Pendant longtemps, les victimes des persécutions antisémites commises par le Gouvernement de Vichy ne pouvaient obtenir réparation de leur préjudice que via des mécanismes spéciaux d’indemnisation. Le juge administratif refusait, en effet, de condamner l’Etat à raison de ces actes motif pris qu’ils avaient été accomplis par un « gouvernement de fait » et que, par suite, la responsabilité de l’Etat républicain ne pouvait être engagée. L’arrêt Papon est l’occasion pour le Conseil d’Etat de mettre fin à cette fiction juridique.
Les faits sont connus. Ils ont donné lieu à une procédure devant les deux ordres de juridiction. La première procédure s’est déroulé devant la cour d’assises de la Gironde qui a condamné, le 2 avril 1998, M. Papon à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité pour avoir, alors qu’il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous l’Occupation, apporté un concours actif à l’arrestation et à l’internement de plusieurs dizaines de français de confession juive, qui ont par la suite trouvé la mort dans les camps de concentration. La même cour a statué le lendemain sur les condamnations civiles mises à la charge de l’intéressé. Estimant que ces faits engageaient non sa responsabilité mais celle de l’Etat, M. Papon a demandé au ministre de l’Intérieur de prendre en charge les sommes auxquelles il a été condamné. Le ministre a refusé. Aussi, M. Papon a saisi le tribunal administratif de Paris afin qu’il condamne l’Etat à le garantir des condamnations civiles prononcées contre lui. Estimant que cette affaire relevait de la compétence du Conseil d’Etat, le président dudit tribunal lui a, en vertu de l’article R 351-2 du Code de justice administrative, transmis la requête de M. Papon. Le 12 avril 2002, la Haute juridiction a fait partiellement droit, par un arrêt d’assemblée, à la demande de l’intéressé, non sans avoir, au préalable, jugé que les préjudices subis par les victimes des persécutions antisémites étaient imputables tant à une faute personnelle de M. Papon qu’à une faute de service de l’Etat français.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat met fin à la longue jurisprudence refusant de reconnaître la faute de service de l’Etat français à l’occasion des persécutions antisémites commises par le Gouvernement de Vichy. La Haute juridiction confirme certes la faute personnelle de M. Papon, mais reconnaît qu’elle a conjugué ses effets avec celle de l’administration française. Le juge administratif répartit, ensuite, la charge des réparations à parts égales entre les deux coauteurs, manifestant ainsi une certaine humilité face à l’Histoire. M. Papon pourra donc obtenir de l’Etat qu’il prenne en charge la moitié des condamnations prononcées contre lui au civil.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, l’existence de deux fautes à l’origine des persécutions antisémites (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la répartition de la charge des réparations entre M. Papon et l’Etat (II).
- I – Une dualité de fautes à l’origine des persécutions antisémites
- A – L’existence d’une faute personnelle imputable à M. Papon
- B – La reconnaissance d’une faute de service imputable à l’Etat
- II – La répartition de la charge des réparations entre M. Papon et l’Etat
- A – L’affaire Papon : un cas classique d’action récursoire
- B – La répartition de la charge des dommages : la force du message du Conseil d’Etat
- CE, ass., 12/04/2002, M. Papon