On peut mesurer la richesse et le dynamisme d’un ordre juridique à son ouverture normative, aux rapports de système qu’il établit et à la complexité qui en découle. De façon générale, cette « ouverture cognitive » d’un ordre juridique coïncide souvent avec un approfondissement de la protection des droits. C’est ce qu’affirme, une fois encore, la décision CE, 14 mai 2010, Senad Rujovic, ci-dessous commentée.

Monsieur Rujovic est un ressortissant Kosovar, établi sur le territoire français ayant sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), institution administrative chargée d’examiner les demandes de protection internationale et d’attribuer ces statuts, avait refusé à monsieur Rujovic la reconnaissance du statut de réfugié. L’ancienne Commission des recours des réfugiés (CRR), appelée à statuer comme organe d’appel sur les décisions de l’OFPRA, avait réformé la décision du directeur de ce dernier et attribué à monsieur Rujovic le statut sollicité. L’OFPRA s’était alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État, en qualité de juge de cassation de l’ordre juridictionnel administratif (la CRR étant une juridiction administrative spécialisée statuant en dernier ressort). Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi introduit dans cette affaire par son arrêt du 6 décembre 2010 (req. n° 312305) et ce n’est pas celui-ci qui intéressera le présent commentaire.

En effet, parallèlement à ce pourvoi, de façon quasiment reconventionnelle, monsieur Rujovic, défendeur à la cassation, a introduit une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’État afin de voir déclarer d’une part la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, et, d’autre part, les dispositions législatives internes rendant applicable cette convention contraires à la Constitution. Il s’agit de l’une des toutes première QPC déposées, et, qui plus, la première par un défendeur à la cassation. Le Conseil d’État rejette la QPC.

C’est, notamment, ce contexte temporel et procédural particulier qui donne toute son épaisseur à la décision commentée, assez particulière également au regard du fait qu’il s’agit d’une décision de non-renvoi de la question posée. Le Conseil d’État profite de cette affaire pour préciser très clairement l’articulation des recours et des relations entre ordres juridiques, ainsi que les offices respectifs des juges constitutionnel et administratif et les conditions de recevabilité des QPC. Il s’agit donc d’une décision particulièrement riche.

Plusieurs moyens de fond étaient invoqués. Le premier concernait les rapports entre la QPC et le recours préjudiciel devant la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne). Le deuxième interrogeait l’office du juge constitutionnel dans le cadre de la QPC face à un moyen tiré de l’inconventionnalité d’une loi. Le troisième soulevait la problématique du contrôle de la constitutionnalité des conventions. Et, enfin, le quatrième s’intéressait à l’interprétation des conditions de recevabilité des QPC posées par l’ordonnance organique de 1958 (telle que modifiée après l’instauration de la QPC).

Il faut lire cette décision comme la volonté d’intégrer harmonieusement la QPC dans le dialogue des juges (I), tout comme celle de préserver le champ de compétence du juge administratif (II). C’est donc un équilibre que vise à atteindre le Conseil d’État.

  • I - Une volonté d’intégration harmonieuse de la procédure de QPC dans l’édifice du dialogue des juges
    • A - La QPC, déstabilisateur du dialogue des juges
    • B - Une préservation des compétences respectives des différents juges
  • II - Une préservation de l’office du juge administratif
    • A - Les lacunes du contrôle des conventions internationales
    • B - Un contrôle retenu de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité
  • CE, 14/05/2010, M. Rujovic

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