Le législateur n’anticipe pas toutes les difficultés auxquelles peuvent conduire certaines nouvelles réalités sociales, comme l’illustre l’affaire soumise à la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, le 16 septembre 2020, à propos de la filiation d’une personne transgenre non opérée.
Mme J et M. Q sont mariés et ont deux enfants, nés de cette union : C. et W. En 2009, M. Q a saisi le Tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier afin de changer la mention de son sexe à l’état civil, ce qui a été accepté par un jugement rendu le 3 février 2011. Désormais de sexe féminin, M. Q devient Mme Q. En 2014, Mme J a donné naissance à un troisième enfant, Mme Q ayant conservé ses appareils reproducteurs masculins. Mme Q demande la transcription à l’état civil de la reconnaissance de maternité qu’elle avait souscrite avant la naissance, ce qui a été refusé par l’officier d’état civil.
Mme Q a saisi le Procureur de la République devant le TGI de Montpellier, en vue de contester le refus opposé par l’officier d’état civil compétent et faire reconnaitre son lien de maternité avec l’enfant né postérieurement à son changement de sexe à l’état civil.
Le 22 juillet 2016, le Tribunal saisi va rejeter la demande, considérant qu’il n’est pas possible de reconnaitre deux liens de filiation maternels biologiques, conduisant à l’obligation pour Mme Q de faire une reconnaissance de paternité, ou de demander l’adoption.
Mme Q a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Montpellier en joignant l’acte de mariage démontrant le lien marital existant avec Mme J (le lien biologique établi entre elle et son enfant n’étant pas contesté). Sur le fondement du droit au respect à la vie privée, et de l’intérêt supérieur de l’enfant, elle affirme qu’il est nécessaire d’établir un lien de filiation avec son enfant, lequel ne peut pas être un lien de paternité en raison de son changement de sexe à l’état civil. Par ailleurs, ayant un lien biologique avec lui, elle ne peut accepter de passer par l’adoption. Sur le fondement de l’intérêt de l’enfant, le Ministère public indique qu’il est nécessaire que le troisième enfant dispose du même lien de filiation que ses deux frères ainés, rappelant par ailleurs que la filiation maternelle biologique ne s’acquiert que par l’accouchement.
Le 14 novembre 2018, la Cour d’appel confirme le jugement rendu en premier ressort et rejette la demande faite par Mme Q en inscription à l’état civil d’un lien de maternité, mais va l’inscrire sous la mention « parent biologique ». Mme Q forme alors un pourvoi en cassation, considérant qu’il n’est pas possible de retenir le terme de « parent biologique ». Rappelant ses arguments fondés sur le droit à la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant, elle évoque une discrimination opérée à travers la distinction réalisée entre les mères, selon qu’elles aient accouché ou non. Par ailleurs, le Procureur de la République conteste également la reconnaissance d’une mention « parent biologique » à l’état civil, l’article 57 du Code civil ne permettant que les seules mentions de « père » et de « mère ».
La question qui s’est posée à la Cour de cassation était dès lors la suivante : comment établir la filiation d’un enfant né postérieurement au changement de sexe de l’un de ses parents ayant conservé ses appareils reproducteurs initiaux ?
La Cour de cassation, après avoir rappelé l’existence d’un vide juridique sur la matière, va fonder sa réponse sur les dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du Livre premier du Code civil, lesquelles « s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption ». Dès lors la personne transgenre homme devenue femme peut faire reconnaitre son lien biologique avec son enfant, en tant que père, conformément à la réalité biologique et à l’intérêt de l’enfant. La reconnaissance d’une mention de parent biologique n’est pas une option au visa de l’article 57 du Code civil.
Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de transcription d’un lien de filiation maternelle biologique de Mme Q, et casse en partie l’arrêt rendu par la Cour d’appel en rejetant la mention de « parent biologique », renvoyant ainsi le pourvoi devant la Cour d’appel de Toulouse.
Dès lors la Cour de cassation maintient le rejet de la double maternité biologique (I), et limite les solutions ouvertes à la personne transgenre pour faire établir un lien de filiation avec son enfant (II).
- I – Le rejet de la double maternité biologique
- A – L’exclusion de la reconnaissance d’une double maternité biologique affirmée
- B – L’exclusion de la reconnaissance d’une double maternité biologique justifiée
- II – Les solutions limitées pour la reconnaissance du lien de filiation des personnes transgenres
- A – Le rejet de la reconnaissance d’un sexe neutre
- B – Les solutions existantes adaptées
- Cass., Civ. 1ère, 16 septembre 2020, n°18-50.080 ; 19-11.251