Les mesures d’ordre intérieur (MOI) régissent, selon le Doyen Hauriou, « la vie intérieure des services » (v. notamment Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, 12e réédition, 2002). En effet, il s’agit de mesures adoptées par le pouvoir hiérarchique s’agissant du fonctionnement et de l’organisation interne des casernes, des prisons ou encore des établissements scolaires. En droit français, le juge administratif n’a pas à contrôler les MOI, qui s’imposent aux agents du service public et n’ont que peu de conséquences sur les administrés. Mais dans certaines situations sensibles, la Cour européenne des droits de l’Homme, de même que le juge administratif, ont fait évoluer leur jurisprudence en qualifiant certaines mesures d’actes faisant grief, alors même qu’ils les considéraient autrefois comme des MOI.  Cette nouvelle qualification autorise ainsi un contrôle juridictionnel à travers le recours pour excès de pouvoir (REP) à l’encontre de tels actes lorsqu’ils sont ainsi qualifiés.

En l’espèce, deux arrêts du Conseil d’État réuni en assemblée concernent la vie carcérale et les mesures prises à l’encontre de détenus. D’une part, en 1987, un détenu conteste devant le tribunal administratif (TA) de Versailles, la sanction de mise en cellule de punition pendant huit jours avec sursis, prise par le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Une sanction infligée pour un courrier de plainte du détenu, adressé au chef du service de l’inspection, sur le fonctionnement du service médical de l’établissement. Mais dans une décision du 29 février 1988, le TA rejette ce recours pour excès de pouvoir, comme étant irrecevable. Le Conseil d’État se prononce, dans un arrêt du 17 février 1995, où il décide d’annuler la décision de rejet de la juridiction administrative, considérant la sanction comme une décision faisant grief et pouvant faire l’objet d’un REP.

D’autre part, un détenu occupant le poste d’auxiliaire de cuisine, au sein de la maison d’arrêt de Nantes, a contesté la décision de la directrice de l’établissement de le déclasser de son emploi. La direction régionale des services pénitentiaires a d’ailleurs rejeté son recours hiérarchique en date du 15 octobre 2001. Le détenu a alors introduit un recours, demandant l’annulation de la décision, qui a été rejeté par le tribunal administratif de Nantes en date du 4 août 2004. De même, la Cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a confirmé cette décision, dans un arrêt du 29 juin 2005, arguant qu’il s’agissait d’une MOI insusceptible de recours devant le juge administratif. C’est cet arrêt que le détenu conteste devant le Conseil d’État, qui constatera l’erreur de droit de la CAA en ce qui concerne la qualification de la mesure. Dans son arrêt du 14 décembre 2007, la Haute-juridiction considère donc que la mesure est susceptible d’être contestée devant le juge, mais que cet acte faisant grief n’a pas à être annulé et apparaît justifié eu égard aux faits de l’espèce.

Ces deux arrêts d’assemblée démontrent les évolutions du juge administratif sur la question des MOI, plus particulièrement au sein des prisons. En effet, le Conseil d’État acte ainsi la quasi-disparition des MOI (I), permettant qu’un contrôle du juge administratif soit effectué sur de nombreuses mesures adoptées en milieu pénitentiaire (II).

  • I - Des mesures d’ordre intérieur en voie de disparition
    • A – Un changement de qualification : des MOI hier, des actes faisant grief aujourd’hui
    • B - La persistance in concreto de certaines catégories de MOI
  • II - Un contrôle renouvelé du juge administratif sur les mesures prises en milieu carcéral
    • A - La nécessité d’un accès au juge de l’excès de pouvoir
    • B - L’étendue du contrôle de légalité du juge sur les mesures adoptées
  • CE, ass., 17/02/1995, Marie 
  • CE, ass., 14/12/2007, Planchenault

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