L’adoption d’un enfant dans le cadre d’un couple de femmes a connu de nombreux rebondissements ces dernières années. Les lois du 17 mai 2013, ouvrant l’adoption aux couples mariés de même sexe, du 2 août 2021, autorisant l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes, ou encore du 21 février 2022, allégeant la procédure d’adoption pour les couples ayant procédé à une AMP antérieurement à 2021, rendent difficilement lisible le droit applicable. L’arrêt soumis à étude est rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en 2025 mais concerne une adoption demandée en 2019, soit avant la reconnaissance d’un droit à l’AMP pour les couples de femmes. Elle interrogeait la portée de la rétractation de son consentement, par la mère légale, à l’adoption de son enfant par sa conjointe.
Une femme donne naissance à un enfant en 2016. Se fondant sur un acte notarié du 3 juin 2019, par lequel la mère légale avait consenti à l’adoption, l’épouse de la mère légale introduit une requête en adoption plénière de l’enfant en septembre 2019. Le couple se sépare et la mère légale s’oppose à une telle adoption. Les juges du fond rejettent la demande en opposition de la mère légale et prononce l’adoption plénière de l’enfant par l’épouse, tout en modifiant le nom de famille de l’enfant pour y faire apparaître le nom de ses deux parents.
La mère légale forme un pourvoi en cassation contre cette décision. Son pourvoi est formé d’un moyen, avec deux arguments principaux.
D’une part, la requérante estime que l’opposition faite à la demande d’adoption plénière de son enfant tient lieu de demande de restitution de l’enfant. Cette demande doit être accueillie de plein droit dans le cas où l’enfant n’a pas été placé ou recueilli par le conjoint. Or, en l’espèce, la cour d’appel n’a pas relevé que l’opposition, certes formulée au-delà du délai de deux mois, devait tout de même produire des effets dès lors que l’enfant continuait à résider chez sa mère légale, violant ainsi l’article 348-3 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010.
D’autre part, la requérante estime que la demande d’opposition s’analyse en une demande de restitution. Dès lors, la cour d’appel a violé le même article 348-3 en conditionnant l’accueil de cette demande à l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.
La mère légale peut-elle, au-delà du délai légal de deux mois, demander la restitution de son enfant dans le cas où ce dernier ne réside pas avec sa conjointe, requérante à l’adoption ?
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la mère légale. Elle rappelle d’abord qu’aux termes des articles 345-1, 1° (nouv. 370-1-3, 1°), 348-1 et 348-3 du Code civil, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint. Une telle adoption requiert le consentement de son parent légal, qui peut être rétracté dans un délai de deux mois.
La Cour de cassation pose ensuite les modalités de l’opposition par le parent légal. L’alinéa 3 de l’article 348-3, mobilisé par la demanderesse au pourvoi, précise effectivement que, quand bien même le délai de rétractation de deux mois serait expiré, les parents légaux peuvent encore demander la restitution judiciaire de l’enfant, à la condition que l’enfant n’ait pas été placé en vue de l’adoption. La restitution rend alors caduc le consentement donné à l’adoption de l’enfant. Mais la Cour de cassation précise le champ d’application de cette disposition : elle n’est applicable que dans le cas d’une adoption plénière par un tiers, et non dans le cas d’une adoption intraconjugale.
Dès lors, la demande d’opposition formulée par le parent légal doit être faite, à peine d’irrévocabilité, dans le délai de rétractation de deux mois. Au-delà, elle ne lie pas le juge. Ce dernier doit donc poursuivre la procédure d’adoption : vérifier si les conditions légales de l’adoption sont remplies et si une telle adoption de l’enfant est conforme à son intérêt.
En conséquence, en constatant que la mère légale n’avait pas rétracté son consentement dans le délai légal de deux mois, et en l’absence d’application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 348-3 du Code civil, la cour d’appel n’avait pas à ordonner d’office la restitution de l’enfant. Il lui restait à apprécier les conditions légales de l’adoption, et c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’elle a pu considérer que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant, malgré la séparation de l’adoptante et de la mère légale et l’opposition formée par cette dernière.
Bien que rendu en 2025, l’arrêt soumis à étude se place sur le terrain du droit commun de l’adoption d’un enfant par son conjoint. Cependant, des parallèles peuvent être réalisés entre droit commun de l’adoption et règles actuelles d’établissement de la filiation entre un enfant né par AMP et la conjointe de sa mère légale. Nous tenterons d’établir ces liens, tout en suivant le raisonnement binaire de la Cour qui posent d’abord les conditions de rétractations du consentement par le parent légal (I), pour en détailler ensuite les conséquences (II).
- I – Le rappel des conditions de rétractation du consentement à l’adoption intraconjugale
- A - La condition préalable d’un consentement donné à l’adoption intraconjugale
- B - Le respect de la condition temporelle de la rétractation
- II – Les conséquences de l’absence de rétractation du consentement à l’adoption intraconjugale
- A - L’irrévocabilité du consentement au-delà du délai légal
- B - La poursuite de la procédure d’adoption de l’enfant
- Cass., Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-22.507 (B)