la suppression du poste ou son attribution à un fonctionnaire, le juge administratif exige que l’administration propose « un emploi de niveau équivalent ». Il faut entendre par là, selon les conclusions du rapporteur public sous l’arrêt Mme. S, que « les postes proposés doivent notamment être en rapport avec la qualification et le rang hiérarchique du salarié » (exigence posée par les arrêts Mme. S et Ministre de l’Eduction nationale de 2013).

Dans l’hypothèse d’une inaptitude physique, la jurisprudence originelle CCI de Meurthe-et-Moselle évoquait simplement un reclassement « dans un autre emploi ». Le Conseil d’Etat est venu préciser les exigences pesant sur l’administration en pareille hypothèse : ainsi, l’employeur doit proposer à l’agent « un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé » (CE, 19/05/2017, M. B A). Logiquement, la Haute juridiction ne reprend pas l’exigence d’un emploi de niveau équivalent puisque l’agent peut être inapte au niveau des fonctions occupées antérieurement et non à des fonctions de niveau inférieur. L’année suivante, le Conseil d’Etat a précisé que cette proposition de reclassement s’applique « sauf si l’agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle » (CE, 25/05/2018, n° 407336).

Dans chacune de ces deux hypothèses, le juge administratif prévoit que si aucun emploi respectant ces exigences n’est disponible, l’administration peut proposer à l’agent « tout autre emploi ». Le juge fait, cependant, une distinction selon le motif de reclassement : dans l’hypothèse où le reclassement est justifié par l’attribution du poste à un fonctionnaire ou sa suppression, c’est l’agent qui doit demander cet autre emploi, alors que dans l’hypothèse de l’inaptitude physique, c’est l’administration qui doit le proposer sans que ne soit prévue une demande de l’intéressé.

b / S’agissant de la durée de l’emploi proposé, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque l’agent bénéficie d’un CDI, cette caractéristique du contrat doit être maintenue suite au reclassement (CE, 13/06/2016, Mme. T D). Il s’agissait dans cette affaire d’un reclassement pour inaptitude physique, mais la lecture des conclusions du rapporteur public permet de penser que cette solution est aussi applicable à l’hypothèse visée par les deux arrêts frères de 2013.

C – Une possible dernière étape : le licenciement

Lorsque le reclassement s’avère impossible, faute d’emploi vacant, ou si l’agent refuse la proposition qui lui est faite, ce dernier est, alors, licencié. Ce licenciement s’effectue selon les dispositions légales applicables à l’intéressé, en termes, notamment, de préavis ou, encore, d’indemnités.

Le Conseil d’Etat a précisé, en 2018, s’agissant de l’hypothèse spécifique de l’inaptitude physique, « que ce n’est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu’il n’existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l’intéressé, soit que l’intéressé est déclaré inapte à l’exercice de toutes fonctions ou soit que l’intéressé refuse la proposition d’emploi qui lui est faite, qu’il appartient à l’employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l’intéressé, son licenciement » (CE, 25/05/2018, n° 407336).

IV – Quel est l'apport des textes au droit au reclassement ?

Depuis que le Conseil d’Etat a consacré le principe général du droit au reclassement et étendu son champ d’application, le contexte législatif et réglementaire a considérablement évolué. Le législateur n’est, en effet, pas resté insensible à cette avancée majeure et a confié au pouvoir règlementaire la charge d’organiser une obligation de reclassement au profit de l’ensemble des agents contractuels de droit public (art. 49 de la loi du 12/03/2012). Sur cette base, ont été adoptés deux décrets : l’un du 3/11/2014 relatif aux agents contractuels de l’Etat, l’autre du 29/12/2015 applicable aux agents contractuels de la fonction publique territoriale. 

Ces décrets, dont les dispositions en matière de reclassement sont communes aux agents contractuels de l’Etat et des collectivités locales, reprennent, précisent et, parfois, élargissent ce que le juge administratif a élaboré via le prisme du PGD.

Quatre points doivent, alors, retenir l’attention :

  • agents concernés : il s’agit des agents recrutés pour occuper un emploi permanent, qu’ils soient bénéficiaires d’un CDI ou d’un CDD (ce qui constitue une nouveauté par rapport au PGD) ; dans l’hypothèse d’un CDD, l’obligation de reclassement ne vaut, cependant, que pour la période restant à courir jusqu’au terme du contrat
  • situations visées (ces situations constituent autant de motifs valables de licenciement) :
    o    inaptitude physique (reprise de la jurisprudence CCI de Meurthe-et-Moselle de de 2002)
    o    disparition du besoin ou suppression de l’emploi qui a justifié le recrutement de l’agent (reprise de la jurisprudence Ministre de l’Education nationale de 2013)
    o    transformation du besoin ou de l’emploi qui a justifié le recrutement, lorsque l’adaptation de l’agent au nouveau besoin n’est pas possible (extension de la jurisprudence Ministre de l’Education nationale de 2013)
    o    recrutement d’un fonctionnaire afin de pourvoir un emploi occupé par un agent contractuel (reprise de la jurisprudence Mme. S de 2013)
    o    refus par l’agent d’une modification d’un élément substantiel du contrat (nouveauté)
  • emplois pouvant être proposés :
    o    dispositions communes : l’emploi doit être de ceux qui peuvent être légalement occupés par un agent contractuel ; le reclassement doit être effectué sur un emploi de la même catégorie hiérarchique ou, à défaut et avec l’accord express de l’agent, sur un emploi d’une catégorie inférieure ; l’emploi doit relever des services de l’autorité territoriale ou étatique employeuse
    o    teneur de l’emploi en cas d’inaptitude physique : l’emploi doit être adapté à l’état de santé de l’agent et compatible avec ses compétences professionnelles
    o    teneur de l’emploi pour les autres motifs : l’emploi doit être compatible avec les compétences professionnelles de l’agent
  • procédure de reclassement :
    o    uniquement en cas d’inaptitude physique : constat médical par un médecin agréé
    o    convocation de l’agent à un entretien préalable pour l’informer qu’un licenciement est envisagé
    o    consultation de la commission consultative paritaire compétente
    o    notification par lettre de la décision de licenciement : cette lettre doit indiquer à l’agent la possibilité de déposer une demande de reclassement
    o    recherche et, le cas échéant, proposition d’un emploi de reclassement si l’agent en a fait la demande
    o    en cas de refus de l’emploi proposé ou en cas d’impossibilité de reclassement, l’agent est licencié

 

A l’heure actuelle, le Conseil d’Etat n’a pas encore eu à statuer sur un litige né postérieurement à l’entrée en vigueur de ces deux décrets. Les solutions à venir permettront d’apprécier la manière dont la Haute juridiction va réceptionner ces dispositions. La question peut, en effet, se poser dans la mesure où ces décrets constituent des dispositions règlementaires par nature astreintes au respect des principes généraux du droit (conf. la thèse de la valeur infra-législative et supra-décrétale des PGD du professeur Chapus). En théorie, le juge administratif pourrait, donc, censurer ou, à tout le moins, interpréter conformément au principe dégagé en 2002 les dispositions dont les exigences lui apparaîtraient moindres que les siennes.