Le droit international ne cesse, depuis l’arrêt Nicolo (CE, ass., 20/10/1989), de faire la Une des revues de droit administratif. Nombreuses sont, en effet, les décisions du Conseil d’Etat venues enrichir sa jurisprudence en la matière. Mais, il était une question que la Haute juridiction était parvenue à esquiver jusque-là : celle du conflit entre deux engagements internationaux. L’arrêt commenté est l’occasion pour le juge administratif suprême d’affronter avec un réel volontarisme cette question délicate.

Cette affaire concerne les fameux titres d’emprunts russes dont sont porteurs, depuis le début du XX° siècle, de nombreux français. A la suite des vicissitudes de l’histoire, beaucoup de porteurs de ces emprunts n’ont jamais obtenu le remboursement des sommes prêtées. C’est pour cela que le 27 mai 1997 un accord a été passé entre la France et la Russie afin de régler cette question. Cet accord a été a appliqué en France par la loi du 2 juillet 1998 et le décret du 3 juillet 1998. Ce dispositif ne concernait, toutefois, que les personnes de nationalité française. Aussi, le remboursement forfaitaire prévu par ledit accord a été refusé à M. Kandyrine de Brito Paiva, au motif qu’il était un ressortissant portugais, par une décision du 15 décembre 1998 du trésorier principal du 8° arrondissement de Paris, décision confirmée le 17 mai 1999 par le ministre de l’Economie. L’intéressé a donc contesté cette décision devant les juridictions administratives au motif qu’elle était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Mais, elle a été confirmée en premier ressort et en appel. L’intéressé s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat qui, le 23 décembre 2011, par un arrêt d’assemblée, a adopté une position de principe sur les conflits de normes internationales.

Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat jugeait comme irrecevable le moyen tiré de l’incompatibilité entre deux engagements internationaux, que l’acte administratif contesté soit l’acte de publication de l’engagement ou l’un de ses actes d’application. L’arrêt Kandyrine de Brito Paiva reprend cette distinction, mais fait évoluer la jurisprudence en ce que le juge administratif suprême admet, désormais, la possibilité d’invoquer l’incompatibilité entre deux conventions internationales lorsqu’est en cause un acte d’application : ici, l’accord franco-russe de 1997 dont la décision contestée est l’une des mesures d’application au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. A cela s’ajoute un ensemble de conditions de nature à parfaire l’encadrement du nouveau dispositif. Lorsque l’ensemble de ces critères sont satisfaits, le Conseil d’Etat considère qu’il incombe au juge administratif de tenter de concilier et d’interpréter les deux normes internationales de manière à lever tout conflit entre elles. Ce n’est que si ce travail s’avère inefficace que le juge administratif devra appliquer la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative a entendu se placer et pour l’application de laquelle la décision a été prise.

Il convient, donc, d’étudier le contrôle du conflit de normes internationales en tant qu’il s’agit, d’une part, d’un moyen strictement encadré (I) et, d’autre part, d’un contrôle délicat à mettre en œuvre (II).

  • I – Le contrôle du conflit de normes internationales : un contrôle strictement encadré
    • A – Un contrôle dont le champ d’application est délimité
    • B – Un contrôle astreint au respect de conditions strictes
  • II – Le contrôle du conflit de normes internationales : un contrôle délicat à mettre en œuvre
    • A – Un travail préalable de conciliation et d’interprétation
    • B – Une directive précise pour trancher les conflits irréductibles
  • CE, ass., 23/12/2011, Kandyrine de Brito Paiva

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