Imprégnée des conceptions des révolutionnaires de 1789, la loi a, longtemps, été, en France, un acte intouchable. Ce n’est que très récemment que celle-ci a été astreinte à un contrôle de constitutionnalité et soumise au respect des engagements internationaux. L’arrêt Société « La Fleurette » rendu par le Conseil d’Etat en 1938 participe de ce mouvement en reconnaissant, pour la première fois, la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois.
Dans cette affaire, l’article 1° de la loi du 29 juin 1934 relative à la protection des produits laitiers a interdit la fabrication et le commerce de tous les produits destinés aux mêmes usages que la crème et ne provenant pas exclusivement du lait. Cette loi a conduit la société « La Fleurette » à cesser la fabrication de son produit appelé « Gradine ». La société a, alors, saisi le Conseil d’Etat afin d’annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre de l'Agriculture sur sa demande d'indemnité formée en réparation du préjudice qui lui aurait été causé par la loi du 29 juin 1934. Le 14 janvier 1938, le Conseil d’Etat rend un arrêt d’assemblée par lequel il considère que le dommage subi par la société du fait de l’intervention de la loi de 1934 doit donner lieu à réparation.
Par cet arrêt, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, que la responsabilité sans faute de l’Etat législateur peut être engagée, alors que prévalait jusque-là le dogme de l’irresponsabilité. Comme pour la responsabilité sans faute du fait des décisions administratives régulières (arrêt Couitéas), ce régime de responsabilité se fonde sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. En d’autres termes, lorsqu’un acte, tel qu’une loi ou un acte administratif régulier, place un administré dans une situation plus défavorable que celle des autres citoyens, son dommage doit être réparé. Pour qu’il en aille ainsi, certaines conditions doivent, toutefois, être remplies : les unes tiennent à la volonté du législateur, les autres aux caractères que doit présenter le préjudice causé par l’application de la loi.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, les principes de la jurisprudence Société « La Fleurette » et d’analyser, dans une seconde partie, ses conditions d’application (II).
- I – Les principes de la jurisprudence Société « La Fleurette »
- A – Une irresponsabilité totale de l’Etat législateur jadis
- B – Une consécration de la responsabilité sans faute du fait des lois
- II – Les conditions d’application de la jurisprudence Société « La Fleurette »
- A – Des conditions tenant à la volonté du législateur appréciées plus libéralement
- B – Des conditions classiques tenant à l’anormalité du préjudice
- CE, ass., 14/01/1938, Société des produits laitiers « La Fleurette »