Introduction
L’émergence de l’ordre juridictionnel administratif résulte d’un lent processus de maturation historique. Si le Conseil d’Etat et les Conseils de préfecture ont été créés dès l’An VIII, il a fallu attendre la loi du 24/05/1872 pour que le premier acquiert le statut de véritable juridiction. Et, ce n’est que dans la seconde moitié du XX° siècle que la structure actuelle de cet ordre a été parachevée.
De nos jours, il existe des Tribunaux administratifs, des Cours administratives d’appel, le Conseil d’Etat, ainsi que des juridictions administratives spécialisées. Les premiers ont été créés en 1953 en lieu et place des anciens Conseil de préfecture : ils sont les juges de droit commun du contentieux administratif en première instance, un rôle qui jusque-là était confié au Conseil d’Etat. Les Cours administratives d’appel ont été mises en place en 1987 et sont compétentes pour connaître des appels formés contre les jugements des Tribunaux administratifs, compétence relevant auparavant du Conseil d’Etat. S’il est, alors, aujourd’hui, principalement un juge de cassation, le Conseil d’Etat conserve des traces de ce passé, puisqu’il garde des compétences en premier et dernier ressort, ainsi qu’en appel. Quant aux juridictions administratives spécialisées, elles répondent au souci de confier certains contentieux à forte technicité à des juges spécialement qualifiés à cet effet.
A côté de cette fonction contentieuse, les juridictions administratives à compétence générale, c’est-à-dire les Tribunaux administratifs, les Cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat, exercent également des fonctions consultatives. Ce n’est, cependant, que dans le cas du Conseil d’Etat qu’elle revêtent un rôle majeur.
Il convient donc d’étudier les Tribunaux administratifs (I), les Cours administratives d’appel (II), le Conseil d’Etat (III) et les juridictions administratives spécialisées (IV).
I – Les Tribunaux administratifs
Les Tribunaux administratifs ont été créés par le décret-loi du 30/09/1953 en remplacement des anciens Conseils de préfecture institués en l’An VIII dont la qualité du travail apparaissait insatisfaisante. L’objectif d’amélioration de la qualité de la justice administrative semble avoir été atteint puisque à peine plus de 15 % de leurs jugements sont frappés d’appels. Cette situation s’explique, principalement, par un mode de recrutement plus exigeant. Les magistrats des Tribunaux administratifs sont, en effet, recrutés par la voie de l’ENA, par des concours spécifiques, par le détachement de fonctionnaires de catégorie A et de magistrats judiciaires et par le tour extérieur qui est un accès direct réservé aux fonctionnaires de catégorie A. Sur le plan statutaire, ces magistrats disposent, depuis la loi du 06/01/1986, de la garantie d’inamovibilité. Et, leur avancement et leur régime disciplinaire sont assurés par un Conseil supérieur des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel.
Deux problèmes doivent, ici, retenir l’attention : l’organisation des Tribunaux administratifs (A) et leurs attributions (B).
A – L'organisation des Tribunaux administratifs
L’on dénombre actuellement 42 Tribunaux administratifs : 31 sont situés en métropole et 11 sont implantés en outre-mer. Cette situation se révèle insatisfaisante étant donné le nombre de recours déposés chaque année. Ainsi, bien que le délai prévisible moyen de jugement soit aujourd’hui en général d’un an (plus précisément, neuf mois et dix-sept jours en 2023), la situation est telle que des affaires sans difficultés particulières sont parfois jugées plusieurs années après le dépôt du recours. Cette situation a, d’ailleurs, valu à la France plusieurs condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’homme.
Les Tribunaux administratifs comportent une ou plusieurs chambres, nom que l’on donne à leurs formations de jugement. Leur nombre varie selon le ressort territorial du Tribunal et est fixé par arrêté du vice-président du Conseil d’Etat. Ainsi, le Tribunal administratif de Paris en compte dix-sept et les autres d’une à dix. Chaque chambre comprend trois juges (un président, un conseiller et un conseiller rapporteur), auxquels est rattaché un rapporteur public. Les affaires les plus simples sont jugées par une seule chambre. Celles qui sont plus complexes sont réglées par deux ou plusieurs chambres réunies, voire en formation plénière, c’est-à-dire toutes les chambres réunies. Il en résulte que toute affaire doit être jugée par au moins trois magistrats.
Ce principe de collégialité a fait l’objet de nombreuses entorses par la loi du 08/02/1995. Cette dernière prévoit, en effet, qu’un juge unique, le président du Tribunal ou tout magistrat qu’il désigne, peut statuer seul, même en dehors de toute urgence, sur certains litiges. Il en va, ainsi, des litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics (hors ceux afférents à l’entrée au service, à la discipline et à la sortie de service), des litiges en matière de pensions, d’aide personnalisée au logement, de communication de documents administratifs et de service national, des litiges relatifs à la redevance audiovisuelle et aux impôts locaux (hors cotisation foncière des entreprise), des actions indemnitaires lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur à 10 000 € ou, encore, du contentieux du permis de conduire.
B – Les attributions des Tribunaux administratifs
A l’instar du Conseil d’Etat, les Tribunaux administratifs exercent des attributions consultatives et contentieuses. La coexistence de ces deux fonctions peut, dans certains cas, poser des problèmes d’impartialité. Aussi, le Conseil d’Etat a posé un principe de non-cumul des fonctions consultatives et contentieuses vis-à-vis des mêmes affaires (CE, sect., 05/04/1996, Synd. des Avocats de France).
Les Tribunaux administratifs peuvent, ainsi, être facultativement consultés par le préfet. Mais, de telles demandes sont, dans les faits, extrêmement rares. Ils peuvent également donner des avis aux collectivités locales. Le législateur leur a aussi, récemment, confié un rôle de médiation qui n’a, cependant, pas rencontré le succès attendu.
Mais, leurs attributions les plus importantes restent celles qu’ils exercent en matière contentieuse. Ils sont, en effet, depuis 1953 les juges de droit commun du contentieux administratif en première instance (en lieu et place du Conseil d’Etat). De ce point de vue, leurs compétences vont au-delà de celles des anciens Conseils de préfecture, puisque ces derniers n’avaient qu’une compétence d’attribution limitée à certaines matières spécifiques (travaux publics, contributions directes, contentieux des collectivités locales et contrats comportant occupation du domaine public). Cela signifie qu’à présent tous les litiges administratifs doivent être portés en première instance devant les Tribunaux administratifs, à l’exception de ceux réservés au Conseil d’Etat.
II – Les Cours administratives d'appel
Jusqu’en 1987, la compétence pour juger les appels formés contre les jugements des Tribunaux administratifs relevait du Conseil d’Etat. Mais, face à l’engorgement du prétoire de la Haute juridiction, il fut décidé de créer des Cours administratives d’appel à qui le législateur confia, par la loi du 31/12/1987 portant réforme du contentieux administratif, la compétence de principe en matière d’appel, le Conseil d’Etat ne conservant que des compétences résiduelles (B). Sur le plan organisationnel, ces Cours présentent les mêmes caractéristiques que les Tribunaux administratifs (A).
A – L'organisation des Cours administratives d'appel
L’on dénombre actuellement neuf Cours administratives d’appel. Cinq furent créées immédiatement après la réforme de 1987 à Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes et Nancy. Ce maillage territorial s’avéra, cependant, très vite insuffisant. Aussi, quatre autres furent, par la suite, implantées à Marseille, Douai, Versailles et Toulouse.
Chaque Cour comprend plusieurs chambres dont le nombre est fixé par arrêté du vice-président du Conseil d’Etat. Chacune de ces chambres comprend cinq magistrats, mais trois magistrats suffisent pour valablement délibérer. Les affaires les plus simples sont réglées par une seule chambre. Mais, les affaires plus importantes sont jugées par plusieurs chambres réunies, voire en formation plénière qui réunit le président de la Cour et les présidents de chambre.
Les magistrats des Cours administratives d’appel appartiennent au même corps que ceux affectés aux Tribunaux administratifs et bénéficient des mêmes garanties. Ils sont recrutés parmi les membres de ces Tribunaux, sans condition d’ancienneté. Et, ils sont chapeautés par un président de Cour qui est obligatoirement un conseiller d’Etat : il peut s’agir d’un conseiller d’Etat en service ordinaire ou d’un membre du corps des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel promu, pour l’occasion, conseiller d’Etat.
B – Les attributions des Cours administratives d'appel
Comme toute juridiction administrative, les Cours administratives exercent des compétences en matière consultative et contentieuse.
Les premières sont marginales. En effet, si elles peuvent émettre des avis sur les questions qui leurs sont soumises par le préfet de région, cette faculté n’est que rarement usitée. Comme les Tribunaux administratifs, elles ont également depuis 2016 un rôle de médiation.
Leurs fonctions principales sont donc de nature contentieuse. Elles sont, ainsi, les juges d’appel de droit commun contre les jugements rendus par les Tribunaux administratifs, en lieu et place du Conseil d’Etat qui ne conserve que des compétences résiduelles, notamment en matière d’élections municipales et cantonales. Le transfert des compétences d’appel du Conseil d’Etat vers les Cours administratives d’appel s’est fait en trois temps. La loi du 31/12/1987 leurs a, d’abord, transféré la compétence d’appel en matière de plein contentieux et de contentieux de la répression des contraventions de grande voirie. Le décret du 17/03/1992 leurs a, ensuite, reconnu la compétence pour juger en appel les recours pour excès de pouvoir en matière de mesures non règlementaires. Enfin, la loi du 08/02/1995 leurs a, finalement, confié l’appel contre les jugements des Tribunaux administratifs rendus sur les recours en excès de pouvoir contre les mesures règlementaires.
En marge de ce rôle de juge d’appel, les Cours administratives d’appel peuvent, depuis la loi du 13/12/2011, se voir également confier, par décret en Conseil d’Etat, le jugement, en premier et dernier ressort, de certains litiges en raison de leur objet ou de l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Un décret du 08/01/2016 a, ainsi, attribué à la Cour administrative d’appel de Nantes le contentieux des éoliennes en mer.
III – Le Conseil d'Etat
Le Conseil d’Etat a été créé par la Constitution de l’An VIII. Doté d’un simple rôle de conseiller du Gouvernement au départ, sa fonction contentieuse s’est affirmée lorsque la loi du 24/05/1872 lui a confié la justice déléguée faisant de lui une juridiction à part entière. Cette dualité se retrouve, aujourd’hui, dans son organisation (A), sa composition (B) et, bien sûr, dans ses attributions (C).
A – L'organisation du Conseil d'Etat
Le Conseil d’Etat est composé de sept sections : les six premières sont chargées de fonctions administratives (1), le septième de la fonction contentieuse (2).
1 – Les formations administratives
C’est à travers les formations administratives que le Conseil d’Etat exerce la fonction première qui a été la sienne : celle de conseiller du Gouvernement. Depuis la révision constitutionnelle du 23/07/2008, cette fonction s’exerce également au profit du Parlement : l’article 39 de la Constitution de 1958 prévoit, en effet, que « le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose ».
Pour exercer cette mission, le Conseil d’Etat dispose de six sections qui sont chacune spécialisées dans un domaine précis : intérieur, finances, travaux publics, social, rapports et études, administration. Ces sections se prononcent sur les questions et textes qui relèvent de leur champ de compétence. Cependant, lorsque les problèmes et textes présentent une importance particulière (par exemple, les projets de lois et d’ordonnances), l’avis est rendu par l’assemblée générale du Conseil d’Etat. Celle-ci siège, en principe, en formation ordinaire et est, alors, composée d’une trentaine de membres (dont le vice-président du Conseil d’Etat et les sept présidents de section) Elle peut aussi siéger en formation plénière, qui comporte l’ensemble des membres du Conseil d’Etat, pour les affaires d’une importance exceptionnelle. Enfin, en cas d’urgence, une commission permanente est chargée de rendre les avis.
La procédure suit une démarche en trois temps. Un rapporteur analyse le projet de texte et le remanie. Le représentant du Gouvernement intervient pour défendre le projet. Et, le section (ou l’assemblée générale) vote sur le projet remanié.
2 – Les formations contentieuses
Les formations contentieuses ont pour rôle, comme leur nom l’indique, de juger les affaires juridictionnelles soumises au Conseil d’Etat. Cette mission est exercée par la septième section de la Haute juridiction, appelée section du contentieux, qui se compose de dix sous-sections, dénommées chambres depuis la loi du 20/04/2016.
Les formations de jugement retenues sont variables et fonction de l’importance de l’affaire. Ainsi, les affaires très simples sont jugées par une seule chambre dont trois membres au moins doivent être présents. Les autres affaires sont renvoyées devant deux ou plusieurs chambres réunies qui doivent comporter au moins cinq magistrats. Les affaires les plus importantes sont jugées par l’une des deux formations solennelles dont les arrêts font, alors, jurisprudence. La première est la section du contentieux en formation du jugement. Chargée de se prononcer sur les affaires présentant des difficultés juridiques, elle comprend quinze membres : le président et les trois présidents adjoints de la section, les dix présidents de chambres et le rapporteur ; neuf au moins de ces membres doivent être présents pour qu’elle puisse valablement délibérer. Les affaires d’une importance exceptionnelle sont, elles, jugées par l’assemblée du contentieux, ce qui confère à l’arrêt rendu une solennité particulière. Depuis le décret du 06/03/2008, elle se compose de dix-sept membres : le vice-présent du Conseil d’Etat, les sept présidents de section, les trois présidents adjoints de la section du contentieux, le président de la chambre chargée de l’instruction, quatre autres présidents de chambre et le rapporteur de l’affaire. Un quorum de neuf magistrats doit ici aussi être réuni. Il est à noter qu’il existe, depuis la loi du 24/07/2015, une formation spécialisée dans le contentieux des techniques de recueil de renseignements.
L’ensemble de ces formations se caractérisent par leur collégialité. Dans le souci d’améliorer l’efficacité de la justice administrative, la loi du 13/12/2011 a, toutefois, reconnu la possibilité pour un juge unique de régler, par ordonnance, les affaires dont la nature ne justifie pas l’intervention d’une formation collégiale. Il peut s’agir du président de la section du contentieux, de l’un de ses adjoints, de n’importe quel président de chambre ou de tout autre conseiller d’Etat.
B – La composition du Conseil d'Etat
Le Conseil d’Etat compte des membres ordinaires (1) et des membres extraordinaires (2). Ceux-ci sont chapeautés par le président du Conseil d’Etat qui n’est autre que le Premier ministre. Mais, dans les faits, la présidence est assurée par un vice-président qui est un magistrat choisi par décret en Conseil des ministres parmi les présidents de section et les conseillers d’Etat en service ordinaire
1 – Les membres ordinaires
Les membres ordinaires du Conseil d’Etat sont les plus nombreux. Ils se composent, par ordre hiérarchique, d’auditeurs, de maîtres des requêtes et de conseillers d’Etat. S’ils n’ont pas la garantie d’inamovibilité, le Gouvernement respecte, cependant, traditionnellement leur indépendance. Et, la pratique de l’avancement à l’ancienneté est, également, de nature à assoir leur autonomie vis-à-vis du pouvoir politique.
Les auditeurs sont nommés par arrêté du vice-président du Conseil d'État pour une durée de trois ans non renouvelable. Ils sont recrutés parmi les membres du corps des administrateurs de l'État, notamment. La procédure de nomination des auditeurs au Conseil d'État a été modifiée par l'ordonnance du 2 juin 2021. Auparavant, les postes d’auditeurs étaient offerts aux élèves sortants de l’ENA. Les maîtres des requêtes sont nommés par décret du président de la République. Ils sont recrutés selon trois voies d'accès : une voie réservée aux auditeurs ayant exercé trois ans, une voie ouverte à des personnes ayant exercé pendant au moins quatre ans les fonctions de maître des requêtes en service extraordinaire, une voie réservée aux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Et, les conseillers d’État sont nommés par décret du président de la République en conseil des ministres. Ils sont principalement recrutés parmi les maîtres des requêtes ayant exercé 12 années et accompli leur mobilité statutaire.
Les membres ordinaires exercent indifféremment des fonctions administratives et des fonctions contentieuses, parfois même de façon simultanée. Ce principe de la double appartenance est de nature à conférer aux juges une bonne connaissance des rouages de l’administration. Mais, il peut aussi poser des problèmes d’impartialité. La Cour européenne des droits de l’homme a, ainsi, reconnu le manque d’impartialité du Conseil d’Etat du Luxembourg au motif que quatre des cinq membres composant le Comité du contentieux avaient auparavant siégé dans la formation consultative du Conseil ayant émis un avis sur le texte objet du recours (CEDH, 28/09/1995, Procola / Luxembourg). Aussi, le décret du 06/03/2008 a consacré une règle déjà appliquée dans les faits aux termes de laquelle « les membres du Conseil d’Etat ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre des actes pris après avis du Conseil d’Etat s’ils ont pris part à la délibération de ces avis ».
2 – Les membres extraordinaires
Les membres extraordinaires se divisent en deux catégories. L’on rencontre, d’abord, douze membres nommés par le Gouvernement pour cinq ans non renouvelable parmi des personnalités qualifiées, dont des professeurs de droit. Leur influence est, cependant, limitée dans la mesure où ils ne peuvent participer qu’aux formations administratives.
La loi du 20/04/2016 a créé une seconde catégorie de membres extraordinaires. Au nombre de quatre, ils sont choisis par un comité indépendant présidé par le vice-président du Conseil d’Etat parmi des juristes justifiant d’au moins 25 années d’activité professionnelle. A la différence des premiers, ils exercent la fonction de juge.
C – Les attributions du Conseil d'Etat
Les attributions du Conseil d’Etat respectent la dualité de son organisation : celui-ci dispose, ainsi, d’attributions consultatives (1) et contentieuses (2).
1 – Les attributions consultatives
C’est la fonction originelle du Conseil d’Etat, celle par laquelle il exerce son rôle de conseiller du Gouvernement. Sa consultation est tantôt obligatoire, tantôt facultative.
Dans la première hypothèse, le Conseil d’Etat est obligatoirement saisi pour avis sur les projets de lois (art. 34 Const.) et les projets d'ordonnances (art. 38 Const.). Il en va de même s’agissant des mesures règlementaires que sont les décrets modifiant les lois antérieures à 1958 (art. 37 Const.) et les décrets auxquels une loi renvoie pour fixer ses principales mesures d’application. S’agissant de cette seconde catégorie de décrets que l’on nomme des décrets en Conseil d’Etat, l’omission de consultation de la Haute cour entache l’acte administratif de vice de compétence : le Conseil d’Etat se considère, en effet, ici comme co-auteur de l’acte. De plus, si le Gouvernement n’est pas tenu de suivre l’avis émis, il ne peut retenir que le texte modifié par le Conseil d’Etat ou son projet initial, mais pas un troisième texte sur lequel le Conseil d’Etat ne se serait pas prononcé.
Dans la seconde hypothèse, le Gouvernement peut librement soumettre au Conseil d’Etat un projet de règlement ou de mesure individuelle. Cette démarche vise à s’assurer de la conformité du projet de texte au droit, de manière à limiter les risques d’une annulation contentieuse future. Le pouvoir exécutif peut également saisir la Haute juridiction de questions présentant des difficultés particulières : cela fut, notamment, le cas à propos du voile intégral et des questions de bioéthique. Ces avis n’ont pas un caractère public. Mais, le Gouvernement peut en décider autrement lorsque les questions intéressent l’opinion publique. A côté de ces demandes d’avis, le Conseil d’Etat peut également, via sa section Rapport et études, proposer, spontanément ou sur demande du Premier ministre, des études sur des points particuliers.
2 – Les attributions contentieuses
Les compétences du Conseil d’Etat en matière contentieuse apparaissent étroitement marquées par l’histoire du contentieux administratif. En effet, elles ont évolué au fur et à mesure de la construction de l’ordre juridictionnel administratif de sorte que, s’il est aujourd’hui essentiellement un juge de cassation, le Conseil d’Etat conserve des compétences en premier et dernier ressort, ainsi qu’en appel. La loi du 31/12/1987 fait également de lui un juge de renvoi.
Le Conseil d’Etat est, ainsi, d’abord un juge de premier et dernier ressort. Si la compétence de principe en la matière a été transférée aux Tribunaux administratifs lors de leur création en 1953, le juge administratif suprême est demeuré un juge de premier et dernier ressort dans un grand nombre d’hypothèses. C’est, ainsi, le cas pour les recours contre les décrets et les ordonnances avant leur ratification, les règlements ou les circulaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale, les actes administratifs de certaines autorités administratives indépendantes dans l’exercice de leur mission de régulation ou de contrôle (comme l’Autorité de la concurrence ou la CNIL), les décisions ministérielles prises en matière de concentration économique, les décisions de sanction prononcées par certaines autorités administratives indépendantes, les litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du président de la République et le contentieux des élections au Parlement européen et aux conseils régionaux. Le Conseil d’Etat est, également, logiquement compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours en interprétation ou en appréciation de légalité qui se rapportent à l’un de ces actes. Le Conseil d’Etat est, enfin, compétent en premier et dernier ressort pour les actions en responsabilité dirigées contre l’Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative et pour les recours dirigés contre les décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer.
Le Conseil d’Etat conserve également des compétences en appel, bien qu’ici aussi, la compétence de principe ait été transférée aux Cours administratives d’appel lors de leur création en 1987. Il connaît, ainsi, des appels formés contre les jugements des Tribunaux administratifs en matière d’élections municipales et cantonales et en matière de recours en interprétation ou en appréciation de la légalité formés dans le cadre de questions préjudicielles. L’attribution de ces deux compétences s’explique par la nécessité d’assurer un traitement rapide de ces contentieux particulièrement urgents. Pour les mêmes raisons, le président de la section du contentieux est également juge d’appel en matière de référé-liberté.
Depuis 1987, le Conseil d’Etat est donc devenu principalement un juge de cassation. Le pourvoi en cassation peut s’exercer contre les jugements des Cours administratives d’appel, mais aussi contre les jugements rendus en dernier ressort par les juridictions administratives spécialisées. Un tel pourvoi est également possible contre les jugements rendus en dernier ressort par les Tribunaux administratifs, lesquels concernent certaines affaires de faible importance et les contentieux indemnitaires de moins de 8 000 €.
Enfin, depuis 1987, le Conseil d’Etat est aussi un juge de renvoi. En effet, la loi du 31/12/1987 permet aux Tribunaux administratifs et aux Cours administratives d’appel de saisir, par un jugement qui n’est susceptible d’aucun recours, le Conseil d’Etat de toute « question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Cette procédure vise à permettre au Conseil d’Etat de se prononcer par anticipation sur des questions particulièrement difficiles sans attendre que l’affaire soit portée devant lui par la voie de la cassation. La réponse du Conseil d’Etat n’est, cependant, qu’un simple avis que la juridiction à l’origine de la saisine est libre de suivre ou non. Mais, dans les faits, l’on constate que ces avis sont toujours respectés. La raison en est qu’ils annoncent la solution que le Conseil d’Etat retiendra si la question lui est posée au contentieux.
IV - Les juridictions administratives spécialisées
Certains contentieux particuliers sont, parfois, jugés non par les juridictions administratives à compétence générale, mais par des juridictions administratives spécialisées. Ce choix s’explique par plusieurs raisons. Il peut s’agir tout simplement d’alléger la charge de travail des juges administratifs ordinaires. Le plus souvent, cependant, leur création tient au degré de technicité particulièrement poussé de certaines matières qui nécessite, alors, le recours à des juges spécifiquement qualifiés pour en connaître : le cas de la Cour des comptes est, de ce point de vue, particulièrement typique. Enfin, il peut s’agir de faire participer les justiciables au jugement des affaires : c’est, notamment, le cas des juridictions administratives spécialisées dans le domaine disciplinaire.
Ces juridictions sont diverses et variées. Mais, dans tous les cas, les décisions qu’elles rendent en dernier ressort peuvent, en vertu d’un principe général du droit, faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (CE, ass., 07/02/1947, d’Aillières). Sans être exhaustif, plusieurs exemples de juridictions administratives spécialisées peuvent être donnés.
La plus célèbre reste la Cour des comptes créée en 1807 et chargée de juger l’ensemble des gestionnaires publics depuis la réforme instituée par l’ordonnance du 23/03/2022 (fusionnant le régime de responsabilité des comptables publics et celui des ordonnateurs).
Autre exemple, la Cour nationale du droit d’asile est compétente pour juger les décisions prises par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides). Cette juridiction, particulièrement sollicitée, juge, notamment, les décisions par lesquelles l’OFPRA refuse d’accorder à un étranger le statut de réfugié politique.
Enfin, le domaine disciplinaire se révèle être un terrain particulièrement propice à l’instauration de telles juridictions. L’on peut citer : le Conseil supérieur de la magistrature siégeant en conseil de discipline ou, encore, les conseils nationaux et régionaux des ordres professionnels statuant en formation disciplinaire.
