Le cycle électoral de 2017 a montré combien les questions liées à l’application de la laïcité occupent une place importante dans le débat public. Assez éloigné des polémiques estivales, c’est sur l’installation des crèches de Noël dans les édifices publics que l’assemblée du contentieux du Conseil d’État vient de prendre position, par deux arrêts du 9 novembre 2016.
En 2012, la commune de Melun avait installé une crèche dans une alcôve située sous un porche du bâtiment des services municipaux. La Fédération départementale des libres penseurs, dont on connaît la vigueur contentieuse, avait sollicité du Maire de ne pas procéder à l’installation. Ce dernier avait toutefois décidé de ne pas tenir compte de cette demande. En première instance, le Tribunal administratif de Melun avait rejeté la requête formée par l’association. Saisi par cette dernière, la Cour administrative d’appel de Paris avait infirmé le jugement (CAA Paris, 8 octobre 2015, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne , req. n° 15PA00814). La ville s’est pourvue en cassation.
La seconde espèce est similaire. La Fédération de la libre pensée de Vendée avait été confrontée à la même volonté politique de la part du Président du Conseil général, la même année. La suite contentieuse est exactement inverse à l’affaire précédente. Le Tribunal administratif de Nantes avait fait droit à la demande de l’association, mais la Cour administrative, saisie par le Conseil général, avait infirmé ce jugement (CAA Nantes, 3 octobre 2015, Fédération de la libre pensée de Vendée, req.n° 14NT03400). La Fédération de la libre pensée s’est donc pourvue en cassation.
On peut d’emblée souligner l’insécurité juridique qui découlait de cette opposition d’appréciation des juges du fond. Il est peu dire que la position du Conseil d’État était attendue. Comme à son habitude en matière religieuse, il s’est placé dans la logique d’équilibre qui ressort de la loi de 1905. Son apport est double. Sur le plan de la qualification juridique de la notion « d’emblème religieux » telle qu’elle s’exprime à l’article 28 de la loi de 1905, le Conseil reconnaît l’ambiguïté symbolique de la crèche. Si cette solution revêt un intérêt pratique particulier, surtout en cette période, l’apport essentiel réside dans l’architecture juridique qu’il développe. Aux termes d’un raisonnement « à tiroirs », il construit le cadre juridique de l’installation des crèches de Noël. Ces installations sont par principe interdites. Une première exception résulte de leur éventuel caractère « culturel, artistique ou festif ». Celui-ci ne doit toutefois pas « exprimer la reconnaissance d’un culte » ni « marquer une préférence religieuse ». Son appréciation doit tenir compte du « contexte », de l’absence de « prosélytisme », des « conditions particulières » de l’installation, de « l’existence ou de l’absence d’usages locaux » et du lieu. Ce dernier élément est décisif pour la suite de la réflexion. Les « bâtiments publics » qui sont le « siège d’une collectivité publique ou d’un service public » sont soumis à une exigence particulière de neutralité. Seules des « circonstances particulières » permettent alors de reconnaître le caractère « culturel, artistique ou festif » susceptible d’autoriser l’installation. En revanche, dans les autres lieux, et notamment la voie publique, le caractère festif est plus souplement reconnu, sauf, si elle « constitue (…) un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ».
Il apparaît clairement que le Conseil d’État a souhaité faire preuve à la fois de pédagogie et d’exhaustivité. Ces arrêts du 9 novembre devraient clore la polémique. Leur apport réside dans l’expression claire des conditions de « laïcisation », et donc de légalité, de l’installation d’une crèche dans les espaces publics (I). Cependant, même si la jurisprudence se trouve désormais stabilisée, certaines incertitudes peuvent être questionnées (II).
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I - Les conditions d’une crèche laïcisée
- A - L’ambiguïté symbolique de la crèche de Noël
- B - Les conditions de légalité d’une crèche « laïcisée »
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II - Les incertitudes liées à la position du Conseil d’État
- A - Les incertitudes quant à la place du caractère laïc dans le raisonnement juridique
- B - Le problème de la protection juridictionnelle effective de la neutralité religieuse des personnes publiques
- CE, ass., 9/11/2016, Fédération de la libre pensée de Vendée
- CE, ass., 9/11/2016,Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne