L’existence de la faute lourde remonte aux origines du droit administratif. Ainsi, dans le fondateur arrêt Blanco du 8 février 1873, le Tribunal des conflits pose que la responsabilité de la puissance publique n’est ni générale, ni absolue et que les règles qui la régissent sont spéciales et varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés. En d’autres termes, l’engagement de la responsabilité de certains services publics ne pourra être obtenu que si le justiciable démontre que le service en cause a commis une faute lourde. Cette particularité du droit administratif s’est, cependant, considérablement estompé depuis le début des années 1990. L’arrêt commenté poursuit ce mouvement en matière de responsabilité des services fiscaux.

Dans cette affaire, la société de travaux publics GEK a été soumise à une procédure de vérification de comptabilité, à la suite de laquelle plusieurs chefs de redressement lui ont été notifiés. Sans entrer dans le détail de la procédure fiscale, il s’agit simplement de comprendre qu’une pénalité a été mise à la charge de la société et que cette dernière n’ayant pas transmis certaines informations à l’Administration, Mr. Krupa, ancien gérant de la société, a été tenu solidairement au paiement de cette pénalité. L’argument défendu par le requérant, et que les différentes juridictions s’étant prononcé ont validé, concerne la date prise en compte par l’Administration fiscale : pour dire les choses simplement, à la date qui aurait du être prise en compte, Mr. Krupa n’était plus gérant de la société et en avait informé les services fiscaux. En conséquence, il n’avait pas à payer cette pénalité. Il s’en suit que les procédures de recouvrement forcé mises en œuvre à son encontre constituent une faute. La question posée est de savoir si la gravité de la faute est suffisante pour engager la responsabilité de l’Administration. La cour administrative d’appel de Nancy a confirmé la position du tribunal administratif de Strasbourg, à savoir le non engagement de la responsabilité de la puissance publique du fait de l’absence de faute lourde, appliquant, ainsi, une jurisprudence vieille de 20 ans. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence remarquable en acceptant d’engager la responsabilité de l’Administration fiscale sur la base d’une faute simple.

On l’aura compris, l’arrêt Krupa abandonne l’exigence d’une faute lourde pour engager la responsabilité des services fiscaux. Par le passé, ce type de faute inondait le contentieux de la responsabilité de la puissance publique lorsqu’étaient en cause, notamment, des services publics régaliens ou des activités présentant des difficultés d’exécution. Mais, à partir des années 1990, le Conseil d’Etat a progressivement diminué le nombre de domaine ou subsiste l’exigence de la faute lourde. Ainsi, en va-t-il de la responsabilité des hôpitaux du fait des actes médicaux ou encore de certaines polices administratives spéciales. Cette évolution avait, d’ailleurs, été lancée en matière fiscale, puisque l’arrêt Bourgeois (CE, sect., 27/07/1990) admet que la responsabilité des services chargés de l’établissement et du recouvrement de l’impôt peut être engagée sur la base d’une faute simple quand l’opération ne comporte pas de difficultés particulières. Pourtant, très vite, le juge administratif est venu limiter la portée de ce principe en ne reconnaissant que très rarement l’absence de difficultés particulières. La faute lourde était donc, dans la plupart des cas, exigée ; or, cette dernière est une notion très floue dont l’appréciation dépend du seul juge administratif. Et, ce dernier n’a reconnu que très rarement l’existence d’une telle faute. L’arrêt Krupa met fin à ces espoirs déçus : désormais une faute simple suffit à engager la responsabilité de la puissance publique en matière fiscale. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce revirement : certaines tiennent à la volonté de protection du contribuable, d’autres sont relatives au fait que les risques de cette nouvelle position pour les services fiscaux sont limités. Pour autant, l’engagement de la responsabilité du fisc ne sera pas obtenu en toute hypothèse. En effet, encore faut-il que les conditions classiques du droit à réparation soient satisfaites : au titre de celles-ci figure l’exigence d’un lien de causalité entre la faute de l’Administration et le préjudice. C’est d’ailleurs le point qui pose problème en l’espèce.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le bilan en demi-teinte de la jurisprudence Bourgeois (I), avant d’étudier, dans une seconde partie, le choix de la normalisation opéré par l’arrêt Krupa (II).

  • I – La jurisprudence Bourgeois : un bilan en demi-teinte
    • A – Une jurisprudence qui suscite immédiatement l’espoir
    • B – Une jurisprudence qui déçoit rapidement les attentes
  • II – L’arrêt Krupa : le choix de la normalisation
    • A – La motivation du Conseil d’Etat : entre protection du contribuable et risques limités pour l’Administration fiscale
    • B – L’appréciation classique de la mise en cause de la responsabilité de l’Administration fiscale   
  • CE, sect., 21/03/2011, Mr. Krupa

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