La prise en compte du droit international par le juge administratif est allée en s’accroissant depuis le milieu du XX° siècle, que ce soit sur le plan de l’excès de pouvoir ou sur le plan indemnitaire. L’arrêt Mme Saleh est l’occasion pour le Conseil d’Etat d’appliquer un illustre régime de responsabilité sans faute à la coutume internationale.
Dans cette affaire, Mme Saleh était employée par l’ambassade du Koweït en France. Cette dernière a licencié l’intéressée sans que l’ensemble des heures travaillées et l’indemnité de licenciement aient été payées. Mme Saleh a donc saisi le juge judiciaire qui, tant en première instance qu’en appel, lui a donné raison. Cette sentence a été possible car les juges ont estimé que l’Etat du Koweït ne bénéficiait pas d’une immunité de juridiction. En revanche, cet Etat bénéficie, sur la base d’une règle coutumière du droit public international, d’une immunité d’exécution qui empêche l’exécution de la décision du juge judiciaire. Mme Saleh n'a donc pu obtenir le paiement des sommes auxquelles l’ambassade avait été condamnée. Aussi, elle a saisi le ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie d’une demande tendant à la réparation, sur le terrain de la responsabilité sans faute de l’Etat, du préjudice causé par l’application de ladite coutume internationale. Mais, celui-ci n’a pas répondu. L’intéressée a, alors, demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision implicite de rejet du ministre. Celui-ci a, le 27 avril 2007, rejeté son recours. Mme Saleh a donc fait appel devant la cour administrative d’appel de Paris qui a, le 8 décembre 2008, confirmé le jugement rendu en première instance. Mme Saleh se pourvoit donc en cassation devant le Conseil d’Etat qui, le 14 octobre 2011, par un arrêt de section, fait droit à sa demande en reconnaissant une nouvelle hypothèse de responsabilité sans faute fondée sur l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Jusqu’à présent, ce régime de responsabilité sans faute s’appliquait aux décisions administratives régulières, aux lois et aux conventions internationales. L’apport de l’arrêt Mme Saleh est de reconnaître que la responsabilité de l’Etat peut, également, être engagée sans faute lorsqu’un dommage est causé par une coutume internationale. L’admission de cette responsabilité est, toutefois, astreinte au respect de certaines conditions : certaines sont propres à ce régime de responsabilité, d’autres concernent l’ensemble des contentieux indemnitaires relatifs à l’administration.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la consécration de la responsabilité sans faute de l’Etat du fait d’une coutume internationale (I) et d’analyser, dans une seconde partie, ses conditions d’engagement (II).
- I – La consécration de la responsabilité sans faute du fait de la coutume internationale
- A – Les préalables indispensables à la jurisprudence Mme Saleh
- B – Les principes de la jurisprudence Mme Saleh
- II – Les conditions d’engagement de la responsabilité sans faute du fait de la coutume internationale
- A – Des conditions spécifiques tenant à l’anormalité du préjudice
- B – Des conditions générales d’engagement de la responsabilité de l’Etat
- CE, sect., 14/10/2011, Mme. Saleh