Introduction
Bien que les décisions rendues par le juge administratif soient revêtues de l’autorité de la chose jugée, il arrive que l’une des parties refuse d’en assurer l’exécution. Cette situation est sans conséquence majeure lorsque ce refus est le fait d’un administré puisque la force publique est là pour vaincre cette résistance. Elle est, en revanche, plus ennuyeuse lorsque l’inexécution de la décision découle de la mauvaise volonté de l’administration.
Pendant longtemps, les justiciables n’ont guère trouvé de réponse à ce type de problème devant le juge administratif. En effet, ce dernier était, à l’inverse du juge judiciaire, réticent à adresser des mesures coercitives à l’administration récalcitrante et se contentait soit d’annuler le refus d’exécuter la décision juridictionnelle, soit d’accorder une indemnité à la victime de l’inexécution sur le fondement de la responsabilité pour faute.
Aussi, ce sont les textes qui ont, progressivement, conféré au juge administratif des pouvoirs permettant de vaincre la résistance de l’administration : il s’agit de pouvoirs d’incitation (I) et de pouvoirs de contrainte (II).
I – Les pouvoirs d'incitation
Ce sont là les premiers moyens que les textes ont donné au juge administratif pour faciliter l’exécution de ses décisions juridictionnelles. Ces mécanismes de persuasion recouvrent trois voies différentes.
La première permet à une administration sanctionnée par un jugement administratif de demander au Conseil d’Etat ou à un président de Tribunal administratif ou de Cour administrative d’appel « d’éclairer l’administration sur les modalités d’exécution de la décision de justice » qui lui est défavorable. Bien que très ouvert puisque s’appliquant aux décisions de n’importe quelle juridiction administrative, ce moyen est peu utilisé dans les faits.
La deuxième voie a, elle, rencontré un réel écho. Les requérants peuvent, ainsi, après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification de la décision de jugement, saisir d’une demande d’exécution, soit les tribunaux et cours administratives d’appel pour leurs propres décisions, soit le Conseil d’Etat pour ses propres arrêts et les décisions des juridictions administratives spécialisées. Par cette saisine, le juge administratif est informé des difficultés rencontrées dans l’exécution de la décision rendue. Il peut, alors, accomplir toutes diligences auprès de l’administration récalcitrante pour assurer l’exécution de la décision en cause. Ce n’est qu’en cas d’échec de ces démarches qu’une phase juridictionnelle contraignante s’ouvrira.
Enfin, même en l’absence d’une telle demande, le président de la section du rapport et des études peut demander à l’administration de justifier de l’exécution d’une décision du Conseil d’Etat et, le cas échéant, faire exécuter toutes diligences en vue d’obtenir cette exécution. L’échec de celles-ci déclenchera une procédure juridictionnelle contraignante.
II – Les pouvoirs de contrainte
Ces pouvoirs de contrainte ont été conférés au juge administratif par la loi du 16/07/1980 et celle du 08/02/1995. L’on distingue les pouvoirs de contrainte au paiement (A) et les pouvoirs d’injonction et d’astreinte (B).
A – Les pouvoirs de contrainte au paiement
Ces pouvoirs peuvent être mis en œuvre lorsqu’une décision passée en force de chose jugée a condamné une personne publique à payer une somme d’argent dont elle a fixé le montant. En principe, l’ordonnateur de cette administration doit precrire au comptable public de payer cette somme dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. Si tel n’est pas le cas, les choses varient selon que la personne publique débitrice est une collectivité locale ou l’Etat. Dans la première hypothèse, l’autorité de tutelle doit procéder au mandatement d’office de la somme. Dans la seconde, le comptable assignataire de la dépense doit, sur présentation de la décision juridictionnelle par le créancier, procéder au paiement, sous peine de se voir infliger une amende.
La jurisprudence a, toutefois, exclu l’utilisation, en la matière, des pouvoirs d’injonction et d’astreinte (CE, 06/05/1998, Lother). Autrement dit, il n’est pas possible de demander au juge administratif d’enjoindre à l’administration, éventuellement sous astreinte, d’exécuter un jugement portant condamnation pécuniaire, à moins que celui-ci ne fixe pas précisément le montant de la somme due ou que le calcul de celle-ci soulève une difficulté sérieuse. Mais, dans les faits, cette règle n’est appliquée ni par les juges du fond, ni par le Tribunal des conflits. Il en va de même parfois du Conseil d’Etat.
B – Les pouvoirs d'injonction et d'astreinte
Le pouvoir d’injonction est très récent. En effet, le juge administratif, à l’inverse du juge judiciaire, ne s’est jamais reconnu le pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration. Cette situation s’expliquait par le principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active sur la base duquel le Conseil d’Etat considérait qu’adresser des injonctions à l’administration revenait à faire œuvre d’administrateur. Mais, cette position était critiquable dans la mesure où ordonner à l’administration de prendre des mesures pour assurer l’exécution d’une décision de justice n’est rien d’autre que le prolongement de la fonction de juger. Aussi, il a fallu l’intervention de la loi du 08/02/1995 pour qu’un tel pouvoir soit consacré.
Désormais, les juridictions administratives à compétence générale peuvent à la demande des requérants ou même d’office ordonner, dans la décision elle-même, les mesures d’exécution nécessaires, assorties le cas échéant d’une astreinte. Le juge administratif peut, ainsi, prescrire l’accomplissement, dans le délai qu’il fixe, soit d’une mesure d’exécution dans un sens déterminé lorsque le jugement place l’administration en situation de compétence liée, soit d’une mesure quelconque après une nouvelle instruction lorsqu’il lui laisse le choix entre plusieurs solutions. L’exécution peut, également, être ordonnée postérieurement à la décision. Ainsi, la partie qui se heurte à une inexécution peut, en cas d’échec de la phase conciliation, demander au juge administratif le prononcé des mêmes mesures d’injonction ou d’astreinte que lors du jugement. Par ailleurs, le Conseil d’Etat peut, même d’office, prononcer une injonction assortie d’une atreinte en cas d’inexécution de l’une de ses décisions ou d’une décision rendue par une juridiction administrative spécialisée.
Ce pouvoir d’injonction est rendu d’autant plus efficace qu’il est accompagné de la possibilité pour le juge administratif de prononcer des astreintes. Concrètement, l’astreinte consiste à condamner une personne publique ou un organisme privé chargé de la gestion d’un service public à payer une somme d’argent qui, calculée par jour, semaine ou mois, s’accroît au même rythme que le retard à exécuter la décision juridictionnelle.
