Comme le rappelle le Pr. Bertand MATHIEU, « le régime parlementaire est l’ancêtre des régimes démocratiques. Son succès a été exceptionnel puisqu’il est aujourd’hui le plus répandu dans les États libéraux où il constitue en quelque sorte le régime de droit commun » (B. MATHIEU et P. ARDANT, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e Ed., LGDJ, 2015, p. 215).
Effectivement, si ce type de régime semble avoir fait son apparition dans les pays nordiques, notamment en Suède, au début du XVIIIe siècle, c’est surtout au Royaume-Uni qu’il est devenu (dans les années 1880) un modèle par excellence. En France, ce choix est retenu plus tardivement notamment avec la IIIème République, puis perdurera y compris à l’heure actuelle avec la Vème République. En effet, contrairement aux apparences parfois trompeuses, la Constitution du 4 octobre 1958 met bien en œuvre un régime parlementaire tel que souhaité par Michel Debré (V. à ce titre : Discours de Michel Debré devant le Conseil d'État, 27 août 1958).
L’existence d’un parlement est l’élément fondateur, mais il ne suffit pas à mettre en place un régime parlementaire. En effet, la Constitution des États-Unis prévoit bien l’existence du Congrès et il s’agit pour autant d’un régime pleinement présidentiel qui se démarque des autres (V. Dissertation : le régime présidentiel des États-Unis d’Amérique). Très généralement, la séparation souple, voire la collaboration, entre les pouvoirs apparaît comme un trait caractéristique du régime parlementaire. Il en est de même en ce qui concerne la responsabilité politique du gouvernement devant les chambres.
Mais ce parlementarisme par excellence et ses grands principes existent-t-ils toujours à l’heure actuelle ?
À travers les exemples britannique et français, nous verrons que ces deux régimes ont réussi à conserver les fondements traditionnels du parlementarisme (I), tout en évoluant nécessairement pour survivre (II).
Parmi les fondamentaux préservés du parlementarisme, on retrouve donc la place centrale du parlement dans la vie politique (A), mais aussi la garantie d’une séparation souple des pouvoirs (B).
Le rôle considérable du parlement dans la vie politique persiste à travers ses larges pouvoirs tant au sein du régime britannique (1), qu’en France (2).
En Angleterre, l’apparition du parlementarisme a été très progressive, avec de nombreuses limitations au pouvoir du monarque. La Magna carta (1215) est ainsi venue interdire au Roi de prendre de nouvelles dispositions fiscales sans l’assentiment de la noblesse, particulièrement des barons, qui composeront plus tard l’une des deux chambres du Parlement : la Chambre des Lords. De même, l’avis sollicité de nombreux élus dans les territoires constitua ensuite la Chambre des communes. Aussi, c’est sous l’impulsion des chambres parlementaires que plusieurs textes fondamentaux sont adoptés : Pétition des droits (1628), Habeas Corpus (1679) et Bill of Rights (1689).
Encore aujourd’hui, le Parlement britannique possède de nombreuses prérogatives qui en font le cœur de ce régime aux règles constitutionnelles largement coutumières. Les membres de la Chambre des communes sont élus pour cinq ans, dans un scrutin à un seul tour, et le bipartisme dominant participe généralement – hormis ces dernières années avec la crise du Brexit – à une réelle stabilité politique. L’élection des parlementaires détermine très directement qui sera le Chef du gouvernement, c’est-à-dire le Prime Minister. Ce dernier tient, ensuite, un rôle considérable. Il s’agit généralement du chef du parti travailliste ou du parti conservateur du moment, en fonction du parti arrivé en tête aux élections. C’est donc du Parlement désigné par les citoyens, au suffrage universel direct, que le Premier ministre tient ensuite sa légitimité. Les parlementaires possèdent toujours de véritables prérogatives législatives et l’opposition peut user d’un véritable pouvoir de contrôle (questions orales, commissions d’enquête…) sur le gouvernement et sur les travaux en cours. Le parti d’opposition va même jusqu’à constituer un « cabinet fantôme », qui présage finalement du gouvernement – ou du Cabinet – qui serait mis en place si l’opposition remportait les élections.
En France, le Parlement posséda et possède toujours de larges pouvoirs également.
En France également, le Parlement a pu tenir un rôle central. Ce fût particulièrement le cas sous la IIIème République régit par les lois constitutionnelles de 1875. Au-delà de ces textes fondamentaux, c’est surtout la pratique qui a renforcé la puissance du Parlement, notamment après la présidence de Jules Grévy (v. Message aux chambres du Président de la République Jules Grévy, 6 février 1879). Le Parlement élu directement par les citoyens est ainsi le reflet de l’expression de la volonté générale. Après la crise du 10 juillet 1940 et le Régime de Vichy (Jean Sagnes, « Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui dirent ‘’non’’ à Vichy le 10 juillet 1940 », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1991, p. 559), le Parlement retrouve sa force à la Libération et sous la IVe République.
A l’heure actuelle, le Parlement est composé de l’Assemblée nationale, chambre basse élue au suffrage universel direct, et du Sénat, chambre haute élue au suffrage universel indirect et représentant les territoires. L’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit ainsi que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Le Parlement intervient donc en tant que législateur dans le domaine de la loi prévu à l’article 34. Les parlementaires sont protégées (art. 26 de la Constitution du 4 oct. 1958) et de la majorité à l’Assemblée dépend la couleur politique du gouvernement. En effet, la Ve République a démontré son caractère pleinement parlementaire lors des différentes cohabitations. Ainsi, le Président de la République et le Premier ministre n’appartenaient pas au même courant politique, le dernier étant nommé en fonction de la majorité parlementaire. L’article 35 de la Constitution prévoit également que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention ». Des questions écrites et orales des parlementaires peuvent être posées aux membres du gouvernement.
Les deux régimes – britannique et français – prévoient toujours des moyens de pression réciproques attestant d’une séparation souple des pouvoirs.
Évidemment, le régime parlementaire est fondé très largement sur la séparation souple des pouvoirs. Elle se traduit notamment par deux moyens d’actions et de pressions réciproques : l’engagement de la responsabilité du gouvernement (1) et le droit de dissolution du Parlement (2).
Le Parlement peut engager la responsabilité du gouvernement. En effet, une motion de censure est prévue devant la Chambre des communes au Royaume-Uni. Cependant, avec le bipartisme, il est très rare que le Premier Ministre ne soit pas soutenu par la majorité parlementaire dont il est issu. Depuis la fin du XIXème siècle, seuls deux cabinets (Ramsay MacDonald et James Callaghan) ont été mis en minorité car le soutien initial de petits partis politiques au parti majoritaire a pu faire défaut au cours du mandat. Il arrive que ce soit plutôt le parti majoritaire qui décide de ne plus soutenir tel ou tel Premier ministre.
En France, des mécanismes sont également prévus de longue date et à l’heure actuelle. L’article 20 de la Constitution de la Ve République prévoit que le gouvernement « est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». En effet, l’article 49 al. 2 prévoit la motion de censure qui est « recevable (…) si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale ». S’en suit un vote des parlementaires 48h après son dépôt et celle-ci doit être adoptée à la majorité des votes de l’Assemblée. Aussi, le gouvernement peut engager sa responsabilité sur le vote d’un texte de loi (article 49 alinéa 3) ou sur une déclaration de politique générale (article 49 al. 1er). L’article 50 détermine que « Lorsque l'Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu'elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement ».
Si les parlementaires peuvent engager la responsabilité du gouvernement, l’exécutif doit disposer – dans la théorie du régime parlementaire – d’un moyen de pression semblable : il s’agit notamment de la dissolution de la chambre basse.
En effet, la dissolution peut être décidée en France par le Président de la République. Elle n’était jamais utilisée durant la Constitution Grévy (après la crise du 16 mai 1877) et elle reste utilisée de manière assez exceptionnelle à l’heure actuelle. Cette procédure existe à l’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Depuis 1958, Charles de Gaulle a dissous l’Assemblée nationale à deux reprises (1962 et 1968), François Mitterrand à deux reprises également (1981 et 1988) et Jacques Chirac à une seule reprise en 1997.
Dans le régime britannique, la dissolution de la Chambre des communes était également prévue. Le Premier ministre pouvait y recourir, après avoir demandé l’autorisation au Chef de l’État. Ce procédé a quelque peu évolué après des réformes menées en 2011 : la dissolution peut être décidée par les parlementaires eux-mêmes lorsque la situation de crise l’exige ou lorsque le Premier Ministre leur en fait la demande. C’est notamment ce qui a pu se passer récemment avec des élections anticipées pour que Boris Johnson obtienne une plus large majorité en faveur du Brexit. Ceci montre les nécessaires évolutions opérées par les différents régimes parlementaires.
Comme le rappelle le Pr. Didier Linotte, le parlementarisme ne correspond pas toujours réellement à une « domination de la vie politique par le Parlement. C’est un régime caractérisé par une séparation souple des pouvoirs qui organise leur collaboration fonctionnelle ». Évidemment, si les fondamentaux ont été préservés comme nous l’avons vu, ces régimes parlementaires ont su évoluer et se rationaliser pour persister … que cela soit en Angleterre (A) ou en France (B).
En Angleterre, ce rééquilibrage des institutions a conduit notamment à l’effacement de la Chambre des Lords (1) et à une modification structurelle plus large (2).
En effet d’une manière générale, le Parlement britannique a perdu de sa force et de ses prérogatives. Cette tendance est toute particulière pour ce qui est de la Chambre des Lords. La loi de réforme électorale de 1832 avait déjà mis sur un même pied d’égalité les deux chambres du Parlement. Par la suite, les membres de la Chambre des Lords perdirent certains de leurs pouvoirs, notamment leur droit de véto suspensif par rapport aux actes de l’exécutif et dont la durée avait déjà été réduite au début du XXe siècle. En 1949, les travaillistes actèrent quasiment sa disparation. Certaines fonctions juridictionnelles de la Chambre ont été également transférées à la Cour suprême après sa création dans les années 2000.
Plus récemment, c’est aussi la question de la composition et de la nomination des membres de la Chambre des Lords qui a été réformée en profondeur. Mais au-delà même de la Chambre des Lords, c’est une modification structurelle inédite de nombreuses institutions qui touche le Régime parlementaire britannique.
La modification structurelle récente des institutions britanniques est assez inédite dans l’histoire du parlementarisme anglais. Le Monarque a perdu, petit à petit lui aussi un certain nombre de prérogatives. Il n’assiste plus aux réunions du cabinet, entretien seulement un dialogue avec le Premier ministre et n’a pas un réel poids politique, mais un poids moral comme garant de la cohésion nationale.
Le Premier ministre est devenu l’élément central de l’exécutif et ses liens avec la Chambre des communes sont considérables. Contrairement à la France où un parlementaire ne peut être membre du gouvernement, ceci est autorisé au Royaume-Uni ce qui marque cette collaboration forte entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le régime a également évolué d’un système dualiste (responsabilité du Premier Ministre devant le Parlement et le Chef de l’État) à un système moniste (où sa responsabilité ne peut être engagé que devant le Parlement).
En France, les évolutions pour rationaliser le régime parlementaire avaient notamment pour but d’éviter la reconduction d’un régime d’assemblée instable.
De même, la France a dû faire face aux dérives du parlementarisme absolu (1) qui a permis de voir émerger un rehaussement de l’exécutif au détriment du Parlement (2).
Effectivement, le parlementarisme rationalisé évoqué ci-dessous trouve en réalité ses racines dans la volonté de faire face aux dérives nombreuses du parlementarisme absolu retenu particulièrement sous la IIIe (par la pratique : la Constitution « Grévy »), mais aussi sous la IVe République. C’est ce parlement tout puissant qui mena ces deux régimes à leur perte.
L’Assemblée était devenue tellement centrale dans le fonctionnement politique de la IIIe République, qu’elle aspirait à elle bon nombre de prérogatives et cela ne pouvait que nuire à la collaboration des pouvoirs. Cette tendance a créé également des crises institutionnelles et une instabilité politique considérable. Il en fût de même pour la IVe République : près d’une dizaine de gouvernements ne tiendront pas plus d’un mois et demi. Pour Capitant, « l’expression de la volonté nationale n’appartient plus à la majorité des électeurs, mais à des partis et résulte de processus contractuels se déroulant entre ceux-ci ». D’ailleurs, c’est aussi pour cette raison que le Général de gaulle démissionne de la présidence du Conseil en 1946.
Ce dernier tente avec vigueur et succès de ne pas reproduire ces mêmes dérives pour ce qui est de la Ve République. Il veille à ce que le parlementarisme soit rationnalisé notamment à travers un rehaussement de l’exécutif.
En effet, la Ve République évolue même si la loi du 3 juin 1958 garantie le maintien du régime parlementaire et acte le refus du régime présidentiel. Le rôle et les prérogatives du Président de la République et du Premier ministre sont assez inédits (v. Titre II de la Constitution du 4 oct. 1958 – le Président de la République). La création du Conseil constitutionnel, comme « arme » contre les dérives du parlementarisme, a permis également de renforcer le contrôle sur la loi votée par les parlementaires et a marqué la fin de la « loi-reine ». Aussi, le pouvoir exécutif est aujourd’hui compétent pour prendre des dispositions réglementaires, notamment autonomes c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire que le règlement soit adopté pour régir l’application d’une loi.
Enfin, la concordance du calendrier électoral permet, depuis 2002, que les élections législatives (pour désigner les députés à l’Assemblée nationale) se déroulent moins de deux mois après l’élection présidentielle. En conséquence, il est rare que les outils de dissolution ou de motion de censure (évoqués précédemment) soient pleinement utilisés : c’est ce qu’on appelle « le fait majoritaire ». Cela renforce une nouvelle fois l’exécutif et acte de la stabilité ministérielle d’un nouveau régime parlementaire que certains auteurs iront jusqu’à qualifier de « régime semi-présidentiel ».