Le professeur Alexandre MÉRIGNHAC définissait l’extradition comme « l’acte par lequel un État livre à un autre État intéressé à la répression d’un fait punissable un individu ou présumé coupable de ce fait pour qu’il soit jugé et puni s’il y a lieu, ou déjà condamné, afin qu’il subisse l’application de la peine encourue » (A. MÉRIGNHAC, Traité de DIP, Tome II, p. 732). La circulation des criminels dans d’autres pays du Monde, renforcée et accélérée par toute une gamme d’outils modernes, vise généralement à échapper aux peines encourues dans le pays où un crime ou délit a été commis. Il convient, avant tout, d’évoquer quelques exemples historiques plus ou moins célèbres : en 1983, l’ancien nazi Klaus Barbie est arrêté en Bolivie et extradé vers la France ; plus récemment, le lanceur d’alerte Julian Assange tente actuellement un dernier recours pour éviter l’extradition du Royaume-Uni jusqu’aux États-Unis où il risque plusieurs dizaines d’années de prison pour avoir diffusé des documents confidentiels.

La question des extraditions, par un État contractant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, est souvent posée devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Si aucun article de la Convention ne traite directement du sujet, il n’en demeure pas moins qu’une extradition peut porter indirectement atteinte à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains (article 3), mais aussi au droit au procès équitable et au recours effectif (articles 6 et 13). Par ailleurs, la question de l’extradition se pose également lorsque le justiciable risque la peine de mort dans le pays qui la demande (protocole n°6).

Dans notre affaire, le requérant M. Soering est un citoyen allemand détenu au Royaume-Uni dans l’attente d’une extradition vers l’État de Virginie (États-Unis) où il doit répondre à de multiples accusations d’assassinat. Après le meurtre de ses beaux-parents, le requérant a fui vers l’Angleterre avec sa compagne, avant d’être appréhendé par la police anglaise pour d’autres faits. Après de longs déboires et rebondissements judiciaires mêlant les autorités de plusieurs États concernés, un médecin conclut que M. Soering souffre d’une anomalie mentale qui pourrait atténuer sa responsabilité. Par une déclaration du 20 mars 1989, adressée à la Cour, le requérant précise que si le gouvernement britannique exigeait son expulsion en République fédérale d’Allemagne, c’est-à-dire son pays d’origine, il s’y plierait et n’élèverait aucune objection de fait ou de droit contre la délivrance ou l’exécution d’une ordonnance à cette fin. En revanche, il proteste contre son extradition vers les États-Unis où il ne bénéficie pas de garanties suffisantes lui permettant d’affirmer qu’il ne sera pas condamné à mort et ne subira pas des traitements inhumains ou dégradants. M. Soering a saisi la Commission le 8 juillet 1988 (requête no 14038/88). Le 11 août 1988, le président de la Commission a indiqué au gouvernement britannique, en vertu de l’article 36 du règlement intérieur, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et pour le bon déroulement de la procédure, de ne pas extrader le requérant aux États-Unis tant que la Commission n’aurait pas eu la possibilité d’examiner le dossier. Pour la Cour, il y a bien lieu de dire que la décision d’extradition violerait les dispositions de l’article 3 de la Convention (I). Cet arrêt est un véritable arrêt de principe qui mène à une jurisprudence des juges de Strasbourg, particulièrement fournie en la matière (II).

  • I - Le refus d’extradition justifié au nom de l’article 3 de la Convention
    • A - Les rapports couramment reconnus entre la procédure d’extradition et l’article 3
    • B - L’appréhension in concreto des dispositions de l’article 3
  • II - Soering c/ Royaume-Uni : un arrêt de principe inaugurant une jurisprudence constante plus large
    • A - La prise en compte des risques de mauvais traitements par l’État
    • B - La prise en compte des risques de mauvais traitements par des tiers
  • CEDH, 7 juillet 1989, Soering c./ Royaume-Uni, n° 14038/88

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