Il fut un temps où le cloisonnement des différentes branches du droit condamnait les juges au monologue. L’ouverture du droit national vers des sources étrangères devait, cependant, bouleverser ce paysage. En effet, à partir du moment où la règle à appliquer devient commune à différents ordres juridiques et où sont mis en place des juridictions supranationales chargées, elles-aussi, d’en assurer le respect, le dialogue des juges devient une nécessité.

Il est indéniable que le système juridique devient, alors, pluriel et gagne en sophistication. Mais, loin de déboucher sur une cacophonie juridique, ce pluralisme normatif et juridictionnel est, au contraire, de nature, par l’enrichissement mutuel des jurisprudences, à approfondir la garantie des droits des citoyens. C’est ce qu’il est advenu en Europe avec la construction européenne et la mise en place du Conseil de l’Europe.

La première de ces organisations, l’’Union européenne (UE), est probablement l’organisation internationale la plus aboutie qui soit, tant est si bien que l’on hésite à la qualifier comme tel de nos jours. Au-delà des combats politiques et aspirations des peuples, ce constat tient, pour beaucoup, à la mise en place d’un corpus de règles prolifiques et contraignantes, appelé droit communautaire, et d’une juridiction, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dite Cour de Luxembourg, dont l’audace jurisprudentielle n’est plus à démontrer. Dans ce système, c’est au juge national, tel que le juge administratif français, que revient, cependant, le rôle de juge de droit commun du droit de l’Union. Aussi, afin de faciliter le dialogue entre juges internes et juge communautaire, a été mis en place un mécanisme institutionnalisé de coopération juridictionnelle qui permet aux premiers de saisir le second lorsqu’est soulevée, à l’occasion d’un litige, une problématique relative au droit de l’UE : c’est le renvoi préjudiciel.

La seconde, le Conseil de l’Europe, a été créée à la suite des atrocités commises lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle doit sa permanence à l’apport majeur pour les droits des justiciables du texte qui la fonde : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH). Là encore, une juridiction supranationale, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), aussi appelée Cour de Strasbourg, a été mise en place pour en assurer le respect, concomitamment aux juges internes. Ici, point de dispositif institutionnalisé assurant le dialogue entre ces derniers et la CEDH. C’est donc par le jeu des influences informelles et réciproques que s’opère le dialogue des juges.

Il convient donc d’étudier les voies du dialogue du Conseil d’Etat avec la CJUE dans une première partie (I) et avec la CEDH dans une seconde partie (II).

  • I – Les voies du dialogue avec la CJUE : le renvoi préjudiciel
    • A – Qui peut opérer un renvoi préjudiciel ?
    • B – Dans quel cas opérer un renvoi préjudiciel ?
    • C – Comment se déroule la procédure du renvoi préjudiciel ?
    • D – Quels sont les effets de l’arrêt préjudiciel ?
  • II – Les voies du dialogue avec la CEDH : un dialogue non formalisé
    • A – La prise en compte de la jurisprudence de la CEDH par le Conseil d’Etat
    • B – La portée des arrêts de condamnation de la CEDH

Télécharger