L’ordonnance Dieudonné constitue, à plus d’un titre, une décision qui mérite attention. D’abord par l’engouement médiatique qu’elle a suscité jusqu’à, pour la première fois de mémoire de l’auteur, rendre inaccessibles les serveurs du site internet du Conseil d’État. Ensuite, parce qu’elle a été rendue, pour la première fois de mémoire de l’auteur, le jour même de la saisine du Conseil d’État. Enfin, parce que tant les principes sur lesquels elle repose que le raisonnement suivi s’écartent de solutions anciennes et établies.

Il apparait peu utile de rappeler les faits à l’origine de l’ordonnance : Dieudonné M’Bala M’Bala, humoriste décrié pour ses prises de positions et son ambiguïté sciemment entretenue à l’égard de certains faits historiques, s’est trouvé susciter de nombreuses protestations quant au contenu d’un spectacle. L’affaire a pris un tournant politique et médiatique lorsque, de façon concertée, et s’appuyant sur une circulaire du Premier ministre, plusieurs maires ont décidé d’interdire la représentation du spectacle dans leur ville.

En l’espèce, le Préfet de Loire-Atlantique avait, par arrêté, interdit la tenue du spectacle « Le Mur » à Saint-Herblain, pour des raisons tenant à la protection de l’ordre public. L’arrêté s’inscrivait dans le cadre tracé par la circulaire du Premier ministre du 6 janvier 2014 et se fondait sur le fait que certains propos du spectacle étaient jugés racistes et antisémites. C’est, finalement, en prenant en compte l’objectif de protection de la dignité humaine, composante de l’ordre public, que l’arrêté a interdit la tenue du spectacle. Saisi le fondement de l’article L.521-2 du Code de justice administrative, le juge des référés liberté du Tribunal administratif de Nantes avait, en date du 7 janvier 2014 suspendu l’arrêté querellé. Le Conseil d’État, saisi en appel le 9 janvier 2014, date du spectacle, a rendu sa décision le jour même. Statuant à juge unique, il annule l’ordonnance du premier juge ce qui a pour effet de maintenir en vigueur l’arrêté querellé.

La problématique, relativement inédite, portait sur le fait de savoir si la liberté de réunion et la liberté d’expression pouvaient être restreintes du fait du contenu d’un spectacle. La réponse est positive, mais appelle un certain nombre de remarques tant sur les fondements de la décision (I), que sur le raisonnement suivi (II).

  • I - Des fondements incertains
    • A - Les fondements explicites
    • B - Une extension de l’ordre public ?
  • II - Un raisonnement contestable
    • A - L’absence de troubles matériels
    • B - Une absence de prise en compte des particularités de la liberté de réunion
  • CE, ord., 09/01/2014, Dieudonné M'Bala M'Bala

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