La notion de service public a, longtemps, constitué le critère cardinal déterminant la compétence du juge administratif (TC, 8/02/1873, Blanco). Ce rôle clé fut, cependant, rapidement mis à mal lorsque le Tribunal des conflits créa la catégorie des services publics industriels et commerciaux majoritairement soumis au droit privé (TC, 22/01/1921, Société commerciale de l’ouest africain). Quant à la notion de service public, elle perdit, quelques années plus tard, le versant organique de sa définition lorsqu’il fut admis qu’une personne privée puisse gérer un service public en dehors de toute délégation contractuelle (CE, ass., 13/05/1938, Caisse primaire « Aide et Protection »). La question s’est, alors, posée de savoir comment identifier tant les services publics gérés par des personnes privées, que les actes administratifs que de tels organismes peuvent édicter. C’est cet ensemble de problèmes que soulève l’arrêt Soc. Textron.

Dans cette affaire, le directeur général de l’association française de normalisation (Afnor) a créé une norme enregistrée sous le numéro NF.E.27.185. S’estimant économiquement lésé, la société Textron déposa un recours gracieux visant à obtenir l’annulation de cette dernière. Celui-ci fut, cependant, rejeté le 23/03/1983. Suite à cela, la société décida de saisir le tribunal administratif de Paris pour qu’il annule ces deux décisions et lui alloue des dommages et intérêts d’un montant d’un million de francs en réparation du préjudice subi. Les juges de Paris ne se prononcèrent, toutefois, pas au fond au motif que le litige ne relevait pas de la compétence des juridictions administratives. La société Textron fit, alors, appel devant le Conseil d’Etat qui, le 17/02/1992, alla, non sans faire l’économie de subtilités, dans le même sens que les juges de première instance : plus précisément, la Haute juridiction considéra que l’activité consistant pour l’Afnor à enregistrer une norme ne constituait pas un service public et que, dès lors, le litige ne relevait pas de sa compétence.

Cette position pourrait surprendre étant donné que le juge administratif qualifie, dans son premier considérant, l’activité de l’Afnor de mission de service public. Il n’y a, cependant, là, guère d’incohérence, mais, bien plutôt, une subtilité dont le Conseil d’Etat se fait parfois artisan. En fait, la Haute juridiction scinde en deux la mission de l’Afnor selon la nature des normes concernées : l’une, celle afférente aux normes homologuées, est un service public, l’autre, celle relative aux normes enregistrées, constitue une simple activité privée.

Et, dans les deux cas, la solution apparait étroitement liée à la question de la détention de prérogatives de puissance publique, notion cruciale lorsqu’il s’agit d’identifier les services publics gérés par des personnes privées, ainsi que les actes administratifs que ces dernières peuvent émettre. Et, c’est, là, que se trouve la seconde subtilité que le Conseil d’Etat réserve à ses commentateurs : l’Afnor ne détient, dans aucune de ces deux hypothèses, de telles prérogatives. Pourquoi, alors, les solutions divergent-elles ?

La réponse se trouve dans les rapports que l’Afnor entretient avec l’Etat. Dans le cas des normes homologuées, ce lien est extrêmement fort, ce qui permet au juge administratif de trouver, bien avant un célèbre arrêt qui systématisera ce type de démarche, un substitut à la carence en prérogatives de puissance publique. A l’inverse, lorsque sont en cause les normes enregistrées, aucun lien de ce type ne peut être relevé : dès lors, l’absence de détention de telles prérogatives, en plus d’impacter la nature des décisions en portant création, rétroagit, sans que rien ne puisse servir de palliatif, sur la qualification de cette partie de l’activité de l’Afnor.

Il convient donc d’examiner l’ensemble de ces questions au regard des normes homologuées d’une part (I) et des normes enregistrées d’autre part (II).

  • I – Les normes homologuées : une mission de service public reconnue, malgré l’absence de prérogatives de puissance publique
    • A – Le poids des prérogatives de puissance publique dans l’identification des services publics gérés par des personnes privées
    • B – L’arrêt So. Textron : une solution annonciatrice de la jurisprudence APREI
  • II – Les normes enregistrées : une absence de prérogatives de puissance publique lourde de conséquences
    • A – Une première conséquence : une norme enregistrée n’est pas un acte administratif
    • B - Une deuxième conséquence : l’enregistrement d’une norme ne constitue pas un service public
  • CE, 17/02/1992, Société Textron

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