« On estime à plus de 10 000 le nombre de circulaires émises chaque année par les seules autorités centrales, relayées ensuite par les autorité déconcentrées », rappelle le Pr. Morand-Deviller (J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif, 13ème Ed., L.G.D.J, 2013, p. 323). Comme l’explique également le Pr. Didier Truchet, « l’Administration n’est jamais tenue de prendre une circulaire mais en pratique, elle en prend beaucoup, au point que les services les attendent pour appliquer concrètement une loi ou un règlement nouveaux » (Didier TRUCHET, Droit administratif, 7ème Ed., PUF, 2017, p. 307).
Traditionnellement, le droit administratif français distingue deux grandes catégories de circulaires : les circulaires interprétatives, c’est-à-dire celles qui viennent préciser l’application d’une norme législative ou réglementaire préexistante, et les circulaires réglementaires, c’est-à-dire celles qui édictent des normes juridiques nouvelles. Cette distinction a révélé plusieurs difficultés, dans sa mise en œuvre par les juridictions administratives pour permettre ou non aux justiciables d’attaquer des circulaires dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir (REP). Classiquement, les circulaires interprétatives sont insusceptibles de recours, car le juge administratif a toujours considéré qu’elles ne faisaient pas grief.
En l’espèce, Mme Duvignères a demandé au Garde des sceaux d’abroger le décret du 19 décembre 1991 et la circulaire du 26 mars 1997, les deux textes n’excluant pas l’aide personnalisée au logement (APL) des ressources prises en compte pour déterminer si un justiciable a droit ou non au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Dans une lettre du 23 février 2001, le Ministère de la justice refuse de faire droit à cette demande. Dans une requête adressée au Conseil d’État, en date du 27 avril 2001, Mme Duvignères demande l’annulation de cette décision de refus, arguant de l’illégalité de la disposition du décret qui porterait atteinte au principe d’égalité. En effet, le décret prend en compte les APL dans les ressources, mais pas l’allocation de logement familiale. La requérante considère aussi que la circulaire en question fait grief et peut être contestée en conséquence pour ses dispositions impératives à caractère général. Les juges du Palais-Royal font alors droit à la demande de Mme Duvignères, dans l’arrêt du 18 décembre 2002.
L’arrêt de section du Conseil d’État met ainsi fin à la distinction opérée jusqu’alors par la jurisprudence sur les circulaires (I), permettant la mise en œuvre d’un contrôle renouvelé du juge administratif sur ces textes (II).
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I – Vers la fin d’une distinction opérée par la jurisprudence sur les circulaires
- A - Une distinction classique entre circulaires réglementaires et interprétatives
- B - Le refus d’une distinction discutable et dépassée
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II – Un contrôle renouvelé du juge administratif sur les circulaires
- A - L’examen déterminant du caractère impératif des circulaires
- B - Un contrôle juridictionnel des circulaires renforcé et avantageux
- CE, sect., 18/12/2002, Mme. Duvignères